Nations Unies

CCPR/C/SR.3414

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

20 novembre 2017

Original : français

Comité des droits de l ’ homme

1 2 1 e session

Compte rendu analytique de la 3414 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le lundi 16 octobre 2017, à 15 heures

Président (e):M. Iwasawa

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l ’ article 40 du Pacte

Quatrième rapport périodique de la République démocratique du Congo

La séance est ouverte à 15 h 10.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 40 du Pacte

Quatrième rapport périodique de la République démocratique du Congo (CCPR/C/COD/4, CCPR/C/COD/Q/4, CCPR/C/COD/Q/4/Add.1 et HRI/CORE/COD/2013)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation de la République démocratique du Congo pr end place à la table du Comité.

2.M me Mushobekwa (République démocratique du Congo) dit que depuis la soumission du rapport, plusieurs mesures d’ordre législatif, judiciaire, administratif ou autre ont été prises pour réaliser les droits consacrés par le Pacte. En particulier, afin de mieux garantir le droit à l’égalité et le principe de non-discrimination, le Président Joseph Kabila a promulgué la loi no 16/008 du 15 juillet 2016 modifiant et complétant la loi no 87‑010 du 1er août 1987 portant Code de la famille. Harmonisant ledit Code avec la Constitution de 2006 et l’adaptant à l’évolution de la législation nationale relative à la protection de l’enfant, la nouvelle loi vise à donner effet aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi qu’à celles du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et de la Convention relative aux droits de l’enfant. Le texte innove en supprimant l’obligation faite à la femme mariée d’obtenir l’autorisation de son conjoint pour entreprendre certaines démarches et en la remplaçant par une obligation incombant aux deux époux de se concerter avant d’accomplir un acte juridique par lequel ils s’engagent, individuellement ou conjointement, et en réaffirmant la compétence exclusive du tribunal pour enfants pour connaître de toute question touchant l’état civil et la capacité d’un mineur.

3.Mme Mushobekwa signale par ailleurs qu’en 2016, un mouvement mystique et tribal du nom de Kamuina Nsapu a semé la terreur dans la province du Kasaï, utilisant la population civile, y compris les enfants, comme boucliers humains. Des attaques ont eu lieu contre des bâtiments publics et contre les forces de l’ordre, dont plusieurs membres ont été décapités. La justice congolaise s’emploie à établir les responsabilités de ces atrocités, plusieurs personnes ont déjà été jugées et condamnées et des enquêtes sont en cours sur les affaires encore pendantes. En outre, dans les jours à venir, les autorités congolaises accueilleront un groupe d’experts de l’ONU et de l’Union africaine chargés d’effectuer dans le pays, en application de la résolution 35/33 du Conseil des droits de l’homme en date du 23 juin 2017 (A/HRC/RES/35/33), une mission d’assistance technique à la République démocratique du Congo et d’établissement des responsabilités concernant les événements dans la région du Kasaï.

4.Pendant la période couverte par le rapport, le Gouvernement a réaffirmé sa détermination à appliquer une politique de tolérance zéro en matière de violences sexuelles et à prendre des mesures pour combattre l’impunité. Des progrès considérables ont été enregistrés et l’ONU a constaté dans un rapport une diminution de 85 % du nombre de cas de violence sexuelle pendant cette période. En outre, la République démocratique du Congo a été retirée de la liste des États dans lesquels des enfants sont recrutés pour être utilisés comme soldats. Enfin, en plus de la politique nationale de réforme de la justice 2017-2026, des plans, stratégies et programmes sont mis en œuvre par les divers organes concernés par l’application du Pacte, et la République démocratique du Congo est résolue à assurer la participation de la population aux processus électoraux. À ce sujet, des statistiques récentes ont montré que près de 42 millions de personnes étaient inscrites sur les listes électorales, dont environ 22 millions d’hommes et environ 20 millions de femmes.

5.M. de Frouville se réjouit de la présence d’une délégation composée de représentants venus de la capitale, qui témoigne de la volonté de coopération de l’État partie. Dix années se sont écoulées depuis l’examen du rapport périodique précédent, soit une période relativement longue mais toutefois moins considérable que les quinze ans qui avaient séparé l’examen des deuxième et troisième rapports. Pendant cette décennie, l’État partie n’a pas été épargné par les difficultés et, bien que la situation dans le pays se soit désormais stabilisée, certaines des promesses qui avaient été faites lors de l’examen du précédent rapport n’ont pas encore été remplies. M. de Frouville tient à rendre hommage aux membres de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) et du personnel du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), dont certains ont payé leur engagement de leur vie. En effet, en octobre 2017, deux soldats de la MONUSCO ont péri lors d’une attaque menée par un groupe armé et deux membres du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo, Michael Sharp et Zaida Catalán, ont été assassinés en mars de la même année dans la province du Kasaï.

6.M. de Frouville prend note avec satisfaction de l’adoption d’une nouvelle législation modifiant et complétant le Code de la famille, de la poursuite de l’application d’un moratoire de fait sur la peine de mort, de l’adoption de la loi no 11/008 de 2011 portant criminalisation de la torture et de la création de la Commission nationale des droits de l’homme en application de la loi organique no 13/011 de 2013. Cependant, un certain nombre de préoccupations subsistent et appellent des éclaircissements. En ce qui concerne l’établissement du rapport périodique notamment, la délégation est invitée à commenter l’information, provenant de sources crédibles, selon laquelle des organisations non gouvernementales (ONG) n’auraient pas obtenu de visa pour participer avec les ONG nationales à la rédaction de ce document.

7.En ce qui concerne l’application du Pacte, M. de Frouville note que, bien que celui‑ci soit clairement incorporé dans le droit interne en vertu des dispositions de l’article 215 de la Constitution, il ne semble pas avoir été directement appliqué par les tribunaux nationaux à ce jour. La délégation voudra bien indiquer ce qu’il en est et, le cas échéant, citer des exemples d’affaires dans lesquelles le Pacte a été directement invoqué devant les juridictions congolaises. La délégation est invitée, par ailleurs, à confirmer l’information fournie dans les réponses écrites à la liste de points (CCPR/C/COD/Q/4/Add.1) d’après laquelle les tribunaux coutumiers ont été remplacés dans tout le pays par des tribunaux de paix, qui n’appliquent le droit coutumier que s’il n’est pas contraire au Pacte et au droit interne, et à indiquer si des initiatives ont été prises pour recenser et éliminer les incompatibilités éventuelles entre le droit coutumier et les dispositions du Pacte, notamment en matière de droit de la famille et de droit des successions, en citant des exemples concrets, le cas échéant.

8.Il est indiqué, dans les réponses écrites, que les crédits alloués à la Commission nationale des droits de l’homme représentent 0,11 % du budget national, ce qui est considérable. Toutefois, selon certaines informations, 30 % seulement de ces crédits seraient effectivement affectés à la Commission et, depuis mars 2017, plus aucune ressource ne lui aurait été allouée. La délégation voudra bien donner des précisions sur les mesures prises pour faire en sorte que la Commission soit dotée de suffisamment de moyens pour pouvoir s’acquitter efficacement de son mandat sur tout le territoire national.

9.M. de Frouville relève que l’État partie a fourni très peu d’informations sur les mesures prises en vue de donner suite aux constatations du Comité au titre du premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Étant donné que, dans son rapport, il se disait prêt à collaborer avec le Comité et acceptait la proposition formulée par celui-ci dans ses précédentes observations finales (CCPR/C/COD/CO/3) de désigner un rapporteur spécial qui se rendrait dans le pays pour aider l’État partie à donner suite aux constatations du Comité, M. de Frouville dit que le dialogue en cours pourrait être l’occasion de débattre des modalités et de l’organisation d’une telle mission.

10.L’État partie ayant indiqué, dans ses réponses écrites à la liste de points, qu’il n’envisageait pas pour le moment de réexaminer les articles du Code pénal réprimant l’interruption volontaire de grossesse car ce type d’intervention avait des effets néfastes sur la santé des femmes, M. de Frouville fait observer que, d’après une étude publiée en 2013 par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’avortement, lorsqu’il est pratiqué dans de bonnes conditions d’hygiène par des prestataires de soins qualifiés, est une procédure médicale très sûre. Sa pénalisation entraîne un accroissement des avortements non médicalisés, lesquels sont la cause de 47 000 décès de femmes par an. De plus, à Kinshasa, la moitié des grossesses ne sont pas désirées, un quart des jeunes filles tombent enceintes avant l’âge de 19 ans, et une grossesse sur 100 entraîne le décès de la mère. Même lorsqu’elles remplissent les conditions prévues par la loi, les Congolaises n’ont pas accès à l’avortement. La délégation voudra bien commenter cette étude et fournir les statistiques demandées dans la liste de points sur le nombre annuel de décès résultant d’un avortement clandestin, de femmes condamnées pour avoir avorté et de personnes condamnées pour avoir pratiqué une interruption volontaire de grossesse.

11.En ce qui concerne l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. de Frouville note que, dans ses réponses écrites, l’État partie cite quelques exemples d’affaires ayant débouché sur une condamnation mais ne donne pas de statistiques précises. Or, selon certaines informations, la loi no 11/08 de 2011 portant criminalisation de la torture serait rarement appliquée. La délégation voudra bien fournir les statistiques demandées dans la liste de points et indiquer notamment le nombre d’enquêtes menées sur des allégations de torture et de condamnations prononcées pour des actes de ce type, et donner également des précisions sur les tribunaux qui ont rendu ces décisions, les personnes condamnées, les peines prononcées et les indemnisations obtenues par les victimes. L’État partie affirmant dans ses réponses que les allégations de décès en détention dus à des actes de torture sont inexactes, la délégation est invitée à commenter le rapport sur les décès en détention publié en 2013 par le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme, dont il ressort que plus de 10 % des décès enregistrés entre janvier 2010 et décembre 2012 dans les prisons résultaient d’actes de torture. Enfin, sachant que le mécanisme national de prévention qui doit être créé en application du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture n’a pas encore été mis sur pied, M. de Frouville demande si la Commission nationale des droits de l’homme pourrait se voir confier ce rôle, étant entendu que son budget devrait être étoffé pour qu’elle puisse s’acquitter de cette lourde tâche.

12.M me Pazartzis demande si la loi de 2016 modifiant et complétant le Code de la famille dont la délégation a annoncé la promulgation a déjà été appliquée et si son texte a été largement diffusé non seulement auprès des fonctionnaires des organes chargés de son application mais aussi auprès des femmes, afin que celles-ci connaissent leurs droits et puissent les exercer concrètement. Elle demande des précisions sur les mesures concrètes prises ou envisagées pour faire cesser les pratiques et traditions préjudiciables. En particulier, la délégation pourrait indiquer ce qui est fait pour lutter contre les mariages forcés, et si cette pratique donne lieu à des poursuites ; si les mutilations génitales féminines ont toujours cours, si l’État partie dispose de statistiques, ventilées par région ou par groupe ethnique, sur le nombre de femmes touchées, et si cette pratique donne lieu à des poursuites ; et enfin si les victimes, en particulier les plus vulnérables, ont accès à une assistance juridique, de quelle manière elles sont prises en charge et si elles ont un accès effectif à la justice et à des réparations.

13.Mme Pazartzis indique que, selon les informations reçues par le Comité, de nombreuses personnes atteintes d’albinisme, en particulier des femmes et des enfants, subiraient des agressions et d’autres actes de violence, voire des tentatives d’enlèvement. Elle relève également que les observations finales de 2017 du Comité des droits de l’enfant (CRC/C/COD/CO/3-5) font état d’enlèvements et de meurtres rituels de personnes atteintes d’albinisme. Or l’État partie, dans ses réponses écrites à la liste de points (CCPR/C/COD/Q/4/Add.1), indique seulement que le Code pénal congolais protège les droits des personnes atteintes d’albinisme au même titre que ceux d’autres catégories sociales. Il serait donc utile de savoir quelles mesures concrètes sont prises pour lutter contre ces violences, si elles donnent lieu à des enquêtes et si des actions de sensibilisation sont menées auprès de la société civile. Par ailleurs, compte tenu d’informations reçues faisant état de discriminations envers les femmes, les personnes atteintes d’albinisme ou les enfants, et d’autres dénonçant des violations des droits de l’homme des membres des communautés lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre et queer (LGBTQ), notamment des détentions arbitraires, il serait bon de savoir si l’État partie possède une législation globale contre les discriminations.

4.Citant un rapport de 2016 du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme selon lequel peu de progrès ont été faits quant au renforcement de la participation des femmes dans le processus électoral, et relevant que dans le Gouvernement formé en mai 2017, sur les 59 ministres d’État, six seulement sont des femmes, Mme Pazartzis demande si la législation prévoit des quotas, et si des sanctions sont prévues, notamment si les listes électorales ne comprenant aucune femme sont rejetées. Par ailleurs, l’État partie ayant seulement indiqué, dans ses réponses écrites, que l’égalité d’accès des femmes au marché de travail était garantie, elle invite la délégation à apporter des précisions, et notamment à donner des statistiques, sur l’accès effectif des femmes au marché du travail.

15.M me Brands Kehrisapprécie les renseignements qui ont été fournis sur les mesures prises pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, mais regrette l’absence d’informations sur l’interdiction spécifique de la violence domestique. Elle demande donc si une loi interdit la violence familiale et le viol conjugal, et quelles sont les sanctions prévues. Elle invite également la délégation à donner des précisions sur les campagnes de sensibilisation menées dans ce domaine à destination du grand public et sur leurs effets, et à indiquer si des actions de formation et de sensibilisation sont organisées à l’intention de la police. Elle demande en outre si l’absence de données statistiques s’explique par l’absence de plaintes, ou bien par l’absence de cadre législatif et institutionnel permettant de recevoir des plaintes, et s’il existe des mécanismes destinés à faciliter l’accès des victimes à la protection et au dépôt de plainte. Elle s’enquiert enfin des poursuites éventuellement engagées.

16.M. Santos Pais note que les violences sexuelles et les violences fondées sur le genre sont essentiellement liées aux conflits armés, et qu’elles sont le fait de groupes armés non étatiques, mais aussi d’agents de l’État. Les violences sexuelles étant toujours utilisées comme arme de guerre dans le pays, il insiste sur l’importance de la loi no 06-018 de 2006 portant Code pénal congolais, qui promeut l’intégration du droit international humanitaire dans le droit de la République démocratique du Congo et renforce les sanctions applicables. Mentionnant également l’adoption de la loi no 06-019 de 2006, visant à renforcer la répression et à sauvegarder la dignité des victimes, il invite la délégation à donner des renseignements sur l’application de ces deux lois. Il demande en outre, s’agissant des violences sexuelles, s’il existe des statistiques concernant les enquêtes menées, les poursuites engagées et les condamnations et les peines prononcées. Il s’enquiert également du contenu de la feuille de route du Ministère de la justice ainsi que de sa mise en œuvre et de celle de la stratégie nationale de lutte contre les violences fondées sur le genre.

17.M. Santos Pais souhaite des précisions sur les audiences foraines des tribunaux de grande instance et des tribunaux militaires de garnison, qui sont compétents pour connaître des affaires de violences sexuelles, et demande si elles permettent de couvrir l’ensemble du pays, si des condamnations et des peines ont été prononcées et pour quels crimes, si les personnes reconnues coupables sont des civils ou des militaires, et dans ce dernier cas, de quel rang. Il serait bon de savoir si l’État compte participer davantage au financement de ces audiences foraines, qui sont actuellement financées essentiellement par des acteurs internationaux. À propos du Plan d’action des forces armées lancé en 2014 pour lutter contre les violences sexuelles, M. Santos Pais demande si l’on dispose déjà d’informations sur le nombre de militaires ayant pris part à des violences sexuelles, et sur leur rang. Il s’enquiert également de l’état d’avancement du code de bonne conduite mentionné dans les réponses écrites de l’État partie.

18.S’agissant des viols commis en milieu scolaire, M. Santos Pais se félicite de l’organisation de campagnes de sensibilisation au problème, et s’enquiert du nombre de campagnes réalisées et de la portion du territoire couverte. Des données chiffrées sur les enquêtes menées sur ce type d’affaires, les peines prononcées et les auteurs de ces crimes seraient également bienvenues. Des renseignements seraient également utiles sur le nombre des victimes de violences sexuelles ayant bénéficié d’une aide juridique, médicale et psychologique gratuite et sur quelle portion du territoire national, et la délégation pourrait dire si le Gouvernement envisage de prendre des mesures pour encourager les victimes à témoigner, par exemple en leur fournissant une aide juridictionnelle gratuite, afin qu’elles soient mieux informées des procédures judiciaires, ou en développant la police de proximité. M. Santos Pais évoque également la stigmatisation sociale des victimes, et indique que le Comité a reçu des informations signalant que certains magistrats feraient pression sur les victimes pour qu’elles acceptent une conciliation amiable.

19.M. Santos Pais demande par ailleurs si la République démocratique du Congo envisage, dans les cas de crimes de masse, la possibilité de réparations collectives, et non individuelles, ainsi que la création d’un système national de calcul des indemnités à accorder aux victimes. Il demande aussi si d’autres mesures de réparation peuvent être accordées, telles que la réhabilitation, la satisfaction ou les garanties de non-répétition, et combien de victimes ont bénéficié de mesures d’intégration dans leur communauté. Enfin, la délégation pourra dire si la mise en place de la base de données relative aux violences sexuelles a démarré, si le fonds de réparation pour les victimes est opérationnel, et, le cas échéant, combien de victimes en ont bénéficié.

20.M. Ben Achour demande si des enquêtes ont été menées sur les cas de disparitions forcées et d’exécutions sommaires, notamment ceux dans lesquels seraient impliqués des agents de l’État ; pour quelles raisons les mandats d’arrêt délivrés contre les responsables mentionnés au paragraphe 103 du rapport de l’État partie (CCPR/C/COD/4) n’ont pas abouti, sachant que dans ses réponses écrites (CCPR/C/COD/Q/4/Add.1), l’État partie dit avoir demandé à plusieurs reprises et en vain au Rwanda l’extradition des personnes visées par les mandats d’arrêt; et quelles mesures ont été prises pour lutter contre les exécutions arbitraires commises par des groupes armés non étatiques, outre les condamnations prononcées contre plusieurs personnes par des tribunaux militaires. Il demande également des précisions sur les « forces négatives » auxquelles l’État partie fait référence dans son rapport, et ajoute que les violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo ne sont pas seulement le fait des milices et des groupes armés non étatiques, mais aussi de la police et de l’armée. Au sujet des événements survenus à Kinshasa entre le 19 et le 21 septembre 2016 et les 19 et 20 décembre 2016, ainsi que de l’opération Likofi du 15 novembre 2013, l’État partie a affirmé qu’en septembre 2016, la police était intervenue pour contenir des manifestations qui avaient dégénéré, et que l’opération Likofi était une opération de police visant à lutter contre la délinquance urbaine et sans rapport avec la fosse commune découverte en mars 2015 à Maluku, laquelle relèverait d’une opération de routine menée par l’hôtel de ville de Kinshasa pour donner une sépulture à des indigents. M. Ben Achour rappelle que l’État partie avait accepté la recommandation formulée par le Comité dans ses précédentes observations finales et s’était engagé à enquêter sur les cas de disparitions forcées et d’exécution arbitraire, et à apporter réparation aux victimes. Il souhaite donc savoir combien de personnes responsables de tels faits ont été poursuivies, et si des réparations ont été accordées aux victimes et à leurs familles.

21.Par ailleurs, M. Ben Achour se réfère à un rapport du Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme qui recensait, pour le mois d’août 2017, 441 violations des droits de l’homme sur l’ensemble du territoire de la République démocratique du Congo, dont 64 % commises par des agents de l’État. Il cite également le rapport de la Fédération internationale de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (FIACAT), selon lequel depuis le début du conflit au Kasaï central, il y a plus d’un an, plus d’un million et demi de civils, dont deux experts mandatés par le Conseil de sécurité, auraient été touchés par les violences, et déplore qu’aucune enquête n’ait été menée à ce sujet.Il ajoute que selon le rapport de la mission d’enquête du Haut-Commissariat aux droits de l’homme au Kasaï, entre les mois de mars et juin 2017, 282 personnes ont été victimes de violations graves des droits de l’homme, parmi lesquelles des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires et arbitraires, qui auraient principalement été commises par les forces de sécurité et de défense et d’autres agents de l’État. M. Ben Achour invite la délégation à commenter ces informations préoccupantes, ainsi que d’autres indiquant que non seulement les autorités congolaises n’ont pas véritablement enquêté sur les violations commises, favorisant ainsi l’impunité, mais qu’elles ont aussi empêché les organismes compétents de procéder aux vérifications nécessaires, et ont notamment refusé d’autoriser le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme à se rendre dans des installations militaires, des morgues et des hôpitaux.

22.M. Ben Achour s’enquiert par ailleurs du nombre de condamnations à mort prononcées au cours des dernières années et des modalités de la consultation nationale que le Gouvernement entend mener avant d’envisager la ratification du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. Il dit que la loi organique no 13/011-B a mis fin à la compétence exclusive des tribunaux militaires en ce qui concerne les crimes internationaux en habilitant les tribunaux civils à connaître de pareils crimes lorsqu’ils sont commis par des personnes relevant de leur compétence et de celle des tribunaux de grande instance. Toutefois, l’adoption de cette loi ne constitue qu’une avancée timide vers l’application du principe 9 des principes des Nations Unies sur l’administration de la justice par les tribunaux militaires, concernant le jugement des auteurs de violations graves des droits de l’homme, et suscite un certain nombre de questions. M. Ben Achour souhaiterait en particulier savoir s’il est vrai que le membre de phrase « commis par des personnes relevant de leur compétence et de celle des tribunaux de grande instance », qui limite sensiblement la compétence des tribunaux civils, a été ajouté à l’article 91 1) entre l’adoption de la loi par le Parlement et sa promulgation, auquel cas la validité du texte serait compromise. Il aimerait également savoir comment la République démocratique du Congo entend répartir et coordonner les compétences des tribunaux civils et des tribunaux militaires au regard du génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité et quelles seront les modalités d’application de la nouvelle loi.

23.M. Koitaconstate qu’en ce qui concerne la protection des civils et des personnes déplacées dans les zones de conflit armé, la situation s’est aggravée depuis l’examen du précédent rapport présenté par la République démocratique du Congo, en 2006. Il demande si hormis le décret no 13 de janvier 2013, des mesures législatives ont été adoptées pour tenir compte de l’ampleur de l’assistance et de la protection à apporter aux personnes déplacées, le pays comptant aujourd’hui, selon des sources crédibles, plus de 3,8 millions de déplacés et plus de 7,3 millions de personnes ayant besoin d’une assistance humanitaire. De surcroît, il fait observer que la situation en matière de sécurité s’est gravement détériorée depuis 2016, en particulier dans le Kasaï, où des exactions d’une rare violence et des assassinats de masse commis par des agents de l’État, ainsi que par la milice progouvernementale Bana Mura et la milice antigouvernementale Kamuina Nsapu, auraient fait des milliers de morts. Ces violations des droits de l’homme pourraient constituer des crimes de droit international, notamment des crimes contre l’humanité. M. Koita demande si des mandats d’arrêt ont été émis contre les responsables, sachant que l’identité de certains d’entre eux est connue et que la justice militaire a recueilli plus de 400 témoignages, et si le Gouvernement est disposé à lever toutes restrictions en ce qui concerne les enquêtes et à permettre à l’ONU d’aider la justice militaire congolaise à enquêter de manière indépendante et impartiale sur les lieux des crimes, les charniers et les fosses communes ; à poursuivre et punir les responsables ; et à identifier les victimes et leur octroyer réparation. Il souhaiterait en outre des précisions sur l’avancée des procédures judiciaires concernant les meurtres de Zaida Catalán et de Michael Sharp, les deux enquêteurs de l’ONU tués au Kasaï dans l’exercice de leurs fonctions, ainsi que sur les mesures prises pour mettre un terme au retour forcé des personnes déplacées à l’intérieur du pays, faire cesser les abus commis contre ces personnes par l’armée congolaise, démanteler les milices, mener rapidement une enquête transparente et indépendante sur les violations commises au Kasaï, et veiller à ce que les éléments des forces de sécurité déployés dans cette région soient dûment formés et équipés et n’aient pas été impliqués dans des violations des droits de l’homme.

24.En ce qui concerne la lutte contre l’impunité, 7 388 violations de droits de l’homme ont été signalées sur l’ensemble du territoire congolais entre janvier 2014 et mars 2016, dont 55 % auraient été commises par des agents de l’État et 45 % par des groupes armés. M. Koita estime que les condamnations prononcées ont été trop peu dissuasives et trop peu nombreuses, faisant observer que certaines de ces violations ont été commises par des membres hauts placés des forces de défense et de sécurité, notamment le commandant du groupe maï-maï Seka et le chef de guerre katangais Gédéon, contre lesquels aucune sanction n’a été mise à exécution. Il aimerait savoir quelles mesures récentes ont été prises pour donner effet aux recommandations adressées par le Comité à la République démocratique du Congo pour qu’elle enquête sur les violations des droits de l’homme et mette fin à l’impunité en poursuivant et punissant les responsables.

La séance est suspendue à 16 h 45 ; elle est reprise à 17 heures.

25.M me Mushobekwa(République démocratique du Congo) fait observer que les événements du Kasaï qui ont coûté la vie aux deux experts de l’ONU ont aussi fait d’autres victimes, parmi lesquelles les trois Congolais qui accompagnaient les intéressés et dont le corps n’a jamais été retrouvé. La République démocratique du Congo fait tout son possible, dans la mesure de ses moyens, pour faire la lumière sur les atrocités commises au cours des douze derniers mois. Certaines enquêtes ont déjà abouti ; neuf des 11 militaires ayant ouvert le feu sur des innocents ont été jugés et condamnés, les deux autres sont toujours recherchés et seront amenés à répondre de leurs actes. Dans un souci de transparence et comme suite à la résolution 35/33 du Conseil des droits de l’homme, le Gouvernement a accepté que des experts de l’ONU viennent assister les enquêteurs congolais. Cela étant, et bien qu’elle fasse preuve de toute la diligence voulue, la République du Congo ne peut pas, en quelques mois seulement, élucider plus de 1 300 meurtres et juger équitablement les responsables d’actes qui, s’ils avaient été commis en Europe, seraient qualifiés de terroristes. Dans d’autres pays, et même à la Cour pénale internationale, ces procédures durent parfois des années. On ne saurait donc d’un côté inciter le pays à bâcler les procès et, de l’autre, lui reprocher de violer les droits de l’homme. Le Gouvernement n’a rien à cacher, comme le montre le fait qu’il ait accepté que les autorités américaines et suédoises participent aux enquêtes, mais il tient à ce que les garanties de procédure soient respectées. Par ailleurs, on ne peut exiger de la République démocratique du Congo qu’elle tolère des crimes qu’aucun autre pays ne tolérerait. Il est regrettable que si les attentats terroristes de Nice et d’ailleurs ont suscité l’émotion dans le monde entier, personne ne parle de ceux commis par la milice Kamuina Nsapu, qui a assassiné des civils au marché central de Kinshasa et décapité plus de 40 policiers. Tous les crimes sont condamnables, quelle que soit la nationalité de ceux qu’ils visent, et les droits de l’homme, la vie humaine et la dignité des victimes doivent être respectés partout et pour tous.

26.Le Code de la famille a été modifié et aligné sur le Code du travail et dispose à présent que la femme n’a pas besoin de l’autorisation de son mari pour travailler et que le consentement préalable des deux époux est nécessaire à l’accomplissement de tout acte juridique.

27.En ce qui concerne la peine de mort, un moratoire a effectivement été déclaré et aucun condamné à mort n’a été exécuté depuis quatorze ans. Des propositions ont déjà été formulées en faveur de l’abolition pure et simple. La question reste à l’étude, mais aucune autre solution n’a encore été trouvée pour faire face aux réalités d’un pays dans lequel des groupes armés terroristes mus par des croyances religieuses diaboliques utilisent le viol et la violence sexuelle de masse comme armes de guerre, allant jusqu’à violer des bébés et à forcer des garçons à avoir des rapports sexuels avec leur mère.

28.La Commission nationale des droits de l’homme s’est vu allouer un budget conséquent, qui toutefois n’a pu être exécuté qu’à 30 % étant donné que le pays fait face à certaines difficultés financières et qu’il est nécessaire de trouver un équilibre entre l’impératif de promotion et de protection des droits de l’homme et la nécessité d’assurer les services d’éducation et de santé et de garantir l’intégrité territoriale et la sécurité du pays et de ses habitants. Tout en reconnaissant l’importance des travaux de la Commission et en signalant que la République démocratique du Congo entend faire de son mieux pour qu’elle puisse être présente sur l’ensemble du territoire, Mme Mushobekwa fait observer que la taille du pays et le nombre d’habitants font de la réalisation de cet objectif un défi de longue haleine.

29.Mme Mushobekwaconvient qu’il est souhaitable que la société civile participe à l’élaboration du rapport. Les défis à relever dans le domaine des droits de l’homme sont nombreux, aussi importe-t-il de renforcer les liens avec les organisations non gouvernementales et les diverses associations de la société civile, qui peuvent apporter un éclairage et des informations très utiles au Gouvernement. La République démocratique du Congo entend bien déployer des efforts dans ce domaine. Le Gouvernement apprécie particulièrement les apports des ONG internationales, lorsqu’elles sont neutres et objectives ; il est en revanche regrettable que certaines militent ouvertement en faveur de l’opposition.

30.En ce qui concerne le droit coutumier, Mme Mushobekwaindique que les instances coutumières ont été remplacées par les juges de paix. Il faut cependant du temps pour faire évoluer les mentalités et pour que les chefs coutumiers comprennent qu’ils ne sont pas au‑dessus des lois de la République. Les pratiques préjudiciables doivent certes être bannies, mais la population ne peut pas renoncer instantanément à des coutumes ancestrales. La priorité est donc de sensibiliser la population.

31.L’avortement est prohibé par le Code pénal. La société congolaise, très religieuse, n’est pas encore prête à accepter l’avortement médicalisé. Ce sujet continue d’ailleurs de faire polémique y compris dans certains pays occidentaux. De même, pour ce qui est des droits des personnes homosexuelles, l’on ne peut attendre de la République démocratique du Congo qu’elle s’aligne séance tenante sur l’Occident. La Constitution dispose que le mariage unit un homme et une femme, et toutes les religions pratiquées dans le pays condamnent l’homosexualité. Ouvrir un débat sur le mariage entre personnes de même sexe n’est pas envisageable pour le moment.

32.Mme Mushobekwa dit qu’elle doute que le taux de grossesses non désirées à Kinshasa atteigne 50 %, mais qu’elle n’est pas en mesure de fournir le chiffre exact. En tout état de cause, pour remédier à cette situation, il pourrait être envisagé d’intégrer aux programmes scolaires des cours d’éducation sexuelle, mais les parents seraient certainement réticents face à une telle initiative. En revanche, il serait inconcevable de parler de contraception à des mineurs à l’école. Il convient aussi de rappeler que le Code pénal assimile toute relation sexuelle avec une mineure à un viol, que l’intéressée soit consentante ou non.

33.Il existe peu de données chiffrées sur les décès en couches, mais le Gouvernement est conscient qu’il s’agit d’un problème de grande ampleur. La plupart de ces décès sont liés au manque d’accès aux consultations prénatales ou à un accouchement en maternité, parfois par manque de moyens financiers. Il arrive aussi que certaines femmes refusent une césarienne pour des raisons religieuses. Le Premier Ministre souhaite faire en sorte qu’à l’avenir, les accouchements soient entièrement pris en charge financièrement. Les contraintes financières rendent cet objectif difficile à réaliser, mais la question n’en demeure pas moins une priorité du Gouvernement.

34.Il existe une loi réprimant toutes les formes de torture, qu’il importe de mieux faire connaître, notamment aux magistrats et aux policiers ainsi qu’à l’ensemble de la population, afin que les victimes portent plainte et que des procès aient lieu, qui auront un rôle dissuasif. Il faut aussi rappeler à tous que les châtiments corporels à l’école et dans les lieux de détention sont interdits, et lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants.

35.En ce qui concerne les pratiques traditionnelles préjudiciables, Mme Mushobekwa dit qu’il n’existe pas de phénomène de mariages forcés en République démocratique du Congo, que ces mariages sont interdits par la loi et prohibés par la coutume. Le mariage coutumier est préalable au mariage civil ; il suppose l’accord des familles et des deux intéressés. L’officier de l’état civil s’assure ensuite du consentement des époux. Les seuls cas de mariage forcé concernent des femmes qui sont enlevées par des groupes armés qui en font des esclaves sexuelles. La polygamie est interdite par le Code de la famille. Quant aux mutilations sexuelles, dont l’excision, elles ne font pas partie de la culture et des coutumes de la République démocratique du Congo. Seuls les groupes armés présents dans le pays se rendent coupables de violences sexuelles, de mutilations et de tortures, et lorsqu’ils sont identifiés, les responsables sont dûment poursuivis en justice.

36.Les personnes atteintes d’albinisme ne subissent de discrimination ni à l’école ni au travail, et leurs représentants, que Mme Mushobekwa a récemment rencontrés, ne lui ont pas signalé d’agressions physiques ni d’enlèvements liés à de quelconques rituels. Les personnes atteintes d’albinisme réclament avant tout des moyens de se protéger du soleil et demandent par exemple à être autorisées, comme les femmes enceintes et les personnes âgées, à accéder en priorité aux bureaux de vote lors des élections.

37.Mme Mushobekwa partage le constat du Comité pour ce qui est de la représentation des femmes en politique. Le faible nombre de femmes en politique ne tient ni à un problème de compétences ni à un manque d’engagement de leur part. De nombreuses femmes mériteraient d’accéder à de hautes fonctions mais sont découragées par la violence sexiste qui se déchaîne contre elles, en particulier sur les réseaux sociaux. La Constitution fixe un objectif de 30 % de femmes en politique, dont la réalisation exigera un travail de longue haleine ; en témoigne le fait que le projet de loi qui prévoyait le rejet de toute liste électorale ne comprenant pas au moins 30 % de femmes a malheureusement été rejeté par l’Assemblée nationale et au Sénat. En ce qui concerne la situation des femmes sur le marché du travail, la Constitution consacre l’égalité de droits entre les femmes et les hommes, et toute discrimination à l’école ou dans l’emploi est interdite. Pourtant, il existe effectivement des inégalités entre hommes et femmes, comme d’ailleurs dans de nombreuses sociétés, y compris en Occident. Peut-être faudrait-il envisager d’adopter une loi sur le harcèlement sexuel en milieu professionnel ; il n’en existe pas pour le moment.

38.Pour lutter contre les violences familiales, il faut sensibiliser la population afin que les victimes prennent conscience de leurs droits et osent porter plainte. Le viol conjugal, s’il existe certainement, est un sujet tabou qu’il est, pour une femme congolaise, inimaginable d’aborder même avec des proches, et d’autant moins avec un policier. Or, en l’absence de dénonciation, il ne peut y avoir de poursuites.

39.Le Président remercie la délégation congolaise de ses réponses et l’invite à poursuivre le dialogue avec le Comité à la séance suivante.

La séance est levée à 18 heures.