NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/89/D/1348/20053 mai 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑neuvième session12‑30 mars 2007

CONSTATATIONS

Communication n o  1348/2005

Présentée par:

Rozik Ashurov(représenté par un conseil, M. Solidzhon Dzhuraev)

Au nom de:

Olimzhon Ashurov (fils de l’auteur)

État partie:

Tadjikistan

Date de la communication:

7 juin 2004 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 20 janvier 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

20 mars 2007

Objet: Condamnation à une longue peine d’emprisonnement après une détention arbitraire; procès inique; torture

Questions de procédure: Plainte non étayée

Questions de fond: Torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant; détention arbitraire; droit d’être déféré dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires; droit à un procès équitable; droit d’être jugé par un tribunal impartial; droit à la présomption d’innocence; droit d’être informé dans le plus court délai des chefs d’accusation; droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense; droit d’interroger des témoins; droit de ne pas être forcé de témoigner contre soi-même ou de s’avouer coupable; droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure

Article(s) du Pacte: 7, 9 (par. 1, 2 et 3) et 14 (par. 1, 2, 3 a), b), e), g) et 5)

Article(s) du Protocole facultatif: 2

Le 20 mars 2007, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1348/2005 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF

AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt-neuvième session

concernant la

Communication n o  1348/2005**

Présentée par:

Rozik Ashurov(représenté par un conseil, M. Solidzhon Dzhuraev)

Au nom de:

Olimzhon Ashurov (fils de l’auteur)

État partie:

Tadjikistan

Date de la communication:

7 juin 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 mars 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1348/2005, présentée au nom de M. Olimzhon Ashurov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Rozik Ashurov, de nationalité tadjike et d’origine ouzbèke, né en 1934, qui présente la communication au nom de son fils, M. Olimzhon Ashurov, également de nationalité tadjike et d’origine ouzbèke, né en 1969, qui exécute actuellement une peine d’emprisonnement de vingt ans au Tadjikistan. L’auteur affirme que son fils est victime de violations, par le Tadjikistan, des droits consacrés aux articles 7, 9 (par. 1, 2 et 3) et 14 (par. 1, 2, 3 a), b), e), g) et 5) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, M. Solidzhon Dzhuraev.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 3 mai 2002 vers 5 heures du matin, le fils de l’auteur a été arrêté au domicile familial, à Douchanbé, par des agents du Département des enquêtes criminelles du Ministère tadjik de l’intérieur qui le soupçonnaient d’avoir participé à un vol à main armée commis dans la nuit du 5 au 6 mai 1999 dans l’appartement d’un certain Sulaymonov. Une procédure pénale a été ouverte le 6 mai 1999 à ce propos. Le 6 juillet 1999, l’enquête a été suspendue à défaut de pouvoir identifier un suspect susceptible d’être traduit en justice.

2.2Lorsqu’il a été arrêté, le fils de l’auteur n’a pas été informé des motifs de l’arrestation et sa famille n’a pas su non plus où il était emmené. En fait, il a été conduit au Ministère de l’intérieur, où on l’a torturé pendant les trois jours suivants pour l’obliger à avouer avoir commis le vol à main armée. On l’a privé de nourriture et de sommeil, on l’a systématiquement battu, on lui a mis des menottes qui ont été branchées à une batterie et on lui a administré des décharges électriques sur les organes génitaux et les doigts. L’auteur affirme que son fils, incapable de supporter la torture, a fini par faire de faux aveux le 5 mai 2002. Tout en étant menotté, et sans être assisté d’un avocat, il a été contraint de signer le procès-verbal d’interrogatoire, puis d’écrire, sous la dictée de l’inspecteur de la Section des affaires intérieures du district de Zheleznodorozhny (Douchanbé), une déclaration dans laquelle il se mettait lui-même en cause et incriminait également deux de ses amis, MM. Shoymardonov et Mirzogulomov. Le même jour, il a également été contraint de signer le procès-verbal de la confrontation avec M. Sulaymonov, ainsi que le procès‑verbal de la vérification de ses dires sur les lieux du crime. Cette procédure de vérification a été filmée en vidéo; sur l’enregistrement du 5 mai 2002, des traces de torture sont visibles sur le visage du fils de l’auteur.

2.3L’inspecteur a établi le procès-verbal de détention le 5 mai 2002 à 23 h 30. À aucun moment, le fils de l’auteur n’a été informé de ses droits. En particulier, il n’a pas été informé de son droit d’être assisté d’un conseil dès l’arrestation. Par la suite, il n’a pas été autorisé à choisir un conseil. C’est l’ancien assistant de l’inspecteur qui a été chargé, à la demande de celui-ci, de le représenter pendant l’instruction. Le 6 mai 2002, l’inspecteur a demandé à un expert, M. Toirov, de falsifier les éléments de preuve en certifiant que les empreintes digitales prétendument relevées dans l’appartement de M. Sulaymonov étaient celles d’Olimzhon Ashurov. Par la suite, M. Toirov lui-même a confirmé cela dans ses explications écrites au Ministère de l’intérieur, qui l’a reconnu à son tour dans des lettres adressées le 10 février et le 11 mars 2004 au fils de l’auteur et à son conseil. À une date non précisée, le Procureur a avalisé l’arrestation du fils de l’auteur au vu des éléments de preuve produits par l’inspecteur.

2.4Le procès (ci-après le «premier procès») a eu lieu devant le tribunal municipal de Douchanbé entre octobre 2002 et avril 2003. Le fils de l’auteur s’est plaint à cette occasion d’avoir été torturé par des fonctionnaires du Ministère de l’intérieur. Le 4 avril 2003, le tribunal a renvoyé l’affaire au Procureur municipal de Douchanbé pour complément d’information, en lui demandant d’examiner les allégations de torture de M. Ashurov et de tirer au clair les lacunes et les incohérences de l’enquête. L’accusé a été maintenu en détention sur ordre du tribunal. Il ressort de la décision du tribunal que celui-ci a constaté des contradictions manifestes entre les circonstances du vol à main armée telles que décrites dans l’acte de mise en accusation de M. Ashurov et la déposition faite par M. Sulaymonov à l’audience. Le tribunal a relevé que l’enquête n’avait pas permis d’établir l’identité du coupable présumé: l’avocat de M. Ashurov a produit un certificat qui atteste que du 7 décembre 1996 au 15 juillet 1999 son client était en train d’exécuter une peine d’emprisonnement au Kirghizistan. Une enquête conduite par la chambre judiciaire tadjike a confirmé que M. Ashurov avait bien été incarcéré dans ce pays pour exécuter une condamnation prononcée par le tribunal régional d’Osh le 26 mars 1997.

2.5Contrairement à ce qu’avait demandé le tribunal dans sa décision du 4 avril 2003, la poursuite de l’enquête a été confiée au même inspecteur qui avait assisté aux brutalités infligées à M. Ashurov par des fonctionnaires du Ministère de l’intérieur et qui était soupçonné d’avoir falsifié les éléments de preuve au début de l’affaire. L’auteur affirme que cet inspecteur a de nouveau manipulé les preuves, détruisant certains documents essentiels du dossier de l’affaire. L’un de ces documents était un certificat établi par le Directeur de la colonie pénitentiaire no 64/48 en Ouzbékistan qui confirmait que, du 5 mai 1997 au 5 août 1999, le complice présumé de M. Ashurov, M. Shoymardonov, exécutait dans les prisons ouzbèkes nos 64/48 et 64/1 une peine prononcée par le tribunal régional de Surkhandarya.

2.6L’auteur affirme que la détention préventive de son fils devait prendre fin le 12 août 2003, que M. Ashurov et son conseil ont achevé l’examen du dossier le 31 août 2003 et que l’affaire a été renvoyée devant le tribunal le 23 septembre 2003. Cependant, en réalité, l’inspecteur a prolongé illégalement la détention de M. Ashurov et a continué d’antidater les actes de l’enquête, sans rouvrir celle-ci officiellement.

2.7Lorsque le procès a repris en octobre 2003 (ci-après «le second procès»), conduit par le Président adjoint du tribunal municipal de Douchanbé, le fils de l’auteur et son conseil ont présenté deux requêtes au sujet des actes de torture et de la manipulation des preuves par l’inspecteur. Ils ont demandé au tribunal de les informer des motifs légaux justifiant le maintien en détention de M. Ashurov du 31 août au 23 septembre 2003, de les autoriser à étudier la totalité du dossier de l’affaire et d’ordonner aux autorités chargées de l’enquête de traduire en russe l’acte de mise en accusation, l’accusé et l’un de ses deux conseils ne maîtrisant pas le Tadjik. Ces deux requêtes sont restées sans réponse.

2.8Du 13 au 15 octobre 2003, les audiences ont eu lieu en l’absence du premier conseil de M. Ashurov qui parlait tadjik, et sans interprète non plus. En l’absence du conseil parlant tadjik, le juge a modifié les comptes rendus d’audience pour dire que le 13 octobre 2003, l’accusé et son autre conseil, qui ne parlaient pas tadjik, avaient eu la possibilité d’étudier tous les documents du dossier, dont la plupart étaient en tadjik. M. Ashurov et ses deux conseils ont demandé à plusieurs reprises au tribunal de leur permettre d’étudier la totalité du dossier de l’affaire avec l’aide d’un interprète. Toutes leurs demandes ont été rejetées. Pour des raisons inexpliquées, le juge a ensuite voulu empêcher le conseil qui parlait tadjik de continuer à participer à la procédure; il aurait dit qu’il importait peu que M. Ashurov soit représenté par l’un ou l’autre des deux conseils puisqu’il «serait déclaré coupable de toute façon». Le juge a agi en accusateur, remplaçant dans la pratique le Procureur qui était passif et dépassé. Il a suivi mot pour mot l’acte de mise en accusation et a rejeté tous les principaux arguments de la défense, ainsi que toutes ses requêtes. Il a posé des questions orientées aux témoins à charge, corrigeant et complétant leurs réponses, et a ordonné au greffier de ne consigner que les témoignages qui établissaient la culpabilité de M. Ashurov. À trois reprises, M. Ashurov et ses deux conseils ont demandé la récusation du tribunal, mais leurs requêtes ont été rejetées.

2.9À l’audience, des témoins qui, avant et pendant le premier procès, avaient toujours affirmé qu’ils ne connaissaient pas M. Ashurov ou ne pouvaient pas l’identifier comme étant le coupable, se sont rétractés et l’ont incriminé. Bien que les avocats de la défense n’aient pas pu participer à l’audience finale et que la culpabilité de l’accusé n’ait pas été démontrée devant le tribunal, le 11 novembre 2003 M. Ashurov a été déclaré coupable de vol à main armée et condamné à une peine de réclusion de vingt ans.

2.10Au second procès, le tribunal s’est également montré partial et tendancieux dans l’appréciation des faits et des éléments de preuve. Contrairement à ce qui est dit dans le jugement du 11 novembre 2003, ni M. Ashurov ni MM. Shoymardonov et Sulaymonov ne se trouvaient à Douchanbé le jour du crime. À l’époque, tous trois étaient en train d’exécuter une peine d’emprisonnement dans d’autres pays. Les avocats de la défense ont produit des preuves supplémentaires qui attestent que M. Ashurov a été libéré de prison au Kirghizistan le 17 juillet 1999, soit plus de deux mois après le vol à main armée commis au Tadjikistan. Ils ont demandé au tribunal d’interroger deux témoins qui pouvaient confirmer que M. Ashurov avait été incarcéré en permanence dans la prison khirghize du 5 août 1998 au 17 juillet 1999. Leur demande a été rejetée par le tribunal, qui affirmait qu’en réalité M. Ashurov n’avait pas exécuté sa peine au Kirghizistan, qu’il avait réussi à obtenir un passeport au Tadjikistan le 30 décembre 1998 et qu’il avait quitté Douchanbé pour Khudzhand entre janvier et mars 1999.

2.11La défense a également sollicité un nouvel interrogatoire de l’inspecteur et des fonctionnaires du Ministère qui avaient torturé M. Ashurov, ainsi qu’une projection de l’enregistrement vidéo du 5 mai 2002, mais le tribunal a refusé. Il n’a pas tenu compte des preuves écrites produites par la défense, ni des dépositions des témoins à décharge, et a fondé sa décision sur les aveux de M. Ashurov, qui avaient été obtenus sous la contrainte.

2.12Les pourvois introduits par M. Ashurov devant la chambre judiciaire de la Cour suprême le 20 novembre 2003 et le 29 janvier 2004 ont été rejetés le 10 février 2004.

2.13À une date non précisée, en réponse à un recours en appel présenté par le conseil de M. Ashurov, le Procureur général adjoint a engagé une procédure de réexamen devant le Présidium de la Cour suprême, en vue d’obtenir l’annulation de la condamnation de M. Ashurov. Le conseil a demandé au Présidium de la Cour suprême de l’autoriser à assister à l’examen de l’affaire, afin de présenter les preuves matérielles qui avaient disparu du dossier. Il n’a pas reçu de réponse. Le 12 septembre 2004, le Présidium de la Cour suprême a rejeté la demande du Procureur général adjoint.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son fils est victime d’une violation des droits consacrés à l’article 7 du Pacte, du fait que, pendant les trois premiers jours suivant son arrestation, il a été torturé par des fonctionnaires du Ministère de l’intérieur, qui cherchaient ainsi à le faire avouer, en violation du paragraphe 3 g) de l’article 14. Toutes les demandes présentées à l’audience par son fils et son conseil pour contester le caractère spontané des aveux ont été rejetées.

3.2L’auteur invoque également une violation des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9, du fait que son fils a été arrêté le 3 mai 2002 sans avoir été informé des motifs de l’arrestation et que le procès‑verbal de détention n’a été établi que le 5 mai 2002. La détention préventive de son fils a été avalisée par le Procureur, qui l’a renouvelée plusieurs fois par la suite, à l’exception de la période du 31 août au 23 septembre 2003, pendant laquelle cette détention n’était fondée sur aucune base légale.

3.3L’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 14, au motif que le Président du tribunal au second procès a conduit les audiences de manière partiale, posant des questions orientées aux témoins, ordonnant au greffier de modifier les comptes rendus d’audience au mépris de la vérité et n’examinant que partiellement les faits et les éléments de preuve.

3.4M. Ashurov a été privé du droit à la présomption d’innocence, tel que protégé par le paragraphe 2 de l’article 14, parce qu’au cours du second procès, le 13 octobre 2003, le Président du tribunal a déclaré qu’il «serait déclaré coupable de toute façon». Les autorités de l’État partie ont elles mêmes reconnu, en février 2004, que la principale preuve de l’accusation − la concordance entre les empreintes digitales relevées sur les lieux du crime et celles du fils de l’auteur − avait été fabriquée par l’expert à la demande pressante de l’inspecteur. En outre, au moment où le vol à main armée a été commis, M. Ashurov exécutait une peine d’emprisonnement au Kirghizistan, et son complice présumé, M. Shoymardonov, se trouvait dans la même situation en Ouzbékistan.

3.5L’auteur affirme en outre que son fils est victime d’une violation du paragraphe 3 a) de l’article 14. Sa langue maternelle étant l’Ouzbek, il ne pouvait pas comprendre l’acte de mise en accusation établi pendant la phase d’instruction, parce que celui‑ci n’était disponible qu’en Tadjik. De plus, pendant les trois premiers jours, les audiences du second procès se sont déroulées en Tadjik, sans interprétation, alors que M. Ashurov et l’un de ses deux avocats ne maîtrisaient pas le Tadjik.

3.6L’auteur invoque une violation du paragraphe 3 b) de l’article 14, au motif que son fils a été privé du droit d’avoir un représentant légal dès le moment de l’arrestation. Ensuite, il a été privé en pratique de ce droit pendant l’instruction. Au second procès, M. Ashurov et son conseil n’ont disposé que d’une heure ou deux pour étudier les pièces du dossier en tadjik, tandis que le Président du tribunal a cherché à empêcher le conseil qui parlait tadjik de continuer à participer à la procédure.

3.7Pendant le procès, les demandes du fils de l’auteur et de son conseil visant à faire interroger des témoins à décharge ont été rejetées par le tribunal sans justification, en violation de la garantie énoncée au paragraphe 3 e) de l’article 14.

3.8Enfin, l’auteur fait valoir que la chambre judiciaire de la Cour suprême a refusé d’examiner les preuves écrites produites par la défense et n’a donc pas procédé à un véritable réexamen de la déclaration de culpabilité de la condamnation de son fils, au sens du paragraphe 5 de l’article 14.

Non ‑coopération de l’État partie

Sous couvert de notes verbales datées du 20 janvier 2005, du 15 février 2006 et du 19 septembre 2006, l’État partie a été prié de communiquer au Comité ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité constate qu’il n’a pas reçu les informations demandées. Il regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information quant à la recevabilité ou au fond des plaintes de l’auteur. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que les États parties communiquent au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence d’observations de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Eu égard à la règle de l’épuisement des voies de recours internes, le Comité a noté que, selon les informations fournies par l’auteur, celui‑ci a exercé tous les recours internes qui lui étaient ouverts, y compris devant la Cour suprême. En l’absence d’objection de la part de l’État partie, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

5.3En ce qui concerne le grief invoqué par l’auteur au titre du paragraphe 5 de l’article 14, à savoir que son fils a été privé du droit de faire examiner sa condamnation par une juridiction supérieure conformément à la loi, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé ce grief aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4Le Comité estime que les autres griefs de l’auteur ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc recevables.

Examen au fond

6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2Le Comité a pris note des griefs de l’auteur, qui affirme que son fils a été battu et torturé par des inspecteurs du Ministère de l’intérieur et que des traces de torture étaient visibles sur l’enregistrement vidéo du 5 mai 2002. En outre, c’est en vain que l’auteur, à maintes reprises, a porté ces allégations de torture à l’attention des autorités. En l’absence d’informations de la part de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Au vu des informations détaillées, et non contestées par l’État partie, que lui a communiquées l’auteur, le Comité conclut que le traitement auquel Olimzhon Ashurov a été soumis était contraire à l’article 7 du Pacte.

6.3Étant donné que les actes susmentionnés ont été infligés à Olimzhon Ashurov avec l’intention de lui faire avouer un crime pour lequel il a ensuite été condamné, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font également apparaître une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

6.4L’auteur a affirmé que son fils avait été arrêté le 3 mai 2002 sans avoir été informé des motifs de l’arrestation et que le procès‑verbal de la détention n’avait été établi que le 5 mai 2002. Sa détention provisoire a été prolongée à plusieurs reprises par le Procureur, à l’exception de la période du 31 août au 23 septembre 2003 pendant laquelle elle n’était fondée sur aucune base légale. Le Comité relève que cette question a été portée à l’attention des autorités judiciaires, qui l’ont rejetée sans explications. L’État partie n’a pas fourni d’explications sur ce point. Par conséquent, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits reconnus au fils de l’auteur en vertu des paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte.

6.5Le Comité note que la détention préventive du fils de l’auteur a été approuvée par le Procureur en mai 2002 et que par la suite la légalité de cette détention n’a pas été réexaminée par une autorité judiciaire jusqu’en avril 2003. Le Comité rappelle qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 9, tout individu détenu du chef d’une infraction pénale a droit au contrôle judiciaire de sa détention. Il est inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire que ce contrôle soit assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport aux questions à traiter. En l’espèce, le Comité n’est pas convaincu que le Procureur puisse être considéré comme ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être qualifié d’«autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires» au sens du paragraphe 3 de l’article 9. Le Comité conclut donc qu’il y a eu violation de cette disposition du Pacte.

6.6Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle son fils n’a pas bénéficié d’un procès équitable parce que le tribunal n’était pas impartial et parce que le Président du tribunal au second procès a conduit les audiences de manière partiale, a posé des questions orientées aux témoins, a fait modifier les comptes rendus d’audience au mépris de la vérité et a cherché à empêcher le conseil de l’auteur qui parlait tadjik de continuer à participer à la procédure. Le Comité relève que, selon l’auteur, le conseil de M. Ashurov a demandé au tribunal, entre autres, d’accorder l’attention voulue aux allégations de torture, de laisser à la défense suffisamment de temps pour étudier le dossier de l’affaire avec l’aide d’un interprète, d’ordonner aux autorités chargées de l’enquête de traduire l’acte de mise en accusation, et d’entendre les témoins à décharge. Le juge a opposé un refus à toutes ces demandes, sans donner de raisons. En appel, la Cour suprême n’a pas non plus examiné ces griefs. En l’espèce, les faits présentés par l’auteur, qui n’ont pas été contestés par l’État partie, montrent que les tribunaux de l’État partie ont traité les griefs susmentionnés de manière partiale et arbitraire et n’ont pas accordé à M. Ashurov les garanties minimales prévues aux alinéas a, b et e du paragraphe 3 de l’article 14. Par conséquent, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 et des alinéas a, b et e du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte.

6.7En ce qui concerne le grief invoqué par l’auteur au motif que son fils n’a pas été présumé innocent jusqu’à ce qu’il soit reconnu coupable, l’auteur a fait des observations détaillées au sujet desquelles l’État partie n’a pas répondu. Dans ces conditions, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. L’auteur évoque de nombreuses circonstances qui, selon lui, démontrent que son fils n’a pas bénéficié de la présomption d’innocence. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que c’est aux juridictions des États parties, et non à lui‑même, qu’il appartient généralement d’examiner ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve, ou de revoir l’interprétation du droit interne par les tribunaux nationaux, sauf s’il peut être établi que la conduite du procès ou l’appréciation des faits et des éléments de preuve ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Le Comité rappelle également son observation générale no 13, dans laquelle il a réaffirmé que du fait du principe de la présomption d’innocence, la charge de la preuve incombe à l’accusation quel que soit le chef d’accusation, et l’accusé a le bénéfice du doute. L’accusé ne peut pas être présumé coupable tant que le bien‑fondé des accusations dont il fait l’objet n’a pas été démontré au‑delà de tout doute raisonnable. Il ressort des informations fournies au Comité, qui n’ont pas été contestées par l’État partie, que les charges et les preuves retenues contre le fils de l’auteur laissaient place à un doute considérable, alors que la manière dont elles ont été appréciées par les juridictions de l’État partie était elle‑même contraire aux garanties d’un procès équitable prévues au paragraphe 3 de l’article 14. Le Comité ne dispose d’aucune information donnant à penser que ces questions, soulevées par M. Ashurov et ses conseils, aient été prises en considération au cours du second procès ou par la Cour suprême. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, ces préoccupations ne peuvent qu’amener à douter du bien‑fondé de la condamnation du fils de l’auteur. Au vu des documents qui lui ont été fournis, le Comité considère que M. Ashurov n’a pas eu le bénéfice de ce doute dans la procédure pénale engagée contre lui. Par conséquent, le Comité conclut que son procès n’a pas été mené dans le respect du principe de la présomption d’innocence, en violation du paragraphe 2 de l’article 14.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits reconnus au fils de l’auteur en vertu des articles 7, 9 (par. 1, 2 et 3) et 14 (par. 1, 2, 3 a), b), e) et g)) du Pacte.

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous la forme d’une libération immédiate, du versement d’un dédommagement approprié, ou, le cas échéant, d’une révision du procès assortie de toutes les garanties consacrées par le Pacte ainsi que d’une réparation. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent plus.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, le Tadjikistan a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

-----