Nations Unies

CCPR/C/SR.3374

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

5 septembre 2017

Original : français

Comité des droits de l’homme

1 20 e session

Compte rendu analytique de la 3374 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le lundi 3 juillet 2017, à 15 heures

Président (e):M. Iwasawa

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 40 du Pacte

Quatrième rapport périodique de la Suisse

La séance est ouverte à 15 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 40 du Pacte

Quatrième rapport périodique de la Suisse (CCPR/C/CHE/4, CCPR/C/CHE/QPR/4 et HRI/CORE/CHE/2017)

1. À l’invitation du Président, la délégation suisse prend place à la table du Comité.

2.M. Dumermuth (Suisse), présentant le quatrième rapport périodique de son pays, indique que, la Suisse étant de tradition moniste, elle reconnaît au droit international une validité immédiate sur le plan interne, et que les droits et libertés protégés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont été invoqués dans plus de 300 arrêts du Tribunal fédéral au cours de la période considérée. S’agissant de sa législation interne, la Suisse a mis en consultation un avant-projet de loi visant la mise en place d’une institution nationale des droits de l’homme. Dans le cadre de son programme de législature 2015-2019, le Conseil fédéral a adopté un projet de révision du droit de la société anonyme fixant des quotas de représentation des femmes dans les fonctions dirigeantes des sociétés cotées en bourse. Un projet de loi fédérale visant à améliorer la protection des victimes de violence domestique a été élaboré, un nouvel article réprimant les mutilations génitales féminines a été inséré dans le Code pénal, et une loi fédérale visant à lutter contre les mariages forcés est entrée en vigueur. En outre, des recommandations sur les problématiques liées aux personnes présentant des variations du développement sexuel ont été publiées, la procédure de changement de sexe prévue par le Code civil a été simplifiée, et le Conseil fédéral a approuvé la Déclaration d’intention de La Valette du Conseil de l’Europe sur les droits des personnes présentant des variations de genre.

3.D’autres progrès sont à relever, notamment la première condamnation pour discrimination à l’égard de personnes handicapées prononcée depuis l’adoption de la loi sur l’égalité des personnes handicapées, l’insertion dans les programmes d’intégration cantonaux de mesures de lutte contre la discrimination raciale, et la pleine intégration dans les programmes de formation de la police des notions de respect des droits de l’homme et d’interdiction de la discrimination raciale. En outre, le Code de procédure pénale suisse garantit l’instruction des plaintes des victimes de mauvais traitements par l’autorité indépendante qu’est le ministère public.

4.Une nouvelle loi sur l’asile, qui entrera en vigueur en 2019, améliorera la protection juridique des requérants. Depuis 2012, toutes les opérations de renvoi de demandeurs d’asile par voie aérienne font l’objet d’une surveillance de la part de la Commission nationale de prévention de la torture. En ce qui concerne la planification pénitentiaire, il est prévu de créer 2 200 nouvelles places de détention à l’horizon 2025, et la Commission de prévention de la torture a constaté une nette amélioration des conditions de détention dans certains établissements pénitentiaires.

5.Ces dernières années, le peuple et les cantons ont accepté à plusieurs reprises des initiatives populaires dont le contenu entrait en conflit avec le droit international. Ainsi, en 2009, l’initiative « Contre la construction de minarets » a été adoptée et plus récemment, le 12 août 2016, une initiative intitulée « Le droit suisse au lieu de juges étrangers », visant à consacrer la primauté du droit constitutionnel suisse sur le droit international, a été déposée. Le Conseil fédéral poursuit ses efforts pour veiller à une meilleure compatibilité des initiatives populaires avec les droits fondamentaux.

6.Pour finir, M. Dumermuth indique que le Gouvernement fédéral et le Tribunal fédéral se sont exprimés à plusieurs reprises contre l’interdiction du voile intégral mais que les cantons restent compétents en la matière. Ainsi, par exemple, le canton du Tessin a adopté en 2016 une disposition interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, et une initiative populaire intitulée « Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage » a été lancée au niveau fédéral en 2017. Une votation nationale pourrait avoir lieu sur cette question.

7.M. Shany se félicite du grand nombre d’instruments internationaux ratifiés par la Suisse ces dernières années, et espère que celle-ci ratifiera prochainement le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Il salue la création d’un mécanisme de prévention de la torture et prend acte du très grand nombre de jugements dans lesquels les tribunaux nationaux ont fait référence au Pacte. L’introduction de certains nouveaux articles dans la Constitution fédérale ayant suscité certaines préoccupations, il apprécierait que la délégation fournisse des explications au sujet, notamment, de l’article 72 (par. 3), relatif à l’interdiction de la construction de minarets, de l’article 121 (par. 3), relatif à l’interdiction de séjour des étrangers condamnés et de l’article 123 c) relatif à l’interdiction d’employer une personne condamnée pour pédophilie, une disposition qui n’est pas mentionnée dans le rapport de la Suisse.

8.Constatant que la Suisse a rejeté un très grand nombre des recommandations formulées au titre de l’Examen périodique universel, M. Shany en demande la raison et souhaiterait savoir si elle envisage de réexaminer ces recommandations. Il s’enquiert des progrès réalisés notamment au regard des recommandations no 10 (discrimination dans les peines prononcées), no 27 (accès à la justice et discrimination) et no 59 (mesures visant à améliorer la compatibilité des initiatives populaires avec le droit international). Il demande si, en cas d’acceptation de l’initiative populaire « Le droit suisse au lieu de juges étrangers », la Suisse demeurerait partie aux traités internationaux qu’elle a ratifiés, notamment au Pacte, et si les tribunaux nationaux remettraient en cause l’application du Pacte ou de la Convention européenne des droits de l’homme. Il aimerait connaître la position du Gouvernement suisse à ce sujet et savoir s’il a pris des mesures pour éviter que l’adhésion de la Suisse à ces instruments internationaux ne soit remise en cause. Constatant que l’initiative populaire sur l’interdiction des minarets a été adoptée un mois seulement après l’adoption par le Comité de ses dernières observations finales concernant la Suisse, il demande dans quelle mesure ces observations sont diffusées dans le pays et s’interroge sur l’écho que recueillent en Suisse les conclusions du Comité et des organes conventionnels en général.

9.Concernant la mise en œuvre des observations finales, M. Shany sait gré à la Suisse des efforts qu’elle déploie pour assurer la coordination entre les 26 cantons. Il demande si la législation et les institutions nécessaires à la mise en œuvre de ces observations ont été mises en place, notamment dans des domaines comme l’enseignement, la police, la santé ou les services sociaux, qui relèvent, au moins en partie, de la compétence des cantons. Il s’enquiert de l’avancement des travaux du groupe de travail interdépartemental concernant les recommandations du Comité et demande quel rôle sera confié à la future institution nationale des droits de l’homme dans la mise en œuvre des observations des organes conventionnels.

10.S’agissant de la consultation de la société civile, il serait utile que la délégation précise la position de l’État partie et explique pour quelles raisons celui-ci considère que le processus de consultation empiète sur ses compétences en matière d’établissement de rapports, alors que l’expérience montre que ces consultations permettent de mieux faire connaître les travaux du Comité, d’obtenir des rapports plus précis et de meilleure qualité et de faire en sorte que les gouvernements progressent dans des domaines d’importance

11.S’agissant de l’application uniforme du Pacte et des observations finales du Comité dans un État fédéral comme la Suisse, M. Shany estime que la possibilité de saisir le Tribunal fédéral, dont l’État partie dit qu’elle permet de surmonter l’obstacle que constitue le fédéralisme à cet égard, est un processus lent et complexe à mettre en œuvre pour harmoniser les lois et politiques nationales. Il demande quelles mesures le groupe de travail interdépartemental, le Centre suisse de compétence pour les droits humains ou la future institution nationale des droits de l’homme ont imaginées pour veiller à l’application uniforme du Pacte, notamment à l’échelle cantonale.

12.Au sujet de l’institution nationale des droits de l’homme, M. Shany salue la tenue de consultations sur l’adoption d’une loi fédérale et s’enquiert de la conformité de la future institution avec les Principes de Paris. Certaines organisations de la société civile ayant exprimé des préoccupations quant au montant du budget alloué à cette institution (1 million de francs suisses), au contenu de son mandat de protection des victimes de violations des droits de l’homme, à son degré d’indépendance et à sa capacité à recevoir des plaintes, il invite la délégation à donner des précisions sur ces différents points.

13.Relevant un manque de clarté dans les chiffres communiqués sur la question de l’usage excessif de la force par la police, M. Shany demande ce qu’il est prévu de faire pour améliorer cette information, et pour quelle raison les autorités fédérales ne sont pas en mesure de recueillir des données sur la question auprès des cantons. Indiquant que selon les ONG, il est impossible d’obtenir des cantons des données de base sur le nombre de plaintes déposées pour torture ou mauvais traitements par des ressortissants étrangers ou des demandeurs d’asile placés dans des centres de détention administrative ou sur le nombre d’enquêtes, de condamnations et d’indemnisations, il demande pourquoi il n’existe pas de base de données fédérale sur cette question et aimerait connaître l’avis de la délégation sur la nécessité de mettre en place des mécanismes de plainte aux niveaux fédéral et cantonal. La délégation pourrait aussi indiquer comment est garantie l’indépendance des procureurs cantonaux vis-à-vis de la police dans les affaires où celle-ci est mise en cause pour un usage excessif de la force.

14.S’agissant de la définition de la torture, la position de la Suisse est que le droit pénal existant couvre les différents éléments constitutifs du crime de torture et qu’il n’est donc pas nécessaire d’ériger la torture en infraction distincte. M. Shany rappelle que le Comité estime qu’il est toujours préférable de définir la torture comme un crime à part entière, suivant la définition donnée à l’article premier de la Convention contre la torture, car cela permet de s’assurer que tous les éléments constitutifs de ce crime sont couverts et de stigmatiser les actes de torture. Il relève que l’État partie reste tenu par l’obligation de reprendre dans son droit interne tous les éléments constitutifs du crime de torture tels que définis par le droit international et de veiller à ce que les peines prévues soient proportionnées à la gravité du crime commis, et souligne que la législation suisse suscite des préoccupations quant à la mesure de l’interdiction de la torture psychologique et à l’adéquation des peines prévues en la matière.

15.M. Shany souhaite savoir dans quelle mesure la Suisse applique le Protocole d’Istanbul. Il demande aussi des précisions sur l’usage de la force et le recours à des mesures de contention lors du renvoi de ressortissants étrangers, ainsi que sur les garanties entourant cet usage, et sur la manière dont sont supervisées les expulsions de ressortissants étrangers. Il s’enquiert aussi des avancées réalisées dans l’enquête sur le décès de M. Joseph Ndukaku Chiakwa.

16.M. Santos Pais relève que les écarts de salaires entre femmes et hommes diminuent lentement, et que la proportion de femmes dans les institutions politiques reste faible. Il demande des précisions sur les missions du groupe de travail sur le droit à la protection contre la discrimination créé au sein de l’administration en 2016 et sur les avancées réalisées, ainsi que sur les mesures prises ou envisagées par le Gouvernement pour augmenter la proportion de femmes dans les organes décisionnels, au Parlement et dans la sphère politique. Il souhaiterait aussi disposer de statistiques récentes sur la proportion de femmes dans les organes de la Confédération, les cantons, les communes, ainsi que dans les tribunaux et les corps de police. S’agissant des entreprises publiques et des sociétés cotées en Bourse, il demande si les objectifs fixés en matière de représentation des femmes (30 %) sont jugés modestes, raisonnables ou ambitieux par la délégation, sachant qu’aucune sanction n’est prévue s’ils ne sont pas atteints. Il souhaite aussi savoir quelles mesures sont prévues pour garantir l’égalité salariale, en particulier dans le secteur privé.

17.S’agissant de la situation des personnes handicapées, M. Santos Pais note que l’adoption en 2002 de la loi fédérale relative à l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées a permis d’importants progrès dans ce domaine. Il demande des précisions sur les missions du groupe de travail sur les personnes handicapées créé au sein de l’administration en 2016 et sur les avancées réalisées, ainsi que sur les conclusions de l’évaluation de la loi en question et les 320 projets qu’il est prévu de mener sur dix ans pour améliorer la vie des personnes handicapées, les plans cantonaux portant sur ce sujet, et les mesures prises pour mieux sensibiliser les fonctionnaires aux droits des personnes handicapées et mieux informer celles-ci de leurs droits.

18.En ce qui concerne les violences familiales, M. Santos Pais s’étonne que seulement 22 % des cas soient dénoncés à la police et que 70 à 80 % des affaires de violences familiales soient classées sans suite. Il demande des précisions sur les actions de formation organisées à l’intention des magistrats et des forces de police, notamment sur la manière de s’adresser aux victimes, et demande si des équipes spécialisées ont été constituées et si de nouvelles places ont été créées dans les maisons d’accueil pour les femmes depuis 2014. S’agissant des femmes migrantes victimes de violences, la législation fédérale sur les étrangers fait de la poursuite de la vie commune une condition du renouvellement du permis de séjour. Malgré les modifications positives apportées en 2013 pour protéger les victimes, celles-ci doivent dans bien des cas démontrer l’intensité, voire le caractère systématique de la violence subie, et les critères retenus à cet égard semblent varier selon les cantons. La délégation est invitée à commenter ces observations.

19.Se félicitant de la criminalisation des mutilations génitales féminines, y compris lorsqu’elles sont réalisées à l’étranger, M. Santos Pais s’enquiert des résultats des travaux du groupe de travail créé en 2012 sur ce sujet, ainsi que du nombre estimé de femmes ayant subi de telles mutilations parmi les femmes résidant en Suisse.

20.M. Heyns note que le rapport fait état d’une montée du racisme dans la sphère politique et médiatique et demande si les campagnes menées ont été efficaces, et si des mesures ciblant les jeunes et les médias sont envisagées. S’agissant des allégations de profilage racial par la police et les gardes frontière, il s’enquiert des mesures prévues pour lutter contre ce phénomène, en dehors des mesures d’ordre pénal.

21.En ce qui concerne l’orientation sexuelle et l’identité de genre, il salue les progrès accomplis par la Suisse dans ce domaine, notamment le projet de loi relatif à une union civile ouvrant l’adoption aux couples de même sexe, et demande si l’article 261 bis du Code pénal, qui traite de la discrimination raciale, couvre aussi les cas de discrimination à raison de l’orientation sexuelle. Il s’enquiert aussi du point de vue de la délégation concernant les opérations d’assignation sexuelle pour les enfants intersexes.

22.S’agissant du traitement réservé aux requérants d’asile, il salue les progrès accomplis mais demande si l’aide juridictionnelle gratuite prévue par les textes est effectivement disponible dans la pratique, car les demandeurs d’asile sont souvent mal informés et les avocats spécialisés peu nombreux. Il s’enquiert des alternatives à la détention administrative et demande des précisions sur le sort des familles séparées par cette procédure, et sur le traitement réservé aux personnes vulnérables. En ce qui concerne la liberté de circuler des demandeurs d’asile, il demande pourquoi les détenteurs de permis F ne sont pas autorisés à se déplacer d’un canton à l’autre. Il aimerait connaître le point de vue de la délégation concernant les suggestions suivantes : la mise en place de normes d’admission tenant compte des besoins spécifiques des personnes, non seulement au niveau fédéral mais aussi au niveau cantonal ; l’adoption d’une législation antidiscrimination complète concernant les réfugiés ; l’adhésion de la Suisse aux normes internationales en matière de prévention et de réduction de l’apatridie.

La séance est suspendue à 16 heures ; elle est reprise à 16 heures 30.

23.M. Dumermuth (Suisse) explique que le système des initiatives populaires présente à la fois des avantages et des inconvénients. Si certaines initiatives populaires peuvent sembler en contradiction avec le droit international, il faut considérer qu’il revient au législateur de les mettre en œuvre. Celui-ci doit alors réinterpréter l’ensemble de la Constitution de manière à y intégrer l’initiative populaire de manière harmonieuse tout en respectant le droit international, ce qui peut nécessiter, par exemple, l’adoption de clauses de rigueur. S’agissant de l’initiative d’autodétermination qui propose que le droit constitutionnel prime désormais sur le droit international, il convient de souligner qu’elle n’a pas encore été soumise au vote. Le débat qui s’engage est aussi l’occasion pour l’ensemble de la population de discuter de l’importance du droit international. Le Gouvernement s’est exprimé contre cette initiative, dont l’adoption ne semble pas très probable.

24.M. Spenlé (Suisse) présente le processus d’élaboration des rapports soumis au titre de l’Examen périodique universel. Le troisième rapport périodique de la Suisse a été adopté par le Conseil fédéral et sera présenté au Conseil des droits de l’homme en novembre 2017. Il est fondé sur les 99 recommandations acceptées par la Suisse lors de son dernier Examen en 2012 et portant notamment sur la migration, l’égalité des sexes, la protection des minorités et la lutte contre la traite des êtres humains. Il prend également en considération les recommandations formulées lors du deuxième cycle de l’EPU et dont la Suisse avait pris note sans être en mesure de les accepter. Il est le fruit d’un large processus de consultation mené auprès des cantons, de la société civile et des représentants du secteur privé. Les deux précédents examens de la Suisse et le suivi de la mise en œuvre des recommandations acceptées ont permis de susciter un dialogue constructif entre tous les acteurs intéressés à la promotion et à la défense des droits de l’homme, dialogue que le Conseil fédéral souhaite pérenniser.

25.M. Schürmann (Suisse) dit que la sensibilisation aux droits énoncés dans le Pacte ne pose pas de difficultés puisque les dispositions du Pacte sont applicables à tous les niveaux de l’État fédéral, intégrées dans la législation nationale et enseignées dans les universités, et que les travaux du Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH) ont favorisé leur diffusion. Lorsqu’une votation est organisée, la brochure officielle du Conseil fédéral qui est systématiquement distribuée aux électeurs signale le cas échéant que l’initiative concernée contrevient aux dispositions du Pacte.

26.Concernant la mise en œuvre du Pacte, il indique que toutes les observations finales du Comité sont traduites en allemand et en italien, publiées sur Internet avec des explications relatives au contexte et à la procédure, et transmises à tous les niveaux de gouvernement avec une lettre explicative. À la suite de deux études menées par le CSDH en 2012 et 2013, des travaux sont en cours en vue d’améliorer la coordination des procédures d’établissement de rapports et de suivi des recommandations. Ainsi, les cantons ont adopté en 2015 un concept de coordination des rapports, qui est appliqué par la Conférence des directeurs cantonaux. Au niveau fédéral, un groupe de travail se réunit deux fois par an pour examiner cette question, ce qui devrait permettre de partager les bonnes pratiques et de faciliter la mise en œuvre des recommandations. Un coordonnateur est chargé de l’organisation des travaux et de la collecte centralisée des informations pour éviter les chevauchements.

27.Le Conseil fédéral a lancé la procédure de création d’une institution nationale des droits de l’homme. La phase de consultation durera jusqu’à la fin du mois de septembre. Le projet est basé sur le concept du « statu quo plus », c’est-à-dire qu’il s’appuie sur l’expérience du CSDH et les liens avec les universités et que le budget annuel est maintenu à 1 million de francs suisses ; toutefois l’institution bénéficiera d’une autonomie budgétaire et d’un statut permanent et son indépendance vis-à-vis de la Confédération et des universités sera garantie. Le budget alloué à l’institution peut paraître limité, mais il est au niveau de ce qui se pratique dans des pays comparables, et les travaux accomplis depuis cinq ans par le CSDH prouvent qu’il est suffisant.

28.M me Scheidegger (Suisse) dit que la proportion de femmes atteint 24 % dans les institutions politiques cantonales et 27 % dans les institutions législatives cantonales, et que la tendance générale est à la hausse. Une forte augmentation a également été constatée dans les instances politiques communales depuis les années 1980, malgré une stagnation à partir des années 2000, et la part des femmes y est légèrement supérieure à 25 %. Leur représentation dans les institutions législatives communales a doublé entre 1983 et 2000 et a stagné ou légèrement reculé depuis pour s’établir à un peu plus de 30 %.

29.M me Binder Oser (Suisse) explique que la Commission judiciaire de l’Assemblée fédérale précise sur son site Internet qu’elle veille à une représentation équilibrée des deux sexes au sein des tribunaux fédéraux. La proportion de femmes a considérablement augmenté ces dernières années, et celles-ci représentent désormais 37 % des juges au Tribunal fédéral, 39 % au Tribunal administratif fédéral et 28 % au Tribunal pénal fédéral. Pour favoriser la participation des femmes à la vie politique et publique, le Conseil fédéral a défini des valeurs cibles à atteindre d’ici la fin de 2019, dont un seuil de 48 % dans l’administration fédérale.

30.Une étude relative à l’égalité salariale sera menée sur la période 2017-2018 et les contrôles dans le secteur public seront renforcés. Le Conseil fédéral envisage également une révision de la loi relative à l’égalité, qui obligerait les entreprises de plus de 50 salariés à analyser régulièrement leur structure salariale. Le Bureau fédéral de l’égalité entre hommes et femmes propose aux entreprises des outils à cette fin. Dans le secteur public, la Confédération, 10 cantons et 20 communes ont signé la Charte pour l’égalité salariale élaborée en 2016.

31.Concernant la représentation des femmes au sein du Parlement national, Mme Binder Oser indique que le Conseil fédéral a sensibilisé les cantons et les groupes à l’équilibre des candidatures pour le Conseil national, prié les cantons de communiquer sur l’égalité et de promouvoir les candidatures des femmes, et diffusé une circulaire contenant des recommandations relatives à la structure des listes électorales et au soutien à apporter aux candidates, notamment en renforçant leur visibilité et leur présence dans les médias. Il appartient aux partis politiques de structurer leurs listes de façon à favoriser l’éligibilité des femmes.

32.M me Gianinazzi (Suisse) indique que le projet de révision du statut de société anonyme prévoit une proportion d’au moins 30 % de femmes au conseil d’administration des entreprises cotées en bourse. Il s’agit d’un objectif ambitieux, car ce ratio s’élève pour l’instant à 17 %, et les femmes n’occupent que 8 % des postes de direction. L’autoréglementation ne produisant pas les effets escomptés, le Conseil fédéral a prévu dans son projet de loi, actuellement à l’étude, que dans les grandes entreprises, les femmes devront représenter au moins 30 % des membres du conseil d’administration et occuper 20 % des postes de direction. Aucune sanction n’est prévue, mais en cas de non-respect de ces dispositions, l’entreprise devra justifier ce manquement dans son rapport annuel et indiquer les mesures prévues pour y remédier.

33.M me Christen (Suisse) indique, au sujet des personnes handicapées, qu’un rapport fédéral de 2017 prévoit le renforcement de la coordination avec les cantons dans le domaine de l’emploi, car la loi sur l’égalité pour les handicapés, qui ne concernait pas le secteur privé, a eu très peu d’effets dans ce domaine. Cette loi a néanmoins apporté des améliorations essentielles, notamment en établissant des prescriptions précises et en définissant les compétences. Des progrès doivent encore être faits sur les plans de la sensibilisation et de la communication. La Suisse a rendu en juin 2016 son rapport initial sur l’application de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, et la procédure d’établissement de rapports au titre de la Convention devrait favoriser la sensibilisation du public. Dans le domaine des transports publics, le taux de conformité à la loi atteint 80 % pour ce qui est de l’émission des billets, et l’infrastructure de l’ensemble des gares devrait être adaptée d’ici 2023. Chaque projet soutenu par le Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées donne lieu à une autoévaluation dans les rapports intermédiaires et finaux et depuis 2004, le Bureau a en moyenne soutenu 25 projets par an.

34.M me Bonfanti (Suisse) indique que le profilage racial est une pratique arbitraire interdite en Suisse. Le recours au seul ciblage a fait la preuve de son inefficacité. Toutefois, des méthodes de ciblage peuvent être acceptables et légitimes, voire nécessaires, en cas de suspicion de pratiques illicites et si les cinq critères suivants sont réunis : un but légitime, des faits établis, un contexte spécifique, la prépondérance des effets positifs prévisibles par rapport aux effets négatifs et une communication efficace avec les personnes ciblées. Pour éviter tout abus, la police doit résister aux éventuelles pressions politiques, judiciaires ou médiatiques, être claire et réaliste dans son action et veiller à la formation technique, juridique, déontologique et éthique de ses agents. Tous les officiers de police doivent suivre une formation à l’éthique mentionnant clairement l’interdiction des contrôles au faciès. Les cadres de la police doivent mener des actions de contrôle pour s’assurer du respect des normes en vigueur. Si le nombre de contrôles effectués par la police genevoise sur la voie publique a fortement augmenté ces dernières années, le nombre de doléances n’a pas suivi cette tendance. En 2016, une seule personne a saisi l’organe de médiation de la police en raison d’une plainte pour profilage racial. Au vu du contexte terroriste propice au risque de discrimination, la direction de la police met tout en œuvre pour éviter les contrôles au faciès.

35.M. Galizia (Suisse) indique que les données collectées par les organisations juives mettent en évidence une augmentation des cas de propos racistes tenus sur Internet en lien avec le conflit israélo-palestinien. Cela étant, les tribunaux n’ont à connaître que très peu d’affaires de racisme liées à des situations politiques. La Suisse est dotée de plusieurs mécanismes d’autorégulation des médias, tels que le Conseil suisse de la presse, mais n’a pas encore mis en place un tel dispositif pour les réseaux sociaux.

36.M me Mascetta (Suisse) signale l’existence de la plateforme nationale « jeunes et médias », qui a pour objectif d’aider les enfants et les adolescents à faire un usage des médias qui soit sûr, responsable et adapté à leur âge. L’initiative comprend un volet éducatif composé notamment de mesures de promotion des compétences médiatiques, qui s’adressent également aux parents et aux enseignants. L’objectif est de faire en sorte que les jeunes prennent conscience des risques que les médias peuvent poser et qu’ils soient capables d’adopter une attitude critique face à des propos potentiellement discriminatoires ou racistes.

37.M me Gianinazzi (Suisse) dit que la législation nationale de lutte contre la discrimination ne couvre actuellement pas les motifs de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, mais qu’une commission parlementaire vient de mettre en consultation un avant-projet de révision de la loi, qui vise notamment à faire en sorte que ces motifs soient couverts et que les auteurs de propos discriminatoires à l’égard des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués puissent être poursuivis au pénal. Concernant plus particulièrement les enfants intersexués et les interventions chirurgicales d’assignation sexuelle, de l’avis du Conseil fédéral, une intervention de ce type ne devrait être pratiquée que si elle est nécessaire pour des raisons médicales, et il faut attendre que l’enfant puisse lui-même se déterminer sur son sexe. Un projet de loi prévoyant une procédure simplifiée pour l’inscription du changement de sexe dans le registre d’état civil est en cours d’élaboration.

38.M me Binder Oser (Suisse) ex9plique que la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), qui est en cours de ratification par la Suisse, permettra de renforcer l’action publique menée contre les violences faites aux femmes, notamment les violences domestiques, et la collaboration entre les autorités fédérales, cantonales et communales. La mise en place de structures d’accueil des femmes victimes de violences domestiques relève de la compétence des cantons. Le nombre de ces structures varie d’un canton à l’autre mais, selon la plupart des cantons ayant répondu à une enquête sur la question, il est adapté aux besoins. Le Comité de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales a élaboré un catalogue de prestations des maisons d’accueil pour femmes.

39.M me Gianinazzi (Suisse), faisant référence à l’étude de 2015 relative aux dispositions pénales régissant le classement de la procédure pénale en cas de lésions corporelles simples, de voies de fait réitérées, de menaces ou de contraintes dans les relations de couple, étude dont il est effectivement ressorti que le taux de suspension ou de classement des affaires est très élevé, souligne que le Gouvernement a soumis à consultation publique un avant-projet de loi visant notamment à alléger la pression sur la victime. Ainsi, la décision de suspension de la procédure n’appartiendra plus à la seule victime ; la responsabilité de suspendre, de reprendre ou de classer une procédure incombera aux autorités, qui devront rendre leur décision en tenant compte non seulement des déclarations de la victime, mais aussi d’autres éléments, tels que le comportement du prévenu. De plus, la suspension ne sera plus autorisée s’il y a lieu de penser que le prévenu a commis de nouveaux actes de violence ou s’il a déjà été condamné pour un acte punissable commis contre la vie ou l’intégrité corporelle de sa partenaire actuelle ou de son ex-partenaire. Enfin, la victime sera entendue encore une fois avant le classement de la procédure et devra confirmer expressément sa volonté que la procédure soit classée.

40.M me Baraga (Suisse) dit que, conformément à la loi fédérale sur les étrangers, les étrangers victimes de violences domestiques peuvent se voir accorder une autorisation de séjour après la dissolution de la vie conjugale, sous réserve qu’un certain nombre de conditions soient remplies. Les certificats médicaux, les rapports de police, les plaintes pénales et les renseignements émanant des services spécialisés, notamment, sont dûment pris en compte pour statuer sur la prolongation de l’autorisation de séjour d’une personne victime de violences conjugales. Les autorités cantonales des migrations disposent d’une certaine marge de manœuvre pour apprécier les motifs susceptibles de justifier la poursuite du séjour en Suisse sur la base de l’article 50 de la loi fédérale sur les étrangers, mais elles doivent, tout comme le Secrétariat d’État aux migrations, tenir compte de la jurisprudence nationale. L’exigence de l’intensité de la violence découle justement de la jurisprudence. Ainsi, selon le Tribunal fédéral, la violence subie doit être d’une certaine gravité pour être susceptible de constituer une raison personnelle majeure et, partant, un cas de rigueur au sens de l’article 50 de ladite loi.

41.M. Barsuglia (Suisse), évoquant l’article 124 du Code pénal, qui incrimine les mutilations génitales féminines, indique que, fin 2015, aucune condamnation n’avait encore été prononcée sur la base de cet article. Le Gouvernement a encouragé la mise en place d’un réseau contre les mutilations génitales féminines et en soutient les activités d’information, de sensibilisation, de conseil et de prévention.

42.M me Bonfanti (Suisse) explique que les interventions policières pour violences domestiques ne consistent pas uniquement à traiter les plaintes, mais également à détecter la présence éventuelle des indices permettant de conclure à l’existence d’un cas de violence domestique. Ainsi, lorsque les policiers constatent, en consultant l’historique des interventions, qu’ils sont déjà intervenus à plusieurs reprises à une même adresse, et même si le motif de l’intervention n’existe plus à leur arrivée, ils procèdent à une enquête de voisinage. Les policiers accordent une attention toute particulière aux migrantes et sont formés à détecter toutes les formes de violence domestique, que ce soit la violence physique, la violence verbale, la violence psychologique ou la privation des moyens de subsistance.

43.Conformément au Code de procédure pénale, les plaintes pénales mettant en cause des policiers sont examinées par le ministère public. La lutte contre les comportements répréhensibles dans la police repose sur plusieurs éléments, dont les suivants : une sélection extrêmement rigoureuse des aspirants policiers, qui doivent satisfaire à des exigences élevées en matière d’aptitudes psychologiques et de moralité ; une formation de base portant pour un tiers environ sur la psychologie et l’éthique policière et les droits de l’homme, dont la durée sera non plus d’un an mais de deux ans à partir de 2019 pour permettre aux futurs policiers de mieux cerner les réalités du terrain ; et l’obligation pour les policiers de continuer à se former tout au long de leur carrière en suivant des cours sur le comportement professionnel ainsi que l’éthique et la déontologie policières. Les officiers supérieurs sont particulièrement attentifs au risque de violences policières et restent vigilants pour être à même de détecter tout fait susceptible de déboucher sur de telles violences. En 2016, dans le canton de Genève, les policiers ont fait l’objet de 66 plaintes pénales, contre 76 en 2015, mais ont effectué 73 000 interventions et ont procédé à plus de 5 200 arrestations.

44.Le Président remercie la délégation suisse de ses réponses et l’invite à poursuivre le dialogue avec le Comité à la séance suivante.

La séance est levée à 18 heures.