NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international

relatif aux droits civils

et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.228318 juillet 2005

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-quatrième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 2283e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mardi 12 juillet 2005, à 10 heures

Président: Mme CHANET

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE ET DE LA SITUATION DANS LES PAYS (suite)

Quatrième rapport périodique du Yémen (suite)

La séance est ouverte à 10 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE ET DE LA SITUATION DANS LES PAYS (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Quatrième rapport périodique du Yémen (CCPR/C/YEM/2004/4; CCPR/C/84/L/YEM) (suite)

1.Sur l’invitation de la Présidente, la délégation yéménite reprend place à la table du Comité.

2.La PRÉSIDENTE invite la délégation yéménite à répondre aux questions qui ont été posées oralement à la séance précédente.

3.M. KAHTAN (Yémen), répondant à la question de savoir si les dispositions du Pacte ont été directement invoquées dans d’autres cas que celui mentionné au paragraphe 24 du rapport (CCPR/C/YEM/2004/4), dit que, si ce cas est pour l’heure unique, il fait néanmoins jurisprudence et le principe de l’invocation directe des dispositions du Pacte est acquis. Ainsi, rien ne devrait y faire obstacle dans l’avenir.

4.Un membre du Comité a demandé si le nouveau Ministère des droits de l’homme était censé se substituer à une commission nationale indépendante et, si ce n’est pas le cas, quelles mesures les autorités ont prises pour mettre en place une telle commission. M. Kahtan dit que le Gouvernement examine actuellement un projet visant à établir une commission nationale indépendante qui s’occuperait des droits de l’homme, étant pleinement conscient de l’importance d’une telle institution. Il précise également que plus de 50 organisations non gouvernementales œuvrent en toute indépendance à la défense des droits de l’homme au Yémen.

5.En ce qui concerne les textes législatifs interdisant la discrimination, la législation yéménite ne contient aucune disposition relative à la discrimination au motif du sexe. Plus généralement, les discriminations au motif du sexe, de la croyance religieuse et de l’appartenance ethnique sont interdites.

6.Un membre du Comité s’est interrogé sur le faible taux de participation des femmes dans la magistrature, notamment aux échelons supérieurs. M. Kahtan indique que, si les obligations personnelles ou sociales empêchent parfois les femmes de participer à la direction des affaires publiques, le droit yéménite ne contient pas d’interdiction. Le Yémen compte d’ailleurs un certain nombre de femmes avocates ou employées dans les services du Procureur général, et plusieurs directions de l’administration sont placées sous l’autorité d’une femme. M. Kahtan ajoute encore que, tout récemment, une trentaine de femmes ont présenté leur candidature à des postes au sein du système judiciaire, ce qui devrait renforcer la participation des femmes dans la magistrature. Enfin, plusieurs juges des tribunaux pour mineurs sont des femmes et tous ces tribunaux sont présidés par une femme. Il est certain du reste que la hausse du taux de scolarisation et le développement de la vie intellectuelle auront des répercussions positives sur la société yéménite en général et sur la participation des femmes à la direction des affaires publiques en particulier.

7.Les tribunaux qui connaissent des affaires de terrorisme et d’enlèvement ne sont en aucun cas de juridictions d’exception, mais des tribunaux ordinaires de première instance spécialisés dans les affaires de terrorisme, d’enlèvement et d’atteintes à la sécurité de l’État. Leurs décisions sont susceptibles d’appel devant une juridiction du deuxième degré et jusque devant la Cour suprême. Les conditions de nomination des juges de ces tribunaux sont les mêmes que pour les autres magistrats. Certains d’entre eux sont des juges militaires qui examinent exclusivement les affaires impliquant des membres des forces armées dans l’exercice de leurs fonctions. Il n’existe pas de définition des crimes terroristes dans la législation yéménite. Il convient de noter toutefois qu’une loi pénale a été adoptée pour lutter contre les activités terroristes et les enlèvements. Le Yémen a ratifié la Convention arabe pour l’élimination du terrorisme qui contient une définition claire du terrorisme. L’application des mesures de lutte contre les crimes terroristes est à la fois stricte et régie par les principes du droit islamique. Les peines encourues vont jusqu’à l’amputation d’une main ou d’un pied, voire la peine capitale, et la détermination de la peine est laissée à l’appréciation du juge.

8.Il a été demandé des statistiques concernant les mutilations génitales féminines et des précisions quant aux mesures prises pour faire disparaître ces pratiques. M. Kahtan renvoie les membres du Comité aux informations détaillées données dans le rapport (CCPR/C/YEM/2004/4) et précise que les très rares cas de mutilations génitales qui subsistent sont constatés surtout dans les régions côtières reculées. Ces pratiques, qui découlent de coutumes ancestrales, ont disparu dans une proportion de 90 % étant donné qu’elles sont interdites. Des propositions de modification de divers textes sont actuellement à l’étude en vue de renforcer encore cette interdiction. À l’heure actuelle, les hôpitaux et autres services sanitaires n’enregistrent plus de cas de mutilations génitales, ce qui explique l’absence de statistiques officielles dans ce domaine.

9.À la question de savoir quelles mesures les autorités ont prises pour assurer l’égalité entre hommes et femmes, protéger le droit des femmes à l’éducation et lutter contre l’analphabétisme, M. Kahtan répond que l’État garantit le droit à l’éducation aux hommes comme aux femmes. Les institutions publiques encouragent l’intégration des jeunes − garçons et filles − dans le système éducatif et l’État coopère avec diverses organisations internationales pour favoriser la scolarisation des filles et des femmes dans les zones rurales, où le travail des femmes constitue souvent un obstacle à leur éducation. Par exemple, une aide financière est accordée aux familles dont les filles sont scolarisées. Le processus engagé a déjà porté des fruits, et le nombre de filles et de femmes suivant une formation est en augmentation. M. Kahtan renvoie les membres du Comité aux statistiques détaillées figurant dans le rapport (CCPR/C/YEM/2004/4), qui montrent que la situation évolue dans le sens d’une plus grande égalité entre hommes et femmes.

10.En ce qui concerne le droit des femmes à la propriété et la participation des femmes au monde des affaires, M. Kahtan indique que les femmes ont accès à la propriété conformément au droit islamique. Elles peuvent gérer comme elles l’entendent leurs biens et leurs avoirs, directement ou par l’intermédiaire d’un tuteur (mari, père, etc.) ou de quiconque jouissant de leur confiance. En ce qui concerne leur participation au monde des affaires, s’il est difficile de l’évaluer avec précision, on peut toutefois affirmer qu’elle est bien réelle et qu’elle ne constitue pas un sujet de préoccupation pour les autorités yéménites. Certes, le taux de participation reflète le niveau actuel d’éducation et de culture des femmes, mais la situation évolue dans un sens très favorable.

11.Pour ce qui est d’une éventuelle discrimination entre hommes et femmes dans le mariage, M. Kahtan fait observer qu’il s’agit d’une question complexe, qui demanderait une étude approfondie. Globalement, on peut affirmer qu’il n’existe pas de discrimination dans ce domaine. Le contrat de mariage est un contrat civil, qui est subordonné au consentement des deux parties. Dans la jurisprudence islamique, le silence de la jeune fille ou de la femme vaut consentement. Du fait des traditions, la femme peut être gênée d’exprimer formellement son accord, ce qui explique que son silence soit interprété comme un consentement. Cette règle tend à disparaître et à l’heure actuelle les autorités s’efforcent de favoriser la transparence et d’encourager les femmes à s’exprimer ouvertement. En tout état de cause, le refus du mariage, qu’il soit explicite ou implicite, est officiellement admis. L’âge du mariage est fixé à 15 ans pour les filles comme pour les garçons dans la loi sur le statut personnel. Avant cet âge, un contrat de mariage est possible mais il doit être conclu par leurs parents ou tuteurs au nom des deux jeunes gens qui, à leur majorité, le valident ou l’invalident.

12.À propos de la procédure de divorce consistant à répéter trois fois la formule «Je divorce» qui suffirait pour que le divorce soit acquis, M. Kahtan indique que cette procédure existe effectivement dans le droit islamique uniquement au bénéfice de l’homme, mais que dans la réalité elle est très rare. En théorie, l’homme qui prononce à trois reprises successives et dans un même lieu les mots «Je divorce» peut se séparer trois fois de la même épouse, à moins que celle‑ci ne se soit remariée entre‑temps. Certains juristes considèrent cependant que cette procédure doit être interprétée comme entraînant le divorce une seule fois. Enfin, il faut noter que la loi islamique permet à la femme également de défaire les liens du mariage en demandant le divorce auprès des tribunaux. En outre, rien n’empêche une femme de porter plainte contre son mari si celui‑ci est violent ou porte atteinte à ses droits fondamentaux.

13.En ce qui concerne l’égalité en matière d’héritage, selon la loi islamique la part de la femme est la moitié de celle de l’homme. Cette règle découle de la conception du rôle de la femme qu’a la société islamique, qui considère en effet que seul l’homme doit travailler et nourrir sa famille. Ainsi, même si elle est riche, la femme n’est pas tenue de subvenir aux besoins des siens; comme ses obligations financières sont moindres, il est logique qu’elle hérite moins. Ce principe est conforme aux croyances religieuses et ne suscite aucune controverse au Yémen. Il s’agit d’un principe incontesté dans tous les pays qui appliquent la charia, ce dont les organes chargés de la protection des droits de l’homme devraient tenir compte, car il n’est pas nécessairement en conflit avec les dispositions des instruments internationaux. Il en va de même pour d’autres règles. Pour la peine de mort, par exemple, on ne devrait pas demander aux États de changer leurs coutumes et de l’interdire, mais les exhorter à l’assortir de garanties telles que le recours en appel. La loi islamique offre d’ailleurs à cet égard des garanties sans équivalent dans les autres législations, et c’est toujours avec réticence que les juges prononcent la peine de mort, surtout dans le cas d’une femme. Cette peine est du reste de moins en moins appliquée. En ce qui concerne la préoccupation du Comité au sujet de la condamnation à mort de femmes par lapidation, il faut bien voir que les juges condamnent uniquement sur la base de preuves et, si le moindre doute subsiste, ils ont le devoir de faire libérer l’accusé plutôt que de le condamner. Il existe des mécanismes de recours mais bien souvent les accusés ne comprennent pas bien leurs droits.

14.En ce qui concerne les voies de recours ouvertes aux victimes de violations des droits de l’homme, il faut savoir que ces mécanismes existent bien et sont accessibles aux hommes et aux femmes sur un pied d’égalité. Une plainte peut être déposée par la victime elle-même, ou par un tiers en son nom, à condition qu’elle soit étayée de preuves. Plusieurs autorités peuvent recevoir des plaintes pour violation des droits de l’homme, notamment le Ministère des droits de l’homme qui a un bureau spécialisé à cet effet, les commissions du pouvoir législatif (Conseil de la Choura et Parlement), et le service des droits de l’homme de chaque ministère. La commission indépendante des droits de l’homme que le Gouvernement est déterminé à créer jouera aussi un rôle majeur.

15.Concernant l’extrémisme religieux, M. Kahtan souligne qu’il s’agit d’un problème mondial qui touche toutes les religions. Au Yémen, il se limite à des cas isolés. Il faut dire que le Yémen a eu la sagesse d’assurer la réinsertion des moudjahidin revenus d’Afghanistan, qui ont compris que leur rôle était fini et ont repris une vie active. Très peu sont devenus des extrémistes. Dans d’autres pays, au contraire, les moudjahidin ont été considérés à leur retour comme une menace par leur propre gouvernement qui les avait pourtant encouragés à faire la guerre sainte, et ont donc réagi de manière agressive. Les autres pays sont invités à engager un dialogue avec ces extrémistes.

16.Un membre du Comité a évoqué la question de l’utilisation politique de la religion, phénomène courant dans nombre de pays. Au Yémen, ni l’État ni aucun parti, groupe ou organisation reconnus n’utilisent la religion comme moyen d’atteindre des objectifs politiques.

17.La traite des êtres humains est une pratique quasiment inexistante au Yémen. Après la guerre en Iraq, beaucoup d’Iraquiennes sont venues au Yémen. En raison de leur situation difficile, certaines ont été prises dans des réseaux de prostitution et elles ont peut‑être été victimes de la traite. Mais les autorités ont réagi en contrôlant très strictement les permis de résidence des étrangers. Beaucoup d’Iraquiennes ont été obligées à quitter le territoire. Pour ce qui est du trafic d’enfants, les chiffres cités par le Comité sont excessifs et incluent probablement des enfants qui sont partis et revenus, comme ceux − très nombreux − qui font le pèlerinage de La Mecque avec leur famille. Il est vrai cependant qu’un certain nombre d’enfants ont quitté le Yémen pour être contraints à la mendicité dans les pays voisins. Les autorités sont toutefois très vigilantes. Plusieurs personnes sont en jugement pour s’être livrées à la traite d’enfants, et le Ministère des droits de l’homme a créé un centre spécialisé chargé de surveiller la situation, en collaboration avec l’UNICEF.

18.En ce qui concerne l’application de la peine de mort aux mineurs, il faut rappeler qu’en vertu de la loi islamique un mineur de moins de 18 ans n’est pas pénalement responsable. L’accusation doit donc prouver que l’accusé est majeur, ce qui n’est pas toujours aisé car beaucoup de naissances ne sont pas enregistrées à l’état civil. Il faut en ce cas déterminer l’âge par d’autres moyens. Dans le cas de Hafez Ibrahim, une enquête avait établi qu’il avait 20 ans au moment des faits. Pour ce qui est de Yahya Al‑Daylami, condamné à mort en mai 2005, il a bénéficié d’une procédure rigoureusement légale, dans laquelle tous ses droits ont été garantis. Au demeurant, la décision n’est pas encore définitive. Pour clore la question de la peine capitale, M. Kahtan souligne que nul n’a jamais été condamné à mort pour motifs politiques.

19.Les personnes tuées dans l’explosion d’une voiture dans le Gouvernorat de Maarab étaient des membres présumés d’Al-Qaida. L’opération a été le fruit de la collaboration des forces de sécurité des États‑Unis et du Yémen et n’a été décidée qu’en dernier recours, après l’échec de nombreuses initiatives de pourparlers pour convaincre les intéressés de se rendre, quand il est apparu qu’il n’y avait plus d’autre moyen de mettre hors d’état de nuire ces personnes représentant une menace pour la sécurité du pays.

20.Garantir la justice et l’égalité entre plusieurs épouses est presque impossible. Le mari doit passer le même nombre de nuits avec chacune de ses épouses et doit être équitable dans le partage de ses revenus mais il est évident que ce qui touche aux sentiments et à leur expression sort du champ d’action de la justice. C’est pourquoi le Yémen n’est pas favorable à la polygamie et encadre strictement cette pratique, qui doit être réservée à certains cas bien précis, dans lesquels elle contribue à l’harmonie de la famille. Il peut en effet être légitime pour un homme de prendre une seconde épouse si la première ne peut pas lui donner d’enfant ou si elle est atteinte d’une maladie grave qui l’empêche d’avoir avec lui des relations normales. Cette solution présente l’avantage d’éviter à l’homme d’avoir des relations extraconjugales, proscrites par le droit islamique, et de lui permettre d’entretenir son épouse malade. De plus, si la loi autorise la polygamie, elle donne également à la femme le droit de renoncer au mariage si son mari prend une seconde épouse.

21.L’auteur d’un crime qui est condamné à mort peut ne pas être exécuté s’il s’acquitte du prix du sang. La solidarité sociale est telle que même quelqu’un de très pauvre arrive à réunir auprès de ses connaissances la somme nécessaire pour que la famille de la victime accepte un arrangement financier.

22.Sir Nigel RODLEY remercie la délégation d’avoir répondu à ses questions. Il craint que certaines n’aient été mal comprises. Ainsi il ne laissait pas entendre que la peine de mort pouvait être appliquée pour des raisons politiques, mais souhaitait seulement attirer l’attention sur le fait que les affaires impliquant des actes commis dans un contexte politique pouvaient déchaîner les passions et aboutir à des peines disproportionnées. De même, au sujet de l’opération conjointe des forces de sécurité américaines et yéménites dans le Gouvernorat de Maarab, il attendait que soient précisées les mesures prises pour arrêter les membres présumés d’Al-Qaida, avant de recourir à la force meurtrière.

23.Enfin, comme l’a fait le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Sir Nigel Rodley condamne l’article 232 du Code pénal yéménite, en vertu duquel l’homme qui tue sa femme au motif qu’elle a commis l’adultère n’est pas considéré comme coupable de meurtre.

24.M. O’FLAHERTY fait observer que la réponse pénale n’est pas la seule qui doive être apportée au problème de la traite des êtres humains. Le renvoi des femmes victimes de la traite dans leur pays, en particulier dans un pays aussi instable que l’Iraq, n’est sans doute pas le meilleur moyen de les rétablir dans leurs droits. La même remarque vaut pour les enfants pris dans le piège de la traite, dont la situation ne peut que s’aggraver s’ils sont renvoyés dans les pays voisins. Il engage l’État partie à collaborer avec l’UNICEF et d’autres organismes pour mieux prendre en compte les droits des personnes concernées.

25.Mme WEDGWOOD demande s’il est déjà arrivé qu’une action en justice soit intentée pour violence conjugale. Elle voudrait également savoir si les femmes ont la possibilité de contracter un mariage selon un régime excluant spécifiquement la polygamie. Ella a cru comprendre que même veuve et n’ayant donc pas de moyens d’assurer la subsistance de ses enfants, une femme avait un héritage inférieur de moitié à celui d’un homme. Elle demande s’il en est bien ainsi et fait observer que, contrairement à d’autres États, le Yémen n’a pas formulé de réserve générale au Pacte en invoquant l’incompatibilité de certaines de ses dispositions avec la loi islamique. Faut‑il en déduire qu’il cherche à réinterpréter la charia à la lumière des normes internationales?

26.M. KAHTAN (Yémen) dit que le fait qu’un homme qui a tué sa femme puisse être acquitté s’il a agi suite à un adultère alors que la femme qui tue son mari pour le même motif est reconnue coupable est considéré par beaucoup comme discriminatoire. C’est une règle du droit et de la jurisprudence islamiques qui s’explique par les conséquences de l’adultère, qui ne sont pas les mêmes selon qu’il est commis par l’homme ou par la femme. Il faudrait y consacrer une discussion plus approfondie pour en saisir tous les aspects.

27.Les femmes, en majorité des Iraquiennes, qui se prostituent au Yémen sont en situation irrégulière et c’est à ce titre qu’elles font l’objet de mesures réfléchies d’éloignement. L’État n’enfreint pas les normes internationales en faisant appliquer strictement ses règles relatives au droit de séjour. On donne aux intéressées un délai suffisant pour régler leurs affaires courantes avant de quitter le territoire et il leur est possible d’y revenir ensuite en suivant la procédure, c’est‑à‑dire en demandant un visa d’entrée, en indiquant des raisons pour lesquelles elles souhaitent séjourner au Yémen. Lorsque des enfants ont été envoyés illégalement au Yémen pour mendier, c’est aux familles tout entières, et non seulement aux enfants, qu’il faut s’intéresser.

28.Comme il a déjà été dit, rien n’empêche une femme d’engager une action en justice contre son mari. Il faut bien voir toutefois que toutes les victimes de violences conjugales ne s’adressent pas nécessairement au système judiciaire: dans un premier temps, il est courant que des tentatives de conciliation aient lieu entre familles, donnant lieu au versement d’indemnités. La violence conjugale est interdite et si d’aucuns justifient parfois une telle pratique, ils sont rares.

29.La question de l’héritage est un sujet complexe qui nécessiterait une étude approfondie du droit islamique. Le calcul de la part successorale est un exercice d’une grande complexité, où interviennent de nombreux critères autres que le sexe.

30.La PRÉSIDENTE remercie la délégation de ses éclaircissements et l’invite à répondre aux points 14 à 27 de la liste des points à traiter.

31.M. ALYOUSOUFI (Yémen), revenant sur l’application de la peine de mort aux mineurs, souhaite rassurer le Comité au sujet du cas d’Ahfez Ibrahim qui a attiré l’attention des autorités. Saisie d’informations selon lesquelles l’accusé était âgé de seulement 16 ans au moment des faits, la Cour suprême a demandé à la juridiction de premier degré de rouvrir le dossier, ce qu’elle a fait. Il devrait maintenant être possible, avec l’aide des médecins assermentés, de déterminer son âge avec certitude.

32.Le Yémen s’est doté de textes interdisant la torture conformes à l’article 7 du Pacte ainsi qu’à la Convention contre la torture, et qui sont strictement appliqués. Ainsi, un officier de haut rang a été condamné pour actes de torture à 10 ans d’emprisonnement ferme et au versement du prix du sang. Il est mort en prison des suites d’une maladie avant d’avoir exécuté sa peine. Tous les cas de torture signalés donnent lieu à une enquête, et à l’ouverture de poursuites. Quant à la longueur des procédures, on s’efforce, dans un souci d’efficacité, de réduire autant que possible les délais. On veille en outre à empêcher que les prévenus fassent l’objet de violences pendant l’interpellation, l’interrogatoire ou la détention, et à assurer le respect de leurs droits. Le recours à tout acte de torture est rigoureusement prohibé, tant dans les textes que dans la pratique, et il est possible à tout moment de porter plainte contre de tels actes dans la mesure où il s’agit, comme il est spécifié dans le rapport, de crimes imprescriptibles. Les agents de l’État reconnus coupables d’actes de torture sont passibles de 10 ans d’emprisonnement et sont tenus d’indemniser les victimes ou leurs ayants droit. Ceux qui portent atteinte aux droits des détenus encourent une peine de trois ans d’emprisonnement et le versement de dommages et intérêts. Dans tous les cas, ils sont démis de leurs fonctions. Les institutions de l’État et les organisations de la société civile contribuent à sensibiliser l’opinion publique ainsi que les professions concernées, notamment les membres du parquet, les juges et les agents de la force publique, à des questions telles que le droit à la vie et à la sécurité de chacun. Les droits de l’homme et les libertés fondamentales sont enseignés dans le cadre des programmes scolaires à tous les niveaux, en particulier à l’université et dans les écoles de police. Divers ateliers ont été organisés sur ce sujet par des ONG et par l’État, par exemple sur les droits de l’homme dans le droit national et le droit international, sur la déontologie ou sur les droits des justiciables. Le Ministère de l’intérieur collabore avec le PNUD à un programme de formation destiné à faire prendre conscience aux membres de la police de l’illégalité du recours à la violence contre les citoyens. La torture est condamnée non seulement par la législation, mais aussi sur le plan éthique et religieux. Les cas de torture sont extrêmement rares, et aucune tendance au recours à de telles pratiques n’est constatée au niveau des institutions.

33.M. HASHEM (Yémen), poursuivant avec le point 16 de la liste, dit que la politique du Yémen en matière de lutte antiterroriste consiste à s’attaquer aux causes profondes du phénomène et à combattre la criminalité sous toutes ses formes. Au terme d’un dialogue délibérément engagé par le Gouvernement, un certain nombre de personnes rentrées d’Afghanistan ayant accepté de renoncer à la violence, de respecter la Constitution et de préserver la paix et la stabilité ont été libérées. Les personnes accusées d’avoir commis au Yémen des activités terroristes, notamment des attentats à la bombe et d’autres actes portant atteinte à l’intérêt supérieur de l’État, ont été traduites devant un tribunal pénal spécial, et des peines ont été prononcées.

34.En ce qui concerne la femme adultère qui aurait été condamnée à la flagellation (question 17), la délégation yéménite n’a pas connaissance d’une telle affaire et n’est donc pas en mesure d’apporter des précisions. En ce qui concerne la détention de mineurs, qui fait l’objet de la question 18, la législation yéménite interdit expressément l’incarcération de jeunes de moins de 12 ans. Les mineurs délinquants peuvent être placés dans un centre d’accueil pour mineurs pendant une période maximum de 24 heures avant d’être déférés à la justice. Le Yémen s’emploie activement à assurer la compatibilité de ses dispositions législatives relatives aux mineurs avec les instruments internationaux pertinents, notamment avec le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants.

35.Comme il est indiqué dans le rapport, 5 225 plaintes ont été reçues par la Direction des plaintes, mais il n’est dit nulle part qu’elles concerneraient des irrégularités affectant l’indépendance de la magistrature. Certaines ont été transmises aux autorités compétentes et, dans les autres cas, les plaignants ont été avisés de la procédure à suivre. Pour ce qui est de la manière dont l’indépendance de la magistrature et l’inamovibilité des juges sont garanties, la délégation yéménite invite le Comité à considérer l’évolution des textes de loi nationaux, notamment l’article 16 de la loi relative à la création des tribunaux spécialisés, qui garantit l’inamovibilité des juges. En ce qui concerne la question 21, elle précise que l’article 9 de la loi sur la procédure pénale garantit la possibilité pour un accusé de se défendre à tous les stades de la procédure pénale. Un avocat est mis gratuitement à la disposition des personnes sans ressources.

36.À propos de la liberté de religion (questions 22 et 23), il faut savoir que toutes les lois du pays découlent de la jurisprudence islamique, qui est très tolérante. La liberté de religion ne fait pas l’objet de restrictions, car l’islam respecte toutes les autres religions monothéistes, et nul n’a jamais été condamné au Yémen pour avoir abandonné l’islam au profit d’une autre religion. La manifestation du 21 mars 2003 contre la guerre en Iraq évoquée à la question 24 a rassemblé des centaines de manifestants et s’est accompagnée d’actes de destruction et de coups de feu. Les forces de sécurité ont dû intervenir pour sauver la vie de civils et de militaires. Cela étant, les manifestations pacifiques sont autorisées au Yémen à condition de faire l’objet, comme dans tout pays démocratique, d’une demande préalable.

37.La loi de 1990 sur la presse et les publications est en cours de révision, compte tenu des observations formulées par la profession, en vue d’interdire l’emprisonnement de journalistes pour raison d’opinion et d’approfondir la notion de presse libre et responsable. Pour ce qui est du financement des associations, l’article 139 b) de la loi n° 1 de 2001 relative aux institutions et associations communautaires dispose que le versement de contributions aux associations ne doit être assorti d’aucune condition, ce qui vise à préserver l’indépendance de ces organisations. Enfin, au sujet de l’«avantage patent», ou de l’«intérêt manifeste», que peut présenter un mariage avec un mineur (question 27), c’est généralement l’intérêt du mineur qui est considéré.

La séance est levée à 12 h 55.

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