Nations Unies

CCPR/C/SR.3022

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 octobre 2013

Original: français

Comité des droits de l’homme

10 9 e session

Compte rendu analytique de la 3022 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mercredi 23 octobre 2013, à 15 heures

Président (e):M. Ben Achour

S ommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 40 du Pacte (suite)

Cinquième rapport périodique de l’Uruguay

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 40 du Pacte (suite)

Cinquième rapport périodique de l’Uruguay (HRI/CORE/1/Add.9/Rev.1, CCPR/C/URY/Q/5 et CCPR/C/URY/5)

Sur l’invitation du Président, la délégation uruguayenne prend place à la table du Comité.

M. Arenas (Uruguay) dit que depuis la soumission du précédent rapport périodique, l’Uruguay a connu de profonds changements dans de nombreux domaines, notamment celui des droits de l’homme. Les quinze années qui se sont écoulées depuis ont vu d’importantes avancées législatives et institutionnelles, et les droits civils et politiques ont été très étendus. De nouvelles lois ont été adoptées, notamment pour protéger les travailleurs ruraux et domestiques, garantir l’égalité entre hommes et femmes, prévenir la violence au foyer et lutter contre le racisme et la discrimination. Des mesures positives ont été prises en faveur des personnes d’ascendance africaine, l’identité des descendants de peuples autochtones a été reconnue, et des normes spécifiques ont été établies pour protéger les droits des minorités sexuelles. Les lois sur l’égalité dans le mariage et sur la santé sexuelle et procréative montrent également que l’Uruguay compte aujourd’hui parmi les pays les plus avancés pour ce qui est de la reconnaissance et de la protection des droits fondamentaux. Laréforme du système pénitentiaire et la réduction drastique de la surpopulation carcérale sont un grand pas en avant dans la prévention de la torture et des mauvais traitements. Cesavancées ont été obtenues grâce aux nouvelles institutions mises en place, notamment le Ministère du développement social, la Direction des droits de l’homme au sein du Ministère de l’éducation et de la culture, le Commissaire parlementaire aux affaires pénitentiaires et l’Institution nationale des droits de l’homme et bureau du Défenseur du peuple. L’Uruguay a ratifié l’ensemble des instruments fondamentaux de protection des droits de l’homme et les protocoles facultatifs s’y rapportant, et coopère avec tous les organes du système international des droits de l’homme. Il a adressé une invitation permanente à l’ensemble des rapporteurs et titulaires de mandat au titre des procédures spéciales, ce qui lui a valu la visite de plusieurs d’entre eux au cours des deux dernières années.

Pendant la dictature civile et militaire, des crimes d’une extrême gravité − disparitions forcées et tortures − ont été commis, qui pour l’essentiel n’ont encore été ni élucidés ni jugés. Après la restauration de la démocratie, de nombreuses plaintes ont été présentées, mais l’action de la justice a été entravée par l’entrée en vigueur de la loi sur la prescription de l’action publique (loi no15848). Ce n’est qu’en 2005 que les nouvelles plaintes enregistrées ont été exclues du champ d’application de la loi no15848, finalement abrogée en 2011 et remplacée par la loi no18831 qui a rétablil’action publique et suspendu les délais de prescription applicables aux infractions commises avant 1985. Cependant, la Cour suprême a récemment déclaré inconstitutionnels deux articles de la loi no18831 qui excluaient la prescription pour des actes commis pendant la dictature militaire en considérant ceux-ci comme des crimes contre l’humanité, se prononçant donc contre le principe de l’imprescriptibilité de ces violations.

M. Perraza (Uruguay), résumant les faits nouveaux survenus depuis la soumission du rapport à l’examen en décembre 2012, dit que la loi sur les mesures de discrimination positive visant la population d’ascendance africaine a été adoptée et qu’une loi autorisant le mariage entre personnes de même sexe et relevant à 16ans l’âge nubile pour tous a également été promulguée. Une nouvelle plainte a été déposée par le Commissaire parlementaire aux affaires pénitentiaires concernant 29 détenus qui auraient été maltraités. Des mesures de substitution à la privation de liberté (bracelets électroniques) sont appliquées dans le cadre de la lutte contre les violences intrafamiliales. Les avancées les plus importantes concernent sans doute le système pénitentiaire et les conditions de détention, puisque des travaux de réfection et l’inauguration de plusieurs unités ont permis d’éliminer complètement la surpopulation dans la plus grande prison du pays, la COMCAR. En ce qui concerne les disparitions forcées, le nombre de cas confirmés à l’issue des enquêtes s’établit à 178, une quarantaine restant à examiner, et c’est désormais le Secrétariat aux droits de l’homme chargé de l’histoire récente qui poursuit la mission de la Commission pour la paix, à savoir faire la lumière sur les disparitions forcées, les assassinats politiques et les naissances en captivité. En matière de protection de l’enfance, d’importantes modifications ont été apportées au Code de l’enfance et de l’adolescence en ce qui concerne l’adoption, et de nombreux projets ont été mis en œuvre en faveur des enfants des rues.

M.  Iwasawa remercie l’Uruguay d’avoir été le premier État partie à accepter de soumettre son rapport conformément à la nouvelle procédure facultative, qui permettra des échanges plus ciblés entre le Comité et la délégation.

M.  Salvioli aimerait en savoir plus sur l’application du Pacte par les tribunaux et sur ce qui est fait pour encourager les particuliers à en invoquer les dispositions. Il demande également si la réglementation en matière d’état d’exception est conforme à l’article 4 du Pacte. Dans l’affaire Peirano, le Comité a recommandé à l’État partie d’accélérer la procédure, mais il semble que le procès en soit toujours au stade de l’instruction. Ladélégation est invitée à faire le point sur cette affaire, et à indiquer s’il existe un mécanisme chargé de donner effet aux recommandations du Comité.

M.  Rodríguez-Rescia se demande si le recours en amparo satisfait réellement aux conditions énoncées à l’article 2 du Pacte, qui prévoit que toute personne doit avoir accès à un recours utile, car les organisations de la société civile font état d’une lenteur et d’un formalisme excessifs. Dans le rapport qu’elle a transmis au Comité, l’Institution nationale des droits de l’homme et bureau du Défenseur du peuple fait part de la nécessité de revoir son mandat, qui manque de précision. Elle indique aussi quesa capacité de recruter du personnel est très limitée, la gestion de son budget et son administration étant confiées à une unité spéciale de l’Assemblée législative. Elle ne compte d’ailleurs qu’un effectif de 10 fonctionnaires détachés d’autres organismes. Dès lors, il semble préoccupant qu’elle ait été désignée pour faire office de mécanisme national de prévention de la torture, car elle ne semble pas disposer de capacités suffisantes pour s’acquitter de ces fonctions.

M me  Waterval demande des renseignements concernant la suite donnée aux recommandations du Conseil national pour l’égalité des sexes, ainsi que celle donnée aux conclusions de l’étude sur la situation des femmes d’ascendance africaine. Elle demande aussi où en est l’examen du projet de loi prévoyant l’adoption de mesures provisoires de discrimination positive en faveur des personnes d’ascendance africaine. En dépit de mesures visant à promouvoir l’accès des femmes à des postes de responsabilité, celles-ci demeurent sous-représentées dans les organes directeurs des partis politiques, au Parlement, au Gouvernement et aux hautes fonctions judiciaires. Les femmes sont en outre davantage touchées par le chômage et moins rémunérées que les hommes, en particulier dans le secteur privé. Il serait intéressant de savoir ce que l’État partie envisage de faire pour corriger ces inégalités. D’après les statistiques du Ministère de la santé publique, 1 femme sur 4 est quasiquotidiennement victime de violence sexiste, et depuis le début de l’année 16femmes sont décédées des suites de violences infligées dans le cadre de la famille. Mme Waterval voudrait savoir quelles mesures sont prises à ce sujet.

M. Neuman souhaiterait entendre la délégation au sujet du retard pris dans l’adoption des règlements d’application de la loi visant à donner effet à la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Il voudrait également savoir si les sanctions prévues par la loi ont déjà été appliquées à des employeurs coupables de discrimination à l’égard des personnes handicapéeset, dans l’affirmative, si une réparation a été accordée aux victimes. Malgré les mesures législatives prises à l’effet de reconnaître les droits des minorités sexuelles, certaines sources dénoncent la persistance de la discrimination et des violences à l’égard de ces minorités, en particulier des personnes transgenres, et l’immobilisme de la police. La délégation voudra bien indiquer quelles mesures sont prises pour assurer une meilleure protection aux personnes concernées. Elle pourra peut-être aussi préciser si le projet de plan d’action national contre le racisme et la discrimination prévoit des mesures pour éliminer la discrimination fondée sur le handicap, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, s’il existe des statistiques concernant le nombre de poursuites pénales engagées dans des affaires de traite et les peines prononcées, s’il est exact que les faits de traite sont souvent poursuivis sous des qualifications moins graves et si les victimes qui sont étrangères ont accès à des mesures de protection.

M.  Flinterman voudrait savoir si le fait que la définition et l’interdiction de la torture soient énoncées dans la loi no18026 signifie que l’État partie considère que la torture est un crime contre l’humanité et que les faits de torture sont par conséquent imprescriptibles. Il voudrait également savoir si cette loi a été incorporée dans le Code pénal et, dans la négative, si l’État partie a l’intention d’introduire dans celui-ci une définition de la torture. La délégation pourra peut-être expliquer ce qu’implique concrètement le principe de la «responsabilité hiérarchique qui empêche la “commission par omission”» évoqué au paragraphe 147 du rapport.

M me  Chanet demande comment l’État partie compte mettre en œuvre le récent arrêt de la Cour suprême qui empêche de rouvrir certaines procédures relatives à des violations commises pendant la dictaturesous la qualification de crimes contre l’humanité, sachant qu’un certain nombre ont déjà fait l’objet d’actes judiciaires depuis l’adoption de la loi de 2011 qui avait levé la prescription. Elle voudrait également savoir si la prescription ainsi rétablie vaut uniquement pour l’action pénale ou aussi pour l’action civile.

M.  Bouzid, se référant au paragraphe 150 du rapport de l’État partie,demande quelle suite a été donnée à l’action engagée devant la justice par des ONG au nom d’anciens détenus politiques ayant été torturés par des membres des forces de l’ordre pendant la dictature.

La séance est suspendue à 16 h 30; elle est reprise à 16 h 55.

M. Perazza (Uruguay) reconnaît que l’Uruguay n’a pas suffisamment progressé dans la mise en œuvre de la recommandation du Comité qui l’engageait à modifier sa procédure pénale. Toutefois, le Parlement examine actuellement un projet de réforme radicale qui vise à remplacer l’actuel modèle inquisitoire par le modèle accusatoire et qui, s’il est adopté, permettra aux victimes d’être représentées. En ce qui concerne l’affaire Peirano, l’État partie a répondu à toutes les demandes d’information du Comité et toutes les mesures voulues ont été prises pour assurer le bon déroulement de la procédure. Si celle-ci n’est pas encore terminée, c’est en raison de demandes de la défense liées à l’administration de la preuve. Une Commission interministérielle chargée de l’élaboration des rapports à soumettre aux organes conventionnels et du suivi de leurs recommandations a été créée. Depuis son entrée en fonctions, sa priorité a été de rattraper le retard accumulé dans la présentation des rapports, mais elle s’attèlera dès que possible au suivi des observations finales.

M. Miranda (Uruguay) dit que la Constitution ne situe pas explicitement les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme dans la hiérarchie des normes internes, mais que la jurisprudence et la doctrine fondées sur son article 72leur reconnaissent rang constitutionnel. Le Pacte peut être directement appliqué et invoqué devant les tribunaux, mais il est vrai que les avocats et les juges ne s’y réfèrent pas autant qu’on pourrait le souhaiter. La procédure d’amparo est inscrite depuis longtemps dans la pratique judiciaire uruguayenne, et elle n’est ni lente ni bureaucratique. Il convient de préciser que le contrôle de constitutionnalité en Uruguay s’inspire du modèle américain: la Cour suprême ne se prononce que sur la constitutionnalité d’une loi dans une affaire donnée, la loi restant par ailleurs applicable.

L’Institution nationale des droits de l’homme et bureau du Défenseur du peuple ayant commencé ses activités en 2012, il est trop tôt pour évaluer les résultats obtenus. Sur le plan administratif et budgétaire, elle relève du pouvoir législatif parce que les conditions politiques ne sont pas réunies pour réviser la Constitution et élever l’Institution au rang d’organe constitutionnel pleinement indépendant. Cette solution de compromis a été choisie afin de ne pas retarder davantage la mise en place de l’Institution. Son financement est fixé dans le cadre du budget parlementaire, qui est distinct du budget général de l’État. LeConseil de direction, composé de cinq membres, peut nommer des rapporteurs thématiques et créer des groupes de travail. Ce système vise à éviter la création d’une multitude d’organismes spécialisés. Ainsi, le Conseil de direction ne constitue pas lui‑même le mécanisme national de prévention de la torture, cette tâche étant dévolue à un groupe de travail. Le Ministère des relations extérieures a pour rôle de faciliter les relations avec le Comité contre la torture et le Sous-Comité pour la prévention de la torture, ainsi que d’assurer la coordination de la coopération internationale et de l’assistance technique, mais ne participe pas directement aux activités de prévention de la torture.

M. Perazza (Uruguay) dit que le Conseil national pour l’égalité des sexes est composé de représentants de tous les ministères, du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire. Il est à l’origine des politiques menées en matière d’égalité des sexes dans les différents organes de l’État, et a élaboré des formations sur la question, ainsi que des protocoles d’action à l’intention des services consulaires dans le domaine de la lutte contre la traite des femmes. Son rapport annuel est rendu public. L’application des recommandations faites par des instances internationales telles que le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) relève, d’une part, de la Commission interinstitutionnelle pour les questions de genre, composée de représentants de l’État et de la société civile et présidée par l’Institut national des femmes (INMUJERES), et, d’autre part, de la commission interministérielle chargée de l’élaboration des rapports à soumettre aux organes conventionnels et du suivi de leurs recommandations.La loi no 19122 relative aux personnes d’ascendance africaine a introduit des nouveautés importantes. Pour la première fois, l’État reconnaît que cette catégorie de la population a subi une discrimination historique. Entre autres mesures, un quota de 8 % est instauré pour favoriser le recrutement de ces personnes dans les administrations et leur participation aux programmes de formation professionnelle. En outre, conformément aux recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, l’histoire et la culture des communautés d’ascendance africaine doivent être intégrées dans les programmes scolaires et dans la formation des enseignants.

M me Dupuy Lasserre (Uruguay) rappelle qu’il existe un quota minimum d’un tiers de femmes pour les mandats électoraux, et que deux des principaux partis politiques du pays sont actuellement dirigés par des femmes. Afin de lutter contre le chômage des femmes, deux fois plus important que celui des hommes, le Gouvernement travaille notamment à la création d’un système national de garde des enfants et des adultes à charge. Un projet de loi sur les congés de maternité et de paternité dans le secteur privé est sur le point d’être adopté, ce qui permettra à l’Uruguay de ratifier la Convention no 183 de l’OIT sur la protection de la maternité. Le Ministère du travail a adopté un plan national pour le travail décent. La loi no 18065 relative à la réglementation du travail domestique, qui a servi de modèle à la Convention no189 de l’OIT sur la question, a permis de régulariser 65 % des emplois dans ce secteur.

M.  Arenas (Uruguay) dit que le Gouvernement considère la violence familiale comme un problème prioritaire et qu’elle est réprimée par la loi depuis 1995. La loi no 17514 de 2002 sur la violence conjugale a permis de renforcer la prévention et la répression, de mieux répartir les responsabilités au sein de l’État, et de former des unités de police et des magistrats spécialisés. Des efforts restent cependant à faire malgré les progrès accomplis.

M me Fulco (Uruguay) dit qu’il y a eu 23 800 plaintes pour violences familiales en 2012, dont plus de 16 000 ont donné lieu à des poursuites. Une soixantaine d’auteurs de violences font l’objet d’une surveillance par bracelet électronique. Le budget approuvé pour le prochain exercice quinquennal prévoit l’ouverture d’un bureau national de lutte contre la violence familiale et sexiste, qui relèvera du Ministère de l’intérieur et sera représenté dans tous les départements du pays. L’ensemble de ces mesures sont évaluées par le Ministère de l’intérieur en coordination avec INMUJERES.

M.  Perazza (Uruguay) reconnaît que si la loi prévoit un quota de 4 % de personnes handicapées dans la fonction publique, ce chiffre n’est pas respecté actuellement dans toutes les administrations. Le secteur privé n’est pas visé par la loi. Il reste donc des efforts à faire malgré les avancées législatives importantes. En ce qui concerne la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, l’Uruguay a été pionnier en reconnaissant le droit au mariage et à l’adoption aux couples homosexuels. En outre, depuis peu, la Commission des réfugiés reconnaît les persécutions liées à l’orientation sexuelle comme motif d’octroi du statut de réfugié. Le Gouvernement est cependant conscient qu’il doit redoubler d’efforts pour éliminer les discriminations dans la société.

M me Dupuy Lasserre (Uruguay) dit que la traite des personnes est punie par la loi no 18250 sur l’immigration et relève des tribunaux spécialisés dans la répression du crime organisé. Les victimes sont généralement des femmes et des filles soumises à l’exploitation sexuelle, mais il existe aussi des cas d’exploitation par le travail. Dans une affaire concernant des employées domestiques boliviennes, une amende a été imposée aux employeurs, mais aucune poursuite pénale n’a été engagée. Une entreprise européenne installée en Uruguay s’est également vu infliger une amende pour avoir fait travailler illégalement des ressortissants turcs. Un travailleur migrant victime d’exploitation peut demander le statut de réfugié ou, s’il le souhaite, rentrer dans son pays aux frais de l’entreprise incriminée. L’Uruguay est partie à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, et respecte les normes internationales dans ce domaine.

La séance est levée à 18 h 5.