NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/89/D/1353/200514 mai 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑neuvième session12‑30 mars 2007

CONSTATATIONS

Communication n o  1353/2005

Présentée par:

Philip Afuson Njaru (représenté par un conseil, M. Boris Wijström)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Cameroun

Date de la communication:

24 janvier 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 1er février 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

19 mars 2007

Objet: Arrestation illégale; mauvais traitements et torture; menaces de la part d’agents publics; refus d’enquêter

Questions de procédure: Néant

Questions de fond: Détention illégale et arbitraire; torture, ou peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; liberté et sécurité de la personne; liberté d’expression

Articles du Pacte: 7, 9 (par. 1 et 2), 10, 19 (par. 2) et 2 (par. 3)

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b))

Le 19 mars 2007, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1353/2005 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑neuvième session

concernant la

Communication n o  1353/2005**

Présentée par:

Philip Afuson Njaru (représenté par un conseil, M. Boris Wijström)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Cameroun

Date de la communication:

24 janvier 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 mars 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1353/2005 présentée au nom de Philip Afuson Njaru en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Philip Afuson Njaru, de nationalité camerounaise. Il affirme être victime de violations par le Cameroun de l’article 7, des paragraphes 1 et 2 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, et du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, rapprochés du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Il est représenté par un conseil, M. Boris Wijkström, de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT). Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 27 septembre 1984.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur, journaliste, est un défenseur bien connu des droits de l’homme au Cameroun. Depuis 1997, il est victime de persécutions systématiques de la part de divers agents de l’État. Il fait ci‑après le récit de ces incidents. Le 1er mai 1997, M. H. N., chef de poste à la police de l’immigration à Ekondo‑Titi (département de Ndia), a averti l’auteur, en présence de l’agent de police P. N. E., qu’il «aurait affaire à lui» s’il continuait de publier des articles «antipatriotiques» accusant les policiers de corruption et affirmant que l’agent P. N. E. avait violé une femme enceinte de nationalité nigériane.

2.2Le 18 mai 1997, M. H. N. s’est entretenu avec l’auteur dans les locaux de l’administration locale de l’arrondissement d’Ekondo‑Titi et lui a demandé pourquoi il ne s’était pas rendu aux convocations de la police. L’auteur ayant répondu qu’il n’avait jamais reçu la moindre convocation officielle, M. H. N. l’a prié de se présenter à son bureau le 28 mai 1997, en l’avertissant que c’était la toute dernière fois qu’il lui faisait une telle demande et que, s’il se dérobait, il serait arrêté et soumis à la torture.

2.3Le 2 juin 1997, M. H. N. et l’agent de police P. N. E. ont de nouveau pris contact avec l’auteur et lui ont demandé s’il avait reçu la convocation. L’auteur ayant répondu par la négative, M. H. N. lui a dit qu’il allait «s’occuper sérieusement de lui».

2.4Le 12 octobre 1997, alors que l’auteur se trouvait dans la rue, à Ekondo‑Titi, un véhicule de police ayant à son bord M. H. N. et M. B. N., chef de poste à la brigade mixte mobile, s’est arrêté à sa hauteur. M. H. N. a demandé à l’auteur pourquoi il ne s’était jamais rendu au poste de police malgré plusieurs convocations et lui a une nouvelle fois reproché d’avoir rédigé des articles de presse dénonçant la corruption de la police du district. L’auteur ayant répondu qu’il n’avait reçu que des convocations verbales, qui n’avaient aucune valeur juridique, M. H. N. a de nouveau menacé de l’arrêter et de le soumettre à la torture, puis il l’a agressé, le frappant et le rouant de coups de pied jusqu’à ce qu’il perde connaissance, lui a confisqué sa carte de presse et est parti.

2.5Un certificat médical daté du 15 octobre 1997, établi par l’hôpital de district d’Ekondo‑Titi (Ndia), indique ce qui suit: «Patient en état d’angoisse extrême présentant des douleurs à la palpation dans la zone de l’articulation temporo‑mandibulo maxillaire et dans la région thoraco‑abdominale ainsi que des muscles des jambes tuméfiés et douloureux à la palpation. Diagnostic: polytraumatisme». Comme il continuait d’avoir mal à la tête et à la mâchoire et qu’il souffrait d’une perte auditive à l’oreille gauche, l’auteur a consulté, le 17 décembre 1998, un chirurgien‑dentiste de l’hôpital des plantations Pamol, à Lobé. Celui‑ci, dans une lettre datée du 4 avril 1999, a confirmé que l’auteur souffrait d’une fracture et d’un déboîtement partiel de la mâchoire et qu’il avait le tympan de l’oreille gauche perforé. Il lui a prescrit une intervention chirurgicale assortie d’un traitement aux antibiotiques et aux anti‑inflammatoires. Dans un autre certificat médical, établi par l’hôpital de district à la date du 29 août 2000, il est dit que l’auteur souffre de pertes de mémoire, de stress, de dépression et d’une déformation du massif facial, et que ses symptômes ne se sont pas cliniquement améliorés depuis le 12 octobre 1997, date où il a été torturé.

2.6L’auteur s’est plaint des faits survenus le 12 octobre 1997 auprès du Procureur du département de Ndia, dans la province du sud‑ouest (lettres envoyées en octobre 1997 et le 5 janvier 1998), auprès du Délégué général à la sûreté nationale (lettre datée du 2 février 1998), auprès du Procureur de la République de Buéa, dans la province du sud‑ouest (lettre datée du 9 septembre 1998), et auprès du Ministère de la justice, à Yaoundé (lettres datées des 19 et 28 novembre 2001). À ce jour, aucune de ces autorités n’a ouvert d’enquête. Le Procureur de Buéa a informé l’auteur que sa plainte avait disparu du greffe.

2.7Le 20 février 1998, l’agent de police P. N. E. et deux autres fonctionnaires armés en civil du service de l’immigration ont localisé l’auteur à l’hôpital de district d’Ekondo‑Titi et l’ont informé que M. H. N. voulait le voir d’urgence à son bureau, sans toutefois lui remettre de convocation à son nom. Peu après, M. H. N. s’est rendu à l’hôpital, a arrêté et menotté l’auteur, et l’a emmené au poste de police où il lui a demandé de révéler qu’elles avaient été ses sources pour plusieurs articles dénonçant des pots‑de‑vin versés à la police par des ressortissants nigérians et des tortures commises lors de contrôles de permis de résidence. L’auteur ayant refusé d’obtempérer, M. H. N. l’a frappé au visage à plusieurs reprises et a menacé de le placer en détention pour une durée indéterminée, de le promener nu devant des femmes et des jeunes filles, puis de l’exécuter. Après cet incident, l’auteur a été régulièrement convoqué au poste de police, mais ne s’y est jamais présenté, craignant pour sa vie. Le 20 avril 1998, il a adressé une plainte au sujet de cet incident au Délégué général à la sûreté nationale et, le 19 novembre 2001, au Ministre de la justice. Il n’a pas été ouvert d’enquête.

2.8Le 22 mai 1998, l’agent de police P. N. E. s’est rendu à Bekora Barombi, où l’auteur se cachait. L’auteur a refusé de l’accompagner pour se faire signifier une convocation par les services d’immigration, faisant valoir que c’était à la police judiciaire qu’il incombait de délivrer les convocations. Le 28 mai 1998, l’auteur est retourné à Ekondo‑Titi. Le jour même, M. H. N. a arrêté sa voiture devant lui, puis a redémarré. Deux minutes plus tard, deux policiers armés en civil accostaient l’auteur et lui remettaient la convocation, qui était estampillée «urgent» et dont la date avait été modifiée trois fois (22 mai, 28 mai et 8 juin 1998), chacune des prorogations étant signée de M. H. N. L’auteur est ensuite retourné dans la clandestinité. Le 8 mai 1999, un commissaire de la police de l’immigration, J. A., l’a arrêté après qu’il eut publié un article accusant ce fonctionnaire de corruption.

2.9En mai 1999 ou aux alentours de cette date, l’auteur a été menacé et harcelé par des soldats du 11e bataillon de marine d’Ekondo‑Titi, après avoir publié dans un journal un article dans lequel il dénonçait les mauvais traitements que des membres de ce bataillon auraient fait subir à des femmes et des jeunes filles au cours d’opérations de recouvrement de l’impôt à Ekondo‑Titi. Le 22 mai 1999, le capitaine L. D., commandant du bataillon, a demandé à l’auteur de cesser d’écrire de tels articles et de révéler ses sources. L’auteur s’y étant refusé, des soldats lui ont dit qu’ils l’abattraient pour avoir porté de telles accusations. Le 27 mai 1999, des soldats en armes ont pris position autour de la maison de l’auteur. Celui‑ci a réussi à s’échapper et s’est réfugié à Kumba. Il s’est plaint des incidents du 22 mai 1999 dans une lettre datée du 27 novembre 2000 adressée à la Commission nationale des droits de l’homme. Plus récemment, l’auteur a fait l’objet de menaces de la part de M. L. D. à propos d’autres articles, dont l’un portait sur des violences infligées à la population civile d’Ekondo‑Titi par des soldats d’un bataillon basé à Buéa.

2.10Le 8 juin 2001, alors que l’auteur prenait un verre avec un ami, M. I. M., dans un bar de Kumba, des policiers en armes ont enjoint les deux hommes de quitter les lieux. L’agent de police J. T. a agrippé l’auteur, l’a plaqué au sol et l’a roué de coups de poing et de pied. Lorsque M. I. M. a voulu s’interposer, les policiers l’ont agressé lui aussi. L’auteur a été emmené au poste de police de Kumba sans aucune explication. Au cours du trajet, un policier stagiaire l’a frappé, lui a porté des coups de pied à la tête et aux jambes, lui a donné des coups de crosse, et l’a menacé de «lui régler son compte». À son arrivée au poste, le commissaire de police de Kumba, M. J. M. M., lui a dit de rentrer chez lui. Lorsque l’auteur a demandé des explications écrites quant aux motifs de son arrestation et des mauvais traitements qui lui avaient été infligés, il a été mis dehors et n’a plus été autorisé à rentrer dans les locaux du commissariat.

2.11Un certificat médico‑légal délivré par le Ministère de la santé publique le 9 juin 2001 indique que l’auteur «présente […] des douleurs à l’oreille gauche, à la poitrine, dans la région de la taille et du dos, aux hanches et aux jambes, qui sont toutes dues à son violent passage à tabac par la police». Le 9 juin 2001, l’auteur s’est plaint de ces faits auprès du Service des affaires juridiques (Kumba), qui a transmis sa lettre à la police judiciaire de Buéa et, le 19 novembre 2001, au Ministre de la justice. Le 6 novembre 2001, la police judiciaire a informé l’auteur que sa plainte n’avait pas été reçue et que, par conséquent, aucune procédure judiciaire n’avait été engagée.

2.12Le 7 octobre 2003, six policiers armés et un inspecteur de police ont fait face à l’auteur dans une boutique de menuiserie. L’inspecteur a refusé de décliner son identité ou d’indiquer la raison pour laquelle il recherchait l’auteur, et a menacé celui‑ci avec une matraque. Dehors, l’auteur a été menacé et mis au sol par deux policiers. Il a signalé l’incident au commandant de la police judiciaire de Kumba, au chef provincial de la police judiciaire et au Groupement mobile d’intervention (GMI) de Buéa; il a également adressé une plainte au Service des affaires juridiques de Kumba.

2.13Le 18 novembre 2003, M. A. Y., commissaire de police judiciaire, a convoqué l’auteur par téléphone à son bureau de Buéa. Le 19 décembre 2003, l’auteur s’est présenté devant M. A. Y., qui a exprimé sa colère parce que l’auteur avait tardé à répondre à sa convocation, l’a soumis à un interrogatoire long et intimidant et l’a mis en demeure de ne plus écrire d’articles dénonçant le comportement de la police.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le passage à tabac dont il a été victime le 12 octobre 1997, qui lui a valu une fracture de la mâchoire et une lésion auditive, était d’une telle violence qu’il représente une torture au sens de l’article 7. Les menaces de mort répétées proférées contre lui par la police, souvent accompagnées de brutalités, lui ont causé de graves souffrances psychologiques, ce qui constituerait en soi une violation de l’article 7. L’auteur fait valoir qu’eu égard à la pratique systématique de la torture et des exécutions arbitraires au Cameroun, il était pleinement fondé à craindre que ces menaces ne soient mises à exécution. Conformément aux constatations de divers organes internationaux, ces menaces, ainsi que l’absence de mesures de la part de l’État partie en vue d’y mettre fin, étaient incompatibles avec l’interdiction de la torture et des autres formes de mauvais traitements.

3.2L’auteur fait valoir que les coups de poing et de pied qu’il a reçus pendant qu’on l’emmenait au commissariat de police de Kumba, le 8 juin 2001, qui lui ont causé de violentes douleurs à la tête, à la poitrine, aux oreilles et aux jambes, lui ont été infligés alors qu’il était en détention, ce qui constitue par conséquent une violation de l’article 10 du Pacte, en sus d’un manquement à l’article 7.

3.3L’auteur affirme que les arrestations dont il a fait l’objet les 20 février 1998, 8 mai 1999 et 8 juin 2001, sans un mandat ou une explication quant à leurs motifs, étaient illégales et arbitraires, en violation de l’article 9.

3.4Aux dires de l’auteur, les actes susmentionnés étaient destinés à le punir pour avoir publié des articles dénonçant la corruption et la violence des forces de sécurité, ainsi qu’à l’empêcher d’exercer librement sa profession de journaliste. Ces mesures n’étaient pas prévues par la loi, mais constituaient au contraire des violations de garanties constitutionnelles telles que l’interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et ne visaient aucun des buts légitimes cités au paragraphe 3 de l’article 19.

3.5Pour ce qui est de la recevabilité, l’auteur indique que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’il n’a pas accès à des voies de recours internes étant donné qu’il n’a pas été ouvert d’enquête sur ses allégations de brutalités policières, malgré les plaintes répétées qu’il a adressées à différentes autorités judiciaires. Il affirme en outre que les recours sont inopérants au Cameroun, comme plusieurs organes de l’Organisation des Nations Unies l’ont confirmé.

3.6Pour l’auteur, l’absence de recours utiles constitue en soi une violation du Pacte. À titre de réparation, il réclame une indemnisation proportionnelle à la gravité des manquements aux droits garantis par le Pacte, sa pleine réhabilitation, l’ouverture d’une enquête sur les circonstances des tortures qu’il a subies, et des sanctions pénales contre les responsables.

Absence de coopération de la part de l’État partie

4.Dans des notes verbales datées du 1er février 2005, du 19 mai 2006 et du 20 décembre 2006, l’État partie a été invité à présenter au Comité des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité constate que ces informations ne lui sont pas parvenues. Il regrette que l’État partie n’ait fourni aucun éclaircissement sur la recevabilité ou le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle que, conformément au Protocole facultatif, l’État partie concerné est tenu de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux griefs formulés par l’auteur, pour autant que ceux-ci aient été suffisamment étayés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si celle-ci est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.2En ce qui concerne l’obligation d’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie n’a contesté la recevabilité d’aucun des griefs présentés. Il prend note en outre des informations et des pièces fournies par l’auteur au sujet des plaintes qu’il a adressées à plusieurs organes, dont aucune n’aurait apparemment donné lieu à une enquête. Le Comité estime par conséquent que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication. Ne voyant aucune autre raison de considérer les allégations formulées par l’auteur comme irrecevables, il passe à l’examen quant au fond des griefs présentés par l’auteur au titre de l’article 7, des paragraphes 1 et 2 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, du paragraphe 2 de l’article 19, et du paragraphe 3 de l’article 2. Il note également qu’une question se pose au regard du paragraphe 1 de l’article 9 concernant les menaces de mort dont l’auteur a fait l’objet de la part des forces de sécurité.

Examen au fond

6.1En ce qui concerne le grief tiré des articles 7 et 10 du Pacte eu égard aux tortures physiques et mentales que les forces de sécurité auraient infligées à l’auteur, le Comité note que celui-ci a présenté des informations et des pièces détaillées, y compris plusieurs certificats médicaux, à l’appui de ses affirmations. Il a cité nommément la plupart des personnes qui auraient été impliquées dans tous les incidents au cours desquels il aurait été harcelé, agressé, torturé et arrêté depuis 1997. Il a aussi fourni copie de nombreuses plaintes adressées à différents organes, dont aucune n’aurait apparemment donné lieu à une enquête. Dans ces conditions, et en l’absence de la moindre explication de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Le Comité estime que le traitement infligé à l’auteur par les forces de sécurité, tel qu’il a été décrit plus haut, constituait une violation de l’article 7 du Pacte, lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

6.2Pour ce qui est du grief de violation de l’article 9 portant sur les circonstances des arrestations de l’auteur, le Comité relève que l’État partie n’a pas contesté le fait que l’auteur avait été arrêté à trois reprises (20 février 1998, 8 mai 1999 et 8 juin 2001) sans qu’un mandat n’ait été décerné et sans qu’on lui ait notifié les raisons de son arrestation ni aucune charge pesant contre lui. Il note également que l’auteur a porté plainte devant plusieurs organes, apparemment sans aucune suite. Pour ces motifs, le Comité conclut qu’il y a eu violation par l’État partie des paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte, lus séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

6.3Le Comité note que l’auteur affirme qu’il a fait l’objet de menaces de mort de la part de fonctionnaires de police en de nombreuses occasions et que l’État partie n’a pris aucune mesure pour le protéger et continuer d’assurer sa protection contre de telles menaces. Renvoyant à sa jurisprudence, le Comité rappelle que le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte garantit le droit à la sécurité de la personne même lorsqu’il n’y a pas privation formelle de liberté. En l’espèce, il semble que l’auteur ait été prié à plusieurs reprises d’aller témoigner seul dans un poste de police et qu’il ait été harcelé et menacé de mort avant et pendant ses arrestations. Dès lors, et en l’absence de toute explication de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité conclut qu’il y a eu violation du droit de l’auteur à la sécurité de sa personne, au regard du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, rapproché du paragraphe 3 de l’article 2.

6.4Quant au grief de violation du droit à la liberté d’expression et d’opinion, au motif que l’auteur a été persécuté pour avoir publié des articles dénonçant la corruption et la violence des forces de sécurité, le Comité note qu’en vertu de l’article 19 toute personne a droit à la liberté d’expression. La liberté d’expression ne peut faire l’objet de restrictions conformément au paragraphe 3 de l’article 19 que si les conditions ci-après sont réunies: la restriction doit être prévue par la loi, elle doit répondre à l’un des objectifs énoncés aux alinéas a et b du paragraphe 3 de l’article 19, et elle doit être nécessaire pour atteindre un objectif légitime. Le Comité estime qu’il ne peut y avoir de restriction légitime au titre du paragraphe 3 de l’article 19 qui justifierait l’arrestation arbitraire, la torture et les menaces de mort dont l’auteur a fait l’objet et que, par conséquent, la question de savoir quelles mesures peuvent répondre aux critères de la «nécessité» dans de telles situations ne se pose pas. Au vu des particularités de l’affaire, le Comité estime que l’auteur a démontré l’existence d’un lien entre le traitement qu’il a subi et ses activités de journaliste, et conclut donc qu’il y a eu violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, rapproché du paragraphe 3 de l’article 2.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte, des paragraphes 1 et 2 de l’article 9, et du paragraphe 2 de l’article 19, rapproché du paragraphe 3 de l’article 2.

8.Le Comité considère que l’auteur a droit, conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, à un recours utile. L’État partie est tenu de prendre des mesures appropriées pour faire en sorte: a) qu’une action pénale soit engagée en vue de poursuivre et condamner promptement les personnes responsables de l’arrestation de l’auteur et des mauvais traitements qu’il a subis; b) que l’auteur soit protégé contre des menaces et/ou mesures d’intimidation de la part des membres des forces de sécurité; et c) qu’il obtienne réparation, y compris une indemnisation intégrale et sa pleine réhabilitation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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