Quatre-vingt-neuvième session

Compte rendu analytique de la 2425e séance

Tenue au Siège, à New York, le lundi 12 mars 2007, à 15 heures

Président :M. Rivas Posada

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte et de la situation dans des pays

Troisième rapport périodique de Madagascar

La séance est ouverte à 15 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte et de la situation dans des pays

Troisième rapport périodique de Madagascar (CCPR/C/MDG/2005/3 ; CCPR/C/MDG/Q/3 et Add.1)

À l’invitation du Président, la délégation de Madagascar prend place à la table du Comité.

M me Ratsiharovala (Madagascar), tout en déplorant le long retard qu’a pris la présentation du rapport (CCPR/C/MDG/2005/3), assure le Comité que Madagascar s’estime liée par le Pacte et est disposée à prendre les mesures voulues pour mieux l’appliquer. En 2003, le Gouvernement a créé un comité technique composé de fonctionnaires et de membres d’organisations non gouvernementales et de la société civile à qui il a confié le mandat de préparer les rapports sur les droits de l’homme, ce qui a permis de rattraper le retard dans la présentation des rapports du pays aux divers organismes créés en vertu d’instruments relatifs aux droits de l’homme.

Les réponses de la délégation à la liste des points à traiter (CCPR/C/MDG/Q/3) porteront sur l’évolution de la situation dans les domaines juridique, législatif, institutionnel, judiciaire et politique, ainsi que sur les mesures prises ou prévues par le Gouvernement pour mettre en œuvre le Pacte. L’intervenante informe le Comité que depuis la rédaction du rapport en 2004, une nouvelle loi relative au pouvoir judiciaire a réformé le système judiciaire alors que le décret no2006-015 portant organisation générale des services pénitentiaires a réformé le système carcéral. En 2005, Madagascar a également ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que les deux Protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l’enfant. Le Gouvernement a publié, à l’intention du grand public et en langue malgache, des manuels à large diffusion qui portent sur le respect des droits de l’homme et présentent des recommandations sur l’application du Pacte. Enfin, le projet de révision de la Constitution qui sera soumis à un référendum le 4 avril 2007 renforcera les dispositions concernant l’application effective des instruments relatifs aux droits de l’homme auxquels Madagascar est partie. La délégation attend avec intérêt un dialogue constructif avec le Comité.

Le Président invite la délégation à aborder les questions 1 à 12 de la liste des points à traiter. (CCPR/C/MDG/Q/3).

M. Rakotoniaina (Madagascar), se référant à la question 1, fait observer que l’article 8 de la Constitution respecte les exigences du Pacte puisque, en vertu de la disposition, tous les citoyens malgaches bénéficient de l’égalité devant la loi et les étrangers qui se trouvent sur le territoire ont le même droit que les citoyens d’exercer un recours pour obtenir réparation d’un préjudice causé par la violation de leurs droits fondamentaux. Les étrangers ont les mêmes droits que les Malgaches sauf pour ce qui concerne certains droits politiques dont jouissent exclusivement les citoyens. En réponse à la question 2, après l’arrêt de la Cour suprême de 2003, il n’y a eu qu’une seule décision judiciaire dans laquelle il a été ordonné qu’une femme victime de discrimination en milieu de travail à cause de son sexe et de son âge soit indemnisée. Les citoyens et les fonctionnaires ne connaissent pas suffisamment leurs droits fondamentaux, mais le Gouvernement prend des mesures concrètes afin de sensibiliser la population. Ainsi, depuis 2006, les fonctionnaires judiciaires ainsi que la police bénéficient d’une formation aux droits de l’homme, ce qui permettra à terme d’élargir la portée de la jurisprudence et de garantir ainsi la mise en œuvre du Pacte.

Le Gouvernement a l’intention de rétablir la Commission nationale des droits de l’homme (question 3) dès qu’il aura évalué les résultats de son premier mandat et révisé son statut de manière à ce qu’elle soit mieux opérationnelle; de nouveaux membres seront alors élus.

En réponse à la question 4, l’intervenant dit qu’en 2001, le Gouvernement avait proclamé l’état d’urgence comme le permet la Constitution. L’état d’urgence peut être proclamé sur tout ou partie du territoire national, et tout abus de pouvoir peut être contesté devant un tribunal de common law ou un tribunal administratif. Les délais prescrits confèrent une protection juridique; l’état d’urgence ne peut être proclamé que par décret officiel et ne peut durer plus de 15 jours en cas d’urgence nationale, ou plus de 3 mois, période qui peut être prolongée, s’il s’agit d’une loi martiale.

L’intervenant dit que les statistiques concernant la participation des femmes aux secteurs public et privé (question 5) se trouvent dans les réponses supplémentaires écrites qui ont été distribuées aux membres (CCPR/C/MDG/Q/3/Add.1, par.  21 à 27). Le nombre de femmes qui occupent des postes importants à l’échelle nationale et internationale a augmenté et la tendance devrait se maintenir. Le tableau 1 présente des données sur la participation des femmes à la vie économique; d’autres renseignements sont fournis sur la politique du Gouvernement en matière d’égalité des sexes ainsi que sur les mesures prises pour combattre les coutumes traditionnelles contraires au Pacte.

S’agissant de l’accès à la contraception (question 6), l’intervenant dit que le taux de mortalité maternelle causée par les avortements clandestins ou les maladies infectieuses a diminué et que le Gouvernement s’attache à rendre la contraception plus accessible d’ici à 2012 pour favoriser une baisse supplémentaire de ce taux.

Les crimes dont les auteurs sont passibles de la peine capitale en vertu du nouveau Code pénal (question 7) comprennent le vol à main armée, le meurtre prémédité, l’incendie criminel, l’empoisonnement et les complots contre le Gouvernement. Lors de sa dernière session, le Parlement a reporté l’adoption de la loi portant adhésion au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte mais puisque Madagascar a déjà aboli la peine capitale, l’adhésion ne devrait soulever aucun problème.

Il y a lieu de préciser la réponse à la question 8. Les Dina (rapport, par.  108 à 114) sont des règles coutumières villageoises qui sont interprétées et appliquées par des organismes villageois chargés de l’application de la loi en vertu d’une sorte de système de droit coutumier qui a évolué parallèlement aux juridictions malgaches officielles. Par le passé, ces juridictions coutumières ont en fait ordonné l’exécution sommaire de bandits dans leur région; toutefois, ces exécutions sommaires ont cessé après la condamnation pour assassinat, en 1997, d’un membre de l’un de ces organismes. La loi no 2001-004 a pour objet d’incorporer les Dina dans le système juridique malgache en exigeant que toutes les règles traditionnelles soient conformes au droit et approuvées par le système judiciaire. Une fois la règle approuvée, toute décision qui en découle a force obligatoire sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’approbation du tribunal mais la décision peut être portée en appel devant les juridictions malgaches officielles. En règle générale, les Dina ne visent que les délits dont les auteurs sont passibles des peines qui sont imposées habituellement dans le pays, et elles s’appliquent également au règlement de différends mineurs dans le village. Par le passé, quelques-unes de ces juridictions coutumières ont condamné les auteurs d’infractions qui auraient été punissables d’une peine maximale de cinq ans devant les juridictions malgaches officielles à la peine capitale, mais ces condamnations, prononcées dans les villages, ne sont plus autorisées en vertu du nouveau Code pénal.

S’agissant de la question 9, ayant trait aux allégations d’actes de torture pratiqués réciproquement par les partisans des deux partis lors des élections de 2001, le Gouvernement a examiné et rejeté ou poursuivi toutes les plaintes et a octroyé une réparation à certaines victimes. La plupart des plaintes proviennent des partisans du candidat qui est aujourd’hui le Président. Bien entendu, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas eu de plainte qu’il n’y a pas eu d’actes de torture; cependant, les plaintes ont considérablement aidé les autorités à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à cette pratique.

En réponse à la question 10, l’intervenant dit que le décret no59-121 (rapport, par.  129) a été abrogé par le nouveau décret no2006-015 portant organisation générale des services pénitentiaires à Madagascar, qui a aboli la main-d’œuvre pénale. Le salaire des détenus est aujourd’hui à peu près le même que le salaire habituellement versé pour les tâches effectuées. Quant à la protection des travailleurs domestiques, ils jouissent des mêmes droits et avantages sociaux que tous les autres travailleurs. Pour l’avenir, le Gouvernement entend améliorer le niveau de vie de tous les citoyens malgaches, y compris les travailleurs domestiques.

Le Parlement est sur le point d’adopter la proposition de réforme visant la réduction du délai de détention avant jugement (question 11). En droit, la période de détention maximale avant jugement est de 20 mois, soit une période initiale de 8 mois suivie de 2 prolongations de 6 mois. S’il y a enquête judiciaire préliminaire, une période maximale de détention de trois mois est autorisée. La nouvelle loi éliminera complètement les mandats d’arrestation immédiate pour la perpétration d’un crime qui permettent une détention illimitée (réponses écrites, par.57).

Ainsi qu’il ressort des réponses écrites (par. 69 à 71), le Gouvernement a traité tous les dossiers de détenus ayant passé plus de cinq ans dans l’attente de leur procès et il examine maintenant ceux des détenus qui attendent depuis plus de trois ans. Il a formé des équipes juridiques élargies qui se réunissent plusieurs fois par an pour traiter les dossiers de personnes qui sont détenues depuis longtemps et un groupe de travail spécial s’occupe des 400 affaires criminelles en instance. Aucun détenu n’attend l’audition de son appel depuis 1972 dans la prison de Nosy Lava. Toutefois, un prisonnier attend depuis 1978. Le Gouvernement est en train de corriger l’erreur à l’origine de cette situation, qui a été commise par des bénévoles qui connaissaient très peu la procédure; cela ne se reproduira plus à l’avenir.

En réponse à la question 12, l’intervenant dit que les arrestations ou les détentions ne sont arbitraires que lorsqu’elles ne reposent sur aucune loi pénale ou procédure régulière ou lorsque le détenu ignore les raisons de son arrestation ou sa détention. Les arrestations effectuées pendant la période des élections de 2001 sont toutes, sans exception, justifiées par des faits : destruction de biens, détournement de fonds, enlèvement, voies de fait, meurtres et crimes contre la sécurité intérieure de l’État, certains crimes étant de nature politique. En fait, il n’y a eu pratiquement aucun conflit entre les factions rivales avant ou pendant l’élection, un seul incident ayant été signalé, dans un hôtel privé après l’annonce des résultats. Ce n’est qu’après la décision de la Cour constitutionnelle d’exiger une nouvelle vérification de tous les documents relatifs au scrutin et après que la communauté internationale a reconnu officiellement le nouveau régime que les problèmes ont commencé.

Le Président invite le Comité à poser des questions à la délégation.

M. Amor demande si la délégation peut soumettre le texte provisoire de la nouvelle constitution proposée qui sera soumise à un référendum le 4 avril. Certes, les structures coutumières favorisent la cohésion sociale, mais elles sont difficiles à concilier avec les besoins modernes du pays, avec son droit positif et la Constitution et avec ses engagements internationaux, y compris ses obligations en matière de droits de l’homme. Même si la délégation a expliqué que les Dina visent principalement les délits mineurs, on ignore si les décisions qui en découlent sont fondées sur les coutumes ou sur les lois et règlements en vigueur. Les normes sociales imposées par les Dina heurtent quelquefois les obligations de l’État partie en vertu du Pacte, notamment pour ce qui concerne l’élimination systématique des jumeaux dans certains villages du sud-est ou la pratique de la polygamie. Il incombe à l’État de prendre les mesures qui s’imposent pour assurer le respect du Pacte, quelles que soient les circonstances propres à la pratique coutumière.

L’intervenant demande si la Charte internationale des droits de l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention relative aux droits de l’enfant ont été incorporées au droit constitutionnel positif de Madagascar après leur ratification. Il souhaite en particulier savoir si le Gouvernement entend intégrer les dispositions du Pacte dans sa législation.

Il demande si le principe de la primauté des instruments internationaux sur les lois nationales, sous réserve de la réciprocité avec l’autre partie, s’applique également aux lois organiques. Il se demande si le Pacte a une valeur infra-organique et supra-ordinaire et si le principe de la réciprocité peut s’appliquer aux traités multilatéraux, y compris les instruments relatifs aux droits de l’homme. Il s’enquiert également des actes de procédure ou des mécanismes permettant d’assurer le respect des dispositions du Pacte. Comment le principe de la réciprocité – qui s’applique aux droits politiques et économiques d’étrangers dans le cas de traités bilatéraux – s’applique-t-il aux droits individuels des étrangers? Existe-t-il une jurisprudence, notamment de la Cour constitutionnelle, à cet égard?

M. O ’ Flaherty demande quel a été le raisonnement de la Cour suprême quand elle s’est fondée sur le Pacte pour rendre l’arrêt Dugain c. Air Madagascar dans lequel le Pacte est cité. Il demande également si la délégation peut fournir des précisions concernant le projet de programme conjoint avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) qui aurait pour objet la sensibilisation des spécialistes et du public, et principalement des juges et des juridictions coutumières qui imposent les Dinas. Concernant la formation, il demande des renseignements sur l’importance de l’éducation aux droits de l’homme dans les universités et les établissements scolaires et dans la formation des juges et avocats. Il demande si le programme du PNUD est durable et s’il répond aux besoins à long terme des institutions en matière d’éducation aux droits de l’homme.

S’agissant de la question 3 sur la Commission nationale des droits de l’homme, l’intervenant dit que le Comité des droits de l’enfant et le Comité sur l’élimination de la discrimination raciale ont également exprimé leurs préoccupations au sujet de la suppression de la Commission et demande si la délégation connaît la date à laquelle le Gouvernement aura terminé la première étape de son examen et celle du rétablissement de la Commission. Il demande également si le Gouvernement prend des mesures afin que la Commission réponde aux normes internationales les plus élevées applicables aux commissions des droits de l’homme et si, à cet égard, le Gouvernement consulte le Haut-Commissariat aux droits de l’homme.

S’agissant de la question 4 portant sur l’état d’urgence, l’intervenant demande des précisions concernant les mécanismes indépendants de contrôle, notamment judiciaire, qui ont été mis en place pour surveiller l’activité gouvernementale. Évoquant les informations provenant d’organisations non gouvernementales malgaches faisant état de cas de traite d’êtres humains, il demande si le Gouvernement a mis en place des programmes pour se pencher sur la question et s’il collabore avec les pays voisins pour mettre un frein à cette activité. Enfin, il demande si la délégation dispose de statistiques concernant la poursuite de trafiquants et les mesures prises pour venir en aide aux victimes.

M. Glélé-Ahanhanzo, tout en reconnaissant l’ampleur des pressions sociales qui nuisent à l’égalité des sexes, demande ce que fait le Gouvernement pour éduquer le public à cet égard, plus particulièrement sur la coutume qui consiste à rejeter systématiquement les jumeaux. Il demande des exemples concrets de mesures prises pour sensibiliser la population dans des régions où la résistance à l’égalité des sexes est courante et pour éduquer le public sur les dispositions du Pacte.

M. Kh ä lil, soulevant la question du respect du droit à la vie, dit qu’il se réjouit de constater que le Gouvernement a accepté les conclusions d’une étude sur la situation de la femme et de l’enfant à Madagascar (CCPR/C/MDG/2005/3, par.  83) qui révèle qu’il existe toujours des facteurs liés à l’ignorance ou à la méconnaissance de l’utilisation des méthodes contraceptives modernes. Malheureusement, très peu de mesures ont été prises pour s’attaquer au problème des enfants non désirés et des avortements illégaux et pour améliorer la planification familiale. Certes, la délégation déclare que davantage d’efforts sont consentis en la matière, mais l’intervenant souhaite qu’on précise la nature des mesures prises pour faire cesser la coutume répréhensible consistant à rejeter systématiquement les jumeaux et pour sensibiliser les chefs traditionnels à cette question. Enfin, il demande si les tribunaux se sont assurés que les Dina respectent les garanties minimales prévues par l’article 14 du Pacte et si l’État partie compte définir clairement la notion de torture dans son projet de loi sur la ratification de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

M me Palm attire l’attention sur les paragraphes 120 à 123 du rapport sur l’interdiction de l’esclavage, qui révèlent qu’une forme d’esclavage continue d’exister, à savoir le non-paiement d’un salaire adéquat à certains travailleurs, et qu’aujourd’hui l’esclavage est surtout lié au travail mal ou non rémunéré, habituellement de travailleurs domestiques ou de détenus. Constatant avec satisfaction la réorganisation de l’administration pénitentiaire malgache (réponses écrites, par. 48), elle relève toutefois qu’on continue d’autoriser les détenus à travailler à l’extérieur de l’établissement pénitentiaire pour des entreprises privées qui ne leur versent pas un salaire adéquat. Il faut des précisions concernant les tâches effectuées par les détenus et leur caractère obligatoire ou non, le salaire des détenus par rapport au salaire normalement versé pour le même travail et les personnes qui touchent ce salaire, le cas échéant. L’intervenante note également avec préoccupation que des enfants travaillent toujours comme domestiques en milieu urbain comme rural, sans rémunération et dans des conditions extrêmement difficiles malgré la loi qui interdit le travail des enfants. Elle veut savoir ce que fait l’État pour appliquer la loi pertinente et pour protéger les enfants contre cette forme d’esclavage moderne.

M. Lallah dit qu’il s’est écoulé trop de temps depuis la présentation du dernier rapport. Il espère qu’à l’avenir, le problème sera résolu puisque, dans ces conditions, le Gouvernement malgache n’a pu bénéficier des observations du Comité. Dans le présent rapport, par exemple, les recommandations antérieures du Comité ne sont guère mentionnées.

S’agissant de la question 12, l’intervenant se préoccupe du traitement des personnes responsables de certains des événements survenus en 2001. Dans le but de protéger les droits garantis par l’article 25 du Pacte, il faut éviter que le public ait l’impression que certains ont agi avec impunité. À Madagascar, l’appareil judiciaire n’a pas la réputation d’être totalement indépendant du Gouvernement. La question 12 a pour objet d’assurer un traitement égal pour tous. L’intervenant demande si les responsables des troubles de 2001 ont été traités d’une manière impartiale quelle que soit leur allégeance politique. Il serait utile de savoir combien de partisans du Gouvernement ont été punis par rapport aux membres de l’opposition. La démocratie a plusieurs ennemis, dont les deux plus importants sont l’impunité et la discrimination dans le traitement des individus.

S’agissant de l’article 4 du Pacte, même si les mécanismes juridiques ont été décrits en détail aux paragraphes 44 à 68 du rapport, l’état d’urgence déclarée en 2001 n’est pas mentionné. En outre, les renseignements fournis dans les réponses écrites supplémentaires sont très succincts. La Constitution malgache n’incorpore pas les dispositions de l’article 4 et on ignore si les modifications proposées à la Constitution en font mention. L’article 4 est essentiel, les articles précédents portant sur des droits fondamentaux auxquels ne peut en aucun cas déroger le pouvoir exécutif.

L’intervenant demande également si le Gouvernement malgache a notifié le Secrétaire général et les autres États parties au Pacte de l’état d’urgence. Cette notification est essentielle. Quand il y a dérogation, comme ce fut le cas en 2001, le Comité doit être avisé des droits visés, de la portée de la dérogation et des mesures prises en vertu de celle-ci.

S’agissant des Dina, il ne faut pas croire que le Comité connaît leur fonction. Le Comité doit être mieux informé des procédures au titre de ce régime extrajudiciaire. Il ressort des réponses supplémentaires écrites elles-mêmes que les Dina sont un mécanisme extrajudiciaire. L’intervenant demande qu’on clarifie les recours disponibles si ce mécanisme porte atteinte à un droit protégé par le Pacte. Il veut des explications supplémentaires sur la différence entre les décisions provisoires fondées sur les Dina et celles ayant force obligatoire. Il veut savoir si les autorités qui approuvent les décisions fondées sur les Dina tiennent compte des droits protégés par le Pacte. Il demande si, en conformité avec l’article 14 du Pacte, les décisions sont susceptibles d’appel par le défendeur, le requérant et la partie poursuivante concernés relativement aux droits protégés et aux atteintes portées à ces droits et si la présomption d’innocence s’applique.

Enfin, l’intervenant souhaite savoir si, vu que le pouvoir judiciaire n’est pas réputé indépendant, il existe un code de déontologie pour la magistrature. Un tel code serait la seule garantie qu’auraient les citoyens aux prises avec le pouvoir de l’État ou la classe dirigeante.

M me Chanet dit qu’elle déplore, elle aussi, la longue période de temps qui s’est écoulée entre les rapports périodiques. Elle indique qu’il est disproportionné de sanctionner le vol de bétail par la peine capitale qui d’ailleurs est interdite par l’article 6 du Pacte. S’agissant de la question 12, il semble que les responsables des événements de 2001 n’aient pas tous été condamnés à la même peine, celle-ci dépendant des opinions politiques de l’accusé, ce qui est préoccupant. La commission d’enquête proposée, qui aurait pu permettre d’éviter ces inégalités, n’a pas été créée et l’intervenante souhaite connaître l’opinion de la délégation sur ce sujet. Concernant les Dina, elle demande des précisions sur leur application et, surtout, les recours disponibles lorsqu’une personne est condamnée en vertu d’une décision fondée sur celles-ci. Il semble également que, malgré la nouvelle loi mentionnée dans le rapport qui a pour objet de réglementer les décisions fondées sur les Dina, les exécutions sommaires se poursuivent dans les campagnes, souvent pratiquées par des forces de sécurité.

S’agissant de la torture, le rapport mentionne une loi qui a pour objet l’application de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’intervenante veut savoir si cette loi porte répression de la torture en tant que telle ou si la torture ne constitue qu’une circonstance aggravante lors de la commission de certains crimes comme le prévoit l’article 303 du Code pénal.

Concernant la période de détention, elle s’étonne de la réponse donnée par la délégation malgache concernant la sécurité de la personne et le droit de ne pas être détenu arbitrairement. Selon le paragraphe 57 des réponses supplémentaires écrites, il n’y a aucune limite à la durée de la détention lors de l’émission d’un mandat d’arrestation, ce qui est contraire à l’article 9 du Pacte. Il faut préciser le contenu du projet de loi concernant la détention préventive maximale autorisée.

M. Glélé-Ahanhanzo demande la durée maximale de la détention avant jugement et le nombre de personnes libérées sous caution au cours des récentes années, ainsi que des précisions au sujet de détenus qui ont passé plus de cinq ans en détention préventive (CCPR/C/MDG/2005/3, par. 205 et 206). Enfin, relativement à la question 11, même si aucun détenu de Nosy Lava n’attend l’audition de son appel depuis 1972 (réponses écrites), une personne attend depuis 1979, ce qui est une période excessivement longue. Il demande donc que le Gouvernement malgache règle de toute urgence la situation.

M me Motoc, constatant avec satisfaction le nombre important de femmes dans la délégation, demande quelles mesures ont été prises à Madagascar pour sensibiliser les populations rurales au Pacte. Il faut savoir si des mesures ont été prises pour informer les chefs traditionnels au sujet des dispositions des instruments internationaux auxquels Madagascar est partie. L’intervenante demande également les mesures qui ont été prises pour punir les personnes reconnues coupables d’avoir violé le droit malgache, y compris les chefs traditionnels responsables d’exécutions sommaires. Au regard des initiatives malgaches visant à combattre la corruption, ces moyens sont nécessaires non seulement pour instaurer un environnement propice au développement économique, comme le mentionne le rapport, mais aussi pour assurer le respect des droits de l’homme. L’intervenante demande des précisions sur les mesures prises par les organismes de lutte contre la corruption mentionnés dans le rapport et les moyens mis en place pour combattre l’augmentation récente du nombre d’enlèvements et les réseaux mentionnés dans le rapport qui s’en prennent principalement aux ressortissants indiens et pakistanais. Elle demande une mise à jour du projet de loi visant l’abolition de la peine de mort. Enfin, elle veut savoir si la Constitution reconnaît l’existence des minorités.

M. Iwasawa, sachant que la délégation malgache a reconnu d’emblée qu’il y avait des obstacles à la mise en œuvre du Pacte, notamment les coutumes en milieu rural, demande si ces coutumes influent sur les droits fondamentaux autres que le droit à l’égalité des sexes et le droit à la vie. Il souhaite obtenir d’autres renseignements sur l’efficacité des mesures prises pour lutter contre les coutumes qui sont contraires au Pacte, ainsi qu’il ressort du paragraphe 28 des réponses supplémentaires écrites.

M. Johnson dit que si les droits des syndicats sont garantis dans tous les domaines en vertu du droit malgache, en pratique, les travailleurs de la zone franche industrielle d’exportation arrivent difficilement à se syndiquer et à négocier une convention collective. Une seule des 62 sociétés en activité dans la zone franche a signé une convention collective. On signale également des cas d’abus concernant les heures supplémentaires obligatoires, le travail de nuit pour les femmes et le harcèlement sexuel. L’intervenant souhaite des précisions à ce sujet.

La séance est ajournée à 17 h 10; elle est reprise à 17 h 35.

M. Rakotoniaina (Madagascar) explique que le Gouvernement malgache a, en collaboration avec le PNUD, mis sur pied des programmes de sensibilisation pour tenter d’éliminer les us et coutumes qui sont contraires au Pacte et au droit interne. Puisqu’il s’agit d’un processus à long terme, il a été décidé que pendant l’année en cours, le programme consistera à amorcer un dialogue dans les communes ou les villages principalement sur le tabou relatif aux jumeaux.

Le programme visera les chefs traditionnels, les autorités locales et de l’État, les enseignants et les chefs religieux ainsi que les victimes, à savoir les parents de jumeaux. Toutefois, la question est d’autant plus difficile qu’il est tabou de parler des tabous. Il faut surmonter le tabou contre les jumeaux pour que le comportement des gens change mais, bien entendu, ce sera difficile. Par la suite, le programme sera mis en œuvre dans d’autres secteurs et portera sur d’autres thèmes. Dans les divers villages, des personnes désignées à cette fin tenteront de convaincre les villageois qu’il faut abandonner les tabous et autres coutumes négatives. Enfin, il y aura une évaluation de l’impact de l’ensemble du programme.

S’agissant de concilier État moderne et juridictions coutumières qui rendent des décisions extrajudiciaires, le phénomène existe depuis toujours mais l’État tente de l’éliminer, en particulier en poursuivant les chefs coutumiers responsables d’exécutions sommaires. En 1997, un de ces chefs a été condamné et, depuis, il n’y a eu aucune exécution sommaire dans la région.

La loi portant codification des Dina a pour objet de supprimer les juridictions coutumières qui ont, par le passé, rendu des décisions qui n’étaient pas conformes au droit et qui étaient disproportionnées par rapport au crime reproché (en outre, il n’y avait aucun recours possible). La loi autorise l’élaboration de Dina, ou de règles qui s’appliquent dans un village en particulier, mais elles ne doivent pas être contraires au droit positif. Autrement dit, les règles peuvent porter sur des questions mineures qui concernent le village, mais les gens ne seront plus jugés par des juridictions coutumières qui ne sont pas autorisées par la loi. Concernant le statut des décisions prises en vertu des Dina, si l’une des parties au conflit n’est pas satisfaite du résultat, elle peut introduire un recours devant la cour d’appel. Les résultats constatés sont positifs : la presse ne parle plus d’exécutions sommaires ordonnées par les juridictions coutumières.

Quant à la question des exécutions sommaires par les policiers en milieu rural, ces derniers n’ont eu recours à leur arme que quand leur vie a été menacée par des bandits armés. Il s’agit donc de savoir si c’est un cas de légitime défense, en d’autres termes, si la vie du policier était réellement en danger quand il a déchargé son arme. Le simple fait qu’un bandit soit armé justifie une réponse armée. D’ailleurs, le Gouvernement est au fait de plusieurs policiers qui ont hésité et qui ont eux-mêmes été tués par les bandits. La presse ne mentionne pas toujours ces faits, elle ne mentionne que les situations inverses, lorsqu’un bandit est tué par la police. Mais les agents sont aussi des êtres humains et ils ont droit à la vie. Certes, il y a quelquefois des erreurs de jugement; toutefois, si un policier tire alors que la situation ne le justifie pas, il peut être poursuivi et condamné.

S’agissant de l’administration sélective de la justice pendant la période électorale et les rumeurs voulant que les peines aient été systématiquement infligées de façon à nuire aux partisans d’un groupe en particulier, l’intervenant dit qu’il faut comprendre le contexte. Pendant les manifestations, une foule immense avait installé des barricades pour empêcher l’arrivée de denrées alimentaires à la capitale et des soldats avaient été dépêchés pour disperser les manifestants. On a dynamité des ponts, mis le feu et commis des crimes violents. Toutefois, toutes ces infractions ont été commises par un seul groupe de partisans qui ne s’est pas plaint d’avoir été agressé par l’autre groupe. S’il y avait eu de telles plaintes et qu’aucune mesure n’avait été prise, on pourrait dire qu’il y a eu justice sélective, mais il n’en a pas été ainsi.

M. Andriamihanta (Madagascar) dit que puisqu’il y a plusieurs questions concernant les Dina, il va tenter d’être aussi clair que possible pour éviter toute interprétation erronée. Les Dina font partie de la culture et des traditions de Madagascar : c’est une façon de réglementer la vie de la société depuis des siècles. Les Dina ne font pas réellement partie d’un système juridictionnel coutumier; il s’agit plutôt d’une forme d’organisation sociale qui comporte des règles collectives adoptées par une majorité de personnes ordinaires et qui sont propres à chaque localité.

Aujourd’hui, ces règles sont codifiées et normalisées sous le nom de Dina réglementaires normalisées, aux termes de la loi no2001-004. En vertu de cette loi, les Dina doivent être conformes à la Constitution et, par voie de conséquence, au Pacte et au droit interne. Relativement à la procédure, en vertu du système de Dina, les deux parties au litige ont le droit d’être entendues. Les organismes judiciaires traditionnels qui appliquent les Dina ne sont pas archaïques et ne violent pas les droits de l’homme. Il a pu y avoir des abus par le passé, surtout dans le sud-ouest du pays, mais les chefs coutumiers qui outrepassent leur pouvoir en vertu de la loi se voient infliger maintenant des peines appropriées.

M me Rasoamananjara (Madagascar) veut clarifier le tabou qui entoure les jumeaux. En réalité, dans une partie du pays, le tabou fait partie des us et coutumes à cause de l’ignorance, de la peur et d’un manque d’éducation. Toutefois, il est faux de dire qu’un des deux jumeaux est tué, l’un d’eux est abandonné. La situation a changé toutefois, plusieurs hommes et femmes éduqués de la région choisissent maintenant de s’enfuir s’ils ont des jumeaux et ceux qui ne peuvent partir peuvent confier ces jumeaux à des centres où des associations en prennent soin jusqu’à ce qu’ils soient adoptés par des personnes de bonne volonté. Grâce aux modifications apportées à la loi, l’adoption de jumeaux par des étrangers n’est plus associée au trafic de personnes.

Le Plan d’action national genre et développement (PANAGED) fait partie du Plan d’action Madagascar. Le Document-cadre de politique économique, élaboré en 1995, a plus tard été remplacé par le Document de stratégie de réduction de la pauvreté. Ce document a à son tour été remplacé par le Plan d’action Madagascar.

M me Mohajy (Madagascar) soulève la question de savoir si les traités internationaux l’emportent sur le droit interne et si le principe de réciprocité s’applique aux traités multilatéraux et aux instruments internationaux relatifs aux droits de la personne. En vertu de la Constitution malgache, les traités ou accords dûment ratifiés l’emportent sur le droit interne. La question de la réciprocité ne se pose que dans le cas de traités bilatéraux.

Le statut des Chartes qui figurent dans le préambule a soulevé une discussion intéressante et approfondie sur la doctrine et Madagascar a adopté une approche pragmatique. En conférant aux Chartes un statut plus élevé que le droit, la Constitution prévoit leur incorporation dans le droit positif de Madagascar. Toutefois, puisqu’il n’y a aucune jurisprudence relativement à ces chartes, un séminaire sur le renforcement des capacités dans ce domaine serait utile.

La séance est levée à 18 heures.