NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/89/D/1355/200522 mai 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑neuvième session12‑30 mars 2007

DÉCISION

Communication n o  1355/2005

Présentée par:

Humanitarian Law Center

Au nom de:

X

État partie:

Serbie

Date de la communication:

23 décembre 2004 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 1er février 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

26 mars 2007

Objet: Atteintes sexuelles sur la personne d’un mineur

Questions de procédure: Qualité pour représenter la victime

Questions de fond: Traitement cruel, inhumain ou dégradant; ingérence arbitraire ou illégale dans la vie privée; droits de l’enfant

Articles du Pacte: 7, 17 et 24 (par. 1), considérés séparément et lus conjointement avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 2

Article du Protocole facultatif: 1

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑neuvième session

concernant la

Communication n o  1355/2005 **

Présentée par:

Humanitarian Law Center

Au nom de:

X

État partie:

Serbie

Date de la communication:

23 décembre 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication, datée du 23 décembre 2004, est le Humanitarian Law Center, organisation non gouvernementale qui surveille les violations des droits de l’homme en Serbie et enquête à leur sujet. Il soumet la plainte au nom de X, mineur né en 1992, de nationalité serbe. L’auteur dénonce des violations par la Serbie des articles 7, 17 et 24, paragraphe 1, considérés chacun séparément et lus conjointement avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 2 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Serbie le 6 décembre 2001.

1.2Le 31 janvier 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a rejeté les demandes de mesures provisoires, exhortant l’État partie à assurer une protection aux témoins cités dans la communication, l’encourageant à empêcher tout nouveau contact entre les auteurs des abus sexuels et la victime et l’invitant instamment à mettre à la disposition de la victime des services de conseils appropriés et de surveillance permanente, selon que de besoin.

1.3Le 27 septembre 2005, l’État partie a demandé que la question de la recevabilité de la communication soit examinée séparément de la question du fond. Le 27 septembre 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications a, au nom du Comité, décidé que la recevabilité et le fond de l’affaire devraient être examinés conjointement.

Exposé des faits

2.1Le 15 novembre 2002, X, un jeune Rom âgé de 10 ans est entré dans un bar du village de A, où il a rencontré Vladimir Petrašković et Miodrag Radović. Petrašković l’a invité à boire une bière, ce qui l’a rendu ivre. Les deux hommes l’ont alors obligé à leur faire une fellation. Peu après, trois autres hommes, Aleksandar Janković, Maksim Petrović et Vojislav Brajković, se sont joints à eux et l’enfant a été contraint de faire une fellation aux cinq hommes. Ils ont ensuite tous quitté le bar et se sont rendus dans une discothèque où Radović a uriné sur la tête de l’enfant. Puis les hommes ont emmené l’enfant dans un autre bar où ils l’ont obligé de nouveau à leur faire à tous une fellation et lui ont uriné dans la bouche. Ils l’ont menacé pour qu’il ne dise rien à personne.

2.2W, infirmière de santé publique travaillant à A, a appris ce qui s’était passé deux jours après. Elle a rencontré X qui a relaté les événements décrits ci‑dessus. Elle a remarqué que la bouche de l’enfant était enflée. Le lendemain, elle a persuadé X de rapporter les faits à la police. Au début de décembre 2002, Miroslav Lukic, Président du tribunal municipal de A, a signalé l’affaire au procureur qui n’avait pas encore été contacté par la police.

2.3Le 27 décembre 2002, la victime a porté plainte contre les cinq hommes à la police, à la suite de quoi, le 9 janvier 2003, le bureau du procureur du district de Požarevac a chargé le tribunal de district de Požarevac d’enquêter sur l’affaire. À partir du 13 janvier 2003, le Humanitarian Law Center (ci‑après dénommé le HLC) a été le conseil de X. Le 14 janvier 2003, le tribunal de district a décidé d’enquêter sur Vladimir Petrašković et Miodrag Radović. Les deux hommes avaient alors déjà quitté le pays. Miodrag Radović a été arrêté en Autriche et extradé vers la Serbie. Le 24 janvier 2003, le tribunal de district a entendu 13 témoins parmi lesquels seuls les parents de X ont confirmé son histoire. Après que la victime eut modifié sa déposition le 5 février 2003, le procureur de district a classé l’affaire le 5 mars 2003 et le tribunal de district a mis fin à son enquête le 10 mars 2003.

2.4Selon l’État partie, l’affaire a été classée en raison de l’insuffisance de preuves: la victime était complètement revenue sur sa déposition initiale à la police disant au magistrat instructeur que les accusés n’avaient en fait commis aucun délit. En outre, les témoins avaient soit raconté ce qu’ils avaient entendu dire par des habitants du village dont ils ne connaissaient pas le nom soit démenti complètement les allégations formulées. Enfin, aucun témoin, y compris W, n’avait déposé de demande de protection auprès du bureau du procureur. D’après l’auteur, W a témoigné devant le juge d’instruction le 5 février 2003. Elle a également dit au HLC que lors de la même audition, X avait d’abord confirmé devant le juge qu’il avait fait l’objet d’abus sexuels, puis, après une pause, était revenu sur ses accusations. Seules ses rétractations figuraient dans les dossiers du tribunal. Quelques semaines plus tard, X avait contacté W et lui avait dit que ses parents l’avaient obligé à modifier sa déposition.

2.5L’histoire de X a été largement rapportée dans les médias. Entre janvier 2003 et juin 2004, de nombreux articles ont été publiés dans la presse nationale; ils étaient axés entre autres sur l’indignation suscitée par cette affaire dans l’opinion publique, l’abandon des poursuites pénales, l’intimidation des témoins et les soupçons de collusion entre les auteurs présumés et des fonctionnaires.

2.6Selon l’auteur, à partir de novembre 2002, des témoins oculaires et d’autres habitants de A ont été menacés et se sont vu offrir de l’argent en échange de leur silence sur les abus sexuels dont X avait été victime par un groupe de délinquants locaux. En décembre 2002, le père de X a reçu un appel téléphonique de Miodrag Radović qui lui a offert de l’argent si l’enfant se rétractait. W, l’infirmière qui a témoigné à deux occasions, a reçu de nombreuses menaces. Le 28 octobre 2004, l’auteur a déposé une demande de protection policière en faveur de W auprès du chef du service de la sécurité publique au Ministère des affaires intérieures. Cette demande est restée sans réponse et les menaces ont continué. W a alors demandé une protection au chef de la police de Požarevac, une ville voisine, mais sa demande a été rejetée.

2.7À l’issue d’une procédure judiciaire séparée, les parents de X ont été reconnus coupables d’avoir fait preuve de négligences graves dans l’exercice de leurs responsabilités parentales le 27 mars 2002, et ils ont été déchus de leurs droits parentaux par le tribunal municipal de A le 28 janvier 2003. X et ses cinq frères et sœurs mineurs ont été placés dans une institution le 3 février 2003 et Vera Miscevic, travailleuse sociale au centre de travail social de A, a été désignée tuteur légal des enfants.

2.8Après le classement de l’affaire par le bureau du procureur le 10 mars 2003, la victime s’est vu accorder huit jours pour engager des poursuites privées, ce que l’auteur a fait, en son nom, le 18 mars 2003. Lors d’une audition devant le juge d’instruction le 1er avril 2003, quatre nouveaux témoins ont été entendus. Trois d’entre eux ont confirmé que X avait subi des abus sexuels. Le 9 avril 2003, les parents de X ont essayé de retirer au HLC le mandat qui lui avait été donné et d’abandonner les poursuites privées. Mais à ce moment‑là ils avaient perdu leurs droits parentaux sur X. Le HLC pense qu’ils ont reçu de l’argent pour convaincre leur enfant de ne pas intenter d’action pénale contre ses abuseurs: le père de l’enfant a dit publiquement qu’on lui avait offert quelque chose si l’enfant abandonnait ses accusations. Peu après, de nouveaux meubles que les parents n’avaient apparemment pas les moyens d’acquérir sont apparus dans la maison familiale.

2.9Le 7 mai 2003, le bureau du procureur a rejeté la demande du HLC tendant à ce qu’une enquête soit ouverte sur Aleksandar Janković, Maksim Petrović et Vojislav Brajković, soit les trois autres hommes qui avaient participé aux abus sexuels. Il a également informé Vera Miscevic, la tutrice de l’enfant, qu’elle pouvait reprendre les poursuites pénales dans un délai de huit jours. Le 16 mai 2003, Vera Miscevic a accordé un mandat en ce sens au HLC qui a déposé une nouvelle demande d’enquête plus approfondie sur les cinq hommes. Le 10 juin 2003, elle a révoqué ce mandat. La demande du HLC a donc été rejetée le 18 juin 2003 au motif qu’il n’était pas habilité à la présenter. L’auteur a interjeté appel devant la chambre d’appel du tribunal de district de Požarevac qui a annulé le 27 juin 2003 la décision de mettre fin à l’enquête et ordonné qu’elle soit étendue aux trois autres hommes. Le 29 juillet 2003, Vera Miscevic a accordé à nouveau un mandat au HLC. Le 12 août 2003, elle l’a encore une fois révoqué, et ce, pour la dernière fois. Dès lors, le HLC a été exclu de la procédure judiciaire et l’accès au dossier lui a été refusé. Le 19 novembre 2003, le tribunal de district a suspendu l’enquête, le centre de travail social, invoquant l’état de santé de la victime, ayant décidé de se désister.

2.10Le HLC a continué à suivre la situation de X après août 2003 mais il n’a pas su à quelle date ou dans quelles conditions, le cas échéant, l’autorité parentale a été restituée aux parents ou si le centre de travail social de A ou Požarevac a continué d’exercer des fonctions de surveillance à l’égard de l’enfant. D’après l’État partie, le tribunal municipal de A a restitué l’autorité parentale aux parents le 17 septembre 2004.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur dénonce une violation de l’article 7, considéré séparément et lu conjointement avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 2 du Pacte. Il fait valoir que le viol et d’autres formes d’agression sexuelle constituent des traitements infligés en violation de l’article 7. En l’espèce, le traitement subi par la victime constitue manifestement un traitement cruel, inhumain et dégradant compte tenu en particulier de sa situation personnelle, à savoir son âge, son appartenance au groupe des Roms, sa capacité mentale diminuée et son instabilité émotionnelle. L’État partie aurait dû mener une enquête immédiate et impartiale sur ce qui s’était passé et identifier et poursuivre les auteurs.

3.2En outre, ou à titre subsidiaire, l’auteur fait état d’une violation du droit de la victime à la vie privée protégé par l’article 17, considéré séparément et lu conjointement avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 2. Il rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, la notion d’atteinte à la «vie privée» comprend les atteintes à la dignité et recouvre les relations d’un individu avec d’autres personnes, y compris les rapports sexuels librement consentis ou non. Il considère que le traitement subi par la victime constitue une immixtion arbitraire et illégale dans sa vie privée.

3.3L’auteur allègue une violation du paragraphe 1 de l’article 24, considéré séparément et lu conjointement avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 2. Il affirme que les États parties sont tenus d’adopter les mesures de protection requises par la condition de mineur de chaque enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale dans l’évaluation et la satisfaction des besoins des enfants. L’auteur fait observer que, par ses actes et ses omissions, l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 24 puisque ce n’est manifestement pas l’intérêt supérieur de l’enfant qui a guidé les autorités nationales dans les décisions le concernant qu’elles ont prises.

3.4L’auteur affirme que les abus sexuels dont l’enfant a été victime s’inscrivaient dans le cadre d’une discrimination généralisée à l’encontre des membres de la communauté rom. Ce facteur a contribué au fait même qu’ils se soient produits et qu’ils aient eu lieu dans un contexte public.

3.5En ce qui concerne l’absence d’autorisation expresse pour représenter la victime, l’auteur rappelle que le Comité admet qu’une communication soit soumise au nom d’une victime lorsque celle‑ci n’est pas en mesure de le faire elle‑même, en particulier dans les affaires concernant des enfants. Dans ses décisions antérieures, le Comité a été guidé non seulement par les règles de procédure interne concernant la qualité pour agir et la représentation mais aussi par «l’intérêt supérieur de l’enfant». L’auteur se réfère également au critère appliqué par la Commission européenne des droits de l’homme. Lorsqu’elle a dû déterminer si le solicitor qui avait représenté des enfants mineurs dans des procédures internes concernant la garde d’enfants avait qualité pour agir, la Commission a examiné: 1) si l’enfant disposait ou pouvait disposer d’un autre représentant ou d’un représentant plus approprié; 2) quelle était la nature des liens entre l’auteur et l’enfant; 3) quels étaient l’objet et la portée de la requête présentée au nom de la victime; et 4) s’il existait des conflits éventuels d’intérêt. L’auteur fait valoir que la victime ne dispose pas d’un autre représentant en justice en l’espèce puisque ni les parents ni la tutrice n’ont voulu engager de poursuites privées. Il rappelle qu’il a été précédemment le conseil de l’enfant dans la procédure interne. Pour ce qui est de l’objet et de la portée de la requête, il relève que la présente communication porte uniquement sur le fait que l’enquête pénale interne n’était pas conforme aux normes consacrées dans le Pacte. Enfin, il ne peut y avoir de conflit d’intérêts entre l’auteur et la victime en l’espèce puisque la communication traite de questions pour lesquelles l’auteur a été dûment autorisé à représenter la victime sur le plan interne.

3.6L’auteur affirme que tous les recours internes efficaces et appropriés ont été épuisés et que l’État partie n’a pas mis à la disposition de la victime un recours juridique ou autre pour obtenir réparation des violations subies. Le HLC affirme que les autorités avaient suffisamment d’informations sur les actes commis pour enquêter sur les auteurs et les poursuivre mais qu’elles ne l’ont pas fait. Les autorités locales et les services du procureur n’ont fait preuve d’aucune volonté d’enquêter comme il convient sur cette affaire et les témoins ont été menacés par les auteurs présumés des abus en toute impunité. Le centre de travail social de A a donné un mandat à l’auteur et le lui a retiré à plusieurs reprises en l’espace de trois mois, compromettant ainsi ses efforts pour faire avancer la procédure; quant au juge d’instruction, il n’a fait droit à la demande de l’auteur tendant à élargir l’enquête qu’à la suite de l’appel (après l’avoir rejetée à deux reprises auparavant) et a suspendu l’enquête à trois reprises avant d’y mettre définitivement fin en novembre 2003.

3.7L’auteur prie le Comité d’inviter instamment l’État partie à rouvrir l’enquête pénale, à interroger les témoins de manière confidentielle, à assurer leur protection, à punir ceux qui ont abusé de l’enfant et à offrir un soutien psychologique approprié à celui‑ci. Il demande également qu’une indemnisation suffisante soit versée à la victime.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Par une note verbale du 8 août 2005, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’a pas qualité pour agir devant le Comité et que la communication n’est pas suffisamment étayée. Il affirme que l’auteur n’indique pas clairement s’il prétend également qu’il y a eu violation de l’article 2 du Pacte considéré séparément ou lu conjointement avec les articles 7, 17 et 24.

4.2Se référant à l’ancien article 90 b) du Règlement intérieur du Comité, et à la jurisprudence du Comité, l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif parce que l’auteur n’a pas apporté la preuve qu’il était habilité à présenter la plainte au nom de la victime. Il distingue les décisions invoquées par l’auteur de la présente affaire. Les deux décisions du Comité et deux des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme ont trait à la qualité des parents pour présenter des plaintes au nom de leurs enfants lorsqu’ils n’ont pas été reconnus comme étant leurs représentants légaux. En l’espèce, le lien spécial qui unit un parent et son enfant n’existe pas entre l’auteur et la victime. Dans les deux autres décisions de la Cour européenne des droits de l’homme citées par l’auteur, les enfants étaient représentés par leur ancien conseil. Mais celui‑ci les avait représentés jusqu’à la fin de la procédure interne. En outre, tous les actes effectués par le conseil au nom des enfants avaient été précédemment ou ultérieurement approuvés par les parents biologiques ou nourriciers des enfants. Dans la présente affaire, le mandat donné à l’auteur a été révoqué avant la fin de la procédure, tant par les parents de la victime que par son tuteur légal. La communication de l’auteur au Comité n’a jamais été approuvée par les parents ou le tuteur légal de la victime. L’auteur n’a jamais tenté d’obtenir leur approbation. Enfin, toutes les décisions invoquées par l’auteur avaient trait à des procédures relatives à la garde ou la prise en charge d’enfants, ce qui justifiait une interprétation plus large des critères de représentation, et ce, d’autant plus qu’il existait des conflits d’intérêts entre les représentants légaux et les enfants eux‑mêmes.

4.3En tout état de cause, pour l’État partie, les critères établis par la Cour européenne des droits de l’homme ne sont pas remplis en l’espèce. Premièrement, en ce qui concerne la question de savoir si l’enfant dispose ou peut disposer d’un autre représentant ou si un représentant plus approprié est disponible, il soutient que l’auteur ne s’est occupé de cette affaire qu’après en avoir été alerté par un journaliste en janvier 2003, c’est‑à‑dire quand l’enquête de police initiale était presque achevée. Le mandat donné à l’auteur a été révoqué pour la dernière fois le 12 août 2003 alors que l’enquête s’est poursuivie pendant encore trois mois avant qu’il y soit définitivement mis fin le 19 novembre 2003 lorsque la victime est revenue pour la deuxième fois sur ses déclarations. L’enfant pouvait donc être représenté de façon appropriée autrement que par l’auteur au niveau interne. En ce qui concerne la question de la représentation devant le Comité, l’État partie fait valoir que la victime peut être représentée de façon plus appropriée par ses parents ou «tout avocat ou toute ONG de Serbie ou de tout autre pays» dûment autorisés à agir en son nom.

4.4Deuxièmement, pour les raisons données ci‑dessus, s’agissant de la nature des liens unissant l’auteur et la victime, l’État partie estime que même si l’auteur a été le conseil de la victime pendant sept mois (sans interruption), le lien ainsi établi ne l’autorise pas à continuer à représenter la victime devant le Comité. Il ajoute que le fait que l’auteur ne connaisse pas la situation actuelle de la victime prouve que les liens quels qu’ils soient qui ont pu exister entre lui et l’enfant n’existent plus. Troisièmement, l’État partie relève que, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, l’objet et la portée de la communication ne sont pas limités à des plaintes concernant l’absence de conformité de l’enquête pénale interne avec les normes énoncées dans le Pacte et sont en réalité beaucoup plus vastes.

4.5Enfin, s’agissant de l’existence d’éventuels conflits d’intérêts, l’État partie affirme que même s’il croit agir dans l’intérêt supérieur de la victime, l’auteur n’est pas nécessairement le seul à être dans ce cas ni le mieux placé pour le faire. Il prétend qu’il n’y avait aucun conflit d’intérêts entre l’enfant et le centre de protection sociale qui a été le tuteur légal de la victime à partir du 28 janvier 2003 jusqu’à ce que ses parents recouvrent leurs droits. Le centre a en réalité agi dans l’intérêt supérieur de la victime en révoquant le mandat donné à l’auteur parce que la participation de l’enfant à la procédure risquait de perturber son état actuel.

4.6Par une note verbale du 4 juillet 2006, l’État partie a réitéré ses arguments concernant la recevabilité de la communication et fait des observations sur le fond. Il rappelle que, selon le paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie; et que le tribunal de district de Požaverac a estimé que les preuves disponibles étaient insuffisantes pour poursuivre l’enquête pénale menée contre les cinq auteurs présumés des faits. Il réfute l’allégation de l’auteur selon laquelle les autorités compétentes ont agi de façon discriminatoire à l’égard de la victime présumée en raison de son origine ethnique rom ou de sa situation sociale.

4.7L’État partie reconnaît que, durant l’enquête, les parents de la victime avaient d’abord donné un mandat à un avocat du HLC mais ils le lui avaient ensuite retiré, étaient revenus sur leurs déclarations, avaient essayé de soutirer de l’argent aux suspects en échange de déclarations qui leur seraient favorables et influencé la victime présumée de diverses façons, ce qui avait porté atteinte à la crédibilité de leur témoignage et prolongé la procédure. C’est pourquoi les autorités sont rapidement intervenues pour soustraire la victime présumée et ses cinq frères et sœurs à cet «environnement familial malsain». Des mesures ont été prises pour assurer leur réadaptation et leur réinsertion sociale. À cette fin, une aide financière et matérielle a été accordée aux parents à plusieurs reprises en 2003 et 2004. En conséquence, l’État partie estime qu’il n’y a pas eu violation de l’un quelconque des droits énoncés aux articles 7, 17, 24, paragraphe 1, lus séparément ou conjointement avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 2 du Pacte.

Commentaires de l’auteur

5.1Dans une lettre datée du 11 septembre 2006, l’auteur affirme qu’il devrait être autorisé à représenter la victime devant le Comité. Il rappelle que les circonstances de l’affaire démontrent clairement que la victime n’est pas en mesure de présenter la communication elle‑même, situation qui est prévue à l’article 96 du Règlement intérieur du Comité. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel les liens unissant l’auteur et la victime ne sont pas assez étroits pour que le premier soit habilité à agir au nom du second, l’auteur fait observer que, même s’il n’existe pas de lien biologique entre lui‑même et la victime, il a été le conseil de la victime et a démontré de façon soutenue qu’il était prêt à demander réparation en son nom et en mesure de le faire. Ni les parents ni le tuteur légal n’ont agi dans l’intérêt supérieur de la victime.

5.2Quant à l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’est ni la seule autorité ni l’autorité la plus compétente pour agir dans l’intérêt supérieur de la victime, l’auteur rappelle qu’il a déjà présenté de nombreuses communications à plusieurs organes de suivi des traités relatifs aux droits de l’homme et que cette expérience ne peut se comparer avec celle d’aucune autre organisation de Serbie. Il est de ce fait qualifié pour évaluer les raisons d’engager une procédure du point de vue d’une victime quelle qu’elle soit. En l’espèce, l’intérêt de l’enfant victime est que ceux qui ont abusé sexuellement de lui doivent être punis.

5.3Pour ce qui est des observations de l’État partie sur le fond de la communication, l’auteur réitère ses arguments précédents. Il a noté que W est la seule personne qui ait accepté de témoigner sur toutes les circonstances de l’incident et qu’en conséquence, elle a reçu de nombreuses menaces. Le 13 mars 2006, elle a même été reconnue coupable par le deuxième tribunal municipal de Belgrade de diffamation contre Miodrag Deimbacher (précédemment dénommé Radović) qu’elle avait accusé à la télévision d’avoir abusé sexuellement de l’enfant. Par lettre datée du 19 décembre 2006, l’auteur a informé le Comité que cette décision avait été confirmée par le tribunal de district de Belgrade le 7 juillet 2006.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3S’agissant de la qualité de l’auteur pour représenter la victime, le Comité rappelle que, selon l’article 96 b) de son règlement intérieur, une communication doit normalement être présentée par le particulier lui‑même ou par son représentant mais une communication présentée au nom d’une prétendue victime peut toutefois être acceptée lorsqu’il appert que celle‑ci est dans l’incapacité de présenter elle même la communication. Lorsque la victime est dans l’impossibilité d’autoriser la présentation de la communication, par exemple lorsqu’elle a été tuée, lorsqu’elle a disparu ou lorsqu’elle est détenue au secret, le Comité a estimé qu’un lien de parenté étroit était suffisant pour que l’auteur de la communication soit fondé à agir au nom d’une victime présumée. Toutefois, il a estimé qu’un particulier n’avait pas qualité pour agir au nom d’un ami personnel ou d’un employé lorsque la victime n’avait pas donné son autorisation. À cet égard, le Comité rappelle qu’il a:

«toujours interprété largement le droit des victimes présumées de se faire représenter par un conseil pour présenter des communications en vertu du Protocole facultatif. Cela étant, il faut que le conseil qui agit au nom de la personne qui affirme être victime de violation montre qu’il a une véritable autorisation de l’intéressé (ou de ses proches parents) pour agir en son nom, que certaines circonstances ont empêché le conseil de recevoir l’autorisation, que les relations étroites que le conseil avait avec l’intéressé dans le passé permettent de supposer que celui‑ci a effectivement mandaté le conseil pour qu’il soumette une communication au Comité.».

6.4Le Comité rappelle que les enfants doivent généralement s’en remettre à d’autres personnes pour présenter leurs griefs et représenter leurs intérêts et n’ont parfois pas l’âge ou la capacité voulus pour autoriser d’autres personnes à faire des démarches en leur nom. Il faudrait donc éviter toute approche restrictive. En effet, le Comité a pour pratique constante de considérer qu’un parent a qualité pour agir au nom de ses enfants sans que ceux‑ci lui en aient donné l’autorisation expresse. Un parent est la personne la plus appropriée pour agir au nom d’un enfant mais le Comité n’exclut pas que le conseil qui a représenté l’enfant dans la procédure interne puisse continuer à présenter les griefs de l’enfant au Comité. Néanmoins, le Comité doit examiner, comme indiqué plus haut, si le conseil a une autorisation de l’enfant (ou de sa famille immédiate) pour agir en son nom, si certaines circonstances ont empêché le conseil de recevoir cette autorisation ou si les relations étroites qui existaient dans le passé entre le conseil et l’enfant permettent de supposer que celui‑ci a effectivement mandaté le conseil pour qu’il soumette une communication au Comité.

6.5En l’espèce, le Comité doit déterminer si l’auteur, qui a été le conseil de l’enfant durant une partie de la procédure interne, a qualité pour soumettre une communication au Comité en son nom, indépendamment du fait qu’il n’a pas reçu d’autorisation en ce sens de l’enfant, de son tuteur légal ou de ses parents. Le Comité note que l’auteur a reconnu qu’il n’était pas autorisé à agir par l’enfant, par son tuteur légal ou ses parents (voir plus haut le paragraphe 3.5). Effectivement, l’auteur n’a pas discuté avec l’enfant, avec son tuteur légal ou avec ses parents de la possibilité de soumettre une communication au Comité en son nom. Rien n’indique non plus que l’enfant, qui avait 12 ans au moment où la communication a été présentée en 2004 et était donc susceptible de pouvoir donner son consentement au dépôt d’une plainte, le tuteur légal ou les parents aient à un moment quelconque consenti à ce que l’auteur agisse au nom de l’enfant.

6.6Le Comité note par ailleurs l’argument de l’auteur selon lequel il ne pouvait obtenir le consentement de l’enfant, de son tuteur légal ou de ses parents parce qu’ils étaient tous sous l’influence des auteurs présumés des abus sexuels. Néanmoins, le Comité relève également qu’après avoir reçu la lettre initiale, il avait demandé à l’auteur de lui présenter un mandat écrit signé de la mère si celle‑ci avait recouvré l’autorité parentale ou, si l’enfant était toujours sous la garde d’un tuteur, d’indiquer au moins qu’il consentait à ce que l’affaire soit examinée. Le 14 janvier 2005, l’auteur a expliqué qu’il n’était pas en mesure de soumettre ce document ni de fournir la preuve du consentement pour les raisons déjà données plus haut. Rien n’indique que l’auteur ait cherché à obtenir le consentement informel de l’enfant avec lequel il n’était plus en contact.

6.7En l’absence d’autorisation expresse, l’auteur devrait apporter la preuve d’une relation suffisamment étroite avec l’enfant pour justifier qu’il agisse sans cette autorisation. Le Comité note que l’auteur a été le conseil de l’enfant dans la procédure interne entre janvier et août 2003 par intermittence. Depuis que l’auteur a cessé de représenter l’enfant dans la procédure interne en août 2003, il n’a plus été en contact avec ce dernier ni avec son tuteur légal ou ses parents. Dans ces circonstances, le Comité ne peut même pas supposer que l’enfant n’a pas d’objection, pour ne pas dire consent, à ce que l’auteur soumette une communication au Comité. En conséquence, nonobstant le fait que le Comité est profondément troublé par les éléments de preuve liés à cette affaire, les dispositions du Protocole facultatif s’opposent à ce qu’il examine la question, étant donné que l’auteur n’a pas démontré qu’il est autorisé à agir au nom de la victime en présentant cette communication.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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