Nations Unies

CCPR/C/SR.3494

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

14 septembre 2018

Original : français

Comité des droits de l ’ homme

1 2 3 e session

Compte rendu analytique de la 3494 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mercredi 4 juillet 2018, à 15 heures

Président(e) :Mme Margaux Waterval (Rapporteuse)

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 40 du Pacte (suite)

Quatrième rapport périodique de l ’ Algérie

La séance est ouverte à 15 heures 5.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 40 d  Pacte (suite)

Quatrième rapport périodique de l’Algérie (CCPR/C/DZA/4, CCPR/C/DZA/Q/4, CCPR/C/DZA/Q/4/Add.1 et HRI/CORE/1/Add.127)

1.Sur l ’ invitation de la Présidente, la délégation algér ienne prend place à la table du  Comité.

2.M.  Soualem (Algérie), présentant le quatrième rapport périodique de l’Algérie (CCPR/C/DZA/4), indique que celui-ci a été élaboré en collaboration avec les représentants de la société civile et expose les suites qui ont été données aux recommandations adoptées par le Comité en 2007 ainsi que les faits nouveaux survenus depuis la soumission du troisième rapport périodique (CCPR/C/DZA/3) et les difficultés et obstacles que rencontre l’Algérie dans la mise en œuvre des dispositions du Pacte.

3.Depuis son indépendance, l’Algérie s’efforce d’accorder une place prépondérante à la promotion et à la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et cultive une vision humaniste de l’organisation de la société, fondée sur le respect de l’état de droit. Preuves du niveau de démocratisation atteint, l’Assemblée nationale est composée de députés représentant plus de 35 partis politiques et 28 listes indépendantes, le pays compte plus de 100 000 organisations non gouvernementales, et la tenue de réunions tripartites permet au patronat, aux syndicats et au Gouvernement d’entretenir un dialogue consensuel pour préserver l’emploi, renforcer la protection sociale, améliorer la compétitivité des entreprises et favoriser le dialogue social. La population algérienne fait abondamment usage des libertés de réunion et de manifestation, et l’interdiction de manifester sur la voie publique à Alger vise uniquement à protéger l’ordre et la sécurité publics et à prévenir d’éventuels actes terroristes. Le paysage médiatique algérien s’est grandement enrichi ces dernières années et le pays compte à présent plus de 40 chaînes de télévision supervisées par une autorité indépendante, 142 quotidiens, 43 hebdomadaires et 20 revues mensuelles reflétant les opinions et courants de pensée de la société. Aucune censure n’est pratiquée et il n’existe pas de monopole sur l’impression, et les procédures pour atteinte à la vie privée ou diffamation sont instruites par les juges dans le strict respect des droits de la défense. Il n’existe pas en Algérie de délit d’opinion et il n’est pas prononcé de peines privatives de liberté à l’encontre des professionnels de l’information.

4.Les révisions constitutionnelles adoptées en 2008 et 2016, qui s’inscrivent dans le cadre des objectifs du Millénaire pour le développement et des objectifs de développement durable, ont apporté un certain nombre de changements et d’innovations substantiels, dont la réforme de l’état de droit, la rééligibilité du Président de la République pour un seul mandat, le renforcement des droits reconnus à l’opposition politique, le renforcement de l’indépendance du Conseil constitutionnel et du Conseil supérieur de la magistrature, la création d’un conseil des droits de l’homme, le 9 mars 2017, la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel par les citoyens, la promotion par l’État de la parité hommes‑femmes sur le marché de l’emploi, l’interdiction des mauvais traitements, la possibilité d’intenter un pourvoi en matière pénale, l’introduction du concept de liberté de manifestation pacifique, l’interdiction de la violence contre les enfants et la protection des personnes handicapées, âgées ou démunies. Ces modifications constitutionnelles ont été complétées par l’adoption de lois relatives notamment au double degré de juridiction en matière pénale et à la protection des données personnelles.

5.La carte judiciaire a été densifiée pour rapprocher le justiciable des organes judiciaires et l’Algérie compte à présent 37 cours d’appel, 219 tribunaux, 38 tribunaux administratifs, une cour suprême, un conseil d’État et un tribunal des conflits. La simplification des procédures et le renforcement de l’exécution des décisions ont permis de raccourcir le délai de traitement des affaires. Depuis 2007, les nombreuses modifications apportées au Code pénal et au Code de procédure pénale ont permis de remplacer la peine de mort par des peines de réclusion pour certains crimes liés à la gestion économique, au trafic de stupéfiants, à la corruption, à la contrefaçon de la monnaie ou au blanchiment d’argent. La détention provisoire est devenue une mesure d’exception pour les auteurs d’infractions passibles d’une peine inférieure à trois ans d’emprisonnement, et la procédure de flagrant délit a été remplacée par une procédure de comparution immédiate.

6.Les révisions constitutionnelles de 2008 et 2016 ont permis d’accroître la représentation des femmes à l’Assemblée nationale, où elles occupent à présent 121 sièges (sur un total de 462, soit 26,16 %) contre 31 en 2007. Elles ont également favorisé la parité hommes‑femmes sur le marché de l’emploi et dans les institutions, les entreprises et les administrations publiques, et érigé en infraction pénale les violences à l’égard des femmes dans la sphère privée, dans le monde du travail et sur la voie publique.

7.En Algérie, les libertés de culte et de religion sont garanties. Les imams doivent être dûment qualifiés, faire preuve d’intégrité et employer un langage modéré. L’utilisation des lieux de culte est soumise à l’autorisation préalable du Ministère des affaires religieuses, et l’exercice d’un culte, quel qu’il soit, doit être accepté par l’autorité religieuse nationale. Il n’existe aucune différence de traitement dans l’exercice des libertés religieuses dans ce pays musulman à majorité sunnite, et l’entretien des lieux de culte autres que les mosquées et la rémunération des agents du culte et des imams sont pris en charge par l’État. La loi prévoit des jours de repos officiels pour les fêtes religieuses, qu’elles soient musulmanes, chrétiennes ou juives, et l’Algérie est riche d’une longue tradition d’ouverture à l’égard des autres religions.

8.Les allégations d’exécutions sommaires, de mauvais traitements ou de détentions arbitraires formulées dans les documents émanant des organisations non gouvernementales ne justifient la visite d’aucun des mécanismes du Conseil des droits de l’homme auxquels l’Algérie a adressé des invitations depuis la présentation de son dernier rapport, car les pratiques alléguées ne sont ni systématiques ni généralisées et le Gouvernement algérien a, pour chaque cas, fourni des réponses circonstanciées. L’Algérie considère que ces requêtes sont inopportunes au vu du nombre dérisoire de cas mentionnés et s’interroge sur leur bien-fondé à un moment où les États donateurs appellent les titulaires de mandat à régler des situations d’urgence ou à adopter des mesures de rigueur budgétaire.

9.Concernant les victimes des violences terroristes perpétrées dans les années 1990, dans le cadre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et dans un souci de concorde civile, l’État algérien a mis en place des politiques et un dispositif de probation grâce auxquels les personnes qui n’avaient pas commis de crimes de sang mais aussi celles qui avaient participé aux massacres, posé des bombes dans des lieux publics ou commis des viols, ont eu la possibilité d’entamer un processus de repentir. Toutes les victimes de cette tragédie et leurs ayants-droits bénéficient d’une égale protection devant la loi, et le processus démocratique dans lequel se sont inscrits les référendums populaires sur la concorde civile de 1999 et sur la paix et la réconciliation nationale de 2005 a été mené pour mettre un terme définitif aux effusions de sang, asseoir une paix durable et restaurer la cohésion sociale. L’État algérien a également mis au point une stratégie contre la radicalisation et l’extrémisme violent, axée notamment sur le renforcement de la démocratie, la formation des hommes de culte, la réforme de l’école, la promotion du rôle de la femme, l’emploi des jeunes, l’encouragement de l’investissement dans les médias et la valorisation de la diversité culturelle. La mise en relation des institutions de l’État, de la société civile, des médias, des dirigeants religieux et des faiseurs d’opinion a permis d’éviter à l’Algérie de subir les bouleversements qu’a connus le monde arabe ces dernières années et d’empêcher que la propagande djihadiste ne trouve un large écho auprès de la jeunesse. C’est à l’initiative de l’Algérie que l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, le 8 décembre 2017, la résolution proclamant le 16 mai Journée internationale du vivre‑ensemble en paix.

10.Enfin, l’Algérie adhère au principe de l’universalité tout en récusant l’uniformité, au nom du respect de la diversité de la famille humaine et des particularités philosophiques, culturelles, sociologiques ou religieuses de chaque pays.

11.M.  Santos Pais relève que le quatrième rapport de l’Algérie, attendu le 1er novembre 2011, n’a été soumis qu’en janvier 2017. Il se réjouit des informations qui y ont été présentées, même s’il estime que les réponses à la liste de points (CCPR/C/DZA/Q/4/Add.1) étaient parfois trop succinctes. Constatant que la question du terrorisme est récurrente dans le rapport, il fait remarquer qu’elle ne saurait toutefois justifier toutes les décisions prises par l’État algérien pendant la période considérée. Saluant la levée de l’état d’urgence en février 2011, la révision constitutionnelle de 2016 et l’adoption de lois organiques relatives notamment au régime électoral, à l’information ainsi qu’à la représentation des femmes dans les assemblées élues, M. Santos Pais estime que ces réformes entreprises par l’Algérie attestent d’un désir de progrès et de modernisation, mais qu’elles peuvent ponctuellement continuer à susciter des doutes et des préoccupations.

12.M. Santos Pais s’enquiert de l’état d’avancement de la mise en œuvre du plan national pour les droits de l’homme mentionné dans le rapport et demande s’il existe une commission des droits de l’homme au Parlement et si celle-ci a présenté des projets de loi dans ce domaine. Relevant que, dans son rapport au Conseil des droits de l’homme, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme avait constaté que l’Algérie persistait dans une attitude de non-coopération avec les mécanismes des droits de l’homme de l’ONU, il invite la délégation à donner des exemples de coopération entre l’État algérien et les mécanismes régionaux et universels de défense des droits de l’homme. S’agissant de la primauté du Pacte sur la législation nationale, M. Santos Pais dit que, pour le Comité, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale demeure contraire aux dispositions du Pacte en ce qu’elle prévoit l’impossibilité légale de disposer d’un recours utile, ce qui est contraire au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Il demande en outre quel est le texte qui prévaut en cas de conflit entre la Constitution et un traité dûment ratifié par l’Algérie et si le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé à ce sujet, et aussi quelles dispositions prévalent en cas de conflit entre la Charte et le Pacte, et s’il est possible pour un particulier d’invoquer les dispositions du Pacte devant les juridictions nationales.

13.M. Santos Pais invite la délégation à donner des précisions sur le manuel de droit international mis à la disposition des magistrats et à indiquer combien de personnes au sein des organes judiciaires, de l’administration pénitentiaire et des corps de police et de sécurité ont reçu une formation aux droits de l’homme au cours des cinq dernières années. S’agissant du transfert de facto par l’État partie de ses pouvoirs juridictionnels au Front Polisario pour les territoires sur lesquels les camps de réfugiés ont été établis dans la ville de Tindouf, et du système gouvernemental et juridictionnel « parallèle » mis en place dans ces camps par le Front Polisario avec l’accord tacite des autorités, la délégation est invitée à dire quelles mesures l’État partie envisage de prendre pour mettre fin à cette situation contraire à ses obligations générales afin d’assurer le respect des droits garantis par le Pacte à toute personne se trouvant sur son territoire et sous sa juridiction, et pour amener les responsables de violations, notamment d’exécutions judiciaires, de disparitions forcées et de tortures contre des réfugiés sahraouis, à répondre de leurs actes. La délégation pourra aussi dire si l’État partie entend prendre des mesures pour répondre aux allégations de disparition forcée, d’exécution judiciaire ou arbitraire, de torture et de détention arbitraire formulées dans les communications soumises au Comité concernant l’Algérie et cesser d’opposer comme seule réponse un document général intitulé « aide-mémoire », et détailler les mesures prises pour donner suite aux constatations adoptées par le Comité dans le cadre de communications individuelles. Elle pourra dire notamment quelles mesures il est envisagé de prendre pour abandonner les poursuites engagées contre M. Rafik Belamrania pour apologie du terrorisme et pour le remettre en liberté, lui accorder réparation et garantir la protection de tous les particuliers qui présentent des communications contre d’éventuelles représailles.

14.M me Brands Kehris note avec préoccupation que le Conseil national des droits de l’homme relève du Président de la République et que ses membres seraient désignés par le pouvoir exécutif. Elle demande quel est le budget de cette institution et s’il est suffisant pour que celle-ci puisse s’acquitter de son mandat. Elle souhaiterait également connaître l’issue des plaintes dont le Conseil a été saisi, et quel est son rôle pour ce qui est des suites à donner aux observations formulées à l’intention du Gouvernement algérien par les organes de traité et les instances internationales. Elle demande également des informations sur la publication des rapports et avis du Conseil et sur la conformité de celui-ci avec les Principes de Paris.

15.Selon les informations dont dispose le Comité, les articles 45 et 46 de l’ordonnance no 06-01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale empêchent les victimes de violations passées et leur famille non seulement d’exercer leur droit à un recours utile mais aussi d’exprimer leur opposition aux mesures d’amnistie appliquées aux forces de défense et de sécurité. La délégation est invitée à commenter ces informations, ainsi que les allégations selon lesquelles des personnes auraient fait l’objet de condamnations, de violences ou de harcèlement pour avoir protesté contre ces mesures d’amnistie et l’impunité qu’elles offrent aux forces de défense et de sécurité, et à indiquer quelles sont les possibilités réelles de contester cette impunité. Elle pourrait également détailler le processus constitutionnel qui permettrait de modifier l’ordonnance de mise en œuvre de la Charte et quelles autres mesures sont envisagées pour garantir le droit des victimes de disparition forcée et de leurs proches à un recours utile et efficace et mettre fin à l’impunité des auteurs de violations graves des droits de l’homme. Des informations précises et exhaustives sur les mesures de grâce, de commutation et de remise de peine et d’extinction de l’action publique prévues par la Charte seraient également les bienvenues. S’agissant des disparitions forcées, Mme Brands Kehris demande à la délégation d’indiquer si l’État partie entend supprimer la disposition conditionnant l’octroi d’une indemnisation à la reconnaissance du décès de la victime et permettre la réouverture des dossiers dans lesquels la famille aurait reconnu le décès d’un proche sous la pression financière ou familiale. Elle répète les questions posées dans la liste de points (CCPR/C/DZA/Q/4/Add.1) au sujet de la découverte de fosses communes, de l’établissement d’un registre central des lieux de détention, du règlement des cas soumis au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires et des garanties de non-répétition. Enfin, elle invite la délégation à décrire les démarches entreprises en vue de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et le Statut de Rome.

16.M.  Koita juge la définition du terrorisme figurant dans la législation algérienne trop large et générale et demande si l’État partie envisage de la modifier pour la rendre conforme aux dispositions du Pacte. Il s’interroge sur ce qui est fait pour garantir que les restrictions imposées aux droits protégés par le Pacte respectent les critères de nécessité et de proportionnalité. Il s’enquiert aussi des enquêtes menées sur les cas de défenseurs des droits de l’homme et de journalistes accusés abusivement d’apologie du terrorisme. S’agissant de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, M. Koita observe que les responsables de tels actes sont souvent des agents des services de renseignement et des forces de l’ordre et que ceux-ci, du fait de l’existence de l’article 45 de l’Ordonnance no 06-01, sont rarement poursuivis. Il invite la délégation à commenter l’information selon laquelle des personnes seraient détenues dans des lieux de détention non officiels ou secrets, où elles seraient soumises à la torture et à d’autres mauvais traitements.

17.M me Jelić demande combien de personnes appartenant à des minorités ethniques et nationales ont exercé leur droit à un recours dans des affaires de discrimination, et s’enquiert des mesures prises pour combattre et prévenir la discrimination, la violence, la stigmatisation et les discours de haine à l’égard des migrants et des demandeurs d’asile et pour améliorer la situation des Mozabites et des Amazighs. Elle se dit préoccupée par l’attitude de l’État vis-à-vis des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT). Enfin, elle relève que les femmes sont particulièrement soumises à la discrimination, que ce soit au travail, dans la sphère familiale ou dans la société en général. Le système de tuteur (wali) et la procédure de divorce dite « khol ’ â », par exemple, sont discriminatoires à l’égard des femmes. La délégation est invitée à s’exprimer sur le sujet et à préciser les mesures prises pour lutter contre les stéréotypes négatifs relatifs aux rôles et responsabilités des femmes dans la vie de famille et dans la société en général, en particulier s’agissant des femmes divorcées.

18.M.  de Frouville demande si la stratégie nationale de lutte contre la violence à l’égard des femmes, élaborée en 2007, a fait l’objet d’une évaluation, si des rapports d’étape ont été rendus et qui les examine, et s’il est possible d’en savoir davantage sur les travaux de la Commission nationale mentionnée dans le rapport. Il demande également si une nouvelle stratégie sur le sujet est en préparation. Citant un rapport de 2011 de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, où il est dit que la violence domestique, qui demeure la manifestation la plus répandue de la violence contre les femmes et les filles, est considérée, tant qu’elle n’occasionne pas de blessure grave, comme un problème qui ne nécessite pas d’intervention juridique, M. de Frouville demande si ce constat est toujours d’actualité, notamment en ce qui concerne la perception subjective de la gravité des violences domestiques, et si le phénomène et ses conséquences négatives demeurent largement invisibles, car subis en silence. Il s’étonne que l’État partie ne cite pas d’autre mesure de sensibilisation que le Prix national de lutte contre la violence à l’égard des femmes, étant donné que la stratégie de lutte contre la violence à l’égard des femmes existe depuis 2007 et que l’on peut supposer que la sensibilisation y joue un rôle important. Des informations sur le bilan tiré de l’application de cette stratégie et sur les perspectives d’avenir seraient donc bienvenues.

19.M. de Frouville se félicite de la réforme du Code pénal intervenue en 2015. Il regrette cependant que le viol ne soit défini que dans la jurisprudence et non par la loi, car il en résulte souvent une correctionnalisation de ces faits, et demande si l’État partie prévoit d’intégrer une définition du viol dans le Code pénal. Sur la question des clauses de pardon, dont l’État partie dit qu’elles ne concernent que les délits et visent à préserver la cohésion familiale, M. de Frouville fait valoir qu’il arrive que les victimes minimisent la gravité de certains actes, tels que le viol conjugal, ou que, du fait du contexte familial et social, elles subissent une pression qui les conduisent à accorder le pardon plutôt que de porter plainte, ce qui nuit à la lutte contre l’impunité. Il souhaiterait donc savoir si l’État partie envisage d’abolir les clauses de pardon pour toutes les formes de violence domestique, y compris celles qui peuvent être qualifiées de délits.

20.Rappelant que l’abrogation de l’article 326 du Code pénal, qui dispose que quiconque enlève une mineure sans violences ni menaces peut échapper aux poursuites s’il l’épouse et que la famille de la victime ne porte pas plainte, a été recommandée par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et dans le cadre de l’Examen périodique universel. M. de Frouville demande si l’Algérie entend suivre ces recommandations. En ce qui concerne le nombre d’enquêtes et de poursuites engagées à la suite d’actes de violence visant des femmes, il remercie l’État partie pour les chiffres précis qui ont été fournis. Il prend note de la relative stabilité du nombre de plaintes entre 2013 et 2015, suivie d’une légère augmentation puis d’une baisse en 2017, mais estime qu’il faudra plus de recul pour analyser les effets de la réforme du Code pénal. Il doute qu’en l’absence de mesures supplémentaires s’inscrivant dans une stratégie de lutte contre la violence, les modifications du Code pénal suffisent à juguler le problème. M. de Frouville demande des précisions sur les mesures d’accompagnement des victimes, et notamment sur le fonctionnement des trois centres d’accueil du pays et le rôle des associations d’aide, dont plusieurs auraient fermé faute de moyens. Il ajoute que le mécanisme d’assistance judiciaire gratuite semble être peu connu des victimes et peu utilisé, et demande quelles mesures l’État partie envisage de prendre pour y remédier. Enfin, il demande si l’État partie pourrait envisager d’étendre le mécanisme existant d’indemnisation des femmes victimes de viols commis par des terroristes à toutes les femmes victimes de viol.

21.Rappelant que dans ses précédentes observations finales (CCPR/C/DZA/CO/3), le Comité avait encouragé l’État partie à prendre toutes les mesures nécessaires pour commuer, dans les plus brefs délais, les peines de mort prononcées pour des crimes qui ne seraient désormais plus passibles de cette peine, à concrétiser son intention d’abolir la peine de mort et à ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, M. de Frouville fait observer que selon les informations communiquées par les organisations non gouvernementales, même si le nombre de crimes passibles de la peine capitale tend à baisser, cette peine reste prévue dans au moins 30 dispositions du Code pénal et du Code de justice militaire et demeure applicable à des crimes qui n’entrent pas dans la catégorie des crimes les plus graves au sens de l’article 6 du Pacte. Il invite la délégation à indiquer si ce chiffre est exact et à dire si l’État partie entend le réduire en limitant l’imposition de la peine de mort aux crimes les plus graves. Il est en outre préoccupé par l’ajout dans le Code pénal d’un article (l’article 293 bis) rendant passible de la peine de mort une nouvelle infraction, alors que l’Algérie observe un moratoire sur l’application de la peine de mort depuis 1993, et demande comment l’État partie entend consolider ce moratoire et continuer à progresser vers l’abolition de la peine de mort. En ce qui concerne les 269 personnes condamnées à mort, les demandes de commutation de peine s’accumulent mais restent sans réponse. M. de Frouville aimerait donc savoir si l’État partie peut prendre l’engagement de commuer les peines capitales sans tarder, comme le Comité l’y a engagé en 2007, afin de rendre le moratoire effectif.

22.M. de Frouville dit que l’État partie ne dispose d’aucune source fiable pour estimer le nombre d’avortements clandestins. Alors que le système de déclaration obligatoire des décès maternels n’a fait état d’aucun décès survenu à la suite d’un avortement depuis son instauration en 2013, l’Association algérienne pour la planification familiale (AAPF) recense quant à elle 8 000 cas d’avortements par an, dont 200 à 300 clandestins. Il existe de grandes inégalités sociales dans le recours à l’avortement : les femmes qui en ont les moyens financiers vont avorter à l’étranger, de manière sécurisée, alors que les autres sont contraintes de recourir à un avortement clandestin mettant leur santé, voire leur vie, en danger. M. de Frouville demande si l’État partie confirme les chiffres avancés par l’AAPF et souhaiterait savoir quelles mesures sont envisagées sur le plan de la prévention et de la collecte de données. Il demande aussi des précisions sur la loi votée en mai 2018 qui assouplit les conditions de recours à l’interruption volontaire de grossesse, et demande si cet assouplissement peut laisser envisager une dépénalisation totale de l’avortement. Il demande enfin quelles mesures sont prévues pour promouvoir la contraception et la planification familiale et quelle est la situation au niveau national dans ce domaine.

La séance est suspendue à 16 h  40  ; elle est reprise à 17  heures.

23.M.  Soualem(Algérie), remerciant les membres du Comité pour leurs questions, explique que l’Algérie est à présent un pays pacifié et tourné vers l’avenir, dont les institutions fonctionnent de manière régulière, malgré les terribles épreuves des années 1990. Faute de définition internationale du terrorisme, l’Algérie a dû s’inspirer des législations d’autres États pour élaborer une loi antiterroriste. L’état d’urgence a pris fin, le couvre-feu a été levé, les cours spéciales ont été dissoutes et les dispositions de la loi antiterroriste ont été intégrées dans le Code pénal et rien, malgré le défi posé par les activités terroristes dans le Sahel, ne vient limiter l’exercice des libertés dans le cadre de la loi. Il faut toutefois garder à l’esprit que le Pacte permet de restreindre l’exercice de certaines libertés dans certaines circonstances. La liberté de rassemblement pacifique est respectée : pas moins de 17 000 manifestations ont été organisées sur le territoire dans le cadre des élections de 2017, par exemple.

24.Le préambule de la Constitution, telle que modifiée en 2016, appelle les générations futures à la tolérance, à l’ouverture et au pardon, à des fins de non-répétition, et de nombreuses mesures de déradicalisation et de réappropriation du champ religieux ont été prises, dont la formation des imams et la révision des manuels scolaires constituent un pan important. La Charte pour la paix et la réconciliation nationale a été approuvée par le peuple, qui a chargé l’État de la mettre en œuvre, et une éventuelle modification de ce texte ne pourra être décidée que par référendum. Les agents chargés de l’application des lois ont agi conformément à leur mandat dans le cadre de la lutte antiterroriste, et si toutefois il était prouvé que des agents ont agi hors de leur mission constitutionnelle, ils seraient punis. Il convient de distinguer les missions républicaines des institutions de certains comportements individuels extérieurs à ces missions. En ce qui concerne les violations des droits de l’homme qui auraient lieu dans les camps de réfugiés de Tindouf, M. Soualem fait valoir que ces territoires sont administrés par le Front Polisario, en vertu de la règle du Haut-Commissariat pour les réfugiés selon laquelle les populations des camps de réfugiés doivent s’administrer elles-mêmes. Il appelle à un élargissement du mandat de la MINURSO aux questions relatives aux droits de l’homme, et dit que seul un mécanisme neutre et impartial sera en mesure de faire la lumière sur ce qui se passe dans ces lieux.

25.Le Conseil national des droits de l’homme est issu de la réforme constitutionnelle de 2016. Ses membres proviennent de la société civile ; ils sont désignés par les organisations non gouvernementales et non par l’exécutif, et ils ont élu eux-mêmes leur présidente. Le Conseil est indépendant : il vote son budget, qu’il soumet à la Commission des finances, et recrute son propre personnel, qui a un statut dérogatoire à celui de la fonction publique.

26.M. Soualem dit que si tous les États Membres de l’ONU peuvent s’accorder sur des valeurs fondamentales comme l’interdiction de la torture et de l’esclavage ou l’importance de la personnalité juridique, les vues divergent sur d’autres points, comme sur la question du statut personnel. Dans la culture musulmane, le mariage homosexuel n’est pas acceptable et l’Algérie n’entend pas modifier l’article du Code pénal relatif à l’homosexualité. Il convient de respecter la sensibilité de chaque religion, ainsi que la diversité qui fait la richesse des Nations Unies. M. Soualem rappelle que la loi algérienne autorise l’interruption volontaire de grossesse en cas de danger pour la santé de la mère ou de l’enfant. Il dit ne pas pouvoir fournir de statistiques sur les avortements clandestins, du fait même de leur caractère clandestin.

27.M.  Sid Ahmed (Algérie) affirme qu’il n’y a pas de lieux de détention secrets dans son pays et que les allégations concernant l’existence supposée de tels lieux sont totalement dénuées de fondement. L’Algérie s’est dotée une panoplie de dispositions législatives et de mesures garantissant une surveillance stricte de la légalité de la détention. En particulier, le Code de procédure pénale prévoit que toute personne placée en garde à vue doit être examinée par un médecin et jouit du droit de recevoir des visites de sa famille et de son avocat. En outre, à la suite des modifications qui ont été apportées en 2016 à la Constitution, les lieux de garde à vue et de détention provisoire sont placés sous le contrôle du Procureur de la République.

28.La formation des magistrats et des agents pénitentiaires comprend plusieurs modules de formations aux droits de l’homme, qui seront renforcés dans les années à venir. Le Ministère de la justice organise, en collaboration étroite avec des mécanismes multilatéraux régionaux ainsi qu’avec l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, l’Union africaine et d’autres organismes de l’ONU, des cycles de formation continue destinés aux magistrats, aux agents pénitentiaires et aux membres des services de sécurité.

29.Le nombre d’affaires dans lesquelles des poursuites ont été intentées au titre des articles 45 et 46 de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale est négligeable. L’une des affaires citées par les experts du Comité concerne un terroriste repenti qui a de ce fait bénéficié des dispositions de la Charte, mais qui a ensuite été inculpé de terrorisme car il a commis des actes en contradiction avec ses engagements en tant que repenti. Ayant une obligation de réserve en ce qui concerne les affaires judiciaires en cours, M. Sid Ahmed ne peut donner de plus amples détails à ce sujet. La définition d’un acte terroriste figurant à l’article 87 bis du Code pénal est fondée sur le décret législatif relatif à la lutte contre la subversion et le terrorisme adopté en 1992, à une époque où il était urgent pour l’Algérie de se doter d’une législation dans ce domaine. Depuis, la définition du terrorisme a fait l’objet de plusieurs révisions et, actuellement, le Ministère de la justice collabore étroitement avec les organes de l’ONU, dont la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme, afin d’améliorer sa législation interne relative à la lutte contre le terrorisme. Des modifications ont récemment été apportée à cette définition à la lumière de la résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité sur les combattant terroristes étrangers. Enfin, plusieurs éléments de la législation relative à la lutte contre le terrorisme sont formulés de façon à laisser une marge d’appréciation aux juges et, à ce jour, aucune affaire n’a été jugée d’une manière incompatible avec le Pacte.

30.M.  Soualem (Algérie) dit que, comme cela a été expliqué lors de l’Examen périodique universel auquel son pays s’est soumis en 2017, l’Algérie ne peut pas ratifier le Statut de Rome car elle est liée par une décision de l’Union africaine exhortant ses États membres à dénoncer le Statut au motif que la plupart des suspects que la Cour pénale internationale cherche à juger proviennent du continent africain. En ce qui concerne la coopération avec les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales, M. Soualem signale que, depuis 2011, l’Algérie a adressé 13 invitations à des titulaires de mandat et que six titulaires ont déjà effectué une visite dans le pays. Il est prévu que le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats se rende en Algérie au cours du deuxième semestre de 2018. Une demande de visite du Groupe de travail sur les disparitions forcées, qui souhaiterait se rendre en Algérie en 2019, est en cours d’examen.

31.Tous les Algériens ont le droit de se voir délivrer un passeport quelle que soit leur confession. Aucune autorité administrative ne peut rejeter une demande de passeport sur la base de l’appartenance religieuse et ce n’est que sur décision judiciaire qu’un citoyen algérien peut être privé de passeport. Aucune différence de traitement fondée sur la religion n’est autorisée et les communautés non musulmanes sont soumises aux mêmes règles que celles qui sont applicables aux musulmans.

32.Un moratoire sur la peine de mort est en vigueur depuis 1993, année où la dernière exécution capitale a eu lieu dans le pays. Les dispositions relatives à la peine de mort sont encore en vigueur, mais cette peine n’est prononcée que par contumace, lorsque l’accusé ne comparaît pas à l’audience. S’il se présente ultérieurement devant le tribunal et fait valoir ses arguments, la condamnation à mort est généralement annulée et une peine moins sévère est prononcée. La Commission nationale des droits de l’homme a organisé des débats sur l’abolition de la peine capitale, auxquels des universitaires et des personnalités religieuses ont participé. Pour le moment, l’abrogation des dispositions relatives à la peine de mort n’est pas à l’ordre du jour car les mentalités évoluent lentement et la société n’est pas encore prête à accepter une telle modification de la législation.

33.Le Président de la République a chargé les conseils des droits de l’homme des wilayas de collecter des informations sur les personnes disparues, de compiler ces renseignements dans un document et de formuler des recommandations. Ce rapport n’a pas été rendu public, mais les conclusions qui y figurent ont donné lieu à l’adoption de mesures en faveur des ayants droits et des victimes.

34.M me Khoudir (Algérie) dit qu’en 2013, une commission nationale chargée de la lutte contre la violence à l’égard des femmes a été créée. Cette commission a pour mission de mettre en œuvre la stratégie correspondante et d’assurer son suivi, d’améliorer la prise en charge des femmes victimes de violence, de mener des activités de prévention, de promouvoir l’autonomisation des femmes et de sensibiliser le public à ce problème. Des centres d’écoute, d’orientation et d’accompagnement des victimes ont été créés dans l’ensemble des wilayas. À la fin du premier semestre de 2017, près de 7 400 femmes avaient bénéficié de ces services. Parmi elles, près de 700 avaient été hébergées, plus de 3 300 avaient reçu une aide financière et près de 3 500 avaient pu réintégrer leur milieu familial. Le pays compte deux centres nationaux accueillant les femmes et les filles victimes de violence et un troisième centre de ce type est en cours de création. En outre, le Ministère de la solidarité a mis en place cinq centres de prise en charge temporaire, qui sont répartis dans tout le pays, ainsi que des établissements spécialisés dans la protection et la réadaptation des jeunes filles de moins de 18 ans.

35.M me Jelić demande quelles mesures sont prises pour prévenir et combattre les discours de haine visant les Amazigh.

36.M.  Ben Achour tient à préciser que le Comité ne remet nullement en question le bien-fondé de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et que, de toute évidence, on ne saurait reprocher à un État qui a traversé une période extrêmement troublée comme c’est le cas de l’Algérie de chercher à rétablir la paix sur son territoire. Cela étant, force est de constater que certaines dispositions de l’ordonnance no 06-01 portant mise en œuvre de la Charte ne sont pas conformes au Pacte. En conséquence, la position de principe du Gouvernement algérien, qui conteste en bloc la recevabilité des communications dont est saisi le Comité au motif qu’elles sont contraires à la Charte, est contestable et devrait être revue, d’autant plus que certaines de ces communications portent sur des affaires de corruption qui n’ont aucun rapport avec la réconciliation nationale.

37.La Présidente dit que, compte tenu de l’heure tardive, la délégation finira de répondre aux questions du Comité à la séance suivante.

La séance est levée à 18 h 5.