NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/89/D/1234/200322 mai 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑neuvième session12‑30 mars 2007

DÉCISION

Communication n o 1234/2003

Présentée par:

Mme P. K. (représentée par un conseil, M. Stewart Istvanffy)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

5 décembre 2003 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 5 décembre 2003 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption de la présente décision:

20 mars 2007

[ANNEXE]

Objet: Expulsion de l’auteur vers le Pakistan

Questions de procédure: Irrecevabilité ratione materiae, non‑réévaluation des faits et des preuves, caractère accessoire de l’article 2

Questions de fond: Notion de «droits et obligations de caractère civil»

Articles du Pacte: 2, 6, 7 et 14

Articles du Protocole facultatif: 2 et 3

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑neuvième session

concernant la

Communication n o  1234/2003 **

Présentée par:

Mme P. K. (représentée par un conseil, M. Stewart Istvanffy)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

5 décembre 2003 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 mars 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est Mme P. K., une Pakistanaise née en 1953 à Karachi, qui se cache actuellement au Pakistan, suite à son expulsion du Canada. Elle se déclare victime de violations par le Canada de l’article 2, de l’article 6, de l’article 7 et de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil, Stewart Istvanffy.

1.2Le 5 décembre 2003, suite à l’allégation du conseil selon laquelle la victime présumée encourait un risque d’expulsion imminent, l’État partie a été prié de faire savoir au Comité le plus rapidement possible si la victime présumée risquait d’être expulsée de force du Canada avant que l’État partie ait présenté ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication.

1.3Le 9 janvier 2004, au vu de la réponse de l’État partie datée du 8 janvier 2004, et compte tenu du fait que l’auteur se cachait, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a rejeté la demande de mesures provisoires soumise par l’auteur afin d’empêcher son expulsion du Canada vers le Pakistan. Cette décision était sans préjudice de toute demande de mesures provisoires pouvant être présentée ultérieurement s’il devenait probable que l’auteur soit appréhendée par les autorités.

Exposé des faits

2.1Jusqu’au mois de novembre 1998, l’auteur vivait à Karachi avec son mari et ses six enfants. Elle est un ancien membre du Mouvement Mohajir Quami (MQM) à Karachi (Pakistan), où elle a participé aux activités organisées par ce mouvement à l’intention des femmes. En 1998, suite au viol de l’une de ses parentes par M. S., l’un des principaux dirigeants du MQM, l’auteur a quitté ledit parti, s’est inscrite au Pakistan Peoples Party (PPP) et a publiquement critiqué le comportement abusif de M. S., lequel était soutenu par des gangs armés du MQM. Au mois d’août 1998, elle aurait été victime d’une tentative d’agression sexuelle et de meurtre de la part de M. S., qui n’a cessé depuis de les menacer, elle et sa famille, et de la persécuter avec l’aide de membres du MQM et de policiers. La police n’a pas donné suite à la plainte déposée par l’auteur contre M. S. Sa vie étant menacée, elle a fui au Canada, où elle est arrivée le 3 novembre 1998.

2.2Le 6 janvier 1999, elle a fait une demande d’asile, que la Section des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a rejetée le 25 novembre 1999, au motif que l’auteur n’était pas crédible, son témoignage concernant les événements qui s’étaient produits dans son pays étant «souvent évasif, hésitant, confus et rempli de contradictions, d’incohérences et d’invraisemblances». Sa demande d’autorisation de soumettre la décision de la Commission à un contrôle juridictionnel a été rejetée par la Cour fédérale le 15 mai 2000. En 2001, l’auteur a commis trois tentatives de suicide.

2.3Le 24 avril 2003, l’auteur a demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR), à l’issue duquel un avis négatif a été rendu le 9 octobre 2003. L’agent d’examen des risques avant renvoi a estimé que l’auteur ne risquait pas de faire l’objet de persécutions, de tortures, d’attentats à la vie, de peines ou traitements cruels et inusités si elle était renvoyée au Pakistan. L’agent a noté que les motifs pour lesquels l’auteur avait quitté le Pakistan n’étaient pas politiques, mais plutôt consécutifs à une infraction de droit commun commise par un particulier. En outre, l’auteur n’avait pas établi de lien entre sa situation et la situation générale des femmes au Pakistan qu’elle avait décrite et sur laquelle elle s’appuyait pour motiver sa demande. Enfin, certaines des pièces justificatives présentées par l’auteur comportaient des incohérences, et aucune d’entre elles ne permettait de conclure qu’elle serait en danger au Pakistan.

2.4L’auteur a sollicité le statut de résident permanent au Canada pour des motifs humanitaires et personnels, en invoquant le fait qu’elle courait personnellement un risque au Pakistan. Sa demande a été rejetée le 9 octobre 2003, au motif que l’on ne pouvait pas conclure que la protection offerte à l’auteur par l’État était insuffisante au Pakistan, et que, serait‑elle persécutée par l’individu par qui elle se disait menacée, cela constituerait une infraction de droit commun motivée par une rancune personnelle envers l’auteur en tant que personne.

2.5Le 15 novembre 2003, l’auteur a sollicité un contrôle juridictionnel de cette décision et a demandé un sursis à l’exécution de l’arrêté d’expulsion devant la Cour fédérale – un recours sans effet suspensif. Le 2 décembre 2003, la demande de sursis à l’exécution de l’arrêté d’expulsion a été rejetée. Le 6 décembre, jour prévu de son renvoi, l’auteur ne s’est pas présentée, et un mandat d’arrêt a été lancé.

2.6Le 1er mars 2004, l’auteur s’est rendue aux autorités canadiennes responsables de l’immigration. Elle a été relâchée sous condition de se présenter pour son expulsion le 5 mars 2004, date à laquelle elle a été expulsée sans escorte.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur a tout d’abord invoqué le fait que son expulsion vers le Pakistan constituerait, et a constitué par la suite, une violation de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte, étant donné qu’elle était très exposée au risque d’être maltraitée et torturée dans son pays, où militaires et policiers persécutent régulièrement les activistes politiques. Elle courrait en outre le risque d’être arrêtée, détenue, battue, torturée, voire exécutée, par la police pakistanaise en raison de son origine religieuse et de ses opinions politiques, réelles ou supposées.

3.2L’auteur demande au Comité d’étudier la quantité et la qualité des preuves fournies à l’appui de sa requête. Elle maintient que la procédure interne qui a abouti à la décision de renvoi était contraire à l’article 2 et à l’article 14 du Pacte, étant donné qu’il n’y a pas eu d’examen équitable et indépendant du dossier avant que l’expulsion ne soit ordonnée et que l’arrêté d’expulsion repose sur la présomption que tous les candidats au statut de réfugié mentent ou abusent du système. Elle affirme que l’actuelle procédure d’examen des risques avant renvoi et les procédures d’examen des considérations humanitaires ne respectent pas le droit de recours.

Observations de l’État partie

4.1Le 27 mai 2004, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. En ce qui concerne la recevabilité, il a rappelé que si un plaignant n’a pas besoin de prouver ses allégations il doit cependant présenter des preuves suffisantes pour les étayer et faire présumer le bien‑fondé de l’affaire. Il fait valoir que l’auteur n’a pas présenté un commencement de preuve suffisant pour établir le bien‑fondé de ses allégations au titre des articles 6 et 7. S’agissant des griefs de violation de ces articles, l’État partie affirme que le véritable motif de la communication de l’auteur est sa peur de M. S. C’est à cause des actes de M. S. qu’elle aurait quitté le MQM et rejoint le PPP.

4.2L’État partie fait valoir que les allégations de l’auteur ne sont pas crédibles et renvoie à la décision rendue dans ce sens par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La Commission avait des doutes sur les faits relatifs à M. S. et sur le fait que l’auteur était une militante du PPP. Il n’appartient pas au Comité de revenir, dans le cadre de l’examen auquel il procède, sur des conclusions concernant la crédibilité auxquelles sont parvenues des juridictions nationales compétentes. L’État partie invoque la jurisprudence constante du Comité selon laquelle il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve, sauf si celle‑ci a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. L’auteur n’a présenté aucune allégation dans ce sens et les éléments présentés ne portent pas à conclure que la décision de la Commission a été entachée de telles irrégularités. En outre, il a été établi tant par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié que par un agent d’examen des risques avant renvoi spécialement formé qu’il n’y avait pas de risque sérieux que l’auteur soit persécutée en cas de renvoi au Pakistan.

4.3Pour ce qui est des documents décrivant la situation des droits de l’homme au Pakistan soumis par l’auteur, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas démontré qu’elle courrait «personnellement un risque» au Pakistan. Elle a invoqué non pas la peur d’être violée par M. S., mais le fait que «cet homme et son parti politique cherchaient à la mettre en détention ou à la tuer». L’État partie estime qu’elle n’a pas établi que le Pakistan ne protégeait pas ses citoyens contre de tels actes commis par des personnes autres que des agents de l’État. Quant à la crainte exprimée par l’auteur de subir des représailles de la part de membres du MQM en raison de son appartenance supposée à un parti rival, l’État partie fait valoir qu’elle n’a pas établi que l’État ne voulait ou ne pouvait pas la protéger contre le MQM.

4.4S’agissant du grief formulé au titre de l’article 6 concernant la violation de son droit à la vie, l’État partie estime que l’auteur n’a pas étayé ses allégations, ne serait‑ce que par un commencement de preuve, selon lesquelles «la conséquence inévitable et prévisible de l’expulsion» serait qu’elle serait tuée si elle retournait au Pakistan ou que l’État ne pourrait pas la protéger. Il en conclut que le grief de violation de l’article 6 devrait être déclaré irrecevable.

4.5Au sujet des griefs de violation de l’article 7, l’État partie affirme que les allégations de l’auteur n’établissent pas de risque dépassant la simple «théorie ou suspicion», ni de risque réel et personnel d’être torturé. Il ne suffit pas de montrer qu’au Pakistan les femmes souffrent de discrimination et de mauvais traitements, encore faut‑il présenter des éléments suffisants pour faire présumer que l’auteur elle‑même court un risque sérieux de subir des actes répondant à la définition de la torture ou équivalant à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

4.6L’État partie renvoie à la définition du terme «torture» à l’article premier de la Convention contre la torture, qui requiert une douleur ou des souffrances aiguës ainsi que la participation ou le consentement de l’État. Il fait valoir que, lorsque l’article 7 du Pacte s’applique à des situations telles que celle de l’auteur, où le persécuteur présumé n’est pas un agent de l’État, le niveau de preuve doit être plus élevé, et il renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière.

4.7L’État partie souligne le fait que l’auteur n’a pas établi qu’elle ne pourrait pas disposer de la protection de l’État, ou que celle‑ci serait inefficace. La Commission a estimé que les éléments prouvant qu’elle avait porté plainte contre M. S. à la police étaient «très vagues». La Commission a ajouté qu’il était peu probable que la police refuse de la protéger contre un membre d’un parti d’opposition. L’État partie conclut que l’auteur n’a pas prouvé, même par de simples présomptions, l’existence d’un risque réel que les droits qui lui sont garantis par l’article 7 seraient violés en cas de renvoi au Pakistan. Même s’il était vrai qu’elle craint d’être maltraitée par quelqu’un, elle n’est pas parvenue à établir que le Pakistan ne voulait pas ou ne pouvait pas la protéger.

4.8Pour ce qui est des griefs tirés de l’article 2, l’État partie fait valoir que les plaintes de l’auteur sont incompatibles avec les dispositions du Pacte, étant donné que l’article 2 ne reconnaît pas de droit de recours existant isolément. Il renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle, conformément à l’article 2, seule une violation établie d’un droit énoncé dans le Pacte ouvre droit à un recours, et fait valoir que, par conséquent, cette plainte est irrecevable.

4.9En ce qui concerne l’article 14, l’État partie fait valoir que les procédures de décision sur les demandes de protection ou du statut de réfugié n’entrent pas dans la catégorie des procédures visant à statuer sur des accusations en matière pénale ou des contestations de caractère civil visées à l’article 14 du Pacte. Les premières relèvent du droit public, et leur équité est garantie par l’article 13. Étant donné que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 14 du Pacte sont équivalents, le droit jurisprudentiel de la Cour européenne peut être pris en compte. La Cour européenne a considéré que la décision d’autoriser ou non un étranger à rester dans un pays dont il n’est pas ressortissant n’impliquait aucune décision sur ses droits et obligations de caractère civil ni sur le bien‑fondé d’une accusation pénale dirigée contre lui, au sens du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention. L’État partie en conclut donc que cette plainte est irrecevable ratione materiae conformément au Pacte.

4.10À défaut, l’État partie fait valoir que la procédure d’immigration respecte les garanties de l’article 14. L’auteur a pu faire entendre sa cause par un tribunal indépendant, elle a été représentée par un conseil, elle a pu bénéficier de la procédure de contrôle juridictionnel du refus de sa demande du statut de réfugié, a pu obtenir l’examen des risques avant renvoi et l’examen pour motifs humanitaires, ainsi que le réexamen juridictionnel de ces décisions.

4.11Quant aux critiques générales de l’auteur visant la procédure appliquée pour l’octroi du statut de réfugié et la portée du réexamen par un organe juridictionnel, l’État partie note qu’il n’appartient pas au Comité d’évaluer le système canadien de détermination du statut de réfugié en général, mais seulement d’examiner si, en l’espèce, le Canada s’est acquitté de ses obligations en vertu du Pacte.

4.12Enfin, l’État partie fait valoir que le Comité ne devrait pas substituer ses propres conclusions à celles de l’État sur le point de savoir s’il existait un risque raisonnable que l’auteur subisse un traitement contraire aux dispositions du Pacte lors de son retour au Pakistan, étant donné que l’on n’a relevé aucune erreur manifeste ou abus dans les procédures nationales, celles‑ci n’ayant été entachées ni d’abus de procédure, ni de partialité, ni d’irrégularités graves. C’est aux juridictions nationales des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce. Le Comité ne devrait pas devenir une «quatrième instance», un tribunal qui aurait compétence pour réévaluer les conclusions sur les faits ou contrôler l’application de la législation nationale.

Commentaires de l’auteur

5.1Le 12 novembre 2004, le conseil a indiqué que l’auteur, en raison de son état de choc post‑traumatique, d’une dépression profonde et de sa situation irrégulière, avait demandé à être expulsée et qu’elle était rentrée au Pakistan au début du mois de mars 2004 pour voir sa famille. Le conseil a appris par l’intermédiaire de son mari qu’à son retour au Pakistan l’auteur avait reçu des menaces de mort et qu’elle se cachait. Sa famille a déclaré vouloir poursuivre la procédure devant le Comité.

5.2Le 23 mars 2006, le conseil a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il indique avoir reçu des courriers électroniques de la famille proche de l’auteur, et déclare que la vie de l’auteur demeure gravement menacée. Il fait valoir que l’agent de persécution est un membre de rang élevé du parti dirigeant à Karachi, et non pas un simple particulier. Dans la jurisprudence relative aux droits des réfugiés, ce type de situation a toujours été interprété comme étant une persécution par l’État.

5.3Le conseil affirme que l’auteur est menacée par des hommes politiques puissants à Karachi, dans un pays où les femmes, dans les situations de ce genre, ne bénéficient d’aucune protection des autorités. Il renvoie à certains rapports d’organisations internationales pour les droits de l’homme qui soulignent l’incapacité du Pakistan à prévenir les atteintes portées aux droits fondamentaux des femmes par des agents de l’État et des particuliers, enquêter à ce sujet et punir les responsables.

5.4En ce qui concerne le risque personnellement encouru par l’auteur, le conseil renvoie aux éléments de preuve présentés lors de la procédure d’examen des risques avant renvoi, qui comprenaient la lettre d’un avocat de Karachi confirmant les principaux faits, la déclaration écrite sous serment de la cousine de l’auteur violée par M. S., une lettre de l’aile féminine du PPP et deux lettres du mari de l’auteur. Le conseil a également présenté des éléments de preuve relatifs au danger encouru par les femmes qui se trouvent dans des situations telles que celle de l’auteur, ainsi que des extraits du dossier médical et du dossier psychologique de l’auteur après ses tentatives de suicide. Le conseil affirme que renvoyer l’auteur au Pakistan, où les droits fondamentaux des femmes sont violés en toute impunité, équivaut à une condamnation à mort.

5.5Le conseil estime que le processus d’examen des risques avant renvoi ne respecte ni les garanties offertes par la Charte canadienne des droits et libertés, ni les obligations internationales du Canada. Il réaffirme qu’il n’existe pas de recours utile, que ce soit devant la Cour fédérale ou dans le cadre de la procédure d’examen des risques avant renvoi, pour garantir l’application de l’interdiction internationale de renvoyer une personne dans un pays où elle sera torturée.

5.6Pour ce qui est du réexamen juridictionnel par la Cour fédérale, le conseil fait valoir que le rôle de la Cour s’est généralement limité à contrôler les procédures, et non pas la teneur des obligations internationales du Canada en matière de droits de l’homme.

Réponses complémentaires de l’État partie

6.1Le 31 août 2006, l’État partie a présenté ses commentaires concernant les observations du conseil. Il estime que le retour volontaire de l’auteur au Pakistan indique que celle‑ci ne craint pas de subir des persécutions ou d’être tuée au Pakistan. Il invoque la définition du terme de «réfugié» au sens de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, selon laquelle est réfugiée la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée, refuse de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité. Conformément à l’article 1C de la Convention, la protection d’une personne réfugiée cesse lorsque celle‑ci s’est volontairement réclamée à nouveau de la protection de son pays ou si elle est retournée volontairement s’établir dans son pays.

6.2L’État partie estime que ce principe du retour volontaire s’applique également aux allégations formulées par l’auteur au titre des articles 6 et 7 du Pacte selon lesquelles son renvoi au Pakistan l’exposait à un risque de mort, de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Si elle avait réellement eu peur de retourner au Pakistan, même si elle ne souhaitait pas rester cachée, elle aurait pu se rendre aux autorités tout en renouvelant sa demande de mesures provisoires au Comité.

6.3L’État partie approuve les conclusions des autorités qui estiment que l’auteur n’encourt pas de risques au Pakistan. Par ailleurs, le fait qu’elle ait pu se mettre à l’abri prouve de façon concluante l’existence pour l’auteur d’une «possibilité de trouver refuge dans son pays», au Pakistan. Le fait qu’elle ne soit peut‑être pas en mesure de retourner dans sa maison familiale n’équivaut pas à une violation de l’article 7 du Pacte.

6.4Au sujet des courriers électroniques de la famille de l’auteur, l’État partie estime que ces éléments de preuve n’établissent pas que l’auteur est réellement en danger au Pakistan. Ces messages électroniques donnent à penser notamment qu’il se pourrait que l’auteur vive séparée de sa famille en raison de problèmes conjugaux, et non pas en raison de la peur présumée d’un tiers. Les filles de l’auteur ont écrit au conseil que leur père était fâché contre leur mère.

6.5L’État partie souligne que le conseil n’a donné aucune information sur ce qui s’était passé après que les filles de l’auteur eurent insisté pour qu’il leur donne son numéro de téléphone afin que l’auteur puisse l’appeler avec son téléphone portable, en mars 2005. Il met en doute le fait que, bien que l’auteur ait eu accès à un téléphone portable et que l’on puisse facilement avoir accès à Internet à Karachi, le conseil n’ait pu avoir aucun contact avec elle. La présentation sélective des éléments de preuve faite par le conseil et, en particulier, l’absence totale d’informations concernant l’auteur depuis mars 2005, indique qu’il n’existe en fait pas de preuve permettant de conclure que le renvoi de l’auteur au Pakistan ait violé un seul de ses droits reconnus dans le Pacte.

6.6Quant aux critiques du conseil concernant différents aspects du système canadien de détermination du statut de réfugié, l’État partie réaffirme que l’évaluation du système canadien en général n’entre pas dans le cadre de l’examen effectué par le Comité.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si elle est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication dans son ensemble. En ce qui concerne les violations des articles 6 et 7 invoquées par l’auteur, le Comité rappelle que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, expulser ou refouler une personne vers un pays où elle court un risque réel d’être tuée, torturée ou soumise à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Il note aussi que la Section des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, à l’issue d’un examen approfondi, a rejeté la demande d’asile de l’auteur au motif que celle‑ci manquait de crédibilité. La Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation de faire appel présentée par l’auteur. L’agent d’examen des risques avant renvoi a établi qu’il n’y avait pas de raison sérieuse de penser que sa vie serait en danger ou qu’elle serait victime de peines ou de traitements cruels et inusités. Enfin, la demande de statut de résident permanent déposée par l’auteur dans l’État partie pour motifs d’ordre humanitaire a été rejetée, car rien ne permettait de dire que la protection offerte à l’auteur par l’État était inadéquate au Pakistan.

7.3Le Comité rappelle sa jurisprudence, à savoir qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’évaluer les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’évaluation est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que la procédure devant les autorités de l’État partie ait été entachée de telles irrégularités. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas, aux fins de la recevabilité de sa communication, suffisamment étayé ses allégations au titre des articles 6 et 7 et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4En ce qui concerne le grief tiré de l’article 14 selon lequel l’auteur n’a pas disposé d’un recours utile, le Comité a noté l’argument de l’État partie selon lequel une procédure d’expulsion n’implique pas de décision sur «le bien‑fondé de toute accusation en matière pénale» ou sur des «droits et obligations de caractère civil». Le Comité observe que l’auteur n’a été ni accusée ni condamnée pour une infraction pénale dans l’État partie et que son expulsion ne constitue pas une sanction prononcée à l’issue d’une procédure pénale. Par conséquent, le Comité conclut que la procédure visant à déterminer si le statut de réfugié doit être reconnu à l’auteur ne constitue pas une décision sur «le bien‑fondé de toute accusation en matière pénale» au sens de l’article 14.

7.5Le Comité rappelle que la notion de «droits et obligations de caractère civil», au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, repose sur la nature du droit en question et non sur le statut de l’une des parties. En l’espèce, la procédure porte sur le droit de l’auteur à être protégée sur le territoire de l’État partie. Le Comité considère que la procédure relative à l’expulsion d’un étranger, assortie de garanties régies par l’article 13 du Pacte, n’entre pas dans le champ de la détermination des «droits et obligations de caractère civil», au sens du paragraphe 1 de l’article 14. Il conclut que la procédure d’expulsion de l’auteur ne relève pas du paragraphe 1 de l’article 14 et que le grief soulevé à ce titre est irrecevable ratione materiae, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.6Pour ce qui est des griefs tirés de l’article 2 du Pacte, le Comité rappelle que les dispositions dudit article, qui énoncent des obligations générales à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément et par elles‑mêmes dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Le Comité estime que les prétentions de l’auteur à cet égard sont indéfendables et qu’elles sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication, par l’intermédiaire de son conseil.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

-----