NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international

relatif aux droits civils

et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.237921 septembre 2006

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-septième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 2379e SÉANCE*

tenue au Palais des Nations, à Genève,le lundi 17 juillet 2006, à 15 heures

Présidence: Mme CHANET

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (suite)

Deuxième et troisième rapports périodiques des États-Unis d’Amérique

La séance est ouverte à 15 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (point 5 de l’ordre du jour) (suite)

Deuxième et troisième rapports périodiques des États‑Unis d’Amérique (CCPR/C/USA/3; CCPR/C/USA/Q/3)

1. Sur l’invitation de la Présidente, la délégation des États-Unis d’Amérique prend place à la table du Comité.

2.M. TICHENOR (États-Unis d’Amérique), présentant le rapport contenant les deuxième et troisième rapports périodiques des États-Unis (CCPR/C/USA/3), souligne que la composition de la délégation et le sérieux avec lequel le rapport a été établi témoignent de l’importance que le Gouvernement attache aux obligations qui lui incombent en vertu du Pacte. Depuis leur fondation, les États‑Unis ont toujours été d’ardents défenseurs des droits et libertés qui sont énoncés dans le Pacte et le Gouvernement actuel reste fidèle à cette tradition.

3.M. WAXMAN (États‑Unis d’Amérique) dit que la délégation, qui a déployé des efforts considérables pour établir les rapports et préparer les réponses à la liste des points à traiter et a été constituée de manière à représenter les organes le plus activement engagés dans la mise en œuvre des obligations découlant du Pacte, se félicite du dialogue qui vient de s’instaurer avec le Comité, dont elle espère qu’il sera fructueux et constructif. Considérant le Pacte comme l’instrument le plus important dans le domaine de la protection des droits de l’homme depuis la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme, les États‑Unis sont fiers d’avoir contribué à faire des droits et libertés énoncés dans ces deux textes fondateurs des obligations à caractère contraignant en vertu du Pacte. Nombre des droits consacrés par le Pacte sont d’ailleurs également protégés par la Constitution des États-Unis.

4.Le cadre juridique de la mise en œuvre du Pacte n’a pas fondamentalement changé depuis la présentation du rapport initial des États-Unis. Le rapport contient des renseignements actualisés et détaillés concernant les lois, la jurisprudence, les politiques et les programmes adoptés dans l’intervalle de manière à renforcer les garanties des droits énoncés dans le Pacte et à assurer des moyens de recours en cas de violation de ces droits. Il est évident qu’après les événements du 11 septembre 2001, la menace de nouvelles attaques terroristes de grande envergure a obligé les États-Unis à adopter des mesures décisives, et notamment législatives, pour assurer la sécurité de son territoire, ce qu’ils ont fait dans le respect de la Constitution et de la législation interne ainsi que des obligations conventionnelles internationales.

5.Concernant les actions menées par les États‑Unis hors de leur territoire, les États‑Unis estiment que le droit des conflits armés, branche du droit international humanitaire – constitue le cadre approprié dans lequel elles doivent s’inscrire. Les États‑Unis n’ignorent pas l’opinion des membres du Comité concernant l’application extraterritoriale du Pacte, mais ils demeurent convaincus que le Pacte n’est applicable qu’au seul territoire des États parties. L’application des règles d’interprétation des traités énoncées dans la Convention de Vienne conduit à conclure qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte les États parties sont tenus de garantir les droits énoncés dans le Pacte uniquement à l’égard des individus qui sont à la fois sur leur territoire et soumis à leur juridiction. Cette interprétation est confirmée d’abord par le sens ordinaire du libellé de cet article («à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence»), ainsi que par les travaux préparatoires du Pacte, d’où il ressort que sur proposition de la représentante des États‑Unis, Eleanor Roosevelt, la mention «sur leur territoire» a été incluse dans le texte du paragraphe 1 de l’article 2 à la session de 1950, afin précisément de garantir que les États ne seraient pas tenus de mettre en œuvre les dispositions du Pacte hors de leur territoire. Il apparaît donc clairement que la limitation territoriale de l’article 2, loin d’être contraire à l’objet ou au but du Pacte, est l’expression même de l’intention de ses négociateurs. L’annexe I du rapport expose en détail la position des États-Unis sur ce sujet. Il importait toutefois d’y revenir afin de préciser que, si les États-Unis n’appliquent pas les dispositions du Pacte hors de leur territoire, leur droit interne et le droit international, qu’ils respectent strictement, garantissent la protection des individus en dehors de leur territoire. En outre, la position des États-Unis concernant l’application territoriale du Pacte permettra au Comité de comprendre pourquoi il n’a pas été apporté de réponse écrite à ses questions relatives aux opérations militaires effectuées par les États-Unis en dehors de leur territoire.

6.Pour ce qui est de la mise en œuvre du Pacte sur leur territoire, les États-Unis s’acquittent pleinement de leurs obligations. Les éléments fondamentaux de la démocratie – liberté d’expression, liberté de réunion et liberté de la presse − y sont fermement ancrés, le système judiciaire est fort et indépendant, et les droits civils et politiques sont protégés par un ensemble de dispositions constitutionnelles, législatives et de common law. La tradition et la culture de la contestation du gouvernement par la voie judiciaire sont plus fortes aux États-Unis que dans tout autre pays, comme en témoigne la jurisprudence abondamment citée dans le rapport. La portée des garanties offertes par la Constitution est d’ailleurs souvent plus large que celle des garanties énoncées dans le Pacte. Mais les États-Unis ne se contentent pas d’œuvrer à la réalisation des droits visés par le Pacte sur leur territoire; ils consacrent également des ressources considérables − 1,4 milliard de dollars en 2006 − pour aider d’autres nations à travers le monde à promouvoir le respect des droits de l’homme. Si les États-Unis peuvent tirer fierté de leurs acquis nationaux en matière de droits civils et de leur engagement en faveur des droits de l’homme à l’étranger, ils ne s’en estiment pas moins investis d’une grande responsabilité dans un combat qui n’est jamais fini.

7.M. KIM (États-Unis d’Amérique) dit que les États-Unis sont profondément attachés à la liberté et à l’égalité. Premier Attorney General auxiliaire d’origine coréenne du Département de la justice et premier immigrant directeur de la Division des droits civils, M. Kim est la preuve vivante que l’égalité des chances existe bel et bien aux États-Unis. Depuis la création de la Division des droits civils, dont le cinquantième anniversaire sera célébré en 2007, le Gouvernement a réalisé des avancées considérables dans le domaine des droits civils et en particulier de l’élimination de la discrimination. Les succès du gouvernement actuel dans ce domaine sont nombreux: campagne sans précédent en faveur du vote des personnes appartenant à des minorités linguistiques, multiplication par quatre du nombre de poursuites engagées pour trafic d’êtres humains, augmentation de 30 % du nombre de condamnations pénales d’agents des forces de l’ordre pour violations des droits civils, mise en œuvre des droits des personnes, adultes ou mineures, placées en institution, y compris en prison et en établissement psychiatrique, actions en justice pour obtenir la création de logements pour les personnes handicapées, ouverture d’un nombre sans précédent de poursuites pour dénoncer des pratiques discriminatoires en matière d’emploi. Le Département de la justice a également lancé de nouvelles initiatives visant à garantir à tous les citoyens américains une protection égale de la loi dans les domaines de la traite des êtres humains, du droit au logement, des droits des handicapés et de la liberté de religion.

8.La lutte contre la traite des être humains, aussi bien aux États-Unis qu’à l’étranger, est une priorité du Président Bush et de l’Attorney General. Dans ce domaine, le Département de la justice a mis en place un dispositif efficace alliant jugement des coupables et assistance aux victimes. Il veille également à ce que le droit au logement soit garanti à tous sans restriction. Tel est l’objet de l’opération «Home Sweet Home», lancée pour protéger de la discrimination les victimes du cyclone Katrina contraintes de retrouver un logement. Depuis le lancement de l’initiative New Freedom, en janvier 2001, la Division des droits civils a fait aboutir les revendications de personnes handicapées dans plus de 2 000 procès intentés au titre de la loi sur les Américains handicapés et a négocié des accords en faveur de l’accessibilité des handicapés dont ont bénéficié plus de 2 millions de personnes. Les minorités religieuses constituent une catégorie protégée dans la plupart des textes législatifs mais, sous les gouvernements précédents, peu de cas de discrimination avaient fait l’objet d’actions en justice, lacune que le Ministère de la justice s’est employé à combler. Il a assuré activement la mise en œuvre de la loi de 2000 sur l’occupation des sols à des fins religieuses et les personnes placées en institution. Il veille également à protéger les droits des étudiants dans le domaine de la religion et a ainsi engagé une action civile en vue de permettre à une jeune musulmane de porter le hijab dans un établissement scolaire public. Les États-Unis se sont dotés d’un arsenal juridique puissant pour lutter contre toutes les formes de discrimination mais savent bien qu’ils ne sont pas encore parvenus au bout du chemin qui mène vers l’égalité.

9.La PRÉSIDENTE remercie la délégation des États‑Unis de sa présentation et l’invite à répondre aux questions de la liste des points (CCPR/C/USA/Q/3).

10.M. KIM (États‑Unis d’Amérique), répondant à la question no 1 de la liste des points à traiter, rappelle que l’histoire complexe des relations des États-Unis avec les tribus amérindiennes et le cadre juridique applicable à ces tribus ont été détaillés dans le rapport initial (CCPR/C/81/Add.4). En ce qui concerne le point de savoir si les États-Unis s’appuient sur la doctrine de la découverte dans leurs rapports avec les Indiens, une observation formulée par la Cour suprême en 1823 établit que cette doctrine n’est pas née aux États-Unis mais est issue de la classe dirigeante européenne. Au moment de la rupture avec l’Angleterre, les États-Unis ont hérité des droits fonciers de cette dernière, parmi lesquels le droit exclusif d’acquérir des terres détenues ou occupées par des Indiens entrant dans une catégorie spécifiée. Ce droit ne privait pas pour autant les Indiens de leurs droits fonciers, qu’ils ont conservés par la suite à chaque nouvel achat de terres par l’État, lequel a obtenu quelque 67 titres de propriété en signant des traités avec les tribus.

11.En ce qui concerne le statut des traités conclus avec les tribus indiennes, ils ont régi les relations entre les États-Unis et les Indiens pendant une centaine d’années. Ils sont toujours en vigueur et ont force de loi fédérale. Similaires à des traités conclus avec des gouvernements étrangers, ils s’en distinguent toutefois par le fait qu’ils sont conçus et interprétés de manière à favoriser les intérêts des Indiens. Des garanties exceptionnelles ont par la suite été accordées aux tribus indiennes par voie législative. En 1946, elles ont ainsi obtenu le droit de saisir la cour des requêtes pour dénoncer toute violation des droits garantis par les traités. En vertu de la Constitution, le Congrès des États-Unis, et non pas les administrations des États, est habilité à administrer les affaires indiennes. En réponse à la préoccupation du Comité quant à la compatibilité des pouvoirs ainsi conférés au Congrès avec l’article premier et l’article 27 du Pacte, M. Kim dit que les Indiens, en tant que citoyens des États-Unis, bénéficient des mêmes garanties constitutionnelles que tous les autres citoyens, y compris du droit de prendre part à la direction des affaires publiques du pays. De plus, le cinquième amendement de la Constitution interdit expressément de priver un individu de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière ou de réquisitionner une propriété privée dans l’intérêt public sans une juste indemnité. En outre, toute mesure prise par le Congrès est soumise au contrôle juridictionnel.

12.Pour ce qui est de la compatibilité avec l’article premier du Pacte, il faut rappeler que la notion de souveraineté des tribus définie dans la législation des États-Unis est différente de la notion de souveraineté utilisée en droit international. En effet, la loi fédérale sur les Indiens établit que le droit à l’autodétermination des tribus s’entend de leur droit d’exercer leurs fonctions selon leurs propres systèmes gouvernementaux en tant qu’entités politiques qui entretiennent avec les États‑Unis des relations de gouvernement à gouvernement. Outre la culture, la religion et la langue, les domaines de compétence des gouvernements tribaux autonomes comprennent l’éducation, l’information, la protection sociale, les relations au sein de la famille, l’administration des terres, la gestion des ressources et l’environnement. Les tribus contrôlent l’accès aux terres tribales et gèrent le financement de leurs activités.

13.M. WAXMAN (États-Unis d’Amérique), répondant à la question no 2, dit qu’en ce qui concerne la réserve relative au paragraphe 5 de l’article 6 du Pacte, qui porte sur la possibilité de prononcer la peine capitale dans le cas de mineurs de 18 ans, les États-Unis ont récemment renforcé les restrictions à l’application de la peine de mort. Dans l’affaire Roper v. Simmons, la Cour suprême a décidé que l’exécution de personnes reconnues coupables qui étaient âgées de moins de 18 ans au moment des faits constituait une violation de la Constitution, ce qui a créé un précédent. Le Gouvernement n’a donc pas l’intention de retirer la réserve à l’article 6. La réserve émise à l’article 7, selon laquelle l’expression «peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants» s’entend des traitements ou peines cruels et inaccoutumés interdits par les cinquième, huitième et/ou quatorzième amendements à la Constitution, a quant à elle été formulée pour préciser le sens de l’expression «peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants» et garantir la compatibilité des normes constitutionnelles existantes avec les obligations découlant de l’article 7 du Pacte. Ces motifs étant toujours valables, le Gouvernement n’a pas l’intention de retirer la réserve.

14.Pour ce qui de la compatibilité avec le Pacte des définitions du terrorisme énoncées dans le droit interne et de l’autorisation par le Congrès du recours à la force militaire (question no 3), il y a lieu de rappeler que le Pacte ne comporte aucune disposition régissant la manière dont un État partie est censé définir le terme «terrorisme» dans son droit interne. Les différentes définitions de ce terme utilisées dans le droit interne des États-Unis, qui sont énoncées à l’annexe A des réponses écrites, ne sont en rien incompatibles avec les obligations qui incombent aux États-Unis en vertu du Pacte. En outre, elles sont assorties de garanties de procédure pleinement conformes au Pacte. L’autorisation de recourir à la force militaire n’est pas non plus contraire aux obligations des États-Unis en vertu du Pacte. Adoptée à la suite des attentats du 11 septembre 2001, elle établit juridiquement l’existence d’un conflit armé entre les États-Unis et Al‑Qaïda et les Talibans.

15.Les questions nos 4 à 9 portent sur l’application du Pacte dans des lieux qui ne relèvent pas de la juridiction des États‑Unis. La délégation a longuement expliqué la position des États-Unis à ce sujet dans sa déclaration liminaire, et des éléments de réponse détaillés figurent dans les réponses écrites. Elle se limitera donc à donner un aperçu général de la façon dont les mesures de lutte contre le terrorisme satisfont aux obligations contractées par les États-Unis en vertu du Pacte. La lutte contre Al-Qaïda, les Talibans et les mouvements qui leur sont affiliés place la communauté internationale face à de nouveaux défis que les États-Unis sont déterminés à relever respectant strictement la légalité et en s’acquittant de leurs obligations en vertu de leur droit interne et du droit international applicable. Les mécanismes juridiques et judiciaires permettant aux États-Unis de s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu du Pacte, amplement décrits dans le rapport périodique, fonctionnent également sans restriction dans le cas des mesures antiterroristes.

16.Pour répondre aux multiples questions concernant les mesures prises à l’égard des personnes soupçonnées de terrorisme (question no 10), M. Waxman fait observer tout d’abord que l’article 7 du Pacte ne prévoit pas d’obligations spécifiques en matière de transfert de personnes. La délégation des États‑Unis veut bien répondre toutefois aux questions posées à ce sujet par le Comité. Conformément aux obligations auxquelles ils ont souscrit en adhérant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et comme ils ont eu l’occasion de le dire devant l’organe créé en vertu de cet instrument, les États‑Unis n’expulsent pas ni ne renvoient ou n’extradent une personne vers un pays où il est probable qu’elle sera soumise à la torture. À l’égard des personnes placées sous le contrôle des États‑Unis à l’extérieur du territoire national, l’État partie applique une norme analogue, selon laquelle une personne ne peut pas être transférée ou renvoyée dans un pays où il est fort probable qu’elle sera soumise à la torture. En cas de besoin, les États‑Unis demandent des assurances dignes de foi que l’intéressé ne subira pas de tortures.

17.Comme d’autres pays, les États‑Unis ne commentent pas les informations relatives à ce qui est considéré comme des opérations des services de renseignement. Cela étant, la Secrétaire d’État Condoleeza Rice a confirmé publiquement que les États‑Unis et d’autres pays procèdent depuis longtemps à des transfèrements de personnes soupçonnées d’être des terroristes du pays dans lequel elles ont été arrêtées vers leur pays d’origine ou un autre pays dans lequel elles peuvent être interrogées, placées en détention ou traduites en justice. Les États‑Unis considèrent les transfèrements comme un instrument essentiel de la lutte contre le terrorisme international, qui permet de mettre les terroristes hors d’état de nuire et d’épargner des vies humaines. Les transfèrements sont toujours effectués dans le respect des dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et, même dans les cas où cet instrument ne s’applique pas, il n’y a jamais de transfèrement d’un individu dans un pays où il est fort probable qu’il sera soumis à des tortures. On peut préciser également qu’il est rare que les États‑Unis demandent des assurances diplomatiques.

18.M. KIM (États‑Unis d’Amérique), répondant aux préoccupations du Comité concernant l’application de la loi sur les témoins essentiels (question no 11), dit que cette loi vise à garantir la présence d’une personne en qualité de témoin essentiel dans un procès avec grand ou petit jury lorsqu’il existe un risque que le témoin prenne la fuite. La pratique de la détention pour garantir la présence d’un témoin est ancienne puisqu’elle remonte à 1789, et elle concerne essentiellement des affaires d’immigration illégale, de crime organisé et de terrorisme. Dans tous les cas, un contrôle indépendant est exercé par un juge, et des garanties importantes sont prévues. Pour placer en détention un témoin essentiel, les autorités doivent montrer que tout laisse à penser que le témoignage de l’intéressé est essentiel et qu’une simple citation à comparaître ne garantira pas la présence de ce témoin. En outre, le droit d’être assisté par un conseil, si nécessaire commis d’office en cas de besoin, et le droit de recours sont garantis. Le témoin essentiel est remis en liberté après avoir fait une déposition complète ou partielle, sauf si la détention doit être prolongée pour une autre raison, par exemple pour des questions liées à l’immigration ou relevant du Code pénal. Le témoin bénéficie alors des droits de procédure prévus dans ce cadre. Entre le 11 septembre 2001 et début 2005, on estime qu’environ 10 000 mandats d’arrestation de témoins essentiels ont été délivrés, dont 9 600 dans des affaires d’immigration, environ 230 dans des affaires de trafic de stupéfiants ou d’armes ou d’autres infractions avec violences, et près de 90 dans des affaires de terrorisme. La possibilité d’ordonner le huis clos pour l’audition de témoins essentiels n’est pas incompatible avec l’application de l’article 14 du Pacte dans la mesure où l’audition du témoin ne vise pas à décider du bien‑fondé d’une accusation pénale.

19.M. TIMOFEYEV (États‑Unis d’Amérique), passant à la question de l’exclusion du public des audiences des tribunaux d’immigration, dit que cette mesure, qui peut être d’application partielle ou complète, est pleinement compatible avec les articles 9, 10 et 14 du Pacte. En effet, le Pacte n’exige pas que les procédures d’expulsion soient publiques. L’article 14 prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement par un tribunal qui décide du bien‑fondé d’une accusation en matière pénale. Or une accusation dans une affaire d’immigration n’entre pas dans cette catégorie, et l’expulsion d’un étranger ne constitue pas une sanction pénale. Le huis clos partiel ou complet des audiences des tribunaux d’immigration pour protéger les témoins, les parties ou dans l’intérêt du public est autorisé de longue date. Depuis quelques années, les juges aux affaires d’immigration sont également habilités à prendre des mesures de protection dans le cas où le Gouvernement a montré qu’il y avait tout lieu de penser que la divulgation de certaines informations communiquées sous le sceau du secret pourrait nuire à la sécurité nationale ou à l’intérêt de la justice. Toutefois, les principales garanties procédurales ne sont pas restreintes par le huis clos. Ainsi, les intéressés sont informés des charges qui pèsent contre eux, ils ont la possibilité d’être entendus et de présenter des éléments de preuve, d’être assistés d’un conseil et, au besoin, d’un interprète‑juré. Peu de temps après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, l’Attorney General a estimé nécessaire d’imposer le huis clos pour une catégorie particulière d’affaires d’expulsion. Cependant, même dans ces affaires‑là, les intéressés et leur conseil peuvent divulguer toute information sur la procédure d’expulsion à leur égard qui n’est pas spécifiquement visée par une mesure de protection.

20.M. KIM (États‑Unis d’Amérique), répondant à la question de savoir si l’article 213 de la loi «Patriot» est conforme au Pacte (question no 12), dit que la procédure permettant de délivrer un mandat de perquisition à notification tardive existe et est fréquemment utilisée depuis des décennies, et elle est donc bien antérieure à l’adoption de la loi «Patriot». Le mandat de perquisition à notification tardive n’est délivré par un juge fédéral qu’une fois établi qu’il y a tout lieu de penser que le bien à rechercher ou à saisir constitue la preuve d’un délit. L’article 213 n’a pas conféré de pouvoirs nouveaux aux organes chargés de faire appliquer la loi, mais il a instauré un processus et une norme uniformes à l’échelle de la nation pour la délivrance de ces mandats. Dans les faits, les mandats de perquisition à notification tardive sont rares (moins de 0,2 % de l’ensemble des mandats fédéraux délivrés entre l’entrée en vigueur de la loi «Patriot» et début 2005).

21.En ce qui concerne la compatibilité avec le Pacte de l’article 215 de la loi «Patriot», M. Kim indique que la loi en question n’a fait que conférer aux enquêteurs dans les affaires de terrorisme et d’espionnage international une autorité analogue à celle des grands jurys, à cette différence près que les enquêteurs doivent obtenir une autorisation judiciaire préalable pour ordonner la production de pièces. Conformément à la loi d’amélioration et de reconduction de la loi «Patriot» qui a été adoptée en 2005, les personnes qui font l’objet d’une telle mesure peuvent être assistées d’un conseil et contester la décision devant les tribunaux. La législation a également assorti la mesure de garanties supplémentaires pour le cas où les informations sont considérées comme plus sensibles. Enfin, elle prévoit que le nombre d’ordres de produire des pièces émis en vertu de l’article 215 sera rendu public chaque année. En 2005, les tribunaux n’ont fait droit qu’à 155 demandes d’accès à certaines archives commerciales.

22.Le système des lettres «dans l’intérêt de la sécurité nationale» est antérieur à l’adoption de la loi «Patriot». Il permet aux enquêteurs de la sécurité nationale de demander certains types d’information à des entités spécifiques, mais il n’autorise pas les perquisitions et n’est pas d’application automatique. Ainsi, si le destinataire d’une telle lettre refuse d’obtempérer, les enquêteurs doivent saisir la justice pour l’y contraindre. Le destinataire peut se faire assister d’un avocat et contester la lettre devant les tribunaux. Une lettre «dans l’intérêt de la sécurité nationale» n’est plus automatiquement assortie d’une interdiction de divulgation, interdiction qui peut d’ailleurs elle aussi être contestée devant la justice.

23.L’article 412 de la loi «Patriot» qui permet, sous réserve d’un contrôle judiciaire poussé, de placer temporairement en détention une catégorie restreinte d’étrangers avant leur expulsion, prévoit qu’il doit exister des motifs raisonnables de penser que l’intéressé est entré aux États‑Unis pour violer la législation relative à l’espionnage ou au sabotage; est entré aux États‑Unis pour s’opposer au Gouvernement par la force; est impliqué dans une activité terroriste ou menace la sécurité nationale des États‑Unis. L’article 412 prévoit expressément le droit de contester la détention devant les tribunaux. Les autorités doivent engager la procédure d’expulsion ou inculper l’étranger dans les sept jours, faute de quoi elles sont tenues de le libérer. Les États‑Unis n’ont jamais utilisé le pouvoir conféré par cette disposition de la loi «Patriot» pour placer en détention un étranger. Dans tous les cas, l’article 412 est pleinement compatible avec les obligations découlant du Pacte.

24.En réponse à la question sur la surveillance des communications entre particuliers (question no 13), M. Kim indique que, dans le cadre du programme de surveillance des terroristes qui a été lancé en décembre 2005, l’Agence de la sécurité nationale entend intercepter les communications entre particuliers sur le territoire des États‑Unis et à l’extérieur lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’une ou l’autre des personnes est membre d’Al‑Qaida ou d’une organisation terroriste affiliée. Les «motifs raisonnables de croire» constituent un type de preuve compatible avec le Quatrième amendement de la Constitution des États‑Unis, lequel ne requiert pas une ordonnance ou un mandat judiciaire dans tous les cas. En effet, la Cour suprême a reconnu que des perquisitions pouvaient être menées sans mandat pour «des besoins spéciaux, qui vont au‑delà de la nécessité ordinaire». Le programme de surveillance des terroristes répond à un tel besoin car il protège la nation en détectant et empêchant les complots fomentés par un ennemi déclaré des États‑Unis. Ainsi, l’absence de mandat judiciaire dans le cadre de ce programme ne constitue pas une violation du Quatrième amendement, pas plus qu’elle ne constitue une immixtion arbitraire ou illégale dans la vie privée au sens de l’article 17 du Pacte. Compte tenu de la rapidité et de la souplesse requises pour prévenir de nouvelles attaques terroristes à l’intérieur des États‑Unis, le soin de déterminer si des communications entre particuliers entrent dans le cadre de la préparation d’une attaque terroriste a été confié aux experts des services de renseignement plutôt qu’aux tribunaux.

25.Le Comité a demandé des informations sur les mesures prises pour réduire la ségrégation de fait dans les établissements scolaires publics (question no 14). Les autorités des États‑Unis supposent que l’expression «ségrégation de fait» renvoie aux situations dans lesquelles certains établissements sont fréquentés majoritairement par des personnes appartenant à une race donnée ou à un autre groupe visé à l’article 26 du Pacte. Ces situations peuvent s’expliquer de bien des manières, notamment par la supériorité numérique d’un groupe dans une région donnée. Les autorités, à quelque niveau que ce soit, ont à cœur de prévenir la discrimination et le Département de la justice, par exemple, examine actuellement 300 cas de ségrégation de jure, causée par un acte intentionnellement discriminatoire, et il s’appuie pour ce faire sur la loi sur les droits civils de 1964 et la loi sur l’égalité des chances dans l’éducation de 1974. Toutefois, pour agir, il faut pouvoir établir l’intention discriminatoire des autorités. Ainsi, la simple supériorité numérique d’un groupe de population ne peut pas constituer en soi un fait de discrimination et n’est pas incompatible avec l’article 26 du Pacte.

26.En ce qui concerne les pratiques de caractérisation raciale (question no 15), en 2001 le Président Bush a déclaré devant le Congrès que la caractérisation raciale était une erreur et qu’il y serait mis fin. Il a demandé à l’Attorney General de veiller à ce que la race ne soit plus un élément pris en compte dans les arrestations, fouilles et autres procédures de maintien de l’ordre. Ainsi, les directives établies par la Division des droits civils interdisent aux agents fédéraux des forces de l’ordre de pratiquer la caractérisation raciale. En outre, la Division est chargée de recueillir et de traiter les plaintes à ce sujet visant tout organe de répression. Dans le cas où la caractérisation raciale est avérée, la Division aide l’organe concerné à réviser sa stratégie, ses procédures et la formation qu’il offre afin de les rendre conformes à la Constitution et aux lois fédérales.

27.M. TIMOFEYEV (États‑Unis d’Amérique) dit que le cyclone Katrina (question no 16) a mobilisé les ressources à tous les niveaux de l’État dans des proportions encore jamais atteintes dans le cadre d’une catastrophe nationale. On apprend de chaque catastrophe, et ce fut le cas avec le cyclone Katrina. Le Gouvernement fédéral s’efforce maintenant de traduire ces enseignements dans la réalité, notamment en améliorant les procédures qui permettent de mieux protéger et aider les personnes économiquement faibles. Il faut bien voir toutefois que c’est aux gouvernements des États et aux autorités locales qu’il incombe au premier chef d’apporter les secours d’urgence lors d’une catastrophe et d’organiser les évacuations. Au sein du Département de la sécurité intérieure, l’Agence fédérale pour la gestion des situations d’urgence (FEMA) est chargée de coordonner les secours et les efforts de reconstruction après les catastrophes. À cet effet, elle coopère avec les responsables des États et localités concernés et leur apporte l’appui nécessaire. La FEMA a pour objectif de venir en aide à toutes les victimes de catastrophe dans les délais les plus brefs possibles et sans discrimination aucune. En outre, le titre VI de la loi sur les droits civils de 1964 offre aux individus une protection contre la discrimination fondée sur la race, la couleur ou l’origine nationale dans les programmes soutenus financièrement par les autorités fédérales. La FEMA est également dotée d’un programme sur les droits civils qui offre des services de conseil aux gouvernements des États et aux autorités locales et permet de traiter les plaintes pour discrimination. Enfin, après le passage du cyclone Katrina, un conseil interinstitutions a été mis en place pour recueillir et traiter les plaintes et les demandes d’aide des personnes handicapées, et pour coordonner les aides privées et publiques.

28.M. KIM (États‑Unis d’Amérique) donne un aperçu des initiatives en matière de protection contre la discrimination qui ont été prises par la Division des droits civils du Département de la justice et les pouvoirs publics concernés après le passage du cyclone Katrina. En particulier, le 15 février 2006, l’Attorney General Alberto R. Gonzales a annoncé le déclenchement de l’opération «Home Sweet Home» visant à mettre fin à la discrimination en matière de logement dans les zones touchées par le cyclone et celles où ont été hébergées les victimes. Le Bureau de l’Attorney General de la Louisiane a mené une enquête pénale approfondie sur les allégations selon lesquelles les agents des forces de l’ordre n’auraient pas autorisé les habitants de la Nouvelle‑Orléans à se rendre à Gretna (Louisiane), en passant par le Greater New Orleans Bridge. Le FBI a également mené des enquêtes sur des cas de détenus qui n’auraient pas été dûment transférés de la prison d’Orleans Parish après le passage du cyclone, enquêtes dont il a rendu compte à la Division des droits civils, qui a toutefois conclu que la violation des droits constitutionnels des détenus n’était pas suffisamment établie. Le FBI et la Division des droits civils continueront de coopérer dans les enquêtes en cours concernant les plaintes de détenus de la prison d’Orleans Parish. Enfin, en ce qui concerne la protection des droits électoraux de la population, la Division des droits civils a pris des mesures extraordinaires très rapidement après le passage du cyclone de façon à assurer le bon déroulement des élections à la Nouvelle‑Orléans. Dans le domaine de l’éducation, de nombreux districts scolaires de la Louisiane, y compris dans la région de la Nouvelle‑Orléans, sont actuellement visés par des ordonnances de suppression de la ségrégation à l’école. Lorsque des écoliers déplacés à cause du cyclone Katrina sont réinstallés dans des zones non visées par ce type d’ordonnance, les districts scolaires peuvent les répartir comme ils l’entendent dans les établissements, en fonction des capacités d’accueil et des besoins éducatifs des enfants. Le Département de la justice considère que les textes doivent être interprétés avec suffisamment de souplesse pour ne pas entraver la scolarisation des enfants déplacés. Dans le même esprit, le Département de l’éducation a renoncé à l’application de plusieurs critères dans certains programmes fédéraux afin d’aider les États et districts touchés par le cyclone à répondre aux besoins éducatifs des enfants. Enfin, il a alloué des fonds dans le cadre de nouveaux programmes de bourses scolaires, pour aider les États et districts frappés par le cyclone à se relever.

29.La PRÉSIDENTE invite les membres du Comité à poser leurs questions complémentaires sur les points 1 à 16 de la liste.

30.M. KÄLIN souligne que l’examen des deuxième et troisième rapports périodiques offre au Comité la possibilité de renouer le dialogue avec l’État partie après plus d’une décennie durant laquelle ce dernier a dû faire face à bien des difficultés et des épreuves. Il regrette toutefois que ni le rapport, ni les réponses données oralement par la délégation n’éclairent sur l’application du Pacte à l’extérieur du territoire des États‑Unis, et les renseignements concernant la situation à l’échelle des États sont assez maigres. L’État partie a assorti son instrument de ratification du Pacte d’une déclaration interprétative dans laquelle il est précisé que le Pacte doit être appliqué par le Gouvernement fédéral dans la mesure où celui‑ci exerce une compétence législative et judiciaire sur les matières qui y sont visées et, autrement, par les États et les collectivités locales. D’autres États parties se heurtent à la même difficulté constitutionnelle pour l’application des dispositions du Pacte mais ils veillent à associer des fonctionnaires des différents États qui les constituent à l’établissement et à la présentation des rapports périodiques, et il serait bon que les États‑Unis fassent de même pour leur quatrième rapport périodique. Cela étant, les réponses écrites font apparaître un certain nombre de progrès dans l’application des droits prévus par le Pacte, dont il sera dûment tenu compte dans le texte des observations finales.

31.Le Comité des droits de l’homme considère, comme l’État partie, que le terrorisme international constitue une atteinte aux droits de l’homme particulièrement grave et que les gouvernements sont tenus de protéger efficacement la population contre les actes de terrorisme. Le Comité considère également que les actes terroristes sont très souvent assimilables à des crimes contre l’humanité. Toutefois, le terrorisme aura gagné s’il parvient à faire renoncer aux valeurs fondamentales qui sous‑tendent les droits de l’homme internationalement reconnus et, si le Comité partage certainement le point de vue de l’État partie sur la nécessité de lutter contre le terrorisme, il n’est cependant pas toujours d’accord avec lui sur la façon de s’y prendre. M. Kälin rappelle à ce propos que les États parties au Pacte ont confié au Comité des droits de l’homme un mandat en vertu duquel il doit s’assurer que toutes les mesures prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme sont compatibles avec les dispositions du Pacte.

32.Les États‑Unis ont joué un rôle capital dans l’histoire des droits de l’homme mais, sur un certain nombre de points (en particulier la doctrine de la découverte et ses effets sur la propriété foncière des autochtones, le déni du droit de vote aux personnes condamnées pour certains délits graves, le refus de considérer que le Pacte s’applique à l’extérieur du territoire des États‑Unis, la condamnation de mineurs à la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle, les effets discriminatoires persistants des politiques antérieures et actuelles relatives aux minorités raciales), on est fondé à se demander si l’État partie déploie suffisamment d’efforts pour assurer que la promesse d’universalité des droits de l’homme contenues dans sa Déclaration d’indépendance soit une réalité pour toutes les personnes relevant de sa juridiction. Pour sa part, M. Kälin est convaincu que le dialogue avec les représentants de l’État partie permettra au Comité de répondre par l’affirmative à cette question.

33.Revenant sur l’application du droit à l’autodétermination et des droits des personnes appartenant à des minorités (art. 1et art. 27 du Pacte), M. Kälin a noté les limitations constitutionnelles des pouvoirs du Congrès en matière de privation de la vie, de la liberté ou du patrimoine de particuliers, ou encore de confiscation de biens privés aux fins d’utilisation publique. Il croit comprendre toutefois que ces limitations ne s’appliquent qu’au patrimoine foncier couvert par un traité, excluant les terres qui ont été assignées dans le cadre de la création d’une réserve ou qui sont détenues du fait d’une possession et d’un usage historiques. Il se demande comment on peut affirmer que des garanties constitutionnelles existent alors que la Cour suprême a établi en 1955, dans l’affaire Tee‑Hit‑Ton (348 U.S. 272), que le Gouvernement des États‑Unis pouvait confisquer les terres et ressources autochtones détenues en vertu d’un droit autochtone, c’est‑à‑dire du fait d’une possession et d’un usage historiques et non pas en vertu d’un traité. De plus, une décision rendue en 2000 par la Federal Circuit Court tend à priver la tribu indienne karuk du droit à l’indemnisation pour les terres qui lui ont été prises en vertu d’une loi adoptée par le Congrès, alors même que ces terres lui avaient été réservées conformément à des dispositions fédérales. M. Kälin se demande également de quelle protection constitutionnelle jouissent les tribus shoshones et d’autres compte tenu des difficultés auxquelles elles continuent de se heurter pour conserver leurs territoires. On peut aussi se demander, en ce début de troisième millénaire, comment le concept même de tutelle et l’exercice de cette tutelle sont compatibles avec les garanties prévues dans les articles 1er et 27 du Pacte. M. Kälin voit mal comment, dans ces conditions, l’État partie peut affirmer que les traités qu’il a signés conservent leur plein effet. En outre, on peut se demander comment s’articulent les garanties constitutionnelles susmentionnées avec l’arrêt rendu par la Cour suprême en 1998 dans l’affaire South Dakota v. Yankton Sioux selon lequel le Congrès peut modifier ou supprimer des droits tribaux, y compris abroger un traité, du moment que l’intention de l’abrogation est suffisamment explicite.

34.Toujours dans le contexte de l’application des articles 1er et 27 du Pacte, M. Kälin a noté l’adoption d’une loi par laquelle les autorités de l’État partie ont présenté des excuses aux autochtones hawaïens pour le renversement illégal et par la force du Royaume hawaïen. Il souhaiterait toutefois savoir si cette loi a eu des effets positifs et concrets sur la situation des autochtones hawaïens, dont beaucoup restent marginalisés au sein de la société.

35.En ce qui concerne la question des mesures antiterroristes, M. Kälin souligne que la définition même du terrorisme ne doit pas être excessivement large au point de menacer l’exercice des libertés et droits consacrés dans le Pacte. Si la définition d’une activité terroriste contenue dans la loi 8 U.S.C., paragraphe 1182, pose peu de problèmes, celle qui figure dans le décret‑loi no 13224 (art. 3 d)) est plus préoccupante car elle caractérise l’activité terroriste comme incluant un acte violent ou dangereux pour la vie humaine, des biens ou des infrastructures, et semblant destinée à influencer la politique gouvernementale par l’intimidation ou la coercition. Si l’on prend cette définition à la lettre, une personne qui prendrait part à une manifestation politique au cours de laquelle le drapeau national serait brûlé, par exemple, pourrait être qualifiée de terroriste avec toutes les conséquences que cela entraîne. Il va de soi qu’une définition trop large du terrorisme qui rendrait illégale l’expression un peu vive d’une contestation politique serait contraire au Pacte. M. Kälin souhaiterait que la délégation indique quelles mesures sont prises pour éviter une telle situation et garantir qu’une interprétation excessive de la notion de terrorisme puisse restreindre l’exercice des droits et libertés consacrés par le Pacte.

36.À propos des limites territoriales de l’application du Pacte, M. Kälin fait observer que le Comité considère, comme l’État partie, que cette question relève de l’interprétation des dispositions de l’article 2 de l’instrument, interprétation qui doit s’appuyer sur les articles 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Toutefois le Comité considère, contrairement à l’État partie, que la première phrase du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, dans laquelle est affirmée la nécessité pour les États parties de respecter et de garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans l’instrument, comporte une certaine ambiguïté car la conjonction «et» (se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence) peut également être comprise comme un «ou». La Cour internationale de Justice a eu également l’occasion d’exprimer le même avis, notamment à propos des effets de la construction d’un mur par les autorités israéliennes dans les territoires palestiniens occupés. M. Kälin pourrait citer différents cas dans lesquels la Cour internationale de Justice ou le Comité lui‑même ont interprété les dispositions du Pacte comme s’appliquant aux individus se trouvant sur le territoire de l’État partie ou relevant de sa compétence. Pour étayer leur position quant à l’application territoriale du Pacte, les États‑Unis ont invoqué en annexe du rapport soumis à l’examen les travaux préparatoires du Pacte. Mais la lecture de ces derniers montre au contraire que la discussion relative aux dispositions du projet d’article 2 prenait en compte des situations assez diverses. Par exemple, la représentante des États‑Unis, Eleanor Roosevelt, avait considéré que les troupes envoyées dans un pays étranger restaient placées sous la juridiction de l’État d’envoi. Deux faits nouveaux importants sont survenus entre les négociations relatives au Pacte et la date à laquelle les États-Unis l’ont ratifié: le Comité a adopté plusieurs décisions (notamment dans des affaires concernant des arrestations effectuées par des agents uruguayens au Brésil et en Argentine et dans une affaire concernant un passeport confisqué par un consulat uruguayen en Allemagne) et l’Assemblée générale a adopté une résolution (la résolution 45/170 concernant la situation des droits de l’homme au Koweït occupé, en faveur de laquelle les États-Unis ont voté), établissant clairement la portée extraterritoriale du Pacte. Ces faits étaient connus des États-Unis quand ils ont ratifié le Pacte. En l’absence de déclaration ou de réserve de leur part, les autres États parties sont en droit d’attendre d’eux, en vertu du principe de bonne foi énoncé à l’article 31, paragraphe 1, de la Convention de Vienne sur le droit des traités, qu’ils acceptent l’interprétation du Comité. La Cour internationale de Justice a aussi affirmé la portée extraterritoriale des obligations découlant du Pacte dans l’avis consultatif qu’elle a rendu en 2004 concernant les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé et dans son arrêt de 2005 concernant les activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda). Ainsi, la position du Comité sur la portée extraterritoriale a des bases juridiques solides.

37.En ce qui concerne les restitutions extraordinaires (question no 10), le Comité se doit de réaffirmer que «les États parties ne doivent pas exposer des individus à un risque de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en les renvoyant dans un autre pays en vertu d’une mesure d’extradition, d’expulsion ou de refoulement» (Observation générale no 20 relative à l’article 7 du Pacte) et donc rejeter l’argument des États-Unis, qui tiennent que le Pacte diffère de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en ce qu’il n’impose pas aux États parties d’obligation de non-refoulement. L’interprétation que le Comité fait de l’article 7 était déjà connue au moment de la ratification du Pacte par les États-Unis. Que ceux-ci n’aient pas marqué explicitement leur accord ne leur permet pas d’arguer qu’ils ne l’avaient pas acceptée. De plus, la jurisprudence portant sur l’article 7 est abondante et, s’ils ont parfois contesté les faits, les États n’ont jamais contesté le principe énoncé dans l’Observation générale no 20. Enfin, l’article 2 du Pacte dispose que les États parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le Pacte. Dans ce contexte encore, le non-refoulement vers des pays où l’intéressé risque d’être torturé ou traité de manière inhumaine est un moyen d’application important. Dans ses réponses écrites, la délégation de l’État partie a affirmé que les États-Unis ne transfèrent pas une personne vers un pays où il est «fort probable» qu’elle soit soumise à la torture. Cette norme, établie par la Cour suprême des États-Unis (INS v. Stevic) en 1948 en rapport avec la question des persécutions politiques, n’est manifestement pas conforme au degré de protection exigé par le Pacte et par l’article 3 de la Convention contre la torture. Pour ces raisons, il conviendrait que la délégation réponde de manière plus détaillée à la question du Comité relative à la détention dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, en particulier s’agissant des centres de détention secrets (question no 4).

38.Sir Nigel RODLEY dit qu’il se concentrera sur les questions nos 4 à 9 auxquelles l’État partie, tout en estimant ne pas avoir à les traiter parce que les questions posées ne seraient pas du ressort du Comité, a répondu dans l’annexe B aux réponses communiquées par écrit. La délégation a invoqué le secret défense pour ne pas répondre aux questions relatives aux centres de détention secrets (question no 4) mais l’existence de ces centres semble avérée. La délégation affirme qu’aucun détenu n’est soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; or une détention prolongée au secret constitue en soit une violation de l’article 7. Ainsi le Comité a conclu, à l’issue de l’examen, en 1994, de l’affaire El-Megreisi c. Jamahiriya arabe libyenne, qu’une détention de trois ans au secret constituait une forme de torture. Dans une autre affaire, mettant en cause un État aux prises avec des actes de terrorismes violents, le Comité a conclu très récemment qu’une détention non reconnue de six mois était attentatoire à l’article 7. On peut se demander quelle serait la réaction de l’État partie si un État enlevait des ressortissants américains soupçonnés de vouloir renverser son régime et les maintenait en détention dans des lieux secrets.

39.En ce qui concerne le centre de détention de Guantánamo (question no 5), Sir Nigel Rodley comprend mal pourquoi les suspects devaient être détenus «off shore» aux fins d’interrogatoire. Les tribunaux d’examen du statut de combattant et les conseils de révision administrative sont une bonne chose, mais des explications supplémentaires sur leur composition, leur fonctionnement et les procédures de révision seraient bienvenues, notamment sur le sens de l’adjectif «neutres» utilisé pour qualifier les officiers qui composent les tribunaux. Étant donné que les détenus ont le droit de demander la comparution de témoins à décharge s’il est raisonnablement possible de les faire venir, on peut se demander si cette mesure vise des témoins qui viendraient du Pakistan, d’Afghanistan ou de pays du Moyen-Orient. La délégation pourrait aussi expliquer pourquoi le même système n’a pas été mis en place en Afghanistan, où la responsabilité de la révision du statut du détenu est confiée à un officier, et en Iraq où le conseil de révision ne procède pas à l’audition de l’intéressé.

40.En ce qui concerne les preuves obtenues par la torture ou par les mauvais traitements (question no 6), nul n’ignore que le Secrétaire d’État à la défense a dans un premier temps autorisé des techniques d’interrogatoire qui ont été par la suite interdites, dont certaines, contraires à l’article 7, semblent avoir été effectivement appliquées. La question se pose donc de savoir quels sont les recours ouverts à ceux qui ont subi de telles méthodes à l’époque où elles étaient conformes aux consignes du Département de la défense. De plus, la loi de 2005 sur le traitement des détenus interdit aux détenus de Guantánamo de saisir un tribunal en cas de mauvais traitements et ne leur reconnaît pas le droit d’habeas corpus, remplacé par un mécanisme de révision par la Cour d’appel des États-Unis, dont les pouvoirs en la matière sont limités. La délégation est invitée à expliquer en quoi ces limitations étaient nécessaires. Cette loi présente aussi des points positifs en ceci qu’elle fixe de manière exhaustive les méthodes d’interrogatoire autorisées. Il serait utile que la délégation répète les assurances données au Comité contre la torture en mai 2006 concernant l’abandon de toute méthode autre que celles prévues dans le Manuel des opérations militaires sur le terrain, lequel reconnaît qu’une technique a priori légitime peut donner lieu à des applications illicites. Étant donné que d’autres organes que le Département de la défense peuvent avoir leurs propres directives en matière d’interrogatoire, des précisions seraient bienvenues concernant leur conformité avec les normes du Département de la défense et concernant l’éventualité de détentions contrôlées par des agents autres que ceux du Département de la défense, ainsi que la protection juridique accordée aux détenus en pareil cas. La loi sur le traitement des détenus ne s’appliquant pas aux personnes détenues pour avoir enfreint la législation pénale ou les lois relatives à l’immigration, on peut aussi s’interroger sur la protection accordée à ces personnes.

41.À la suite de l’arrêt rendu par la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Hamdan vRumsfeld, qui reconnaît l’applicabilité de l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève aux détenus sous le contrôle du Département de la défense, il semble que les normes attachées à l’article 3 commencent à faire l’objet d’interprétations. L’État partie estime‑t‑il nécessaire de s’écarter de la définition des éléments constitutifs des infractions figurant dans le Statut de la Cour pénale internationale?

42.En ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité des enquêtes officielles menées sur les allégations de tortures et de mauvais traitements (question no 9), des agents du Département de la défense ont été poursuivis et condamnés mais les peines prononcées ont souvent été plus clémentes que celles prononcées au civil pour des faits similaires, au motif notamment que les intéressés agissaient sur ordre de leurs supérieurs. Toutefois, la responsabilité du supérieur hiérarchique a rarement été mise en cause dans ces affaires. En ce qui concerne l’Agence centrale de renseignement (CIA), la délégation évoque le contrôle indépendant et interne à la CIA exercé par l’Inspector General et la supervision du Congrès, ainsi que des directives et procédures nouvelles mises en place ces dernières années, mais ces assurances demeurent trop vagues, surtout concernant les garanties offertes aux individus. Seul un agent contractuel de la CIA a été jugé et condamné pour la mort d’un détenu en Afghanistan, ce qui paraît peu au regard du nombre de personnes détenues.

43.En ce qui concerne la pratique des restitutions extraordinaires (question no 10), l’État partie n’a donné aucun exemple concret de restitution ou d’assurances obtenues dans certains cas avant le transfèrement. On ne sait rien de précis non plus sur les menaces que les restitutions auraient permis d’écarter ou sur les mesures prises pour vérifier que l’État de renvoi a bien respecté les assurances qu’il avait données. Le secret défense est régulièrement invoqué. Il serait bon que la délégation fournisse des explications susceptibles de rassurer le Comité sur ces différents points.

44.M. GLÈGLÈ AHANHANZO relève que la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle l’application de la peine de mort à des personnes de moins de 18 ans ou pour des faits commis avant l’âge de 18 ans et qu’on imagine mal que cette norme soit un jour renversée. Par conséquent, il ne comprend pas les raisons empêchant les États-Unis de lever les réserves émises au paragraphe 5 de l’article 6 et à l’article 7 du Pacte (question no 2).

45.En ce qui concerne la surveillance des communications par l’Agence nationale de sécurité (NSA) sans contrôle judiciaire (question no 13), cette pratique soulève la question de la compatibilité avec l’article 17 du Pacte, qui protège la vie privée, et du contrôle juridictionnel en place pour prévenir d’éventuels dérapages du système.

46.Concernant la caractérisation raciale (question no 15), le Président Bush a pris une position louable en condamnant cette pratique, mais en 1996, alors qu’il était Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, M. Glèlè Ahanhanzo a pu constater qu’il existait aux États-Unis un racisme structurel. Aujourd’hui, des informations concordantes font état d’une généralisation de la caractérisation raciale. On peut se demander si les États‑Unis ne devraient pas prendre des mesures de protection d’ordre juridique; un complément d’information serait le bienvenu à ce sujet.

47.M. LALLAH demande quels facteurs expliquent le retard avec lequel les rapports périodiques des États-Unis ont été soumis. Il rend hommage aux organisations non gouvernementales qui fournissent au Comité des données factuelles utiles pour l’examen de la situation d’un pays. Malgré un dialogue constructif entre le Comité et l’État partie à l’occasion de l’examen du rapport initial, la Commission des relations extérieures du Sénat a été saisie peu après d’un projet de loi interdisant tout engagement de dépense pour la présentation des rapports attendus par le Comité. Ce problème est aussi illustré par le fait qu’en mars 2006 deux juges de la Cour suprême ont reçu des menaces de mort parce qu’ils faisaient référence au Pacte, source de droit extérieure. L’État partie pourrait sans doute faire quelque chose pour, d’une part, combattre cette attitude et, d’autre part, sensibiliser davantage les magistrats américains à l’évolution des normes internationales en matière des droits de l’homme, une idée que la délégation avait approuvée lors de l’examen du rapport initial sans que cela soit apparemment suivi d’effet.

48.Relevant que la Cour suprême a pris une décision importante dans l’affaire Hamdan v. Rumsfeld, M. Lallah objecte que l’argument selon lequel des commissions militaires ont existé par le passé n’est pas recevable au regard des obligations qui incombent à l’État partie en vertu de l’article 14 du Pacte. L’article 4 prévoit la possibilité de déroger à certaines obligations dans une situation qui met en péril la vie de la nation, mais aucune mesure dérogatoire n’a été prise au titre de cet article et la «guerre contre la terreur» ne suffit pas à justifier que l’on abandonne des valeurs élaborées au fil des siècles. Compte tenu de l’arrêt de la Cour suprême, M. Lallah souhaite savoir ce que l’État partie compte faire, notamment s’il entend vérifier que toutes les mesures administratives et législatives qu’il a prises sont conformes aux normes énoncées par le Pacte.

49.En ce qui concerne la question no 11 relative au statut de témoin essentiel, M. Lallah fait observer que les paragraphes 168 à 171 du troisième rapport sont presque identiques aux paragraphes 241 et 242 du rapport initial, à ceci près que, dans celui-ci, la question était traitée du point de vue d’un procès qui allait avoir lieu, puisque l’acte d’accusation avait déjà été établi. Il souhaite savoir, puisque cette disposition s’applique dans les procès avec grand jury, c’est‑à‑dire sans acte d’accusation, ce qui se passe si une personne refuse de témoigner ou de faire une déposition et si elle a le droit de ne pas s’accuser, car il craint que ce système n’entraîne d’énormes abus. Ainsi, à propos des 90 personnes qui ont été détenues dans des affaires de terrorisme en vertu du statut de témoin essentiel, qui a été utilisé en tant que méthode d’enquête, il rappelle que le paragraphe 1 de l’article 9, qui vise un tout autre objectif, n’autorise pas une telle procédure, même si celle-ci est conforme à une loi de l’État partie, dès lors que cette loi porte atteinte à d’autres droits garantis par le Pacte. Il note que le statut de témoin essentiel ainsi que les dispositions de la loi «Patriot», visées à la question no 12, constituent des dérogations aux droits fondamentaux, alors que les États-Unis n’ont pas notifié de dérogation. Ce qui l’inquiète le plus, cependant, c’est d’avoir le sentiment qu’un état de siège s’est installé dans l’État partie puisque le droit à l’intimité et le droit de mener une vie normale sont mis à mal par des dispositions légales qui limitent la liberté d’opinion, d’expression, etc. Enfin, il demande des précisions sur le paragraphe 299 du rapport afin de comprendre comment les agents peuvent «ne pas surprendre les conversations qui ne sont pas liées aux crimes» pour lesquels leur mandat a été délivré, car il ne voit pas comment on peut juger de la teneur d’une conversation sans l’écouter. Il souhaite savoir si une personne est informée de la surveillance dont elle a fait l’objet, de quelle manière et à quel moment.

50.M. O’FLAHERTY regrette que les réponses écrites à la liste des points à traiter n’aient été rendues publiques qu’à l’ouverture de la séance, contrairement à la pratique habituelle. Il remercie la société civile du travail qu’elle a accompli et note avec satisfaction que la délégation de l’État partie se soit entretenue avec des ONG la veille, tout en espérant que ce dialogue se poursuivra une fois que le Comité aura adopté ses observations finales. En ce qui concerne la question no 14 relative à la ségrégation de fait dans les écoles publiques, il relève que la réponse écrite de l’État partie porte essentiellement sur l’article 26, alors que l’article 2 et toutes les autres dispositions du Pacte sont également visés. En effet, le devoir de lutter contre la discrimination porte sur toute politique, mesure ou action dont l’esprit ou les effets sont discriminatoires, et c’est de ce point de vue qu’il faut examiner la réglementation des districts scolaires, urbains, etc. Renvoyant au paragraphe 6 de l’Observation générale no 18 du Comité, M. O’Flaherty s’inquiète de ce que la ségrégation scolaire existe toujours dans de nombreux États des États-Unis et constitue un problème grave − comme l’a montré la jurisprudence de l’État partie, depuis l’affaire Brown v. Board of education en 1954 jusqu’à l’arrêt que la Cour suprême de Washington a rendu en 2005 dans l’affaire Parents Involved in Community Schools v. Seattle School District − car elle entraîne de nombreux cas de discrimination à l’égard de la communauté noire. Selon des informations reçues par le Comité, cette ségrégation serait en hausse et le pourcentage des étudiants noirs, dans les écoles à majorité non blanche, serait passé de 66 % en 2003 à 73 % en 2004. C’est dans ce contexte que M. O’Flaherty souhaite que la délégation revienne sur la question no 14 en tenant compte des obligations prévues par le Pacte et de l’incidence qu’a la ségrégation, même si celle-ci ne vise pas expressément à instaurer une discrimination. Il souhaite également savoir quelles mesures l’État partie envisage de prendre pour s’attaquer à ce problème et surmonter les obstacles que posent les lois et les pratiques nationales, alors que ces questions sont plus souvent traitées à l’échelon local qu’à l’échelle fédérale.

51.M. O’Flaherty note que l’État partie a répondu de manière détaillée et directe à la question n° 16 relative au cyclone Katrina, en reconnaissant l’existence de défaillances et les erreurs commises ainsi que la nécessité de tirer les leçons de cette expérience. Il voudrait savoir s’il est vrai que le plan d’évacuation de la Nouvelle-Orléans a mis l’accent sur l’évacuation par voiture − ce qui constitue à l’évidence une discrimination à l’égard de ceux qui ne possèdent pas de véhicule, c’est-à-dire en général les pauvres − et, dans l’affirmative, comment ce plan a pu être adopté sans que personne ne s’aperçoive de son caractère discriminatoire et quelles sont les mesures prises pour éviter qu’une telle erreur se reproduise. Il souhaite également des précisions sur les enquêtes menées sur les barrages que la police de la Nouvelle-Orléans aurait mis en place sur le Greater New Orleans Bridge et demande en particulier si ces enquêtes tiennent compte des droits garantis par le Pacte et comment les violations de ces droits seront traitées dans les conclusions des enquêtes. Il souhaite aussi savoir si l’application de dérogations en vertu de la loi McKinney-Vento sur l’aide aux sans-abri ne risque pas de faire obstacle à l’accès des enfants déplacés à l’enseignement car, selon les informations reçues par le Comité, ces enfants ont de grandes difficultés à avoir accès à l’enseignement en milieu scolaire. Il demande en outre des précisions sur les plans mis en place pour assurer réparation aux victimes du cyclone Katrina et remédier aux atteintes aux droits de l’homme commises à la suite de la catastrophe, en particulier si l’État partie a mis en place des programmes semblables à ceux adoptés après le 11 septembre. Enfin, il s’étonne que les États-Unis n’aient pas mentionné dans leurs réponses les Principes directeurs relatifs aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, alors qu’ils recommandent à d’autres États du monde entier de les appliquer. Il souhaite donc savoir si l’État partie a tenu compte de ces principes directeurs pour les appliquer à sa propre situation, et dans le cas contraire, s’il envisage de s’en inspirer comme base normative dans le cadre des leçons qu’il tire de cette catastrophe.

52.M. O’Flaherty demande également quelles mesures l’État partie envisage de prendre pour protéger le statut et les droits des peuples autochtones d’Hawaï après l’échec du projet de loi fédéral portant reconnaissance de ces peuples (projet de loi Akaka). En ce qui concerne la discrimination et les attaques commises en raison de l’orientation sexuelle, il appelle l’attention sur la jurisprudence dans les affaires Romer v. Evans et Lawrence v. Texas, dont il se félicite. À ce propos, il s’étonne que le rapport de l’État partie n’évoque pratiquement pas la question de l’orientation sexuelle et des droits des lesbiennes, des gays et des bisexuels, alors que les États‑Unis mentionnent en général ces questions dans les rapports qu’ils font sur les droits de l’homme dans d’autres pays. En l’occurrence, de très graves problèmes de violences commises contre des personnes en raison de leur orientation ou de leur identité sexuelle ont été portés à l’attention du Comité; ainsi, d’après l’association Human Rights Campaign, un transsexuel sur 12 est susceptible d’être victime de meurtre, alors que le taux national d’homicide s’établit à un pour 18 000. Selon l’association new-yorkaise Anti-Violence Project, 22 % des clients des transsexuels ont été victimes d’atteintes de la part de policiers. En outre, étant donné que plus de la moitié de la population vit dans des lieux où il n’existe pas de protection contre la discrimination à l’emploi fondée sur l’orientation ou l’identité sexuelle, M. O’Flaherty souhaite que la délégation explique comment l’État partie protège les droits garantis par le Pacte. Enfin, il demande si les autorités américaines ont eu connaissance du rapport intitulé «Stonewalled: police abuse and misconduct against lesbian, gay, bisexual and transgender people in the US», qu’Amnesty International a publié en 2005 et dans l’affirmative, quelles mesures elles envisagent de prendre pour tenir compte des recommandations qui y sont formulées.

53.Mme PALM dit qu’elle a lu avec intérêt les informations concernant l’article 3 qui figurent aux paragraphes 60 à 88 du rapport de l’État partie, mais que celles-ci ne donnent pas une idée précise de l’efficacité des mesures prises. L’Observation générale no 28 du Comité indique que les articles 2 et 3 du Pacte font obligation aux États parties de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris l’interdiction de la discrimination fondée sur le sexe, pour mettre un terme à la discrimination dans les secteurs tant public que privé. Encore faut-il que les gouvernements aient conscience de ces discriminations afin de pouvoir prendre les mesures nécessaires pour y remédier. Or, d’après les informations reçues par le Comité, ces dernières années, au lieu de prendre des mesures pour renforcer la protection de l’égalité entre hommes et femmes, les États-Unis ont entrepris de démanteler un grand nombre de programmes et politiques visant à réduire et à interdire la discrimination fondée sur le sexe. Les bureaux chargés de la condition de la femme dans différents ministères ont été fermés et des informations importantes sur les salaires et l’emploi des femmes ont cessé d’être recueillies et publiées sur les sites Internet du Gouvernement. En outre, de nombreux projets de loi sur la discrimination salariale fondée sur le sexe ont été introduits au Congrès mais n’ont jamais été adoptés. Mme Palm souhaite être informée des mesures prises par le Gouvernement pour garantir l’égalité devant la loi et demande s’il existe des organismes exécutifs et législatifs chargés de surveiller les questions d’égalité et de promouvoir des lois et politiques pour remédier à la discrimination, et, dans l’affirmative, de quelle autorité ces organismes sont investis. En ce qui concerne l’écart salarial entre hommes et femmes, elle souhaite également des précisions sur les mesures prises pour lutter contre la discrimination à l’emploi à l’égard des femmes et demande s’il existe un plan d’action visant à renforcer la loi sur l’égalité des salaires et les autres dispositions pertinentes dans ce domaine.

54.D’après les informations reçues par le Comité, les politiques et lois relatives aux détenus sont souvent mal appliquées et les femmes sont souvent victimes de mauvais traitements de la part des autorités et du personnel pénitentiaires. Le «Gender shadow report» montre que les tribunaux ne protègent pas les droits des femmes incarcérées, de sorte que les femmes sont privées de leurs droits en matière de procréation et de leur droit à des soins médicaux, en particulier les soins prénatals et l’accès à des services d’avortement. Mme Palm demande si le Gouvernement a adopté une politique concrète concernant les détenues et leur accès aux soins de santé procréative, y compris l’avortement, et, le cas échéant, comment cette politique est mise en œuvre. Elle souhaite également savoir s’il existe des statistiques sur le nombre d’agents pénitentiaires poursuivis pour avoir infligé des mauvais traitements à des détenues ces cinq dernières années et sur l’issue de ces poursuites.

55.M. SOLARI-YRIGOYEN se déclare très préoccupé par le problème des migrants qui entrent clandestinement aux États-Unis, et dont le nombre est actuellement estimé à 9 millions (12 d’après les ONG). Tout pays est en droit de réglementer les migrations sur son territoire à condition de le faire dans le respect des droits garantis par le Pacte. Les États-Unis ont durci leur loi sur l’immigration et adopté de nouvelles procédures d’expulsion, mais le plus alarmant est la militarisation de la frontière mexicaine, devenue une véritable zone de conflit dont il semble que le Gouvernement veuille murer certains secteurs afin de mieux maîtriser l’immigration clandestine. Le Président Bush a annoncé récemment l’envoi de 6 000 soldats de la Garde nationale dans la région: ces hommes sont formés aux techniques de la guerre mais l’on peut se demander s’ils sauront protéger les libertés et la sécurité de la population frontalière, qu’elle soit clandestine ou non. En outre, certaines sources dénoncent la présence d’unités de surveillance paramilitaires liées à des groupes extrémistes. Des migrants ont également été brutalisés par des citoyens américains et plus de 4 000 personnes sont mortes ces dernières années à la frontière mexicaine. M. Solari‑Yrigoyen souhaite savoir quelles mesures sont prises face à ces agissements. Il demande aussi ce qu’il adviendra des 9 millions de migrants clandestins, dont la plupart viennent des pays d’Amérique du Sud, notamment s’ils seront tous expulsés, s’ils feront l’objet de procédures sélectives, puisqu’un examen au cas par cas est impossible, comment l’État partie entend garantir que cette sélection ne sera pas fondée sur des critères discriminatoires, comme la race, et quelles autres solutions il a envisagées pour résoudre le problème. Les États‑Unis ont déjà fait beaucoup pour les droits de l’homme mais ces droits ne sont jamais acquis ni suffisamment protégés.

56.M. AMOR dit qu’il ne comprend pas pourquoi les dispositions de l’article 4 n’ont pas été appliquées après le 11 septembre, alors que des décrets d’urgence ont été pris sur la base de la législation américaine. Il est vrai que les États-Unis ont dit que les articles 1er à 27 du Pacte ne sont pas d’application directe, de sorte que les autorités administratives et judiciaires ne peuvent pas les appliquer immédiatement et directement. Mais il n’en va pas de même pour les autorités politiques, et en particulier l’exécutif, car cette notion ne peut avoir ni une portée générale, ni une portée absolue. De nombreuses juridictions, y compris en première instance, commencent à faire état du Pacte, directement ou indirectement et l’arrêt Roper v. Simmons  , par exemple, montre que des juges de la Cour suprême considèrent que le paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte reflète des garanties judiciaires indispensables pour les peuples civilisés.

57.En ce qui concerne la notion de sécurité nationale, qui apparaît à maintes reprises dans le rapport, M. Amor demande s’il existe des critères permettant de savoir ce qui relève de cette notion. En effet, alors que la règle veut que l’interprétation soit extensive toutes les fois qu’il s’agit de protéger et de renforcer les droits de l’homme et les libertés fondamentales, il a l’impression que la notion de sécurité nationale, qui ne peut pas faire l’objet d’une interprétation extensive, sert à justifier des actions sans doute compréhensibles mais incompatibles avec le Pacte.

58.Enfin, M. Amor fait observer qu’à la suite du 11 septembre beaucoup d’Arabes et de musulmans ont fait l’objet d’une suspicion insistante, au point que certains ont dû quitter les États‑Unis. Ceux qui sont restés ont été soumis à ce regard interpellateur de l’opinion mais aussi des autorités, et il semble que la notion de «témoin essentiel», qui signifie en réalité «suspect no 1», ait été appliquée avec beaucoup d’excès. L’histoire et l’expérience des États‑Unis dans le domaine des droits de l’homme sont particulièrement riches et intéressantes: il est donc normal que l’on s’attende, à l’étranger, à ce que cet État partie soit sans reproche, ou du moins qu’il encourre les mêmes reproches que les autres pays. Or, du fait des excès consécutifs au 11 septembre, de Guantánamo, d’Abou Ghraib, des transferts de détenus, notamment, les droits de l’homme sont déconsidérés dans de nombreux pays car les États-Unis ne jouent pas le rôle pédagogique que l’on serait en droit d’attendre d’eux.

59.La PRÉSIDENTE invite la délégation et les membres du Comité à poursuivre l’examen du rapport à la séance suivante.

La séance est levée à 18 h 15.

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