NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.254924 juillet 2008

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre‑vingt‑treizième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 2549e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le vendredi 11 juillet 2008, à 15 heures

Président: M. RIVAS‑POSADA

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (suite)

Deuxième rapport périodique de Saint‑Marin (suite)

ORGANISATION DES TRAVAUX ET QUESTIONS DIVERSES

Projet de nouvel article du Règlement intérieur

La séance est ouverte à 15 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Deuxième rapport périodique de Saint‑Marin (CCPR/C/SMR/2; CCPR/C/SMR/Q/2; CCPR/C/SMR/Q/2/Add.1) (suite)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation de Saint ‑ Marin reprend place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT invite la délégation de Saint‑Marin à répondre aux questions posées par les membres du Comité à la séance précédente.

3.MmeBIGI (Saint‑Marin) dit que le retard avec lequel Saint‑Marin présente son deuxième rapport périodique n’est pas dû à un manque de volonté politique mais à des contraintes d’ordre pratique. Compte tenu de ses ressources limitées, il a fallu un certain temps au Gouvernement pour parvenir à recueillir auprès de tous les secteurs concernés les informations nécessaires à l’établissement du rapport. La délégation prend note de la remarque du Comité concernant la nécessité d’assurer une plus grande participation de la société civile à ce processus, et dit qu’il en sera tenu compte à l’avenir. En réponse à la préoccupation du Comité relative à l’inactivité apparente de la société civile à Saint‑Marin, la délégation dit qu’il existe au contraire des associations très actives qui ont largement contribué aux avancées réalisées dans le domaine des droits de l’homme depuis la présentation du dernier rapport, notamment aux modifications de la législation relative aux droits des femmes et des handicapés. Le fait que ces associations ne se constituent pas en organisations non gouvernementales proprement dites est probablement ce qui a donné l’impression au Comité qu’il n’y avait aucune activité au sein de la société civile.

4.Le Gouvernement veille à ce que tous les documents établis dans le cadre de son dialogue avec les organes conventionnels, c’est‑à‑dire ses propres rapports mais aussi les observations, critiques et encouragements que lui adressent ces derniers, bénéficient de la plus large diffusion possible. Les observations finales du Comité seront remises officiellement au Gouvernement par le Ministre des affaires étrangères avant d’être annoncées par communiqué de presse et placées sur le site Internet du Ministère de l’intérieur, avec le compte rendu des délibérations du Gouvernement à leur sujet. Elles seront également traduites en italien.

5.Il n’y a pas de minorités nationales à Saint‑Marin, ce qui ne signifie pas qu’il n’y a pas d’étrangers. Ceux‑ci représentent 16 % de la population totale et sont titulaires d’un permis de séjour ou résidents. Le permis de séjour permet aux étrangers de vivre dans le pays pour une durée déterminée ou indéterminée. Il est généralement lié à un emploi, à la poursuite d’études, ou au regroupement familial. Les étrangers titulaires d’un permis de séjour de durée indéterminée acquièrent au bout de cinq ans à compter de la délivrance de celui‑ci le statut de résidents, qui leur confère les mêmes droits qu’aux Saint‑Marinais à l’exception du droit de vote.

6.Des membres du Comité se sont inquiétés de ce que des mineurs de 16 ans puissent être appelés à servir dans l’armée. Il existe en effet une disposition qui prévoit que tout citoyen âgé de 16 à 60 ans peut être mobilisé si la sécurité de l’État est menacée par un danger extrêmement grave, mais il s’agit d’une disposition exceptionnelle à laquelle il n’a jamais été recouru, pas même pendant la Deuxième Guerre mondiale alors que la péninsule italienne était au cœur de la tourmente. Du reste, il est prévu de la modifier pour porter l’âge minimum autorisé de 16 à 18 ans, âge minimum légal pour entrer dans l’armée. Le Gouvernement ne voit pas la nécessité de reconnaître le droit à l’objection de conscience dans la mesure où il n’y a pas de service militaire obligatoire à Saint‑Marin.

7.Saint‑Marin n’est pas un paradis fiscal servant au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme. Il ne figure d’ailleurs pas sur la liste des paradis fiscaux non coopératifs de l’OCDE et compte au contraire parmi les pays qui collaborent le plus ouvertement avec cette organisation. Si Saint‑Marin n’a pas adhéré à toutes les conventions internationales relatives à la lutte contre le terrorisme c’est notamment parce que certains de ces instruments entrent dans des considérations techniques qui ne concernent pas directement Saint‑Marin et que le Gouvernement ne dispose pas de ressources suffisantes pour étudier de manière approfondie tous les textes en la matière et doit par conséquent établir des priorités en fonction des réalités du pays. Mais le Comité ne doit pas douter de l’engagement de Saint‑Marin dans la lutte contre le terrorisme.

8.La place des femmes dans le monde du travail, particulièrement dans le secteur privé, est loin d’être négligeable. Au 31 décembre 2007, 42 % des actifs, secteurs public et privé confondus, étaient des femmes. Le niveau d’instruction des femmes est en outre de plus en plus élevé. Ainsi, à l’heure actuelle, 51 % des titulaires d’un diplôme universitaire sont des femmes. Les femmes ne sont pas seulement de plus en plus nombreuses à faire des études et à travailler; elles accèdent également à des niveaux de plus en plus élevés de qualifications et de responsabilités.

9.M. PALMUCCI (Saint‑Marin) dit que la délégation n’est pas en mesure d’indiquer quand la fonction de médiateur sera instituée mais c’est là un engagement ferme du Gouvernement, qui veillera le moment venu à ce que les Principes de Paris soient dûment respectés. Des doutes ont été exprimés quant à la capacité des capitaines‑régents à assumer cette fonction en raison d’un manque supposé d’indépendance. Ces doutes ne sont pas fondés. Les capitaines‑régents sont les garants suprêmes de l’ordre constitutionnel; ils ne servent pas des intérêts politiques. Toute personne se trouvant sur le territoire de Saint‑Marin, qu’elle y réside ou soit seulement de passage, peut demander à rencontrer les capitaines‑régents pour dénoncer une violation de leurs droits par des agents de la fonction publique.

10.Le projet de loi récemment élaboré par le Secrétariat d’État à la justice prévoit que les écoutes téléphoniques ne peuvent être utilisées que dans le cadre de la répression d’infractions très graves et sur autorisation judiciaire délivrée au juge d’instruction qui en fait la demande. La durée des écoutes téléphoniques est limitée à trois mois et ne peut être prolongée qu’après obtention d’une nouvelle autorisation par le juge d’instruction. Le projet de loi contient des dispositions strictes sur l’utilisation des communications interceptées et prévoit des sanctions en cas de violation de ces dispositions.

11.Des préoccupations ont été exprimées au sujet de restrictions éventuelles de la liberté d’expression. Aucune censure n’est exercée sur les publications. La déclaration obligatoire au Secrétariat d’État pour les affaires intérieures mentionnée dans le rapport vise uniquement les publications périodiques et ne contient que des données formelles sur ces dernières; elle ne porte pas sur leur contenu.

12.Un membre du Comité a évoqué la visite effectuée en 1992 par le Comité européen pour la prévention de la torture. Celui‑ci s’est de nouveau rendu à Saint‑Marin en 2005 et a pu à cette occasion constater les nombreuses mesures que le Gouvernement avait adoptées pour donner suite à ses précédentes recommandations, en particulier en ce qui concerne les sanctions disciplinaires. Les sanctions sont décidées par le juge de l’exécution des peines, qui n’y a recours que dans la mesure nécessaire pour maintenir l’ordre dans l’établissement pénitentiaire, et le détenu peut faire appel de toute sanction infligée auprès du juge d’appel, du Procuratore del Fisco oud’une autre autorité. Le droit de s’entretenir avec un avocat et d’être examiné par un médecin ne fait l’objet d’aucune restriction. Le fait que la population carcérale soit particulièrement réduite, puisqu’il n’y a actuellement qu’un seul détenu, diminue considérablement les risques de mauvais traitements et permet d’offrir aux détenus des prestations de qualité.

13.La rigueur des conditions d’obtention de la nationalité − obligation d’avoir vécu sur le territoire pendant trente ans − est une nécessité compte tenu de la petite taille du pays et de sa forte densité de population. Saint‑Marin n’est pas pour autant un pays inhospitalier et a accueilli tout au long de l’histoire de nombreux réfugiés, notamment politiques. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il a accueilli plus de 100 000 réfugiés et leur a fourni logement et nourriture.

14.M. GUALTIERI (Saint‑Marin) dit que Saint‑Marin, conscient de la nécessité croissante de mettre en place un cadre normatif sur les questions des biotechnologies, de la bioéthique et du droit à la vie, a incorporé dans sa législation les dispositions des conventions internationales en la matière, notamment celles de la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine. En outre, un volet entier du plan du Gouvernement en matière de santé et de recherche est consacré à ces thématiques, et prévoit la création d’un comité de bioéthique qui évaluera la faisabilité des expériences et recherches médicales et pharmaceutiques, mettra au point des programmes sur la base des résultats des recherches effectuées dans les domaines des sciences de la vie et de la santé humaine, fera régulièrement le point de l’évolution des normes applicables dans ces domaines, formulera des avis et des propositions en vue d’élaborer une législation sur les problèmes d’éthique posés par les progrès de la recherche qui garantisse la préservation des droits fondamentaux et de la dignité de l’homme. L’administration sanitaire a élaboré un projet de loi portant création du comité de bioéthique qui sera présenté aux autorités compétentes très prochainement.

15.MmeBERNARDI (Saint‑Marin), revenant sur l’article 4 de la Déclaration des droits des citoyens, dit que la notion générique de «situation personnelle» visée dans cet article permet de lutter contre la discrimination quel qu’en soit le motif − la race, l’orientation sexuelle, les convictions religieuses, etc. L’article est complété par les dispositions relatives à la discrimination des instruments internationaux auxquels Saint‑Marin est partie, en particulier l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui énumèrent expressément les motifs de discrimination. La loi no 66 du 28 avril 2008 a introduit dans le Code pénal des dispositions réprimant la discrimination mais il est vrai que Saint‑Marin ne dispose pas d’une législation spécifique sur la discrimination. Le principe d’égalité et l’interdiction de la discrimination sont toutefois inscrits dans un très grand nombre de lois touchant à des domaines aussi variés que l’éducation, la famille, la liberté de religion et le sport.

16.Les règles régissant l’octroi de l’aide juridictionnelle sont différentes selon qu’il s’agit d’affaires civiles ou d’affaires pénales. Les conditions de ressources et le critère de la probabilité de gagner le procès sont applicables en matière civile. En revanche, en matière pénale un avocat commis d’office peut intervenir dès le début de la procédure, c’est‑à‑dire dès l’arrestation, lorsque l’intéressé n’a pas d’avocat.

17.La nouvelle loi sur la prévention et la répression de la violence à l’égard des femmes et des violences à motivation sexiste établit un cadre plus répressif à l’encontre de ce type de violences. Outre qu’elle définit de nouvelles infractions, elle prévoit que le fait que la victime soit une femme peut constituer une circonstance aggravante pour certaines infractions graves comme l’homicide ou les agressions sexuelles en réunion. Une innovation remarquable est que la nouvelle loi renforce considérablement le régime de protection des victimes de la violence familiale. Ainsi, des poursuites peuvent être engagées d’office, sans que la victime ait à porter plainte, et les tribunaux peuvent rendre des ordonnances de protection obligeant l’auteur des violences à quitter le foyer et à ne plus approcher la victime. La loi prévoit en outre la mise en place de programmes et de services de réadaptation à l’intention des victimes de violences, ainsi que la fourniture d’une formation spécifique obligatoire aux personnels des services de police et des tribunaux.

18.La législation distingue la nationalité acquise à la naissance de celle acquise par naturalisation. La première est désormais automatique non seulement si les deux parents sont saint‑marinais, mais également si seul l’un des deux l’est, y compris la mère, l’enfant devant alors confirmer sa nationalité à la majorité pour la conserver, sauf si l’autre parent est inconnu ou apatride. La seconde peut être acquise après trente ans de résidence effective et quinze si le conjoint est saint‑marinais. Il est cependant possible, pour les personnes nées à Saint‑Marin, d’ajouter à ses propres années de résidence celles de ses parents ou d’autres ascendants au deuxième degré, même s’ils sont décédés, pour atteindre les trente années requises. Les demandes de naturalisation sont examinées par le Parlement tous les dix ans. La résidence est accordée après cinq ans de séjour, dans les conditions prévues par la loi, si aucune raison majeure comme des poursuites judiciaires, par exemple, n’y fait obstacle.

19.L’article 196 du Code de procédure pénale ne prévoit aucune limite à la possibilité de faire appel des décisions pénales rendues en première instance, mais il dispose que l’examen est limité aux motifs invoqués dans l’appel.

20.M. FERRONI (Saint‑Marin) explique que le principe judicatum solvi en casum, qui fait obligation à tout étranger voulant engager une action civile de présenter une caution, n’a pas été abrogé par une loi spécifique, mais n’est plus appliqué depuis des décennies car il devenu incompatible avec l’évolution de l’ordre juridique.

21.Les dispositions du Pacte, comme celles de la Convention européenne des droits de l’homme, font partie intégrante de la Constitution et peuvent donc être invoquées pour contester la constitutionalité de normes de rang inférieur. Par exemple, l’article 3 du Pacte a été invoqué à l’appui d’une demande concernant la législation relative à l’exercice du droit de voter et d’être élu; le commissaire juridique a toutefois jugé la demande non fondée.

22.À propos des articles 183, 184 et 185 du Code pénal, dont il a été dit qu’ils pourraient être contraires à l’article 19 du Pacte, il faut rappeler que toutes les législations pénales occidentales prévoient le délit d’insulte ou de diffamation. La liberté de chacun s’arrête là où commence celle d’autrui. La liberté d’expression doit certes être protégée, mais l’honneur des personnes également. Quiconque porte atteinte, en évoquant des faits, à la position sociale d’une personne se rend donc coupable d’un délit pénal. Le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte dispose clairement que l’exercice de la liberté d’expression «comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales» et peut en conséquence «être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires (…) au respect des droits ou de la réputation d’autrui». La législation de Saint‑Marin n’est donc pas incompatible mais au contraire conforme avec cette disposition.

23.Des explications ont été demandées au sujet de l’article 337 bis qui a été ajouté au Code pénal et qui criminalise le terrorisme ou la subversion de l’ordre constitutionnel. Le paragraphe 4, qui dispose que «quiconque commet un acte visé au paragraphe 3 pour rendre service à un proche n’encourt pas de peine», vise le cas où le conjoint ou un autre proche a aidé l’auteur de l’infraction non pas en lui apportant une assistance directe, (par. 3 de l’article) mais par exemple en l’accueillant sous son toit, en lui prêtant sa voiture, etc. Le principe sous‑jacent est que l’on ne peut pas reprocher à quelqu’un d’avoir aidé un proche. Nombre d’autres législations contiennent des principes analogues, comme la non‑obligation de témoigner contre son conjoint.

24.Le PRÉSIDENT remercie la délégation de ses réponses et invite les membres du Comité qui le souhaitent à poser des questions supplémentaires.

25.MmeWEGDWOOD souhaite revenir sur la question de la naturalisation. Celle‑ci est accordée après trente ans de résidence effective, ce qui signifie probablement que l’on ne doit pas s’être absenté longtemps du pays. En outre, la résidence n’est elle‑même accordée qu’au bout de cinq ans, ce qui porte en fait à trente‑cinq ans le délai requis, auquel viennent encore s’ajouter jusqu’à dix années supplémentaires du fait que le Parlement ne se prononce sur les demandes de naturalisation que tous les dix ans. Même si chaque pays est libre de fixer ses propres règles en matière de naturalisation, ce délai semble particulièrement long en comparaison de ceux qui sont observés ailleurs. On peut en outre se demander quelle serait la situation d’un étranger qui prendrait sa retraite sans avoir atteint le nombre d’années nécessaires: est‑ce qu’il perdrait son droit à la résidence en cessant de travailler et, ne pouvant pas non plus prétendre à la naturalisation, devrait donc rentrer dans son pays, alors qu’il n’y serait peut‑être pas retourné depuis trente ans? Compte tenu de la taille de Saint‑Marin, les candidats à la naturalisation ne sont probablement pas nombreux mais, plus généralement, cette pratique constitue un exemple fâcheux à l’heure où les pays sont de moins en moins accueillants à l’égard des migrants.

26.Si le principe judicatum solvi en casum est tombé en désuétude, il serait préférable de l’annuler par une loi, dans un souci de transparence. En effet, une personne qui voudrait engager une action civile sans avoir les moyens de payer les services d’un avocat ne sera pas nécessairement en mesure de comprendre les complexités de la jurisprudence et aura tendance à se fonder uniquement sur ce qui est écrit dans les textes.

27.En ce qui concerne la liberté d’expression, il est vrai que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte prévoit des restrictions, qui doivent être prévues par la loi. Mais une loi peut très bien être inique. Or il semble qu’à Saint‑Marin une personne puisse être poursuivie pour diffamation alors que ce qu’elle a dit est vrai. Or la vérité est une défense absolue dans les législations occidentales. L’insulte est une chose; mais diffuser des informations véridiques, par exemple dans les journaux à scandale, n’est pas un acte de diffamation. Il faut penser en outre qu’avec l’Internet, on ne peut pas empêcher que tout se sache partout et immédiatement. Les dispositions du Code pénal qui répriment la diffamation sont sans doute plus symboliques qu’autre chose − autrement, les tribunaux seraient débordés −, mais il serait néanmoins opportun que l’État partie envisage de les abroger, conformément au Pacte et à la Convention européenne des droits de l’homme qui défendent l’idée que la liberté d’expression est nécessaire au discours démocratique.

28.M. O’FLAHERTY est heureux d’apprendre que la délégation a tiré du dialogue avec le Comité de nouvelles idées à mettre en pratique. Il souhaite cependant revenir sur quelques‑unes des questions abordées. La délégation a donné à entendre que, compte tenu de la grande similitude entre le Pacte et la Convention européenne des droits de l’homme, les mesures législatives prises en relation avec cette dernière, ainsi que la pratique, étaient suffisantes pour garantir que les droits consacrés par le Pacte étaient incorporés dans le système juridique. Or le Pacte et la Convention sont des instruments distincts, avec des différences subtiles mais importantes. Par exemple, les dispositions concernant le droit de vote (art. 25) sont beaucoup plus développées dans le Pacte, de même que celles relatives au droit à un procès équitable (art. 14) et à l’égalité devant la loi (art. 26). Les procédures sont également différentes, et il semble par exemple que les juristes de Saint‑Marin ne connaissent pas bien celle qui est prévue par le Protocole facultatif. En tout état de cause, il serait utile d’avoir des informations spécifiques au Pacte. M. O’Flaherty ne partage pas l’avis de la délégation qui affirme que, dans les petits pays comme Saint‑Marin, la législation est le reflet exact de la société et qu’en connaissant la loi on connaît le pays. La population d’un pays évolue constamment, notamment sous l’influence des migrations. C’est pourquoi il est indispensable, pour le Comité, de disposer d’informations non seulement sur la législation nationale mais aussi sur la pratique.

29.M. O’Flaherty voudrait savoir s’il y a des Roms à Saint‑Marin et, dans l’affirmative, si leur présence soulève des problèmes, par exemple en ce qui concerne leur traitement ou, dans la négative, comment s’explique leur absence alors qu’ils sont très nombreux en Italie. Il souhaiterait également connaître l’avis de la délégation sur la très forte proportion de femmes parmi les étrangers en provenance de certains pays: ainsi, elles représentent 80 % des Ukrainiens et 76 % des Moldoves titulaires d’un permis de séjour. Elles représentent aussi 96 % de la communauté ukrainienne totale (résidents et personnes en séjour) et 94 % de la communauté russe. Ces femmes sont probablement des employées domestiques mais, à titre purement hypothétique, sans se fonder sur aucune information dans ce sens, M. O’Flaherty se demande si leur nombre pourrait être lié à la traite des personnes, et si ce phénomène existe à Saint‑Marin.

30.Le PRÉSIDENT invite la délégation à répondre aux questions posées par les membres du Comité.

31.MmeSALICIONI (Saint‑Marin) dit qu’aucune communauté rom n’est jamais venue s’installer à Saint‑Marin, probablement parce que les conditions n’y étaient pas propices. Les femmes en provenance des pays de l’Est sont titulaires d’un permis de séjour saisonnier; elles viennent travailler pour une période limitée, pour des services à la personne tels que l’aide aux personnes âgées, elles sont seules et habitent en général avec la famille chez qui elles travaillent.

32.M. FERRONI (Saint‑Marin) relève une contradiction entre les observations de Mme Wedgwood, qui insiste pour qu’une pratique soit traduite dans la loi, et celles de M. O’Flaherty, qui considère que la loi ne reflète pas nécessairement la pratique. Lui‑même pense qu’un système juridique fondé sur le jus comune, comme celui de Saint‑Marin, n’est pas très éloigné de ceux qui reposent sur la jurisprudence. Certes, le citoyen ne peut pas connaître toute la législation, mais les avocats sont là pour l’aider. En tout état de cause, la législation la plus récente s’inspire des instruments internationaux et l’on ne peut donc rien lui reprocher.

33.En ce qui concerne le délit de diffamation, il est certain que les limites tolérées de l’immixtion dans la vie privée sont différentes dans le cas des personnalités publiques car celles‑ci, de par leurs activités, renoncent en partie à leur sphère privée. Chaque cas est cependant différent et la loi doit être adaptée en fonction des faits particuliers, mais elle ne peut pas être alignée sur des tendances de la société qui ne sont pas toujours louables. L’exercice du droit à la liberté d’expression implique un comportement respectueux des valeurs.

34.Le Pacte et la Convention européenne des droits de l’homme sont en effet des instruments différents même s’ils s’inspirent de valeurs de fond identiques; mais le fait que la Convention soit plus souvent invoquée devant les tribunaux de Saint‑Marin ne signifie pas que le Pacte soit ignoré. Le Protocole facultatif et la procédure qu’il instaure sont bien connus des avocats.

35.Pour ce qui est des liens entre la réalité sociale et la législation, il est vrai que celle‑ci n’est pas nécessairement le reflet de la société, mais c’est en tout cas le phénomène social qui modifie le droit et non l’inverse. On le constate notamment dans le cas de la responsabilité extra‑contractuelle, qui est un principe commun à nombre d’ordres juridiques. En droit italien par exemple, la disposition qui impose une obligation de réparation à l’auteur d’un préjudice est inchangée dans la lettre depuis 1942, mais les tribunaux lui donnent aujourd’hui une portée beaucoup plus large que celle prévue à l’époque par le législateur, pour y inclure, outre le préjudice matériel, toutes sortes de préjudices moraux qui évoluent en fonction de la société. Ainsi, de nos jours, gâcher les vacances d’autrui peut constituer un préjudice du fait de la valeur que la société attribue à la tranquillité personnelle. Le droit dans son sens le plus large et le plus noble, tel qu’il ressort de la jurisprudence, demeure un reflet assez fidèle de l’évolution culturelle d’une société ou d’une collectivité.

36.Le PRÉSIDENT remercie la délégation saint‑marinaise, avec laquelle le Comité a eu un dialogue enrichissant et d’autant plus utile que l’intervalle entre l’examen du rapport initial de l’État partie et la soumission du deuxième rapport périodique a été particulièrement long. Il espère que le prochain rapport périodique sera soumis à la date voulue, de façon à permettre au Comité de mieux suivre l’évolution de l’application du Pacte à Saint‑Marin.

37.Pour compléter ses réponses aux questions et préoccupations du Comité, la délégation saint‑marinaise souhaitera peut‑être apporter par écrit des renseignements supplémentaires. Ces renseignements devront parvenir au secrétariat du Comité avant le 16 juillet 2008 à 10 heures pour pouvoir être pris en compte dans le texte des observations finales du Comité.

38.Le Président souhaite préciser un point qui a peut‑être été mal compris durant le dialogue avec la délégation saint‑marinaise. Il souligne que le Comité insiste régulièrement, dans l’examen des rapports des États parties, sur le fait que, si l’indication des normes constitutionnelles et législatives est très importante, elle ne suffit toutefois pas pour apprécier pleinement la situation des droits de l’homme dans un pays. Des données doivent être également communiquées sur la réalité, les résultats concrets des mesures adoptées par l’État partie et l’effet des dispositions légales sur la protection des droits de l’homme. Certes, la législation reflète l’état d’un pays en ce qu’elle tient compte de multiples facteurs sociaux, mais il est essentiel d’en connaître aussi les conséquences pratiques. Cela est parfois rendu possible par la présentation de statistiques mais ce n’est pas toujours le cas, et il importe alors que l’État partie communique des renseignements concrets sur la situation dans les faits. Un autre point important est la nécessité, dans l’action menée par l’État partie pour diffuser auprès du grand public, des juristes et d’autres spécialistes la teneur et la jurisprudence des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, de tenir dûment compte de la spécificité du Pacte et notamment de ses différences avec la Convention européenne des droits de l’homme. À l’heure de clore l’examen du deuxième rapport périodique de Saint‑Marin, il convient également d’appeler l’attention sur trois sujets de préoccupation. Premièrement, si les autorités saint‑marinaises envisagent depuis longtemps de créer la fonction de médiateur, cela n’est pas encore une réalité. Le Comité a toujours considéré que la mise en place d’une telle fonction permet de renforcer les institutions nationales de protection des droits de l’homme, et en ce sens le Gouvernement saint‑marinais doit en faire une priorité. Deuxièmement, la situation en ce qui concerne les conditions de naturalisation n’est guère satisfaisante, et le Comité continuera de suivre de près cette question. À l’évidence, les délais imposés pour obtenir la nationalité saint‑marinaise sont trop longs et ils sont en tout cas bien supérieurs à ceux fixés dans nombre d’États parties. Enfin, l’obligation pour un étranger de fournir une caution pour engager une action au civil auprès de l’autorité judiciaire devrait être supprimée. La délégation saint‑marinaise a indiqué que cette obligation était obsolète et n’était par conséquent plus appliquée, mais le Comité considère − comme il le fait toujours en pareil cas − qu’une disposition légale obsolète susceptible de porter atteinte aux droits de l’homme doit être formellement abrogée et que l’on ne peut se contenter de ne pas l’appliquer, puisque son existence dans les textes pourrait permettre de lui redonner vie un jour.

39.M. GALASSI (Saint‑Marin) dit que la délégation qu’il conduit a pris bonne note des préoccupations exprimées par le Comité, et ne manquera pas d’apporter un complément d’information en réponse aux questions et observations qui lui ont été adressées.

40.Le PRÉSIDENT annonce que le Comité a ainsi achevé l’examen du deuxième rapport périodique de Saint‑Marin (CCPR/C/SMR/2).

41. La délégation saint ‑marinaise se retire.

La séance est suspendue à 16 h 40; elle est reprise à 16 h 50.

ORGANISATION DES TRAVAUX ET QUESTIONS DIVERSES (point 3 de l’ordre du jour)

Projet de nouvel article du Règlement intérieur du Comité

42.M. SHEARER, présentant le projet de nouvel article du Règlement intérieur du Comité qu’il a établi, indique qu’il vise à répondre à une situation que le Comité connaît depuis longtemps, la présentation de communications plusieurs années après l’épuisement des recours internes ou la fin d’une procédure devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Contrairement à la Convention européenne des droits de l’homme notamment, le Protocole facultatif se rapportant au Pacte ne fixe pas de délai pour la présentation des communications. Dans sa pratique, le Comité a été toutefois très souvent amené à s’interroger sur la recevabilité d’une communication qui avait été soumise longtemps après les faits et il s’est également demandé s’il incombait à l’auteur de justifier le retard ou s’il appartenait à l’État partie d’expliquer en quoi celui‑ci était déraisonnable.

43.Le projet d’article vise à donner en quelque sorte un point de repère au Comité, qui ne devrait toutefois pas constituer une règle inflexible, de façon à permettre de prendre en considération les circonstances exceptionnelles d’une affaire ou d’excuser pour d’autres raisons un retard supérieur à celui qui sera considéré comme raisonnable. Le Comité souhaitera peut‑être modifier le délai maximal proposé (quatre ans depuis l’épuisement des recours internes et deux ans depuis la fin d’une procédure devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement).

44.M. Shearer soumet également au Comité un deuxième paragraphe, placé entre crochets, qui précise la date d’entrée en vigueur de la nouvelle règle proposée. Il lui a paru nécessaire de veiller à ce que l’application de la nouvelle disposition n’ait pas d’effet rétroactif et ne puisse donc pas pénaliser l’auteur d’une communication qui aurait, de bonne foi, laissé passer le délai parce qu’il n’avait pas connaissance de la modification du Règlement intérieur du Comité. La date proposée dans le texte du projet est le 1er juillet 2008 mais comme le Comité n’a pas examiné la question avant la présente session, il vaut mieux que la nouvelle règle, si elle est adoptée, ne s’applique qu’à compter du 1er janvier 2009.

45.Certains membres du Comité préféreront probablement ne pas fixer du tout de période limite pour la présentation d’une communication. On peut supposer toutefois qu’une majorité d’entre eux estimera souhaitable une sorte de principe directeur en la matière. Pour aider le Comité à se prononcer, M. Shearer a recensé la jurisprudence dans ce domaine. Le premier cas qui s’est posé remonte à 2001, lorsque le Comité a déclaré une communication irrecevable parce qu’elle lui avait été adressée dans un délai déraisonnable (cinq ans après l’épuisement des recours internes). À l’époque, six membres du Comité s’étaient opposés à la décision majoritaire, soulignant que ni le Pacte ni le Protocole facultatif ne fixaient de délai pour la présentation d’une communication. Par la suite, dans deux affaires dans lesquelles l’État partie avait contesté la recevabilité de la communication au motif du retard avec lequel elle était présentée (respectivement un an et deux ans et demi), le Comité n’a pas considéré que cela constituait un critère d’irrecevabilité. Dans une autre communication présentée dans un délai de six ans, le Comité a considéré que l’auteur devait expliquer ce retard, mais la communication a néanmoins été déclarée recevable du fait que l’État partie n’avait formulé aucune observation, le Comité considérant que l’absence de coopération de l’État partie excusait en quelque sorte l’auteur de la communication. Dans une autre communication, le Comité a jugé un délai de cinq ans acceptable parce que l’auteur l’avait justifié et compte tenu des circonstances de l’espèce. Dans d’autres communications présentées au bout de plusieurs années, le Comité a simplement ignoré le retard. Dans un cas, il a accepté une communication présentée au bout de sept ans parce que l’auteur avait été détenu à l’isolement pendant toutes ces années et n’avait donc pas pu exercer son droit au titre du Protocole facultatif. Le Comité a accepté également une communication présentée au bout de neuf ans car l’auteur avait fourni des explications. Il a par contre déclaré irrecevables au moins deux communications présentées respectivement au bout de douze et quinze ans faute de connaître les raisons d’un aussi long retard. Dans plusieurs communications mettant en cause le même État partie et portant sur des questions similaires, le Comité a considéré qu’un délai de plus de trois ans après que la Cour européenne des droits de l’homme se fut prononcée sur l’affaire ne constituait pas un obstacle. En revanche, le Comité a écarté une communication du même type présentée avec dix ans de retard parce que l’auteur ne s’en était pas expliqué. Dans deux communications présentées respectivement au bout de cinq et huit ans, le Comité a accepté l’explication des auteurs qui justifiaient leur retard par le fait qu’ils n’avaient eu connaissance que très tardivement de la possibilité d’invoquer le Protocole facultatif. Il existe donc des différences importantes et la jurisprudence du Comité n’a pas toujours toute la cohérence voulue. Il est ainsi temps de formuler un principe directeur, qui permette également au Comité de conserver une certaine souplesse dans son application.

46.Le PRÉSIDENT remercie M. Shearer pour son analyse de la jurisprudence du Comité et la présentation du projet de nouvelle règle qui répond en effet à une préoccupation de longue date. Les variations dans la jurisprudence qu’il a mises en évidence sont un facteur supplémentaire justifiant que le Comité réglemente cette question qui se pose souvent. Il importe également que les États parties comme les auteurs de communications aient une vision claire de la position du Comité sur la question du délai de présentation des communications.

47.M. O’FLAHERTY appuie l’idée de modifier l’état actuel des choses mais invite instamment le Comité à faire preuve d’une extrême prudence, assortie d’une grande modestie, lorsqu’il entend imposer des limitations de l’accès à la procédure prévue par le Protocole facultatif. Le rôle du Comité n’est pas de placer des obstacles sur le parcours des particuliers qui souhaitent le saisir, et d’autant moins que le Protocole facultatif lui‑même ne prévoit pas de délai. Cette question doit d’ailleurs être traitée avec d’autant plus de prudence que, contrairement à la Convention européenne des droits de l’homme et au mécanisme de la Cour européenne des droits de l’homme, le Pacte et la procédure prévue au titre du Protocole facultatif sont très mal connus dans le monde. Le Comité ne cesse d’ailleurs d’appeler les États parties à mieux faire connaître l’existence et la teneur du Pacte et, pour ceux qui y ont adhéré, du Protocole facultatif.

48.Le problème des retards existe mais, en tout état de cause, lorsque l’État partie lui‑même ne formule pas d’objection à cet égard, le Comité devrait renoncer à appliquer une règle quelconque et continuer à procéder comme il l’a fait jusqu’à présent. En conséquence, M. O’Flaherty suggère de modifier le début du libellé proposé de façon à préciser que le Comité considèrera qu’une période de tant d’années constitue un retard déraisonnable dans le cas où l’État partie aura exprimé au Comité une préoccupation concernant le retard et en l’absence de circonstances exceptionnelles expliquant celui‑ci. Si le Comité décide de fixer une règle, une période de quatre ans et deux ans, comme indiqué dans le texte du projet, paraît tout à fait appropriée. Cela étant, il ne lui paraît pas judicieux de faire de la nouvelle règle un alinéa g du paragraphe 96 du Règlement intérieur, dans la mesure où une période maximale pour la présentation des communications ne constitue pas un critère autonome de recevabilité. Elle est en réalité l’un des éléments définissant l’abus du droit de présenter des communications, et devrait donc figurer à l’alinéa c de l’article 96.

49.M. LALLAH souscrit pleinement aux observations de M. O’Flaherty. En particulier il considère lui aussi qu’il appartient à l’État partie de contester le délai dans lequel une communication est présentée et que le Comité ne peut prendre d’initiative vu que rien n’est dit à ce propos dans le Protocole facultatif. En outre, étant donné que l’abus du droit de présenter des communications figure expressément à l’article 3 du Protocole facultatif, la suggestion de M. O’Flaherty visant à intégrer la nouvelle règle dans l’alinéa c de l’article 96 du Règlement intérieur lui paraît légitime car cette règle constituerait, en quelque sorte, une interprétation des dispositions de l’article 3.

50.M. BHAGWATI approuve entièrement M. O’Flaherty et souligne que le Comité ne devrait pas émettre un avis sur un retard dans le cas où l’État partie ne soulève pas d’objection.

51.Mme WEDGWOOD tient à s’assurer que la nouvelle règle n’aura pas d’incidences sur les méthodes de travail du Comité et que c’est toujours à lui, et non au Groupe des requêtes, qu’il reviendra de déterminer s’il existe des circonstances exceptionnelles justifiant de déclarer recevable une communication soumise au bout d’un certain délai. En tous les cas, il convient de préciser si le délai sera compté à partir du moment où les voies de recours interne sont utilisées ou du moment où elles sont ouvertes. Dans de nombreux systèmes juridiques, le délai de recours devant la Cour constitutionnelle ou la Cour suprême est de six, douze ou dix‑huit mois à compter de la première décision. Faudra‑t‑il que l’intéressé ait effectivement engagé un recours pour que le délai commence à courir? En général, les avocats ne se tournent vers les voies de recours internationales qu’une fois les délais pour les recours internes écoulés. Il ne faudrait pas que des personnes soient pénalisées parce qu’elles auraient laissé expirer les délais de recours internes. Pour ce qui est de la place de cette règle dans le Règlement intérieur, l’article 96 c) ne semble pas approprié car la soumission tardive d’une communication ne relève pas de l’abus du droit de plainte au sens de l’article 3 du Protocole facultatif mais n’est souvent, sauf dans certains cas flagrants, qu’une faute de négligence. Enfin si le nouvel article est adopté, il faudra le faire largement connaître par l’intermédiaire des grands journaux juridiques du monde entier. Il se peut que la date du 1er janvier 2009 pour son entrée en vigueur soit trop proche pour permettre la campagne d’information nécessaire.

52.M. GLÈLÈ AHANHANZO dit que ce projet a déjà été évoqué à plusieurs reprises par le Comité et qu’il s’y est opposé à chaque fois pour une question de principe. Le Comité ne doit pas agir de façon détournée, mais exposer avec précision le fondement juridique de son action, en expliquant clairement les raisons pour lesquelles il veut modifier la règle. Sur le continent africain, à l’exception peut‑être des régions anglophones de l’Afrique australe, très peu de personnes connaissent l’existence du Comité et moins encore les règles à suivre pour lui adresser une plainte. Il a pu constater lors de discussions avec des universitaires africains et même avec des membres du Conseil constitutionnel de son pays, dont il a été membre pendant dix ans, que le Comité est connu de très peu de monde. Il faut ensuite déterminer à partir de quand court le délai et qui peut affirmer qu’il est dépassé. Ce peut être l’État partie ou le Comité. Toutefois ce dernier n’est pas une sorte de juridiction et rien ne l’autorise à s’octroyer ce pouvoir. M. Glèlè Ahanhanzo estime que présenter une communication après une longue période ne constitue pas un abus du droit de plainte. Il a demandé à plusieurs reprises que le Comité établisse une liste des cas d’abus de ce droit. Le Comité a besoin de réfléchir à ce projet et devrait reprendre le débat à la session suivante, car la question touche de nombreuses personnes.

53.M. IWASAWA dit qu’il est favorable au projet. Le Comité doit toutefois rester prudent en introduisant une limite nouvelle au droit de plainte. Il devrait en particulier énoncer clairement que l’État partie doit soulever une objection tenant à la soumission tardive pour que la nouvelle règle puisse être invoquée. Il faut également organiser une campagne d’information afin de faire largement connaître le nouveau critère. La Convention européenne des droits de l’homme et des libertés est très restrictive sur ce point puisqu’elle dispose que la Cour ne peut être saisie que «dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive». En outre, elle ne retient aucune requête déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En ce qui concerne la durée des délais, il approuve les périodes proposées; toutefois la période de deux ans depuis la fin d’une procédure devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement se justifie dans un premier temps en attendant que la nouvelle règle soit connue mais devrait être réduite par la suite. En effet, les personnes qui ont saisi une autre instance internationale ne peuvent pas ne pas connaître la procédure de recours prévue par le Protocole facultatif.

54.M. BHAGWATI rappelle que dans de très nombreux pays beaucoup de personnes ne connaissent pas leurs droits et lorsqu’elles sont victimes de violations de leurs droits, ce n’est souvent que des années plus tard qu’elles découvrent la possibilité de faire recours devant un organe international. Il faut donc leur accorder un certain temps. Néanmoins, il faut également veiller à prévenir d’éventuels abus et une période de quatre ans semble raisonnable. Toutefois, on ne saurait appliquer strictement cette règle; il faut y prévoir une exception formulée de façon assez large, pour donner aux habitants de pays en développement la possibilité d’expliquer les raisons pour lesquelles elles n’ont pas pu saisir le Comité dans les délais. Ces raisons n’ont même pas à être impérieuses; elles devraient être étudiées au cas par cas, et le simple fait que l’intéressé vienne d’un pays en développement où il n’a pas été informé de ses droits devrait être considéré comme suffisant pour justifier un retard dans la présentation d’une communication.

55.Mme PALM dit qu’elle hésite également à arrêter une règle fixant des délais déterminés, pour les raisons exposées par M. Glèlè Ahanhanzo et M. Bhagwati. Elle se demande si, alors qu’aucune condition à ce sujet n’est énoncée ni dans le Pacte ni dans son Protocole facultatif, le Comité, dont la mission de garantir les droits des personnes, est habilité à établir une règle limitative excluant certains demandeurs. Elle préférerait qu’il développe une jurisprudence constante dans ce domaine plutôt que d’établir une règle, même si celle‑ci autorise des «circonstances exceptionnelles» qui pourraient être étendues de façon à tenir compte des observations de M. Bhagwati. Le Comité n’est pas dans la même situation que la Cour européenne des droits de l’homme, qui applique en ce qui concerne le délai dans lequel la plainte peut être présentée, une règle fixée dans la Convention européenne des droits de l’homme. La seule directive dont le Comité dispose est celle, très vague, qui est énoncée à l’article 3 du Protocole facultatif. Si une majorité des membres du Comité estimait qu’une règle est nécessaire, Mme Palm pourrait accepter un délai de quatre ans avec la possibilité d’examiner les situations au cas par cas. Le mieux serait malgré tout que le Comité adopte une démarche souple, mais un peu plus cohérente qu’elle ne l’a été jusque‑là, pour déterminer s’il y a abus du droit de plainte.

56.M. KHALIL dit que les critères minimaux de recevabilité existent déjà et il ne voit pas la nécessité d’établir une règle impérative pour une question aussi importante, même si l’on prévoit qu’il peut y avoir des exceptions. La condition selon laquelle il faudrait d’abord que l’État partie formule une objection n’est pas acceptable, car il ne fait aucun doute que tous les États parties commenceront par objecter que la communication a été présentée en retard, à plus forte raison si l’on fait connaître le nouvel article par une campagne d’information. Si le but recherché est d’obtenir une plus grande cohérence dans ses décisions, le Comité, ayant pris conscience de cette nécessité, pourrait obtenir ce résultat pour d’autres moyens qu’un critère rigide, l’empêchant d’examiner au cas par cas les communications qui lui sont présentées.

57.Le PRÉSIDENT dit qu’il est tout à fait possible d’établir un critère de recevabilité fondé sur le délai de soumission d’une plainte, pour peu que l’on prévoie les garanties nécessaires. Certes, il est permis d’avoir des doutes sur le fondement juridique de cette démarche; toutefois, il y a eu une évolution importante dans les procédures et les méthodes de travail du Comité et d’autres organes, due au fait que les textes fondateurs ne donnent pas toujours des règles très claires. Par ailleurs, il sera essentiel de faire connaître la nouvelle disposition, car il s’agit d’une réelle réforme: le Comité pourrait donc envisager lancer une campagne d’information auprès des États, des ONG et de différents acteurs.

58.Si le Comité parvient à un accord sur le délai pour la soumission des communications, l’application de ce nouveau critère ne devra être faite que si l’État partie soulève cette objection. De plus, il faudra déterminer avec précision à partir de quel moment le délai commence à courir et par conséquent savoir aussi avec certitude à quel moment les recours internes sont considérés comme épuisés, c’est‑à‑dire décider si le point de départ est le moment où l’auteur a engagé la procédure ou le moment où la décision finale a été rendue par la juridiction de dernier ressort. À condition que toutes ces questions soient bien précisées, le projet de nouvel article, sans être idéal, donnera au Comité un moyen d’améliorer les résultats de son travail au titre du Protocole facultatif.

59.Mme WEDGWOOD remercie M. Bhagwati d’avoir rappelé que dans de nombreux endroits du monde les victimes ignorent tout de leurs droits et n’ont aucun moyen de les faire valoir. Le Comité doit éviter de fixer une règle qui corresponde à une vision occidentale, développée, des choses. Aussi pour ne pas décourager les avocats de victimes de présenter une communication alors que le délai de quatre ans est écoulé, il vaudrait mieux donner à la deuxième phrase du projet un tour positif et donc remplacer l’expression «en l’absence de circonstances exceptionnelles expliquant le retard» par «dans des circonstances ordinaires» («in ordinary circumstances»).

60.M. O’FLAHERTY dit qu’il a écouté les interventions des membres du Comité avec la plus grande attention. Il a toujours été réticent à l’adoption de cette règle, mais il a néanmoins décidé d’accepter le projet de texte, avec la modification proposée par Mme Wedgwood et d’autres changements éventuels. Cela étant, il a une toute autre solution à proposer; au lieu d’introduire un nouvel article dans le Règlement intérieur, le Comité pourrait élaborer un document de travail interne établissant un ensemble de principes directeurs qui aiderait les membres à déterminer dans quelles circonstances un retard dans la soumission d’une communication peut constituer un abus du droit de plainte.

61.Le PRÉSIDENT remercie les membres du Comité de leurs intéressantes suggestions et les invite à poursuivre le débat sur cette importante question à la séance suivante.

La séance est levée à 18 h 5.

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