NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.254314 juillet 2008

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre‑vingt‑treizième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 2543e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mardi 8 juillet 2008, à 15 heures

Président: M. RIVAS POSADA

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (suite)

Sixième rapport périodique du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord et des territoires d’outre‑mer et territoires dépendants du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord (suite)

La séance est ouverte à 15 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Sixième rapport périodique du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord et des territoires d’outre‑mer et territoires dépendants du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord (CCPR/C/GBR/6; CCPR/C/GBR/Q/6) (suite)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation du Royaume ‑ Uni reprend place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT invite la délégation du Royaume‑Uni à répondre aux questions qui ont été posées oralement par les membres du Comité à la séance précédente.

3.M. BRAMLEY (Royaume‑Uni), en réponse à une question sur les dispositions prises pour garantir aux personnes détenues soupçonnées de terrorisme l’accès à un conseil, indique que ces personnes peuvent se faire assister du conseil de leur choix, ou d’un avocat figurant sur une liste établie par les autorités, ou encore d’un avocat commis d’office, mais dans tous les cas le conseil devra avoir été requis avant l’interrogatoire du suspect. La procédure est réglementée dans le détail par la loi sur la police et les preuves judiciaires et donne toute satisfaction; les autorités britanniques considèrent donc qu’il n’est pas nécessaire de développer davantage le système de l’aide juridictionnelle dans ce contexte.

4.En ce qui concerne les cas de poursuites pour «encouragement du terrorisme» en vertu de la loi de 2006 sur le terrorisme, le Gouvernement britannique a connaissance de deux cas d’inculpation à ce titre et il a demandé aux services de police de lui communiquer le nombre total de personnes qui font l’objet de poursuites en vertu de cette disposition. L’encouragement doit pouvoir être compris par une personne comme un encouragement à commettre une infraction terroriste qui lui est adressé. En tant qu’infraction relevant de la loi sur le terrorisme, l’encouragement du terrorisme permet effectivement, en théorie, de prolonger la durée de la détention avant inculpation. Mais dans la pratique cette détention est rarement prolongée pour une longue durée, sauf en cas de préparatifs directs et effectifs d’actes de terrorisme.

5.À propos des ordonnances pour comportement antisocial, il faut savoir que la définition du comportement antisocial est large mais précise. Le harcèlement, la crainte ou la détresse d’autrui sont des notions inscrites depuis des décennies dans la législation relative à l’ordre public. Elles recouvrent, entre autres choses, le harcèlement sur la voie publique, la dégradation de biens, le vandalisme, le comportement menaçant en bande, les violences raciales et le lancement de projectiles. Les autorités locales disposent de directives détaillées concernant le respect des droits de l’homme dans l’utilisation des ordonnances pour comportement antisocial. Seuls les tribunaux peuvent rendre une telle ordonnance, et la personne qu’elle vise peut être assistée d’un conseil dans tous les cas. Lorsqu’une ordonnance pour comportement antisocial s’applique à un mineur de 17 ans, les autorités locales apprécient les circonstances de l’affaire et les besoins du mineur, et veillent à la fois à ce que celui‑ci bénéficie des services appropriés et à ce que le tribunal dispose des informations nécessaires le concernant. Les organes de protection sociale sont tenus, conformément à l’article 17 de la loi sur l’enfance de 1989, de garantir et promouvoir la protection des enfants. En outre, les institutions de l’État comme les services sociaux, les responsables locaux de l’éducation ou les services de santé sont tenus par la loi d’offrir des services aux mineurs de 18 ans et une ordonnance pour comportement antisocial ne suspend pas la prestation de ces services. Pour assurer la protection des enfants, il existe, parallèlement aux ordonnances de soutien individuel, d’autres formes d’intervention comme les contrats d’éducation, les contrats de comportement acceptable, les amendes et les lettres d’avertissement.

6.En ce qui concerne le respect du droit à la vie privée dans le cadre des ordonnances pour comportement antisocial, M. Bramley précise que ces mesures ne sont nullement conçues pour montrer du doigt et humilier les jeunes. Elles visent non pas à punir ou à mettre en difficulté les individus mais à protéger la collectivité. Il peut être nécessaire de rendre publique une ordonnance pour comportement antisocial pour en assurer l’efficacité. La situation est toutefois appréciée au cas par cas et les droits fondamentaux des intéressés sont toujours dûment pris en compte. Les autorités disposent d’instructions précises, et, d’une façon générale, les textes et la pratique dans ce domaine respectent les dispositions de l’article 17 du Pacte. Une ordonnance pour comportement antisocial peut être assortie d’une ordonnance de soutien individuel. Celle‑ci prévoit des obligations positives visant à faire face au comportement en cause et à aider la personne à satisfaire aux exigences de l’ordonnance qui la frappe. Lorsque les équipes chargées de la délinquance des mineurs prennent d’autres mesures d’appui, une ordonnance de soutien individuel peut être inutile et, par conséquent, elle n’accompagne pas systématiquement une ordonnance pour comportement antisocial. Une nouvelle loi, qui devrait entrer en vigueur en 2009, augmentera le nombre de circonstances dans lesquelles une ordonnance de soutien individuel pourra être rendue.

7.En ce qui concerne la pratique de l’Écosse à l’égard des mineurs délinquants, elle ne diffère pas fondamentalement de ce qui se fait par ailleurs en Grande‑Bretagne, mais il peut y avoir quelques différences au système judiciaire particulier de l’Écosse.

8.Un membre du Comité s’est dit préoccupé par le fait que tout manquement à une ordonnance pour comportement antisocial constitue une infraction, laissant entendre que la criminalisation des manquements à ces ordonnances serait en quelque sorte comparable à la criminalisation des manquements à des obligations contractuelles. Les ordonnances sont rendues par un tribunal, et il existe d’ailleurs une abondante jurisprudence dans ce domaine. Le but des ordonnances est de protéger la collectivité contre d’autres actes antisociaux qui pourraient être commis par l’intéressé. Plusieurs critères doivent être respectés: le libellé de l’ordonnance doit être précis et l’intéressé doit être en mesure de le comprendre; les faits ayant conduit à une ordonnance pour comportement antisocial doivent être consignés, la teneur de l’ordonnance doit être expliquée à l’intéressé, il doit être donné lecture du texte dans une audience publique et le texte écrit doit correspondre exactement à ce qui a été lu. Enfin, une juridiction d’appel a confirmé que le recours à une ordonnance pour comportement antisocial aux fins de punir un délinquant était illégal.

9.La loi de 2006 sur la haine raciale et religieuse est entrée en vigueur le 1er octobre 2007 et il est donc trop tôt pour en apprécier l’efficacité. Cette loi vise à combler ce qui était perçu comme des lacunes dans la protection. Auparavant, en effet, les groupes raciaux dont font partie les sikhs et les juifs, conformément à ce qui a été établi par les tribunaux, bénéficiaient d’une protection contre l’incitation à la haine tandis que des communautés religieuses, notamment les chrétiens et les musulmans, n’en bénéficiaient pas. Les autorités du Royaume‑Uni ont clairement affirmé leur attachement à la liberté d’expression en toutes circonstances mais elles considèrent aussi que cette liberté doit être exercée dans le respect des sentiments et convictions d’autrui. Le droit à la liberté d’expression est protégé par deux instruments auxquels le Royaume-Uni est partie, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le Pacte, et la loi de 2006 sur la haine raciale et religieuse est en outre pleinement compatible avec la loi de 1998 sur les droits de l’homme.

10.MmeMOORE (Royaume-Uni), en réponse à une question sur les procès sans jury en Irlande du Nord, indique que, conformément à la loi de 2007 sur la justice et la sécurité (Irlande du Nord), le Procureur général pour l’Irlande du Nord peut décider qu’un tribunal siégera sans jury. Deux conditions sont nécessaires: premièrement, le Procureur général doit avoir la certitude que l’un au moins des éléments suivants est constaté: l’accusé est membre d’une organisation interdite, le délit a été commis au nom d’une organisation interdite, une organisation interdite a tenté d’entraver la justice, ou le délit commis était inspiré par la haine religieuse et politique d’un individu ou d’un groupe à l’égard d’un autre. Deuxièmement, le Procureur général doit avoir la conviction qu’il pourrait être nui à l’administration de la justice si le procès se tenait avec jury, en raison du risque d’intimidation des jurés. Ainsi, même dans une affaire liée au terrorisme, il ne peut y avoir de procès sans jury que si l’intérêt de la justice l’exige. La décision du Procureur général ne peut être contestée qu’aux motifs de l’absence de bonne foi, de la malhonnêteté ou autres circonstances exceptionnelles.

11.La loi sur la justice et la sécurité (Irlande du Nord) est entrée en vigueur le 1er août 2007. En application de ses dispositions, le Procureur général a décidé dans 25 affaires que le tribunal siégerait sans jury. Seuls six de ces affaires devaient être jugées par les tribunaux «Diplock». La procédure adoptée a été la suivante: si le procès était déjà en cours, il a été repris par un tribunal «Diplock». Dans le cas contraire, le Procureur général pouvait décider de poursuivre la procédure en appliquant la nouvelle loi. Certaines affaires, qui auraient dû être jugées dans le cadre du système «Diplock», ont fait l’objet d’un procès avec jury en application des nouvelles dispositions législatives.

12.M. DAW (Royaume-Uni), en réponse aux questions relatives à la détention des enfants en vertu des dispositions relatives à l’immigration, et notamment à la compatibilité de la détention d’une durée de vingt‑huit jours ou plus avec l’intérêt supérieur de l’enfant, assure tout d’abord le Comité que les autorités du Royaume‑Uni prennent très au sérieux la responsabilité qui leur incombe en matière de protection de l’enfance. Un Code des pratiques à suivre pour préserver la sécurité des enfants est actuellement en cours d’élaboration, et le Service des frontières sera tenu de l’appliquer strictement. Le Gouvernement a décidé récemment que ce Service aurait l’obligation légale de garantir et promouvoir la protection des enfants conformément à l’article 11 de la loi de 2004 sur l’enfance. M. Daw précise également que le Gouvernement a entrepris de réexaminer la réserve qu’il a formulée à l’égard de la Convention relative aux droits de l’enfant.

13.La très grande majorité des familles et des enfants détenus en vertu des dispositions relatives à l’immigration le sont pour une durée très courte, généralement moins de sept jours. Dans les cas exceptionnels où la détention est prolongée, la décision est réexaminée chaque semaine. L’autorisation du Ministère est requise pour toute détention d’une durée de vingt‑huit jours ou plus, et cette autorisation doit être réexaminée chaque semaine. Le Ministère n’autorise la détention de longue durée que si elle est manifestement nécessaire et il veille à ce que la procédure d’expulsion soit alors exécutée dans les plus brefs délais possible. L’intérêt de l’enfant est bien évidemment pris en compte, et les autorités considèrent que la meilleure façon de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant consiste en général à ne pas séparer celui-ci de sa famille, mais elles veillent à ce que, quand la détention est nécessaire pour garantir le départ des intéressés, sa durée soit la plus courte possible.

14.Mme DICKSON (Royaume-Uni) confirme que les autorités britanniques ne prévoient pas de modifier la législation des îles Caïmanes permettant l’expulsion de toute personne indigente ou indésirable. En tout état de cause, la décision de modifier cette législation appartient aux autorités des îles Caïmanes. La délégation du Royaume-Uni n’est pas en mesure de donner au Comité des statistiques sur le nombre de personnes expulsées des îles Caïmanes à ce titre, mais elle s’efforcera de les lui faire parvenir ultérieurement.

15.Une question a été posée sur l’application éventuelle aux territoires d’outre‑mer de la législation récente en matière de discrimination. Une décision en ce sens relève de la responsabilité des autorités des territoires concernés et les constitutions des territoires d’outre‑mer contiennent des dispositions garantissant le droit à la protection contre la discrimination, qui peuvent être invoquées devant les tribunaux.

16.MmeASHBY (Royaume-Uni) dit que la situation en ce qui concerne l’infraction de blasphème en Écosse et en Irlande du Nord n’est pas très claire. Le rapport de 2003 de la Commission spéciale sur les infractions religieuses conduit même à se demander si cette infraction existe toujours en Écosse étant donné que le dernier procès pour blasphème remonte à 1843. De même, aucune poursuite pour blasphème n’a été engagée en Irlande du Nord. En tout état de cause, c’est aux autorités locales, conformément aux compétences qui leur sont déléguées, qu’il appartient de décider de l’opportunité de maintenir ou d’abroger les dispositions existantes en la matière.

17.Les problèmes de racisme et d’intolérance religieuse sont pris très au sérieux par le Gouvernement du Royaume-Uni, qui est conscient que la loi, si elle peut adresser un message fort, ne peut à elle seule les résoudre. Pour cette raison le Gouvernement a mis en place une stratégie de promotion de l’égalité raciale et de la cohésion sociale à laquelle participent plusieurs ministères et qui s’appuie sur un budget notable (18 millions de livres) alloué au financement des activités des organisations de la société civile qui luttent contre le racisme et œuvrent en faveur du dialogue intercommunautaire et de l’égalité de traitement des communautés, notamment sur le plan de l’accès aux services publics. L’éducation est également un aspect important de la lutte contre l’intolérance. Les établissements scolaires ont désormais l’obligation de travailler à promouvoir la cohésion sociale; ainsi dans le secondaire, des cours d’éducation civique sont dispensés autour des thèmes de la diversité des identités nationales, régionales, religieuses et ethniques, du respect mutuel et de la tolérance.

18.Pour lutter contre les comportements motivés par la haine, l’islamophobie en particulier, le Gouvernement finance toute une série de programmes axés sur la prévention, qui consistent notamment à soutenir les projets communautaires visant à sensibiliser la population, à déterminer les causes de la haine et à en maîtriser les effets. Par exemple, le Centre culturel musulman met actuellement au point un projet réunissant des personnes de confessions et de cultures différentes qui utilise la musique, la poésie et le spectacle pour sensibiliser le public, en particulier les jeunes, aux problèmes de racisme et d’intolérance et pour encourager la curiosité à l’égard des autres cultures et religions. Outre l’islamophobie, thème central du projet, d’autres sujets seront abordés, notamment la discrimination fondée sur l’identité sexuelle et le handicap. Si le Comité le souhaite, de plus amples détails pourront lui être donnés ultérieurement au sujet des nombreux autres projets mis en œuvre pour promouvoir le respect de la diversité et la tolérance.

19.MmeCOLLINS-RICE (Royaume-Uni), revenant sur les préoccupations exprimées par plusieurs membres du Comité au sujet de la possibilité d’appliquer les règles de la charia au Royaume-Uni, dit que cette polémique n’a d’autre origine que la déformation par la presse des propos tenus à ce sujet par Lord Phillips et l’archevêque de Cantorbéry. Il n’a jamais été question d’incorporer la charia dans l’ordre juridique interne du Royaume-Uni. Aucun aspect de la charia ne peut être appliqué au Royaume-Uni en violation de la législation nationale. Il n’est pas non plus envisageable de déroger à l’un quelconque des droits fondamentaux garantis par la loi pour tenir compte de la charia.

20.Il existe au Royaume-Uni un système complexe de mécanismes parallèles de règlement des différends, qui obéit à des règles établies de longue date. Les parties à certains litiges civils, notamment commerciaux, peuvent décider de soumettre leur litige à l’un de ces mécanismes − conciliation, médiation, arbitrage − plutôt qu’à un tribunal. Dans ce contexte, les parties ont la possibilité de choisir, d’un commun accord et dans les limites imposées par la loi, les règles sur lesquelles la procédure sera fondée. Il peut s’agir de règles commerciales ou de règles personnelles, notamment des règles fondées sur la religion. C’est dans ce cadre, et dans ce cadre uniquement, que la charia pourrait jouer un rôle.

21.Il ne faut pas oublier la longue tradition de respect de la liberté de religion au Royaume‑Uni, qui va de pair avec l’application des règles de droit civil communes à tous. Dans ce contexte, un mariage ou un divorce qui n’est pas reconnu par l’Église catholique n’en sera pas moins valable au regard de la loi, et l’annulation d’un mariage par l’Église, par exemple, pourra être sans effet sur le plan juridique. La position du Royaume-Uni sur ces questions est très claire et, qu’il s’agisse du Lord Chief Justice ou des responsables religieux, tous ont pour souci d’encourager un débat public responsable, enrichissant et solidement argumenté sur des moyens constructifs d’encourager l’exercice de la liberté de religion, dans le respect de la loi.

22.MmeHARDY (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) dit que la loi sur les secrets officiels n’a pas pour objet de déterminer si des documents devraient ou non être divulgués; elle a trait à l’engagement de poursuites contre des fonctionnaires qui révèlent, en violation de la loi et de leurs obligations professionnelles, des informations auxquelles ils ont eu accès dans le cadre de leur travail. La détermination du caractère dommageable de la divulgation de documents en vertu de la loi sur les secrets officiels est établie selon un critère objectif qu’il appartient au tribunal de définir. D’une manière générale, les tribunaux sont habilités à ordonner la divulgation de documents dans l’intérêt général, par exemple entre des parties à un litige ou en application de la législation sur la liberté de l’information.

23.Répondant aux préoccupations exprimées au sujet de la loi sur la diffamation, Mme Hardy fait observer que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte reconnaît lui-même que l’exercice de la liberté d’expression comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Le Royaume-Uni considère qu’il est normal et justifié de prévoir des restrictions de la possibilité de tenir des propos préjudiciables à la réputation d’autrui et dont la véracité ne peut pas être démontrée, afin d’assurer le respect des droits des personnes visées par ces propos. Parallèlement, les personnes accusées de diffamation qui ne sont pas en mesure de prouver la véracité de leurs affirmations ont à leur disposition divers moyens de défense − par exemple la justification ou l’immunité.

24.Les arrangements financiers qui subordonnent les modalités de paiement des honoraires de l’avocat au résultat du procès offrent un moyen de recours aux personnes victimes de diffamation qui, en raison de leurs revenus modestes, ne pourraient pas sans cela faire valoir leurs droits en justice. Le Gouvernement est conscient des problèmes liés au fait que l’utilisation de ces arrangements ne permet pas toujours d’éviter un procès. En conséquence, le Ministère de la justice a récemment chargé des universitaires éminents de réaliser une étude de faisabilité relative à la mise en place d’un mécanisme de contrôle fondé sur des preuves concernant la manière dont ces arrangements sont appliqués dans les affaires de diffamation et d’autres affaires.

25.M. KISSANE (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) dit que la transposition de l’article 26 du Pacte dans le droit interne n’est pas nécessaire étant donné que le Royaume-Uni s’attache depuis longtemps à combattre la discrimination et à promouvoir l’égalité des chances pour tous, et que sa législation interdit explicitement toute discrimination fondée sur la race, le sexe ou le handicap, la législation de l’Irlande du Nord prévoyant également l’interdiction de la discrimination au motif de la religion. Le Gouvernement a l’intention en outre de présenter un projet de loi sur l’égalité qui imposera aux pouvoirs publics de nouvelles obligations en matière de respect de l’égalité, notamment celle qui touche à la transsexualité, à l’âge, à l’orientation sexuelle, à la religion et aux convictions, et qui interdira également toute différence de traitement injustifiée dans la fourniture de biens et de services. De même, il est prévu d’engager prochainement un vaste processus de consultation concernant un projet de déclaration nationale des droits et responsabilités, axé sur les droits de l’homme, qui contiendra peut-être une disposition sur l’égalité constitutionnelle.

26.La question du droit de vote des détenus condamnés fait actuellement l’objet d’un débat public. Il convient de rappeler que, dans l’affaire Hirst c. Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que, même si l’interdiction du droit de vote appliquée à l’ensemble des détenus condamnés pouvait être considérée comme disproportionnée, les autorités britanniques poursuivaient un but légitime − renforcer la responsabilité civile et le respect de l’état de droit − en privant des détenus du droit de vote. Une partie de la société britannique est nettement favorable à cette mesure, tandis qu’une autre partie y est farouchement opposée. Le débat sur cette question en a entraîné un autre plus vaste concernant les droits et les responsabilités liés à la citoyenneté, qui alimentera à son tour les consultations sur le projet de déclaration nationale. En tout état de cause, les autorités britanniques veilleront à ce que les mesures prises pour donner suite à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme soient à la fois réalistes et conformes aux nouvelles conceptions qui se font jour en matière de citoyenneté.

27.En ce qui concerne la procédure d’établissement du rapport périodique à l’examen, le Royaume-Uni a consulté largement la société civile, dont les commentaires ont été pris en considération dès les premières phases de l’élaboration du rapport. Le Gouvernement est convaincu que ce dialogue avec les différents acteurs de la société civile a grandement contribué à la qualité du rapport et il entend donc le poursuivre. Par ailleurs, il est très soucieux d’améliorer la connaissance et la compréhension des droits de l’homme par le grand public. Outre les programmes de sensibilisation destinés aux fonctionnaires précédemment évoqués, un nouveau module d’éducation aux droits de l’homme vient d’être intégré dans le programme scolaire des élèves de 11 à 14 ans. La diffusion des observations finales du Comité et d’autres organes conventionnels s’inscrit dans cette logique, et le Gouvernement cherchera donc des moyens de les diffuser plus largement par les voies officielles.

28.Le PRÉSIDENT remercie la délégation de ses réponses qui, jointes aux réponses écrites, ont permis de lever un certain nombre de doutes et préoccupations. L’État partie voudra bien communiquer par écrit dans les jours à venir des informations complémentaires pour d’autres questions, afin que le Comité puisse les prendre en considération dans ses observations finales.

29.À l’issue de l’examen du sixième rapport périodique du Royaume‑Uni, certains sujets de préoccupation demeurent. Tout d’abord, le Comité relève la question de l’incorporation du Pacte dans le droit interne que l’État partie, convaincu que sa législation est suffisante, ne considère pas indispensable. Il est vrai que tout État est souverain pour décider de la façon dont il s’acquitte de ses obligations au regard du Pacte, mais il importe d’être vigilant de façon à avoir l’assurance que la législation et le système interne dans son ensemble reflètent l’intégralité des obligations qui découlent du Pacte. Le Comité continuera donc de suivre l’évolution de la situation.

30.Les nombreuses réserves émises par l’État partie à l’égard de différents articles du Pacte sont un autre sujet de préoccupation pour le Comité, qui estime les justifications avancées par le Royaume‑Uni à leur sujet peu claires. Il est légitime que le Comité engage le Royaume‑Uni, comme tous les États qui ont émis des réserves, à retirer celles qui ne sont pas absolument indispensables au regard d’une situation impérieuse. Or il considère que la plupart des réserves émises par le Royaume‑Uni n’ont pas de raison d’être.

31.En ce qui concerne la détention avant inculpation, l’un des principaux sujets de préoccupation du Comité, les arguments présentés par la délégation pour justifier la vaste portée des dispositions qui la régissent sont peu convaincants. La détention avant inculpation entre dans le cadre des mesures prises pour lutter contre le terrorisme et l’incitation au terrorisme, qui touchent directement la liberté d’expression. La lutte contre le terrorisme est un phénomène du monde contemporain qui a altéré de façon sensible les fondements mêmes du droit. Elle constitue un important défi pour la protection pleine et entière des droits de l’homme et le Comité, compte tenu de l’interprétation qu’il doit donner des engagements internationaux, restera très vigilant à cet égard.

32.Pour ce qui est de la liberté d’expression, la frontière est ténue entre les propos purement théoriques susceptibles d’être considérés comme des encouragements au terrorisme et les véritables incitations à commettre des actes terroristes, et ce flou peut avoir de dangereuses conséquences pour le respect des droits de l’homme. C’est un problème qui touche de nombreux pays et qui, ces dernières années, est devenu une des sources de profonde inquiétude pour le Comité.

33.Avec le phénomène des migrations et toutes les questions qu’il soulève, notamment en ce qui concerne le droit d’asile et les garanties dont doivent bénéficier les immigrants, le monde d’aujourd’hui doit faire face à des situations nouvelles, en particulier à une augmentation considérable de l’immigration illégale. Dans ce domaine, le Comité a une position très ferme sur ce qui peut être permis et ce qui ne peut pas l’être. Le Royaume‑Uni connaît bien ces problèmes et beaucoup des mesures qu’il a prises font l’objet de critiques. Il ne s’agit pas de porter un jugement sur la nécessité de ces mesures, justifiée par des considérations de maintien de la sécurité publique et de l’ordre public interne, mais le Comité a l’obligation de veiller à la protection des populations et de s’assurer que la politique en matière d’immigration est conforme aux obligations découlant de différents instruments internationaux, en particulier depuis l’adoption de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

34.Le Comité s’intéresse certes aux textes législatifs garantissant la protection des droits de l’homme mais aussi aux mesures concrètes leur permettant de mener des actions dans la pratique. L’État partie a fait une présentation très détaillée des différentes mesures législatives qu’il a prises dans le domaine des droits de l’homme, mais n’a guère donné de renseignements sur l’efficacité et l’application pratique de ces dispositions. Il n’a pas apporté suffisamment de données statistiques pour permettre au Comité de se faire une idée claire de la situation dans le pays. Le Comité espère recevoir, le moment venu, des informations sur les résultats des nombreux études et projets de réforme entrepris.

35.Enfin le Comité s’intéresse toujours à la question de l’application du Pacte aux différents territoires relevant de la juridiction des États parties, au regard des dispositions de l’article 2. Son interprétation est que les États parties sont tenus de protéger ces droits non seulement sur leur territoire, mais dans tous les territoires qui relèvent de leur juridiction. Quelques États ont malheureusement une interprétation différente. Celle du Royaume‑Uni est un peu ambiguë. Il s’agit là d’une question essentielle pour le Comité parce qu’elle touche à l’esprit du Pacte mais aussi et surtout parce qu’une interprétation différente a pour conséquence de laisser des personnes sans la moindre protection sur le plan international. La Cour internationale de Justice elle‑même a confirmé le bien‑fondé de l’interprétation du Comité en la matière.

36.Le Président remercie la délégation du Royaume‑Uni de sa présence et du sérieux, de la clarté et de la minutie dont elle a fait preuve dans ses présentations. Le Comité attend avec intérêt l’occasion de poursuivre ce dialogue dans le même esprit constructif.

37.Mme COLLINS‑RICE (Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord) remercie le Président et le Comité du vif intérêt manifesté pour les problèmes auxquels le Royaume‑Uni doit faire face. Les questions des membres du Comité ont stimulé sa réflexion. La délégation a bien noté que le Comité souhaitait davantage de données statistiques et ne manquera pas de tenir compte de cette observation tout comme elle entend réfléchir aux conseils et avis qui lui ont été donnés.

38. La délégation du Royaume ‑ Uni se retire.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 15 h 55.

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