Nations Unies

CCPR/C/SR.2804

Pacte international relatifaux droits civils et politiques

Distr. générale

19 juillet 2011

Original: français

Comité des droits de l’homme

102esession

Compte rendu analytique de la 2804e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le lundi 11 juillet 2011, à 15 heures

Présidente:Mme Majodina

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte

Rapport initial de l’Éthiopie

La séance est ouverte à 15 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40du Pacte

Rapport initial de l’Éthiopie (CCPR/C/ETH/1; CCPR/C/ETH/Q/1; CCPR/C/ETH/Q/1/Add.1; HRI/CORE/ETH/2008)

Sur l’invitation de la Présidente, la délégation éthiopienne prend place à la table du Comité.

2.M. Yimer (Éthiopie) dit que le retard pris par l’Éthiopie dans la soumission de son rapport initial s’explique par l’insuffisance des moyens techniques et financiers à la disposition du Gouvernement et ne dénote en rien un manque de volonté politique. Depuis l’entrée en vigueur de la Constitution fédérale, en 1995, l’Éthiopie a pris de nombreuses mesures tendant à renforcer la promotion et la protection des droits de l’homme. Une coopération étroite s’est instaurée entre le Gouvernement et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, et plus particulièrement son Bureau régional pour l’Afrique de l’Est, dont l’assistance pour l’élaboration des rapports attendus par les organes conventionnels a été précieuse. En 2009, l’Éthiopie a fait l’objet de l’Examen périodique universel, qui a été l’occasion d’échanges fructueux avec les mécanismes des Nations Unies. Le Gouvernement a accepté un grand nombre des recommandations contenues dans le document final résultant de cet examen, dont l’application aura un effet positif direct sur la mise en œuvre du Pacte.

3.Ont participé à l’élaboration du rapport à l’examen non seulement les différents organes gouvernementaux fédéraux et régionaux compétents mais aussi la Commission éthiopienne des droits de l’homme, des organisations de la société civile et des établissements universitaires. Un comité d’experts interministériel a été établi aux fins de ce processus et plusieurs consultations ouvertes à toutes les parties intéressées ont eu lieu avant la finalisation du rapport. Celui-ci doit être lu conjointement avec le document de base commun de l’Éthiopie (HRI/CORE/ETH/2008), qui décrit le cadre constitutionnel et institutionnel en place aux niveaux fédéral et régional.

4.L’adoption de la nouvelle Constitution a permis au pays de rompre avec un passé répressif, caractérisé par des violations massives des droits de l’homme. Le système fédéral regroupant neuf régions autonomes, qui vise à reconnaître la diversité culturelle et linguistique de la population éthiopienne et à en garantir le respect, a été la clef de voute de ce changement. La Constitution consacre la primauté des instruments internationaux auxquels l’Éthiopie est partie comme sources d’interprétation des dispositions constitutionnelles pertinentes en matière de droits de l’homme. Elle interdit toute forme de discrimination et garantit directement et indirectement les droits consacrés par le Pacte.

5.Diverses mesures ont été prises pour rendre la législation interne conforme à la Constitution fédérale et aux dispositions du Pacte. Le Code pénal a été révisé en 2004 et plusieurs textes complémentaires réglementant les activités et le comportement des forces de l’ordre, du personnel pénitentiaire et des magistrats ont été adoptés. Le nouveau Code contient une définition complète de la torture et punit les actes constitutifs de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il érige également en infraction les pratiques traditionnelles préjudiciables, comme les mutilations génitales féminines et le mariage des enfants. La peine de mort est toujours en vigueur mais on peut considérer qu’un moratoire de fait est appliqué, puisqu’elle n’est exécutée que très rarement.

6.Le traitement des détenus est régi par deux règlements adoptés par le Conseil des ministres en 2007. Les détenus peuvent s’entretenir avec leur famille, leur avocat et un ministre de leur culte. Ils reçoivent une nourriture suffisante et ont accès aux soins médicaux, à des installations sanitaires et aux autres services dont ils ont besoin. Ils sont libres de pratiquer leur religion. Des mécanismes de plainte sont à leur disposition et des recours utiles existent en cas de violation de ces droits.

7.Un processus de renforcement et de réforme des institutions nationales chargées de l’application des lois a été engagé. C’est dans ce contexte que la Chambre des représentants du peuple a récemment autorisé la Commission éthiopienne des droits de l’homme à ouvrir neuf bureaux régionaux afin d’assurer sa présence dans tout le pays. De plus, des programmes de professionnalisation et des mécanismes de surveillance et d’évaluation ont été mis sur pied dans le but de garantir le respect des règles en vigueur par les membres des forces de l’ordre. De nombreuses sanctions ont déjà été prises à l’encontre de membres de la police. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, la Commission éthiopienne des droits de l’homme et plusieurs organisations de la société civile sont habilitées à effectuer des visites dans les lieux de détention.

8.Des enquêtes indépendantes ont été ouvertes pour faire la lumière sur les incidents survenus lors des manifestations d’étudiants de l’université d’Addis-Abeba dans les années 1990, pendant le conflit dans la région de Gambella en 2003 et à la suite des élections de mai 2005. En ce qui concerne les mouvements étudiants à Addis-Abeba et les violences postélectorales de mai 2005, les forces de l’ordre ont été mises hors de cause. En revanche, l’enquête sur le conflit de Gambella a établi la responsabilité de membres des forces de défense dans la commission de plusieurs violations; des condamnations ont été prononcées contre six d’entre eux.

9.Comme la communauté internationale ainsi que la Commission éthiopienne des droits de l’homme et plusieurs ONG ont pu venir le constater par elles-mêmes à l’invitation du Gouvernement, les allégations d’actes de torture et de mauvais traitements qui auraient été commis dans les régions Oromia et Somali sont mensongères et dénuées de fondement. En 2007, le Conseil des droits de l’homme a d’ailleurs rejeté une communication confidentielle qui mettait en cause le Gouvernement éthiopien dans des cas de violations, y compris d’actes de torture, qui auraient été commises dans l’Ogaden (région Somali).

10.L’Éthiopie, comme de nombreux autres pays, doit faire face à la menace terroriste. Plusieurs attentats meurtriers ont été perpétrés dans différentes régions. Le Gouvernement, qui entend user de tous les moyens prévus par la loi pour protéger la sécurité de ses citoyens, veille à ce que les mesures antiterroristes mises en œuvre soient conformes aux normes internationales. À ce sujet, il considère que les dispositions de la Proclamation antiterroriste 652/2009 ne sont pas incompatibles avec les dispositions du Pacte. Les personnes soupçonnées de terrorisme qui sont arrêtées et détenues bénéficient des garanties nécessaires au respect de leur dignité à tous les stades de la procédure.

11.Dans son rapport de 2007 sur sa mission en Éthiopie, l’Experte indépendante sur les questions relatives aux minorités a qualifié d’exemplaire le programme d’enseignement des droits de l’homme mis en œuvre par l’Éthiopie. Ce programme, qui s’inscrit dans le cadre de l’éducation civique et morale, touche tous les enfants scolarisés, depuis le primaire jusqu’à l’enseignement supérieur. Le taux de scolarisation dans le primaire étant de 90 %, son incidence ne saurait être sous-estimée.

12.En vertu de la Constitution, les institutions religieuses, les structures traditionnelles et les établissements qui accueillent des enfants ont le devoir de protéger les personnes vulnérables contre les pratiques traditionnelles préjudiciables et les châtiments corporels. En complément des mesures législatives prises dans ce domaine, un mécanisme de coordination nationale a été créé pour promouvoir l’élimination de ces pratiques. Celui-ci travaille en collaboration avec les établissements d’enseignement et les structures traditionnelles.

13.La formation des policiers, du personnel pénitentiaire, des agents des forces de défense et de sécurité, des procureurs et des juges est aussi essentielle aux fins de l’application du Pacte. L’École fédérale de la magistrature dispense aux futurs juges et procureurs un enseignement sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Les agents du Ministère de la défense reçoivent une excellente formation en droit international des droits de l’homme et en droit international humanitaire, notamment dans le cadre de programmes de coopération avec le Comité international de la Croix-Rouge. Avec la collaboration de la Commission éthiopienne des droits de l’homme, des universités et des organisations de la société civile, plusieurs activités de formation ont été organisées à l’intention des principales institutions chargées de faire appliquer la loi. On ne peut nier cependant que malgré les efforts du Gouvernement, le pays est toujours en butte à de nombreuses difficultés qui entravent la pleine réalisation des droits et des libertés consacrés par le Pacte. Le manque de personnel qualifié et de moyens techniques sont des obstacles de taille. Des actions de sensibilisation et de renforcement des capacités continueront d’être menées pour les surmonter. L’assistance et la coopération à tous les niveaux sont indispensables à cet effet.

14.M. O’Flaherty dit que la soumission d’un rapport initial est toujours une étape clef dans l’instauration du dialogue avec un État partie et salue la qualité des renseignements donnés par l’Éthiopie dans son rapport et dans le document de base commun, dont il espère qu’il sera régulièrement mis à jour. Il regrette en revanche que les réponses écrites à la liste des points à traiter n’aient pas été présentées avec plus de clarté, en prenant une par une les différentes questions posées par le Comité.

15.En ce qui concerne le cadre constitutionnel et juridique de l’application du Pacte, M. O’Flaherty souhaiterait savoir s’il est prévu de publier le texte intégral du Pacte au Journal officiel fédéral, ce qui éviterait une certaine confusion chez les praticiens du droit quant à la place du Pacte dans le droit interne. Il souhaiterait également des précisions sur les mesures prises pour renforcer la Commission nationale des droits de l’homme, compte tenu des réserves émises par plusieurs organisations de la société civile concernant l’indépendance de cet organe. À ce sujet, il s’interroge sur les raisons pour lesquelles la Commission n’a pas obtenu l’accréditation de statut A auprès des institutions des Nations Unies.

16.Pour ce qui est de la non-discrimination, M. O’Flaherty invite la délégation a indiquer quelles sont concrètement les mesures prises au niveau régional aux fins de l’incrimination de la violence à l’égard des femmes et des pratiques traditionnelles préjudiciables, et à préciser les chiffres donnés dans les réponses écrites au sujet de la pratique des mutilations génitales féminines, qui ne correspondent pas à ceux avancés par l’équipe de pays des Nations Unies dans le cadre de l’Examen périodique universel.

17.À la question du Comité lui demandant s’il envisageait d’abroger la disposition du Code pénal qui réprime l’homosexualité, l’État partie a répondu par la négative en faisant valoir que l’homosexualité était contraire aux normes de la culture et de la société éthiopiennes ainsi qu’aux bonnes mœurs; la jurisprudence du Comité établit clairement que l’incrimination de l’homosexualité est contraire aux articles 2, 17 et 26 du Pacte et la dépénalisation de l’homosexualité est une obligation en vertu du Pacte. L’expérience montre en outre que l’incrimination de l’homosexualité encourage la stigmatisation des homosexuels et les violences à leur égard, parfois en violation même du droit à la vie. D’après l’organisation Aids Resource Center établie à Addis-Abeba, de nombreux homosexuels éthiopiens vivent dans une grande détresse psychologique, qui peut même conduire certains à tenter de se suicider. M. O’Flaherty invite la délégation à réagir à ces observations et à expliquer comment des motifs liés à la morale, aux traditions culturelles ou aux normes de la société peuvent justifier une situation dans laquelle des individus sont poussés au suicide, stigmatisés et victimes de violences.

18.L’État partie n’a pas répondu à la question de savoir si des progrès avaient été accomplis sur la voie de l’adoption d’une politique nationale globale en faveur des personnes déplacées et quel ministère était officiellement chargé de la protection et de l’aide à apporter aux personnes déplacées (question no 9). D’après le rapport établi en 2009 par l’équipe de pays des Nations Unies aux fins de l’Examen périodique universel concernant l’Éthiopie, aucun organisme d’État n’est chargé de l’aide aux personnes déplacées et de leur protection. Celles-ci sont livrées à elles-mêmes, vivent dans l’insécurité permanente, n’ont pas accès à l’eau potable ni aux services d’assainissement et sont souvent logées dans des abris de fortune qui n’offrent aucune protection. Il ressort en revanche du rapport du Département d’État des États-Unis sur l’Éthiopie que la protection des personnes déplacées relève de la compétence du programme fédéral de la gestion des risques de catastrophe et de la sécurité alimentaire, qui dépend du Ministère de l’agriculture, mais qu’il n’existe aucun mécanisme de coordination ni aucune politique publique dans ce domaine. La délégation pourra peut-être indiquer ce qu’il en est exactement et quelles mesures sont prises pour assurer la protection des réfugiés dans le pays.

19.Sir Nigel Rodleydit que les informations détaillées que l’État partie a données au sujet de la Proclamation antiterroriste dans ses réponses écrites sont bienvenues mais qu’elles ne rassurent pas le Comité quant à la portée excessivement large de la définition du terrorisme et de l’incitation au terrorisme qui y est donnée, qui peut faire craindre une application abusive de ces dispositions. Cette crainte est confirmée par des informations selon lesquelles des journalistes ont été arrêtés pour violation de la Proclamation antiterroriste alors qu’ils cherchaient à se rendre dans la région de l’Ogaden ou, plus récemment, parce qu’ils participaient à des blogs qui critiquaient le Gouvernement et sa possible responsabilité dans la sécheresse que connaît actuellement le pays. La disposition de la Proclamation antiterroriste mentionnée au paragraphe 14 des réponses écrites, qui impose à toute personne l’obligation de communiquer à la police toute information ou preuve susceptible d’aider à prévenir des actes terroristes ou d’être utile dans une enquête sur des actes terroristes, est libellée en termes si vagues qu’elle risque de faire peser une très lourde responsabilité sur des personnes qui n’ont en réalité aucun lien d’aucune sorte avec le terrorisme. En outre, d’après le paragraphe 17 des réponses écrites de l’État partie, la Proclamation antiterroriste prévoit que toute personne arrêtée est déférée devant un juge dans un délai de quarante-huit heures à compter de son arrestation. Sir Nigel Rodley voudrait toutefois savoir si cette règle s’applique dans toutes les situations de détention prévues par la loi, et si, en cas d’inculpation par le juge, l’intéressé reste aux mains de la police ou s’il est transféré dans un autre lieu de détention. Il souhaiterait entendre la délégation sur ces différents points.

20.Sir Nigel Rodley regrette l’absence de réponse à la question no 6 de la liste de points, dans laquelle le Comité demandait si l’État partie envisageait d’abolir la polygamie, notamment en procédant à une réforme de la législation régionale comme le Code de la famille de la région du Tigré ou le Code de la famille de la région Oromia; il n’a pas non plus été répondu à la question no 10, relative aux mesures prises pour permettre aux réfugiés d’occuper légalement un emploi et garantir aux enfants réfugiés l’accès à l’école publique. La délégation pourra sans doute combler ces lacunes. Il demande s’il est exact que les enfants de réfugiés qui sont nés en Éthiopie n’ont pas droit à la nationalité éthiopienne ni même à un certificat de naissance et voudrait savoir, si tel est le cas, quelles sont les conséquences pour ces enfants et leur famille. La politique mise en œuvre par l’État partie en faveur des réfugiés érythréens, qui permet à ces derniers de sortir des camps de réfugiés, de se mêler à la population et de chercher du travail pour subvenir eux-mêmes à leurs besoins est une excellente initiative, et peut-être est-il prévu de l’étendre à d’autres catégories de réfugiés. Sir Nigel Rodley reconnaît toutefois que l’afflux massif de réfugiés sur son territoire rend la situation de l’Éthiopie très difficile.

21.La Commission d’enquête indépendante chargée de faire la lumière sur l’usage de la force meurtrière pendant les violences postélectorales en 2005 (question no 15) a conclu que l’usage de la force à l’occasion de ces événements avait respecté les principes de nécessité et de proportionnalité. La chose paraît toutefois difficile à croire, sachant que 193 civils et 6 policiers ont été tués.

22.MmeWaterval note que dans ses réponses écrites (par. 4) l’État partie s’engage à faire tous les efforts possibles pour mettre en œuvre l’ensemble des recommandations formulées dans le cadre de l’Examen périodique universel, y compris celle relative à la ratification du premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte et demande donc quelles mesures concrètes ont été prises en vue de ratifier le premier Protocole facultatif.

23.M. Rivas Posada dit qu’il ne suffit pas que le principe de l’égalité des droits entre hommes et femmes soit clairement établi dans la Constitution pour que cette égalité soit assurée dans les faits. Il faut adopter des lois, mais aussi et surtout faire évoluer les mentalités et rompre avec les stéréotypes culturels qui perpétuent les inégalités, par exemple au moyen de campagnes de sensibilisation. Des informations sur les mesures prises dans ce sens seraient utiles. Il serait aussi intéressant de savoir quelles mesures, législatives et autres, sont prises pour encourager la participation des femmes à la vie politique, dont elles sont à l’heure actuelle presque totalement absentes.

24.M.Thelincroit comprendre que la règle fixant à quarante-huit heures le délai dans lequel une personne en état d’arrestation doit être présentée à un juge ne souffre aucune exception, y compris dans le contexte de la Proclamation antiterroriste, mais il voudrait en avoir confirmation. Il invite la délégation à commenter le cas de deux journalistes suédois qui, d’après les médias, ont été arrêtés il y a onze jours par les forces armées en raison de leur appartenance à un groupe considéré comme terroriste par les autorités éthiopiennes et seraient toujours en détention à l’heure actuelle. Il souhaiterait en particulier avoir des précisions sur les motifs pour lesquels les deux journalistes seraient maintenus en détention et comment cette mesure est compatible avec le délai de défèrement de quarante-huit heures prévu par la loi. Le fait qu’il s’agisse de journalistes soulève également des préoccupations au regard de l’article 19 du Pacte.

25.M. Salviolinote avec satisfaction qu’une formation relative aux droits de l’homme et aux instruments internationaux est dispensée aux juges, mais s’étonne de l’absence d’exemples d’application du Pacte par les tribunaux. Des jugements ont-ils déjà été fondés sur les dispositions du Pacte? Dans le cas contraire, il faudra peut-être s’interroger sur l’efficacité de la formation dispensée aux juges et les moyens à mettre en œuvre pour assurer l’application effective des instruments internationaux, et notamment du Pacte, par les tribunaux.

26.MmeChanetdemande des précisions sur la hiérarchie des normes en vigueur dans l’État partie, en particulier sur la place du Pacte dans l’ordre juridique interne. Elle reprend à son compte les préoccupations soulevées par M. O’Flaherty au sujet du fonctionnement de la Commission éthiopienne des droits de l’homme.

27.En réponse aux questions du Comité relatives à la discrimination et à la violence à l’égard des femmes, notamment aux mutilations génitales, l’État partie énumère un certain nombre de mesures d’éducation et de sensibilisation. Ce n’est pas suffisant et le Comité attendra un complément d’information concernant les dispositifs effectivement mis en place pour lutter contre ces pratiques, étant donné que l’État partie ne semble pas décidé à adopter une législation érigeant les mutilations génitales en infraction passible de sanctions pénales. L’État partie n’a pas donné de réponse claire à la question lui demandant s’il envisageait d’abolir la polygamie. Mme Chanet rappelle que la polygamie est contraire à l’article 3 du Pacte, et espère que la délégation pourra préciser la position de l’État partie sur ce sujet. La protection de la morale, invoquée par l’État partie pour justifier son refus de dépénaliser l’homosexualité, n’est pas un argument recevable, ne serait-ce que parce que l’article 17 du Pacte ne prévoit aucune restriction du droit au respect de la vie privée qui serait motivée par la morale. Mais ce qui est plus important c’est que l’incrimination de l’homosexualité peut entraîner des violations de nombreux autres droits garantis par le Pacte, car en stigmatisant les homosexuels elle les désigne à la vindicte publique et autorise toutes sortes de discriminations, de mauvais traitements et de violences, voire d’atteintes à la vie.

28.La définition du terrorisme donnée dans la Proclamation antiterroriste est très vague. De nombreux actes qui ne sont pas véritablement des actes terroristes peuvent par conséquent tomber sous le coup de cette loi. Cela est d’autant plus préoccupant que la loi antiterroriste permet l’application de dispositions dérogatoires, comme l’absence de contrôle juridictionnel, l’élargissement des pouvoirs d’arrestation de la police, le maintien des suspects en détention pendant de longues périodes, qui peuvent entraîner des violations des articles 7, 9 et 14 du Pacte. Le régime d’administration de la preuve prévu par la loi, qui permet de retenir comme preuves des témoignages anonymes et des aveux, est particulièrement problématique.

29.M. Amordit que la polygamie et les mutilations génitales portent atteinte à la dignité de la femme et constituent des violations manifestes du Pacte et, partant, des obligations souscrites par l’État partie en vertu de celui-ci. Des arguments tels que les traditions ou le poids de la société ne sauraient justifier ces pratiques. Il est compréhensible que l’État soit tenu de composer avec la réalité, mais il lui appartient d’imposer par la force du droit les changements nécessaires.

30.En vertu du droit international, en cas de conflit avec la législation interne, les dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme l’emportent et la législation interne doit être interprétée et appliquée eu égard aux engagements internationaux de l’État en matière de droits de l’homme. M. Amor voudrait savoir si ces principes sont dûment observés dans l’État partie.

31.M. Bouzid note que la Commission éthiopienne des droits de l’homme a entrepris de réexaminer la législation nationale en vue de la mettre en conformité avec les obligations découlant des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’Éthiopie et demande si la Commission est compétente pour soumettre directement des propositions de loi au Parlement.

32.M. Iwasawa ne voit pas encore clairement quelle est la place du Pacte dans le droit interne. Il est dit dans le document de base que tous les accords internationaux ratifiés par l’Éthiopie font partie intégrante de la législation interne. On peut ainsi supposer que c’est le cas du Pacte. Il semble cependant que la Proclamation (décret de ratification) relative au Pacte n’en promulgue pas expressément les dispositions, et que le texte du Pacte ne soit pas publié. La délégation éthiopienne voudra bien préciser la situation. Enfin, M. Iwasawa demande quand les autorités éthiopiennes entendent faire traduire le Pacte en amharique et le publier au Journal officiel fédéral.

La séance est suspendue à 16 h 25; elle est reprise à 16 h 45.

33.M. Korcho (Éthiopie) dit, en ce qui concerne la place du Pacte dans le droit interne et la publication du Pacte au Journal officiel fédéral, que, conformément à l’article 9.4 de la Constitution fédérale, tous les accords internationaux ratifiés par l’Éthiopie font partie intégrante de la législation interne. Dans le Journal officiel fédéral, il est simplement fait état des instruments internationaux nouvellement ratifiés mais le texte n’en est pas publié. Une fois que la Proclamation correspondante est parue au Journal officiel fédéral, les juges peuvent appliquer directement les dispositions de l’instrument concerné, ou s’appuyer sur ses dispositions pour interpréter le droit interne. Tous les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et d’autres accords internationaux ont déjà été traduits en amharique par le Ministère de la justice, et la Commission éthiopienne des droits de l’homme a assuré la traduction du document de base en amharique, en oromo et en tigrinya.

34.En ce qui concerne la formation au droit international des droits de l’homme, un projet a été mis en œuvre avec succès aux niveaux fédéral et régional de 2003 à 2008 et a permis à plus de 4 500 juges, procureurs et responsables de la police de se familiariser avec les instruments pertinents. Les principaux instruments relatifs aux droits de l’homme ont été largement diffusés auprès de tous les agents chargés de faire appliquer la loi, et leurs dispositions peuvent être invoquées devant les cours de justice, les tribunaux et autres instances administratives lorsque c’est nécessaire et pertinent. Cela a déjà été le cas, notamment, par la section de cassation de la Cour suprême fédérale, deux fois. Un instrument international qui fait partie intégrante de la législation interne prime toutes les lois subordonnées à la Constitution fédérale. Cependant, la Constitution étant la loi suprême, elle l’emporte sur les instruments internationaux.

35.M. Molla (Éthiopie), répondant aux questions relatives à la garantie de l’accès égal des femmes à l’éducation, à l’emploi, aux biens, à la terre et au crédit, dit que le Gouvernement a pris différentes mesures destinées à assurer la pleine application des lois existantes et à promouvoir des réformes visant à combler les lacunes en matière d’égalité entre hommes et femmes. Ces mesures ont permis notamment d’améliorer la représentation des femmes dans les postes à responsabilités, où elles constituent aujourd’hui 36 % des effectifs, et elles sont à parité avec les hommes dans les postes intermédiaires. L’égalité des hommes et des femmes dans l’accès à l’emploi est garantie par la loi, et les statistiques officielles montrent que les femmes représentent plus de 64 % des travailleurs employés dans le secteur structuré, et environ 51 % des travailleurs du secteur non structuré.

36.Dans le domaine de l’éducation, le Ministère de l’éducation a établi des stratégies visant à réduire le taux d’abandon scolaire chez les filles, qui était de 10 % plus élevé que celui des garçons durant l’année scolaire 2009-2010. Plus généralement, les autorités s’attachent à lutter contre l’analphabétisme des femmes et encouragent l’éducation des filles à tous les niveaux, y compris dans l’enseignement supérieur. Des mesures d’action corrective ont été prises afin de remédier aux inégalités, notamment l’adoption de quotas dans la formation des enseignants du système scolaire public, en vertu desquels les établissements doivent compter 30 % d’enseignants femmes. L’objectif est d’atteindre la parité entre hommes et femmes.

37.Pour les droits fonciers, l’égalité entre hommes et femmes est assurée et le système de répartition des terres donne la priorité aux femmes, aux personnes handicapées et aux orphelins. La propriété foncière fait l’objet d’un titre nominal délivré à chacun des époux, ce qui permet aux femmes de faire valoir leur droit de propriété en cas de conflit. En ce qui concerne la participation des femmes à la vie politique, la délégation éthiopienne mettra des données à la disposition du Comité d’ici à la prochaine séance.

38.Les autorités ont établi une stratégie et différents projets pour lutter contre les violences à l’égard des femmes, qui devraient être adoptés prochainement par un comité national de coordination réunissant des représentants de 18 ministères et d’autres organismes publics. Le Ministère des affaires féminines a également prévu un plan d’action pour lutter contre les pratiques traditionnelles préjudiciables et les violences à l’égard des femmes, en particulier les mutilations génitales. Il prend différentes mesures pour combattre les stéréotypes et favoriser une évolution des comportements de façon à mettre fin aux pratiques dont les femmes sont victimes, notamment en encourageant la création d’associations de femmes qui coopèrent avec les organisations gouvernementales et non gouvernementales. Ainsi, dans différentes provinces des associations de femmes s’emploient à promouvoir par diverses mesures la réalisation des droits des femmes et leurs activités sont d’autant plus importantes que les autorités considèrent que les associations sont le mieux placées pour sensibiliser la population à la nécessité de mettre fin aux violences à l’égard des femmes. Un autre dispositif permettant de combattre les pratiques traditionnelles préjudiciables est l’Ensemble de mesures pour le développement de la femme, dont l’application contribue à faire avancer la cause des femmes d’une façon générale. Les chefs religieux jouent également un rôle important dans la lutte contre les mutilations génitales et, plus globalement, dans la promotion de la participation des femmes à la vie politique, sociale et culturelle du pays; les autorités de l’État s’efforcent, quant à elles, de mettre en place le cadre juridique nécessaire à cette participation. Dans ce contexte, des textes législatifs ont été adoptés visant à éradiquer les pratiques traditionnelles préjudiciables, accroître la participation des femmes à la vie politique et sociale et assurer le bien-être physique et psychologique des femmes. Des mesures sont également prises en ce sens en coopération avec des organisations non gouvernementales et des organisations internationales. D’une façon générale, les pratiques traditionnelles préjudiciables sont en passe d’être éradiquées en Éthiopie. En réponse aux questions concernant la polygamie, M. Molla indique que le Code pénal érige clairement en infraction cette pratique ainsi que les violences à l’égard des femmes, et il s’applique dans tous les États régionaux.

39.La Constitution fédérale prévoit que toute personne arrêtée doit être présentée devant un juge dans un délai de quarante-huit heures, au-delà duquel le juge peut décider le maintien en détention ou la libération sous caution. Ce délai ne prend pas en compte le temps raisonnable nécessaire pour saisir le juge. Pour les besoins de l’enquête, dans le cas où le juge a ordonné la libération du suspect, il peut, sur demande de la police, rendre une nouvelle ordonnance de détention, ce qui permet de détenir le suspect pendant quatorze jours supplémentaires au plus dans le cas d’une infraction ordinaire. Pour les infractions terroristes, la détention des suspects est de vingt-huit jours au moins, mais elle ne peut excéder quatre mois.

40.M. Getahun (Éthiopie) dit que la question de la traduction en amharique du Pacte et de sa publication au Journal officiel fédéral a fait l’objet d’un débat dans le pays, notamment dans le cadre de l’établissement du rapport initial. Deux conférences nationales réunissant des représentants de la société civile et des autorités régionales et fédérales ont étudié le sujet, sans parvenir toutefois à trancher. Certains participants étaient d’avis que le Parlement devrait publier le Pacte au Journal officiel fédéral et qu’il convenait donc de soumettre une proposition en ce sens au Parlement. D’autres considéraient que la Commission nationale des droits de l’homme était l’autorité compétente pour assurer la traduction et la diffusion du Pacte, et il a été également relevé que, si l’on prenait la décision de traduire et publier au Journal officiel le Pacte, il faudrait faire de même pour tous les instruments internationaux ratifiés par l’Éthiopie. La décision est donc difficile à prendre, non pas pour des raisons matérielles, mais du fait des implications juridiques qu’elle aura.

41.En ce qui concerne les personnes déplacées, il faut bien voir que les responsabilités sont réparties entre différents ministères, et qu’il n’existe pas d’institution gouvernementale unique qui serait chargée d’assurer protection et assistance aux personnes déplacées. Toutefois, dans le cadre du processus de ratification de la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, il ne fait aucun doute que le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif se saisiront de la question et s’efforceront d’améliorer la situation.

42.La délégation éthiopienne n’a pas connaissance de poursuites qui auraient été engagées pour homosexualité. Il n’en demeure pas moins que la loi pénale a érigé en infraction les rapports sexuels entre personnes du même sexe et que la question de l’abrogation des dispositions pertinentes ne fait pas l’objet d’un débat public actuellement, et la société éthiopienne n’évolue pas dans le sens d’une dépénalisation de l’homosexualité.

43.La législation antiterroriste a été adoptée à l’issue d’un processus rigoureux tendant à assurer le respect des obligations internationales de l’Éthiopie, mais également à tirer parti de l’expérience d’autres pays qui connaissent des situations similaires. L’Éthiopie est touchée concrètement par le terrorisme et il était nécessaire d’établir un cadre juridique pour lutter contre ce phénomène. Le Code pénal était largement insuffisant et des consultations nationales ont donc été engagées avec des juristes et d’autres parties prenantes sur les dispositions à prendre pour lutter contre le terrorisme. Il faut bien voir aussi que l’Éthiopie a des obligations internationales dans ce domaine qui découlent en particulier de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité et des conventions africaines pertinentes. En outre les autorités éthiopiennes ont eu à cœur de s’inspirer des meilleures pratiques internationales en matière de lutte contre le terrorisme, ce qui est dûment reflété dans la législation qui a été adoptée.

44.Une législation spécifique est consacrée aux réfugiés depuis 2004. Elle prévoit l’égalité de traitement entre les réfugiés et les autres étrangers dans le domaine de l’emploi et des prestations de services. Les réfugiés sont autorisés à avoir une activité commerciale et à investir dans le pays, et d’une façon générale l’accès des réfugiés à l’emploi dans les zones urbaines ne pose aucune difficulté.

45.La nouvelle politique «hors camp» a été adoptée pour tenir compte des besoins spéciaux des réfugiés érythréens en particulier, qui s’entassent dans des camps surpeuplés. La plupart d’entre eux sont des jeunes, qui ont souvent fui un enrôlement forcé, et les autorités éthiopiennes sont conscientes de la nécessité de veiller à ce qu’ils reprennent le chemin de l’école. Une des solutions consiste à organiser leur départ vers d’autres pays où ils pourront faire des études; un très petit pourcentage de ces réfugiés a d’ailleurs quitté l’Éthiopie à cette fin. Les autorités s’efforcent d’intégrer les autres dans la société éthiopienne et près de 300 réfugiés sont inscrits dans des universités du pays. Cela étant, l’Éthiopie compte 200 000 réfugiés, et leur nombre ne cesse d’augmenter. En juin, l’Éthiopie a accueilli chaque jour 2 000 réfugiés somaliens et la situation est donc difficile. Le programme «hors camp» ne constitue pas un modèle susceptible d’être reproduit, il représente simplement une tentative de remédier à un problème aigu. L’accueil des réfugiés est à la fois une tradition en Éthiopie et une obligation internationale de l’État, et les autorités sont tenues de prendre des mesures en conséquence. En particulier, les enfants réfugiés ont accès à l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire et supérieur est assuré au cas par cas, dans toute la mesure possible.

46.Le droit international des droits de l’homme n’est pas aussi connu en Éthiopie que les autorités le souhaiteraient, ce qui explique que le Pacte ne soit pas suffisamment appliqué par les juges. Certes, il existe des formations dans le cadre des facultés de droit des universités et des dispositifs spécifiques ont été mis en place à l’intention des juges, mais beaucoup reste encore à faire dans ce domaine. Une autre explication possible est que la plupart des dispositions de la Constitution fédérale et d’autres lois reprennent à la lettre le libellé des dispositions du Pacte et les juges ne considèrent peut-être pas toujours nécessaire d’invoquer le Pacte proprement dit. En tout état de cause, ils n’ont jamais fait état d’une difficulté à cet égard. Les instruments internationaux peuvent être appliqués directement par les tribunaux, ce qui a déjà été le cas, notamment pour ce qui est de la Convention relative aux droits de l’enfant.

47.Enfin, la délégation tient à assurer le Comité que les autorités éthiopiennes prennent très au sérieux la question des mutilations génitales féminines, qui constituent une violation grave des droits des femmes.

48.M. Yimer(Éthiopie) dit que son gouvernement ne peut pas donner au Comité l’assurance qu’il signera le Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Il rappelle toutefois que l’Éthiopie a ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées et signé le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés comme cela le lui avait été recommandé dans le cadre de l’Examen périodique universel, alors même qu’elle n’en avait pas pris l’engagement.

49.M. Getahun (Éthiopie) précise que le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés sera bientôt ratifié. Les journalistes suédois arrêtés alors qu’ils avaient franchi illégalement la frontière entre la Somalie et l’Éthiopie se trouvaient en compagnie d’une faction de l’ONLF (Front national de libération de l’Ogaden), groupe terroriste dont l’objectif est de renverser le Gouvernement éthiopien. Ils ont été déférés devant un juge. Il appartiendra à la justice de déterminer les raisons pour lesquelles ces personnes sont entrées illégalement en Éthiopie par la frontière avec la Somalie et quels liens elles entretiennent avec le groupe terroriste qu’elles accompagnaient.

50.Il n’existe pas en Éthiopie de système de quotas visant à favoriser la participation des femmes dans la vie politique. Toutefois, aux dernières élections certains partis politiques, en particulier les partis dirigeants, ont établi leurs propres quotas en vue de promouvoir les candidatures féminines et ont encouragé les autres partis à faire de même. Le Conseil électoral national accorde certains avantages, tels que des subventions pour les campagnes électorales, aux partis qui présentent des candidates. La législation éthiopienne contient des dispositions prévoyant que les femmes ont le droit de participer à la vie politique du pays sur un pied d’égalité avec les hommes, ce qui devrait permettre de corriger certaines injustices. En vertu de la Proclamation no 515/2007 relative à la fonction publique fédérale, une priorité est accordée au recrutement des femmes et des personnes handicapées dans l’administration pour autant qu’elles aient les compétences requises. Il existe aussi des dispositions législatives visant à donner davantage de possibilités aux femmes d’accéder à l’éducation, notamment à l’enseignement supérieur.

51.M. Yimer(Éthiopie) dit que pour les questions posées par les membres du Comité au sujet des activités de la Commission éthiopienne des droits de l’homme, comme cette Commission est un organe parlementaire indépendant qui ne fait pas partie du pouvoir exécutif, il est préférable que ce soit un de ses représentants, présents à la séance, qui réponde. La délégation lui laissera quelques minutes la parole.

52.M. Lallah, soulevant une motion d’ordre, dit que l’examen du rapport de l’État partie suppose un dialogue entre les représentants du Gouvernement et le Comité. C’est le Gouvernement qui suivra, ou ne suivra pas, les recommandations que le Comité pourra éventuellement faire au sujet du fonctionnement de la Commission; les représentants du Gouvernement ne peuvent donc pas ne pas traiter les questions relatives à la Commission. M. Lallah souhaiterait entendre l’avis des autres membres du Comité sur ce point.

53.M. O’Flaherty dit qu’une situation similaire s’est présentée lors de l’examen du deuxième rapport périodique du Kenya, le 1er mars 2001; le Directeur de la Commission nationale des droits de l’homme du Kenya, qui était présent, a pris la parole, avec l’accord de la Présidente, pour expliquer le fonctionnement de la Commission, en précisant qu’il s’exprimait à titre indépendant.

54.Sir Nigel Rodleydit qu’il partage les réserves de M. Lallah. Il entendra certes avec un grand intérêt le représentant de la Commission éthiopienne des droits de l’homme, mais n’accepte pas l’idée que les questions relatives à la Commission ne concernent pas le Gouvernement. Celui-ci est responsable de ce que la Commission peut faire et ne peut pas faire, et le Comité doit entendre la délégation afin d’apprécier le degré d’indépendance de la Commission.

55.M. Lallahdit qu’il se réserve le droit de poser à la délégation des questions au sujet de ce que le représentant de la Commission indépendante expliquera au Comité.

56.M. Liyew (Commission éthiopienne des droits de l’homme) dit que, conformément à son mandat, la Commission a traduit et diffusé les instruments internationaux ratifiés par l’Éthiopie en amharique, afan-oromo et tigrinya. Il est aussi prévu qu’elle les fasse traduire en somali. La Commission n’est pas habilitée à adopter des lois. Elle a pour mandat d’émettre des recommandations en vue de la révision des lois existantes, de l’adoption de nouvelles lois et de la formulation de politiques. Elle apporte une assistance technique au Gouvernement pour l’établissement des rapports soumis aux organes conventionnels de l’ONU et collabore avec le Gouvernement dans le cadre de l’élaboration du plan d’action national en faveur des droits de l’homme. En outre, elle a ouvert 6 bureaux régionaux, ainsi que 106 centres de conseil juridique, en partenariat avec 15 universités et avec des organisations de la société civile, qui ont traité ces trois derniers mois plus de 1 600 affaires. Elle a surveillé les élections générales de 2010, inspecté toutes les prisons du pays et dispensé des formations au personnel des forces armées. Les informations indiquant que la Commission est inactive et inefficace ne sont donc pas fondées. En août 2011, en collaboration avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, la Commission chargera un consultant international de réaliser une évaluation de ses capacités en vue de présenter une demande d’accréditation au Sous-Comité d’accréditation du Comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme. La Commission apporte une assistance technique et financière à de nombreuses organisations de la société civile, notamment à l’Association éthiopienne des femmes juristes, l’Association des juristes éthiopienset l’Association des invalides de guerre. À l’issue d’un atelier qu’elle organisé en décembre 2010 et qui a réuni toutes les organisations de la société civile du pays, elle a mis au point un projet de stratégie de partenariat avec les organisations de la société civile, qui devrait être adopté prochainement.

57.La Présidente invite les membres du Comité à poser des questions supplémentaires au sujet des points 1 à 10 de la liste. Elle rappelle à la délégation qu’elle peut faire parvenir par écrit des réponses aux questions pour lesquelles elle ne dispose pas des informations nécessaires.

58.M. Thelindemande à quelle date exactement les deux journalistes suédois arrêtés par les autorités éthiopiennes ont été présentés à la justice et quelles sont les charges retenues contre eux. Il voudrait aussi savoir si on peut avoir l’assurance que la durée maximale de la détention provisoire fixée par la loi pour les affaires liées au terrorisme et mentionnée au paragraphe 17 des réponses écrites sera respectée. Il serait reconnaissant à la délégation de communiquer au Comité toute information dont elle pourrait avoir connaissance à ce sujet.

59.M. Salvioli dit que tous les États qui ratifient le Pacte prennent l’engagement de le mettre efficacement en œuvre sur leur territoire et doivent veiller à ce que cette obligation soit respectée par tous les organes, y compris par le pouvoir judiciaire. Malgré toutes les mesures prises par l’État partie pour assurer l’égalité des hommes et des femmes, la Constitution de l’État partie contient toujours une disposition prévoyant que tout ce qui a trait à la famille et au mariage relève des tribunaux de la charia et il faudrait savoir si ces tribunaux appliquent le Pacte comme il se doit. L’État partie a fait savoir que la pratique des mutilations génitales féminines était quasiment éradiquée, ce qui est une bonne nouvelle; il voudrait savoir si des personnes ont été poursuivies en justice et condamnées pour avoir réalisé ces actes interdits par la loi.

60.M. O’Flaherty dit que certaines ONG, ainsi que l’équipe de pays des Nations Unies, font état d’un manque de coordinationet de l’absence d’une politique unique globale concernant l’aide à apporter aux personnes déplacées, qui sont entre 300 et 350 000 en Éthiopie. Il voudrait savoir si le Gouvernement envisage de mettre en place un cadre politique global concernant ces personnes. Il voudrait aussi savoir si le système de gestion des risques de catastrophe concernant les personnes déplacées est applicable non seulement aux personnes déplacées en raison d’une catastrophe naturelle, mais aussi aux personnes déplacées en raison d’un conflit.

61.Il est décevant que le Gouvernement éthiopien n’envisage pas de modifier les dispositions de la législation relatives aux relations sexuelles entre personnes du même sexe. Le fait que ces personnes ne soient pas poursuivies en justice dans la pratique n’efface pas la question. Il rappelle que, dans l’affaire Toonen c. Australie, le Comité a estimé que, même si la loi criminalisant l’homosexualité n’était pas appliquée de manière active, l’effet dissuasif que pouvait avoir l’existence même de cette loi était en soi l’élément constitutif d’une violation du Pacte. Il existe des informations indiquant qu’en Éthiopie les homosexuels savent qu’ils doivent se cacher et qu’ils sont victimes de préjugés, ce qui témoigne de l’effet qu’a la loi même sans être appliquée activement. Il faudrait donc savoir ce que peut faire l’État partie pour protéger les personnes particulièrement vulnérables dans ce contexte, s’il n’est pas question de modifier la loi.

62.M. O’Flaherty remercie le chef de la délégation d’avoir invité le représentant de la Commission éthiopienne des droits de l’homme à prendre la parole. Sans remettre en question les pratiques de la Commission, il se demande si la structure même de cet organe n’entraverait pas son indépendance. La délégation pourra peut-être indiquer quels changements structurels pourraient être envisagés pour garantir la totale indépendance de la Commission. Enfin, M. O’Flaherty note que le Gouvernement éthiopien, dans le cadre de l’Examen périodique universel, a accepté de prendre les mesures nécessaires pour rendre la Commission éthiopienne des droits de l’homme conforme aux Principes de Paris. Il souhaiterait entendre les commentaires de la délégation à ce sujet.

63.Sir Nigel Rodleydemande s’il existe des circonstances dans lesquelles il est légal de maintenir une personne en garde à vue plus de quarante-huit heures avant de la présenter à un juge, mis à part le temps raisonnablement nécessaire pour transporter cette personne jusqu’au tribunal. En ce qui concerne les journalistes suédois, il a cru comprendre qu’environ onze jours s’étaient écoulés entre l’arrestation des journalistes et leur défèrement et il voudrait savoir si cela est dû au fait qu’il a fallu neuf jours pour parcourir la distance séparant l’endroit où ils ont été arrêtés du tribunal. Selon Amnesty International, des milliers de personnes seraient détenues au motif qu’elles appartiendraient au Front de libération omoro (OLF) ou en seraient des sympathisants, nombre d’entre elles seraient détenues au secret et beaucoup feraient l’objet d’une détention arbitraire pour une période indéfinie, sans inculpation. Il faudrait donc savoir si la loi limite la garde à vue à quarante-huit heures sans compter le temps nécessaire au transport jusqu’au tribunal et, si tel est le cas, quelles sont les raisons de ce qui semble être un non-respect de la loi, ou si la délégation considère que ces allégations sont fausses et que la loi est pleinement respectée. Dans le cas d’un non-respect de la loi, la délégation pourrait indiquer quelles mesures les autorités éthiopiennes entendent prendre à l’égard des personnes responsables de détentions arbitraires. Compte tenu de l’information donnée par le Gouvernement concernant la possibilité, dans les affaires liées au terrorisme, de reconduire la détention provisoire pour des périodes successives de vingt-huit jours, qui ne peuvent excéder un total de quatre mois, il faudrait savoir si, après leur comparution devant un juge, les personnes retournent dans les locaux de la police ou si elles sont envoyées dans un autre établissement. La délégation pourra peut-être préciser aussi à quel stade de la procédure l’accès à un avocat est autorisé: est-ce dès la mise en détention initiale ou au moment de la comparution devant le juge ou à un autre moment? Il convient de souligner que, dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, de nombreux États ont des pratiques qui peuvent être qualifiées de «mauvaises», notamment une définition trop vague du terrorisme. Plusieurs résolutions du Conseil de sécurité ont clairement indiqué que la législation des États dans ce domaine doit être compatible au droit international des droits de l’homme, au droit international des réfugiés, au droit international humanitaire et au droit pénal international.

64.Sir Nigel Rodley est heureux d’apprendre que le Code pénal éthiopien érige la polygamie en infraction, mais, étant donné qu’il s’agit d’une pratique traditionnelle, il voudrait savoir si la législation de certaines régions, comme la loi sur la famille de la région du Tigré, demeure en vigueur ou a été abrogée, quel est le statut juridique des familles dans lesquelles la polygamie est pratiquée et si les mariages polygames constituent des infractions pénales.

65.M. Getahun (Éthiopie) dit que la délégation reviendra en détail sur plusieurs aspects de la question de la polygamie à la prochaine séance. En ce qui concerne les personnes ayant une orientation sexuelle différente et la sécurité personnelle de ces personnes, la délégation n’a fait que décrire la situation dans le pays, ce qui ne revient pas à prendre position dans quelque sens que ce soit.

La séance est levée à 18 heures.