NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international

relatif aux droits civils

et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.237312 septembre 2006

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre‑vingt‑septième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 2373e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mercredi 12 juillet 2006, à 15 heures

Présidence: Mme CHANET

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE

Deuxième rapport périodique de la République centrafricaine

La séance est ouverte à 15 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (point 6 de l’ordre du jour)

Deuxième rapport périodique de la République centrafricaine (CCPR/C/CAF/2004/2; CCPR/C/CAF/Q/2)

1. Sur l’invitation de la Présidente, M. MALEYOMBO, M. DIBA et M. FINDIRO (République centrafricaine) prennent place à la table du Comité.

2.La PRÉSIDENTE souhaite la bienvenue à la délégation centrafricaine et rappelle qu’à sa quatre‑vingt‑unième session, en juillet 2004, le Comité avait examiné la situation des droits de l’homme en République centrafricaine en l’absence du rapport initial. Une délégation de l’État partie participait toutefois à l’examen. Le Comité avait adopté des observations finales provisoires, dans lesquelles il demandait à l’État partie de lui soumettre sans retard un rapport. Ce rapport a été établi dans les délais prescrits, et la Présidente invite maintenant le chef de la délégation centrafricaine à le présenter.

3.M. MALEYOMBO (République centrafricaine) rappelle que la République centrafricaine a adhéré à l’Organisation des Nations Unies l’année même de son accession à l’indépendance, et son engagement en faveur des droits de l’homme s’est traduit depuis par la ratification d’un certain nombre d’instruments internationaux, dont le Pacte en 1981. Le deuxième rapport périodique sur l’application de cet instrument témoigne à la fois du respect des obligations auxquelles l’État partie a souscrit et de l’engagement des nouvelles autorités nationales (élues en 2005) en faveur des droits de l’homme. Les autorités centrafricaines sont résolues à tout mettre en œuvre pour que le respect des droits de l’homme devienne une réalité dans leur pays, signe d’une réelle volonté politique de construire un État régi par le droit dans lequel les droits et libertés fondamentaux seront pleinement garantis. Ainsi, lors de sa dernière session au printemps 2006, l’Assemblée nationale a adopté une loi autorisant la ratification de la Convention sur la prévention et la lutte contre la corruption ainsi qu’une loi autorisant l’approbation de l’Accord sur les privilèges et immunités de la Cour pénale internationale. En outre, il est prévu d’établir un accord de partenariat avec la Cour et, dans cette perspective, deux ateliers de formation et de sensibilisation à la teneur du Statut de Rome ont été organisés. Parallèlement, le Gouvernement envisage de ratifier un certain nombre d’autres instruments internationaux, en particulier la Convention no 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants.

4.Il importe que le Comité connaisse les graves problèmes de sécurité auxquels se heurte la République centrafricaine en matière de sécurité depuis décembre 2005. Après l’organisation d’élections présidentielles et législatives libres et démocratiques au printemps 2005, dont les résultats ont été salués par la communauté internationale, la paix, la sécurité et le respect des droits de l’homme sont aujourd’hui gravement menacés par des ennemis non seulement de la République centrafricaine mais surtout de la démocratie. Le pays subit les actes d’agression de bandes armées et de groupes rebelles soutenus par des puissances étrangères, et cette situation aura nécessairement des conséquences sur le respect des droits de l’homme. Aussi la délégation centrafricaine lance‑t‑elle, au nom de son gouvernement, un appel solennel à la communauté internationale afin qu’elle condamne très fermement les agressions dont son pays est victime.

5.La volonté du Gouvernement centrafricain de respecter ses engagements en matière de présentation de rapports sur l’application des instruments internationaux qui ont été ratifiés devrait permettre un dialogue constructif avec le Comité des droits de l’homme, dont les remarques et observations seront les bienvenues car elles aideront le Gouvernement centrafricain dans la mise en œuvre de sa politique de promotion et de protection des droits de l’homme.

6.La PRÉSIDENTE invite la délégation centrafricaine à répondre aux questions nos 1 à 16 de la liste des points à traiter (CCPR/C/CAF/Q/2). Elle précise que, fait suffisamment rare pour être mentionné, les autorités centrafricaines ont fait parvenir au Comité des réponses écrites à la liste des points dans un délai qui a permis au secrétariat d’en faire traduire le texte dans les trois langues de travail du Comité (CCPR/C/CAF/Q/2/Add.1).

7.M. MALEYOMBO (République centrafricaine), en réponse à la question no 1 concernant la place du Pacte, dit que l’adhésion de la République à cet instrument est réaffirmée dans le préambule de la Constitution du 27 décembre 2004, ce qui lui confère une valeur constitutionnelle. Toutefois, il n’a pas encore été invoqué devant des tribunaux ou des autorités administratives.

8.En ce qui concerne les mesures prises pour enquêter sur les violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises lors des événements de 2002 et de 2003 (question no 2), M. Maleyombo dit que, au lendemain du sursaut patriotique du 15 mars 2003, le parquet près le tribunal de grande instance de Bangui a ouvert une enquête pour évaluer pleinement l’ampleur de ces violations. L’enquête a bénéficié de l’appui du Programme des Nations Unies pour le développement et a permis la saisine de la Cour pénale internationale. De plus, la Cour de cassation centrafricaine vient de décider de renvoyer les auteurs, coauteurs et complices présumés devant cette juridiction internationale.

9.M. FINDIRO (République centrafricaine) ajoute que l’enquête a permis de recenser le nombre des victimes des événements politiques et militaires de 2002 et 2003 qui avaient entraîné des viols, des assassinats et des atteintes aux biens. La décision de la Cour de cassation visant à donner compétence à la Cour pénale internationale s’explique en partie par l’insuffisance des ressources matérielles et humaines du système judiciaire centrafricain.

10.M. MALEYOMBO (République centrafricaine), répondant à la question de la suite donnée aux recommandations du «dialogue national» de 2003 relatives à la création d’une commission «vérité et réconciliation» et d’un fonds d’indemnisation des victimes (question no 2), dit que la mise en œuvre de ces recommandations a été confiée au Conseil de la médiation, dirigé par l’ancien Vice‑Président de la République, et que la loi relative à cette structure vient seulement d’être adoptée, en mai 2006. Il faut bien voir aussi que le pays traverse une période difficile, et le Gouvernement est encore à la recherche des fonds nécessaires pour donner effet aux deux recommandations.

11.Pour répondre aux questions nos 3 et 4 concernant les poursuites et les condamnations des auteurs de violations des droits de l’homme et l’indemnisation des victimes, M. Maleyombo fait observer que les mentalités doivent encore évoluer sur ce point; le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme et à la bonne gouvernance s’efforce de sensibiliser la population à ses droits, en particulier le droit à réparation. Quoi qu’il en soit, un grand nombre de procédures judiciaires ont été engagées, que ce soit à la suite de plaintes de particuliers ou d’office. Elles ont abouti à plusieurs condamnations à des peines d’amende ou de privation de liberté. En ce qui concerne les violations commises par des membres des forces armées, là encore plusieurs procédures ont abouti à des sanctions. Enfin, il convient de souligner que le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme et à la bonne gouvernance, que dirige M. Maleyombo, est une institution placée sous l’autorité du Président de la République, qui est également le Ministre de la défense et le chef des armées. Le Président de la République et M. Maleyombo se rencontrent régulièrement et examinent dans ce cadre les questions relatives aux violations des droits de l’homme commises par des membres des forces armées.

12.En ce qui concerne les mesures prises pour conférer les mêmes droits aux époux dans le cadre du mariage et pour abolir la polygamie (question no 5), le Comité des droits de l’homme avait estimé à sa quatre‑vingt‑unième session que le Code de la famille centrafricain était obsolète et, de retour dans son pays, la délégation centrafricaine avait exprimé la volonté d’entreprendre une réforme dans ce domaine. Malheureusement, ce sont les femmes centrafricaines qui se sont opposées aux réformes. Toutefois, les autorités s’efforcent de poursuivre dans la voie du changement et les dispositions du Code de la famille relatives à l’autorité parentale, au choix de la résidence des époux et à la polygamie sont actuellement remises en cause. Si l’autorité parentale et le choix de la résidence des époux incombent au mari qui est le chef de famille, l’épouse peut cependant exercer ces droits en cas d’absence du mari ou sur autorisation expresse du juge.

13.Pour ce qui est des mesures prises pour garantir une représentation équitable des femmes dans la vie politique (question no 6), il n’existe pas de dispositions législatives particulières à cet  effet. Toutefois, dans la pratique, le Gouvernement s’efforce d’appliquer le principe de l’égalité entre hommes et femmes consacré dans les instruments internationaux et la Constitution de la République centrafricaine, en appliquant un système de quotas pour la participation des femmes aux affaires publiques. Conscient du rôle important des femmes dans le développement économique et social d’une part et des faibles résultats de la politique de promotion de la femme menée jusque‑là d’autre part, le Gouvernement centrafricain a adopté en novembre 2005 une Politique nationale de promotion de l’égalité et de l’équité de genre, qui devrait permettre de réduire sensiblement les disparités entre hommes et femmes. Le principe de l’égalité est l’un des piliers d’un développement humain durable, mais les femmes centrafricaines connaissent encore mal leurs droits et leurs devoirs et surtout elles sont handicapées par le poids des traditions, continuant d’être victimes de violences, de discriminations et de marginalisation. En dépit des actions menées par le Gouvernement et les ONG féminines, elles manifestent encore peu d’intérêt pour les questions politiques. On peut cependant relever un certain nombre de progrès importants: la République centrafricaine compte aujourd’hui 2 femmes ministres, 11 femmes députées et les femmes sont également présentes dans différentes structures politiques importantes. Le Cabinet du Premier Ministre est dirigé par une femme et on trouve un certain nombre de femmes à la tête d’entreprises publiques.

14.En réponse aux questions concernant la peine capitale (question no 7), M. Maleyombo indique que les crimes passibles de cette peine en vertu du nouveau Code pénal sont ceux qui relèvent du Statut de la Cour pénale internationale (c’est‑à‑dire le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité) et les atteintes à la vie (assassinat, meurtre, empoisonnement, parricide, infanticide et terrorisme). La question de l’abolition de la peine de mort est encore en discussion, mais il faut bien voir que la majorité de la population s’oppose farouchement à l’abolition du fait des problèmes liés à l’insécurité et au grand banditisme. Il faut savoir toutefois que, si la peine de mort a été prononcée dans quelques cas, elle n’a plus été appliquée depuis 1981.

15.M. FINDIRO (République centrafricaine), répondant en bloc aux questions nos 8 et 10 concernant les exécutions sommaires et extrajudiciaires dont serait responsable l’Office central de répression du banditisme et les mesures prises pour mettre fin aux actes de torture commis par les forces de l’ordre et pour en poursuivre les auteurs, dit que, en l’absence de plaintes présentées par les familles des victimes, le parquet de Bangui a engagé des poursuites systématiques contre les auteurs d’exécutions sommaires et extrajudiciaires qui étaient membres de l’Office central de répression du banditisme, ordonnant leur arrestation et leur placement en détention. Il en a été de même pour tous les agents des forces de défense et de sécurité qui s’étaient rendus coupables de telles pratiques. Les résultats obtenus sont encourageants, puisque aucun cas d’exécution sommaire et extrajudiciaire n’a été enregistré depuis la fin de 2005. La même procédure a été appliquée aux auteurs d’actes de torture.

16.À propos du nombre de poursuites et de condamnations pour des exactions commises contre la population civile, principalement depuis le 15 mars 2003 (question no 9), M. Findiro précise que l’établissement de statistiques criminelles est entravé par le manque de ressources. Des efforts soutenus sont cependant déployés dans ce domaine depuis le début de l’année par les services judiciaires de Bangui, qui ont ainsi recensé, entre janvier et avril 2006, 224 condamnations prononcées par le Tribunal correctionnel. En ce qui concerne les juridictions militaires, le Tribunal militaire permanent a tenu entre 2003 et 2005 trois sessions, qui ont abouti à 190 condamnations de membres des forces de défense ou de sécurité pour différentes infractions (assassinat, meurtre, viol, coups et blessures volontaires, arrestation arbitraire, destruction de la carte nationale d’identité, etc.). Ce tribunal devait tenir une nouvelle session du 15 juin au 17 juillet 2006 pour juger 32 affaires, mais la session a été reportée au 30 juillet prochain.

17.M. DIBA (République centrafricaine), en réponse à la question sur les mesures prises pour mettre fin aux mutilations génitales (question no 11), précise tout d’abord que la Politique nationale de promotion de l’égalité et de l’équité de genre qui a été adoptée en novembre 2005 vise à promouvoir et protéger les droits fondamentaux des femmes, à réduire les inégalités par l’adoption de mesures spécifiques en faveur de certaines catégories de femmes et à encourager la participation de ces dernières au développement du pays. Le Gouvernement a aussi décidé récemment la révision du Plan d’action pour la lutte contre les pratiques néfastes et les violences à l’égard des femmes et des filles en Centrafrique, issu de la politique nationale de promotion de la femme qui avait été adoptée en 1999.

18.La pratique de l’excision touche essentiellement les Bandas (83,9 %), les Mandjas (71 %), les Haoussas (42 %), les Saras (35,8 %) et les Gbayas (31,7 %). Quatre autres groupes ethniques (Ngbaka‑Bantou, Zande‑Nzakara, Mbum et Yakoma‑Sango) pratiquent également l’excision, mais dans des proportions beaucoup plus faibles (respectivement 5,6 %, 3,9 %, 3,1 % et 3 %). Cette pratique n’existe pas dans les autres groupes ethniques. Si l’on considère que la République centrafricaine compte plus d’une centaine d’ethnies, ce sont donc moins de 20 % d’entre elles qui sont concernées par la pratique des mutilations génitales. Comme il touche essentiellement les femmes et les filles vivant dans les zones rurales, les autorités ont développé, en partenariat avec les ONG, des stratégies tenant compte du taux élevé d’analphabétisme pour sensibiliser les exciseuses, les parents, etc. à la nécessité de mettre fin à la pratique de l’excision. Ces campagnes de sensibilisation ont permis d’abaisser le taux de 36 % de femmes et filles excisées qui avait été enregistré en 2000. Pour mieux orienter son action, le Gouvernement a diligenté une nouvelle enquête, en partenariat avec le PNUD, qui devrait permettre d’établir des statistiques à jour. Les enquêteurs sont actuellement à pied d’œuvre, mais leur tâche est entravée par les tensions militaires dans le nord‑est du pays, où des groupes armés appuyés par des pays étrangers occupent une partie du territoire national et où les forces de sécurité sont mobilisées.

19.M. MALEYOMBO (République centrafricaine) ajoute qu’il faudra un certain temps pour que cessent les mutilations génitales. À l’heure actuelle, les campagnes de sensibilisation et d’éducation visent à montrer que l’excision constitue une atteinte à la vie. Dans un deuxième temps, il est envisagé de prendre, en coopération avec le Ministère de la justice, des mesures concrètes visant à interdire cette pratique.

20.M. FINDIRO (République centrafricaine), concernant la notion de «travaux les plus pénibles» qui figure à l’article 25 du projet de nouveau Code pénal (question no 12), dit qu’il s’agit incontestablement d’une erreur, qui sera rectifiée.

21.Concernant les délits de charlatanisme et de sorcellerie (question no 13), le projet de nouveau Code pénal reprend entièrement les dispositions en vigueur mais, vu l’ambiguïté des éléments constitutifs de l’infraction, aucune condamnation à mort n’a jamais été prononcée dans ce genre d’affaires, d’ailleurs rares.

22.Le général de brigade Ferdinand Bombayake, ancien Directeur général de l’Unité de sécurité présidentielle (question no 14) a été libéré en octobre 2005. Il se trouve à Bangui et vaque librement à ses occupations.

23.En ce qui concerne la garde à vue et la détention provisoire (question no 15), la durée maximale de la garde à vue est de 48 heures pour les délits et de huit jours pour les crimes, avec possibilité de prorogation. Les troubles politiques et militaires survenus en République centrafricaine ont notamment eu pour conséquence que la police et la gendarmerie se sont retrouvées dans l’incapacité de traiter les dossiers rapidement, faute des équipements nécessaires. De plus, s’ils sont remis en liberté prématurément, les criminels risquent de rencontrer leurs victimes, ce qui risque de donner lieu à l’exercice d’une justice privée. La durée de la détention provisoire n’est pas réglementée, mais dans le projet de nouveau code de procédure pénale elle est fixée à six mois. Bien que ne figurant pas dans le Code en vigueur, l’assistance d’un avocat et d’un médecin est déjà accordée aux personnes en détention et sera expressément prévue dans le nouveau Code.

24.En qui concerne la garde à vue militaire (question no 16), aucune mesure n’a encore été adoptée pour en réduire la durée. Toutefois, le Code de justice militaire a été révisé avec le concours du Bureau d’appui des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (BONUCA) et le projet de texte est devant l’Assemblée nationale. Sur le plan strictement militaire, les membres des forces armées coupables d’infractions à la discipline sont punis de sanctions déterminées par l’armée seule.

25.La PRÉSIDENTE invite les membres du Comité à poser des questions complémentaires à la délégation de l’État partie à la suite des réponses données aux questions écrites.

26.M. GLÈLÈ AHANHANZO regrette que le rapport périodique contienne peu de données factuelles et statistiques. Il demande des précisions sur la place exacte du Pacte dans le droit interne et sur les raisons qui font que ni les particuliers ni les juridictions n’invoquent le Pacte, au contraire de ce qui se passe ailleurs.

27.La saisine de la Cour pénale internationale par la République centrafricaine à la suite des violations des droits de l’homme commises dans le pays en 2002‑2003 est une excellente chose mais elle n’exonère pas le Gouvernement de sa responsabilité de poursuivre les responsables au niveau local, point sur lequel des données statistiques seraient utiles. En outre, la délégation a mentionné des «poursuites judiciaires systématiques» sans en exposer les bases et sans dire quelles sont les garanties mises en place contre l’arbitraire que l’on peut craindre au vu de la situation dans le nord du pays et dans les pays limitrophes.

28.Il conviendrait que la délégation donne de plus amples renseignements sur les efforts accomplis pour donner suite à la recommandation formulée en 2003 par le Comité visant à créer une commission de la vérité et de la réconciliation et un fonds d’indemnisation des victimes, le manque de moyens ne pouvant indéfiniment servir d’excuse à l’inaction. La réponse donnée à la question relative à la torture n’est pas suffisante pour réfuter les allégations de torture systématique présentées par plusieurs organisations non gouvernementales auprès de l’Union africaine et de l’ONU. Le Comité attend des détails sur ces pratiques et les mesures concrètes prises pour y mettre fin.

29.En ce qui concerne la garde à vue, M. Glèlè Ahanhanzo voudrait savoir si les juges interviennent, en droit et en pratique, dans la prorogation de la détention. Par ailleurs, le sous‑équipement de la police judiciaire ne peut justifier le maintien en garde à vue au‑delà des délais légaux. Des détails sur la mort du sergent Claude Sanzé, dont les circonstances sont quelque peu douteuses, seraient bienvenus.

30.M. LALLAH note que la délégation centrafricaine invoque le manque de moyens pour expliquer certains problèmes, mais que le rapport périodique décrit un pays aux ressources naturelles abondantes, notamment en or et en diamant. Eu égard à l’article premier du Pacte, en vertu duquel tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, on peut se demander ce qu’il advient des recettes tirées des réserves d’or et de diamant et, si ces recettes sont détournées, quelles sont les mesures prises pour y remédier. Les contraintes, l’ignorance et le manque de volonté évoqués dans le rapport ne constituent pas une réelle explication.

31.La délégation a souligné la volonté des pouvoirs publics de combattre l’excision mais s’abrite derrière la coutume pour expliquer la lenteur des progrès accomplis. En cela, la situation n’a pas changé depuis la dernière fois que la République centrafricaine a rendu compte de la situation en la matière devant le Comité. Pourtant le Pacte fait à l’État partie concerné l’obligation d’agir avec détermination, notamment sur le plan législatif.

32.La République centrafricaine avait déjà annoncé la révision du Code pénal et du Code de procédure pénale en 2004. La délégation devrait indiquer dans quel délai on peut espérer que les nouvelles dispositions entrent en vigueur. En ce qui concerne le charlatanisme et la sorcellerie, on peut s’étonner que la révision du Code pénal n’ait pas été mise à profit pour apporter de la clarté à des dispositions dont l’État partie reconnaît l’inadéquation.

33.En ce qui concerne l’invocation du Pacte devant les tribunaux, la délégation a indiqué qu’aucune plainte individuelle n’avait été déposée sur la base du Pacte mais n’a rien dit de l’action que le Haut‑Commissaire aux droits de l’homme et à la bonne gouvernance aurait pu mener dans ce domaine. Il y a de plus une contradiction entre cette réponse et l’affirmation de la délégation selon laquelle de nombreuses procédures judiciaires ont été déclenchées à la suite de plaintes individuelles pour violation des droits de l’homme.

34.En ce qui concerne la polygamie, l’égalité entre les sexes et les mutilations génitales féminines, il est difficile de croire que ce sont les femmes qui font obstacle aux réformes proposées, comme la délégation l’a avancé sans autre développement. Il convient que la délégation étoffe sa réponse et en dise plus sur d’éventuelles consultations populaires dont on pourrait induire les aspirations des intéressées.

35.M. KHALIL demande si la liste des crimes emportant la peine capitale est exhaustive et si la délégation peut donner une définition du terme «terrorisme». Il souhaite également connaître les éventuels obstacles à l’adoption du nouveau Code pénal, déjà évoquée devant le Comité il y a 10 ans puis de nouveau en 2004, et la date à laquelle on peut s’attendre à ce qu’il entre en vigueur. Rappelant que dans ses observations provisoires de 2004, le Comité a noté avec préoccupation les exécutions sommaires et extrajudiciaires commises par l’Office central de répression du banditisme (OCRB), et relevant que l’État partie, au paragraphe 204 de son rapport, admet candidement que l’OCRB «pratique systématiquement des exécutions sommaires et extrajudiciaires en toute impunité» et note dans ses réponses écrites qu’aucun cas n’a été enregistré depuis fin 2005 mais que les parents des victimes ne portent pas toujours plainte, M. Khalil demande si l’OCRB a réellement mis un terme à ces pratiques. En effet, les informations communiquées par des ONG, le paragraphe 18 du rapport du Secrétaire général sur la situation en République centrafricaine (S/2006/441), ou encore l’affaire «Sanzé et Kapita» mentionnée par M. Glèlè Ahanhanzo portent à s’interroger sur la mesure dans laquelle les autorités contrôlent l’OCRB.

36.Dans ses observations provisoires de 2004, le Comité avait demandé à l’État partie de «rétablir la sécurité sur l’ensemble du territoire» et de protéger la population civile des exactions commises «par certains éléments incontrôlés, en particulier les “ex‑libérateurs”»; si la délégation a indiqué que la situation est extrêmement difficile dans le nord du pays depuis décembre 2005, il reste que la question portait aussi sur les victimes de mars 2003. Bien que, d’après la délégation, les victimes de cette époque n’aient pas eu droit à une indemnisation ou à une réparation faute des fonds nécessaires, on peut se demander jusqu’à quel point ce «manque de fonds» n’est pas un manque de volonté d’aider ces personnes.

37.Le 13 juillet 2004, la délégation de l’État partie avait annoncé que les mutilations génitales féminines seraient érigées en infraction dans le nouveau Code pénal, mesure qui irait dans le bon sens car l’incrimination de ce fléau renforcerait la capacité de l’État de l’éliminer. M. Khalil souhaite savoir si cette promesse a été tenue même si, à l’évidence, l’interdiction ne suffit pas et doit s’accompagner d’un changement profond des mentalités. En ce qui concerne les pratiques de charlatanisme et de sorcellerie, il a déduit de la réponse écrite de l’État partie qu’elles constituent toujours des infractions passibles de la peine capitale, même si celle‑ci n’est pas appliquée. Étant donné qu’en juillet 2004 l’État partie s’était engagé à décriminaliser ces infractions, il souhaite savoir si le nouveau Code pénal prévoit toujours la même peine.

38.M. JOHNSON relève avec satisfaction les efforts et les progrès faits par la République centrafricaine. Il souhaite connaître la situation actuelle du général Ferdinand Bombayaké, notamment s’il se trouve sur le territoire de l’État partie et pour quels motifs les autorités ont décidé de le remettre en liberté. Il souhaite également savoir si l’État partie a pris des mesures concrètes pour modifier le régime de la garde à vue et des détentions militaires.

39.M. AMOR fait observer que le rapport de la République centrafricaine est assez formel mais sincère puisqu’il évoque et reconnaît des problèmes essentiels. Il demande si la structure ethnique et politique du pays d’une part et sa situation régionale d’autre part ont des répercussions sur l’impunité, la sécurité et la mise en œuvre du Pacte. En ce qui concerne l’alternance entre les armes et les urnes, il note avec satisfaction que le préambule de la Constitution de l’État partie contient une ferme opposition à la conquête du pouvoir par la force et demande si des efforts sont faits pour favoriser une culture de la légitimité démocratique du pouvoir, afin qu’il n’y ait plus d’alternance et que les urnes l’emportent définitivement.

40.Pour ce qui est du statut du Pacte, dont la délégation a dit qu’il a une valeur constitutionnelle, il fait observer que la référence au Pacte est faite dans le préambule, lequel relève davantage de la proclamation de foi que de dispositions juridiques obligatoires – ce que confirme le texte de la Constitution de la République centrafricaine, dont les articles 71 et 72 disposent que les traités internationaux ont une valeur supralégale mais infraconstitutionnelle. En outre, la République centrafricaine a opté, comme la Convention de Vienne sur le droit des traités l’y autorise, pour un système dualiste qui maintient une séparation claire entre l’ordre interne et l’ordre international. Les dispositions du Pacte ne sont pas incorporées directement et automatiquement dans le droit interne de l’État partie, si bien que le Pacte n’est pas immédiatement applicable et ne peut pas être invoqué directement, notamment par les particuliers devant les juridictions et les autorités administratives; il n’a d’effet que dans la mesure où des textes de droit interne le reprennent expressément, ce qui ne semble pas être le cas. M. Amor souhaite donc savoir si l’État partie serait prêt à passer au crible l’ensemble de sa législation de manière à la modifier, si nécessaire, pour qu’elle soit pleinement compatible avec le Pacte.

41.Dans la plupart des pays, l’opinion publique est favorable à la peine de mort et il ne faut pas sous‑estimer la fonction pédagogique de l’État, qui doit faire preuve de volontarisme politique et juridique pour parvenir à l’abolir. Cela devrait être d’autant plus facile en République centrafricaine qu’il n’y a pas eu d’exécution depuis 1981. De même, pour ce qui est de la condition des femmes, on peut comprendre que certaines femmes ne souhaitent pas de promotion compte tenu de l’éducation qu’elles ont reçue et d’une certaine forme de misogynie bien établie – mais là aussi, la responsabilité de l’État est grande, car c’est à lui qu’il incombe de donner l’impulsion nécessaire, de provoquer les changements appropriés et de donner plein effet aux engagements qui sont les siens.

42.Sir Nigel RODLEY dit qu’il ne comprend pas pourquoi la peine capitale est applicable à des crimes énoncés dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, alors que celle‑ci ne prévoit pas ce châtiment. Il ne voit pas non plus comment l’opinion publique aurait pu forcer le Gouvernement à imposer cette peine pour des crimes qui n’ont été introduits que récemment dans la législation du pays, lequel est abolitionniste de fait depuis 1981.

43.En ce qui concerne la garde à vue de huit jours qui est prévue pour les crimes, Sir Nigel Rodley considère que c’est une période extrêmement longue qui n’est pas conforme à l’interprétation que le Comité fait habituellement de l’article 9 du Pacte et des dispositions relatives à la détention arbitraire. Il souhaite également des précisions sur l’accès à l’assistance d’un avocat, notamment savoir à quel moment une personne placée en garde à vue peut communiquer avec un avocat et si un avocat est commis d’office pour les personnes démunies, ainsi que sur les communications avec le monde extérieur, c’est‑à‑dire le droit de prévenir la famille et d’être examiné par un médecin. Tous ces éléments sont essentiels pour vérifier que la détention n’est pas arbitraire ni contraire à l’article 7 du Pacte. En effet, on sait que plus la garde à vue se prolonge, plus la probabilité augmente que la personne soit victime de violences graves, commises au nom du maintien de la loi et de l’ordre.

La séance est suspendue à 16 h 50; elle est reprise à 17 h 25.

44.M. MALEYOMBO (République centrafricaine) remercie le Comité pour ses questions qui vont aider le Gouvernement centrafricain à améliorer sa politique dans le domaine des droits de l’homme. Comme il est indiqué dans le rapport, la République centrafricaine dispose d’importantes ressources minières. Force est toutefois de reconnaître que les régimes qui se sont succédé depuis l’indépendance n’ont pas appliqué de politique de développement durable dans ce domaine. Le gouvernement en place depuis 2003 a entrepris de nombreuses réformes destinées à tirer un meilleur parti des ressources du pays. Il demeure pourtant que ces ressources ne profitent pas à la population centrafricaine. À la volonté politique encore insuffisante et aux problèmes de gestion s’ajoute une contrebande endémique contre laquelle les pouvoirs publics ne sont pas parvenus jusqu’ici à lutter efficacement, malgré tous leurs efforts. Une police minière a été créée et un décret présidentiel réglementant l’accès aux zones minières a été adopté. Des contrôles réguliers aux frontières sont également effectués pour empêcher les transferts illégaux de ressources vers l’étranger. Des contrats ont été conclus avec de grands groupes américains et chinois pour mettre en place des conditions favorables à l’exploitation des mines d’or et de diamants. En ce qui concerne les ressources pétrolières, des travaux de prospection sont actuellement effectués en collaboration avec un grand groupe étranger. L’exploitation des ressources en fer et en uranium devrait pouvoir commencer dans un délai de cinq ans.

45.La République centrafricaine revient de loin. Après le coup d’État mené par le général François Bozizé, qui a pourtant délivré le pays d’un régime coupable de violations systématiques des droits de l’homme, la République centrafricaine a été abandonnée par les Nations Unies et les institutions financières internationales. Depuis, pourtant, le pays n’a pas ménagé ses efforts pour promouvoir les droits de l’homme et a accompli d’immenses progrès dans ce domaine. Ces avancées tardent pourtant à être reconnues par la communauté internationale, qui n’accorde pas volontiers à la République centrafricaine le soutien que d’autres pays obtiennent sans effort. Les violences survenues dans le nord du pays aux mois de mars et d’avril derniers sont le fait des ennemis de la République partisans de l’ancien régime qui veulent déstabiliser le pouvoir en place. L’inertie de la communauté internationale face à ces événements qui mettent en péril trois ans d’efforts constants du Gouvernement pour instaurer la paix est inacceptable.

46.En ce qui concerne la représentation ethnique, M. Maleyombo affirme que, conformément aux recommandations issues du dialogue national, aucune discrimination fondée sur l’appartenance ethnique ne s’exerce au sein du gouvernement, de l’administration, de l’armée ou de toute autre institution de l’État. Pour ce qui est de la politique menée en matière de sécurité, le Gouvernement, aidé par la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) et par des troupes de l’armée française, a réussi à instaurer un climat paisible dans l’ensemble du pays, à l’exception de la région du nord.

47.Au sujet des arrestations arbitraires que pratiquerait l’Office central pour la répression du banditisme (OCRB), les statistiques de 2006 ne font état d’aucune arrestation de sa part. En outre, cette question est suivie de près par le Haut‑Commissaire aux droits de l’homme et à la bonne gouvernance et par le Procureur de la République, qui se rend régulièrement sur le terrain pour déceler toute violation des droits de l’homme.

48.La commission vérité et réconciliation et le fonds d’indemnisation des victimes dont la création avait été décidée à l’issue du dialogue national de 2003 n’ont toujours pas été mis en place, faute du financement nécessaire, mais les démarches dans ce sens se poursuivent. Il faut bien voir également que le Gouvernement a dû relever un grand nombre de défis en l’espace de trois ans et que le vaste processus de réforme qu’il a entrepris n’aboutira pas avant un certain temps. Néanmoins, grâce à sa stabilité nouvelle et à son renouveau démocratique, le pays attire de nombreux investisseurs étrangers.

49.En ce qui concerne l’égalité entre les hommes et les femmes, M. Maleyombo indique que l’émancipation des femmes ne peut pas se faire contre leur gré. Il existe actuellement une réticence des femmes à participer à la vie politique du pays. Il est vrai que le taux d’analphabétisme des femmes est encore très élevé, mais des mesures en faveur de leur éducation et de la promotion de leurs droits ont été prises.

50.Les allégations relatives à l’existence d’une pratique systématique de la torture en République centrafricaine sont absurdes, car c’est précisément pour mettre un terme aux violations systématiques des droits de l’homme perpétrées sous l’ancien régime que le pouvoir en place a renversé ce dernier. En sa qualité de Haut‑Commissaire aux droits de l’homme et à la bonne gouvernance, M. Maleyombo est saisi des cas de torture et de violations des droits de l’homme, et lorsque les personnes mises en cause font partie des forces armées, il soumet les affaires en question au chef de l’État, qui est aussi Ministre de la défense, afin que des sanctions soient prises.

51.M. FINDIRO (République centrafricaine) dit que ce n’est pas pour fuir ses responsabilités que la République centrafricaine a renvoyé l’affaire des violations des droits de l’homme commises en 2002 et 2003 devant la Cour pénale internationale, mais parce que sa fragilité, son cruel manque de moyens et les dysfonctionnements de son appareil judiciaire empêchaient les conditions nécessaires à l’exercice de la justice, d’autant plus que certaines des personnes impliquées n’étaient pas centrafricaines.

52.M. Findiro s’élève contre l’allégation de pratique systématique de la torture. S’il peut exister des actes isolés de torture, auquel cas les mesures d’enquête et les sanctions nécessaires sont prises, nul n’est en revanche fondé à dire que de telles pratiques sont systématiques. La garde à vue peut effectivement être prolongée, mais uniquement sur décision du Procureur et lorsque les circonstances le justifient, notamment lorsque la sécurité des suspects l’exige. Les personnes placées en garde à vue ont accès à un avocat et à un médecin de leur choix, bien que ce droit ne soit pas expressément énoncé dans le Code de procédure pénale.

53.En ce qui concerne l’affaire Sanzé, il faut avant tout préciser les faits. À la suite d’une altercation entre le sergent Sanzé et le lieutenant Yango Kapita, celui‑ci, accompagné de gendarmes, s’est rendu au domicile du sergent en vue de procéder à son arrestation. Les échanges de tir entre le sergent Sanzé et ses poursuivants se sont soldés par la mort du lieutenant Yango Kapita. Le soir même, le sergent Sanzé s’est réfugié au Bureau d’appui des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (BONUCA) avec l’aide de la Ligue centrafricaine des droits de l’homme. En sa qualité de Procureur de la République, M. Findiro a été contacté par le BONUCA qui refusait de garder dans ses locaux le sergent Sanzé. Il a été contraint de remettre le sergent aux forces de police, non sans s’être assuré qu’il serait en sécurité, en se rendant lui‑même sur les lieux de sa détention. Plus tard, des hommes en armes ont fait irruption dans les locaux de la police et ont abattu le sergent. Le Tribunal militaire permanent a été saisi de l’affaire, conformément à la législation qui prévoit que cette juridiction a compétence pour connaître de toute infraction commise par un militaire en fonction. L’audience a été reportée à la fin du mois.

54.La PRÉSIDENTE remercie la délégation de ses réponses et l’invite à poursuivre le dialogue à la séance suivante.

La séance est levée à 18 h 5.

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