Nations Unies

CCPR/C/SR.2635

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

9 août 2011

Français

Original: anglais

Comité des droits de l ’ homme

Quatre-vingt-seizième session

Compte rendu analytique de la 2635 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le vendredi 17 juillet 2009, à 10 heures

Président:M. Iwasawa

S ommaire

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte (suite)

Rapport initial du Tchad (suite)

La séance est ouverte à 10 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte (suite)

Rapport initial du Tchad (suite) (CCPR/C/TCD/1; CCPR/C/TCD/Q/1 et Add.1)

1.Sur l ’ invitation du Président, les membres de la délégation tchadienne prennent place à la table du Comité.

2.M.  Arabi (Tchad) dit que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a été ratifié par le décret du 9 juin 1995 qui a été publié au Journal officiel du pays. Si les citoyens et les juristes sont en principe libres d’exercer les droits énoncés dans le Pacte, le public n’en a qu’une connaissance rudimentaire. Le Gouvernement tchadien doit donc travailler sur cette question avec la société civile.

3.À l’heure actuelle, une des difficultés majeures à laquelle se heurte le Tchad est la modification de sa législation pour respecter ses obligations internationales. Le Code pénal, le Code de procédure pénale et le Code de la nationalité, notamment, datent de l’époque coloniale et n’ont pas été mis à jour. À la suite de la révision générale du système judiciaire en 2005, un programme de réforme de la justice a été élaboré en vue, notamment, d’harmoniser l’ensemble de la législation avec les instruments internationaux ratifiés par le Tchad. Compte tenu des disparités que présentent les dispositions du droit coutumier, le projet de code de la famille sera la seule façon d’unifier la société tchadienne et de prendre en considération les aspects particuliers de questions difficiles telles que celle de la religion. Ce code, qui doit être adopté prochainement, limitera le rôle joué dans le règlement des conflits par les chefs traditionnels, dont les nouvelles fonctions seront définies par le Statut des autorités traditionnelles et coutumières.

4.Le Gouvernement tchadien a accueilli avec satisfaction toutes les initiatives relatives aux droits de l’homme prises par la communauté internationale et s’efforce de donner effet aux recommandations faites par le Représentant du Secrétaire général pour les personnes déplacées dans leur propre pays à la suite de sa récente visite au Tchad. Il a, par exemple, renforcé la sécurité dans les camps de réfugiés. Alors que les conditions de sécurité au Darfour et à l’est du Tchad rendent encore impossible le rapatriement des réfugiés, nombre de personnes déplacées sont retournées dans leur village malgré la dévastation résultant de la politique de la «terre brûlée» menée par les Janjaweeds.

5.Les auteurs d’actes de violence, notamment de violences sexuelles, sont punis, en grande partie grâce au travail des organisations de femmes du pays: 70 % des cas de violence contre des femmes portés à l’attention d’un juge donnent lieu à des poursuites.

6.Conformément à l’article 87 de la Constitution, lorsque les institutions du pays, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire ou l’exécution des engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu, le Président de la République, après consultation du Président de l’Assemblée nationale et du Président du Conseil constitutionnel, peut prendre les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances pour une durée n’excédant pas quinze jours. Toutefois, ces mesures ne sauraient justifier des atteintes au droit à la vie, à l’intégrité physique et morale ou aux garanties juridictionnelles reconnues aux individus. À la suite des violences commises en 2006 et 2008, l’état d’urgence a été déclaré et des restrictions ont été imposées à la liberté d’association et à la liberté de circulation des membres de la presse.

7.La peine de mort n’a pas encore été abolie au Tchad. Le moratoire de douze ans en vigueur de 1991 à 2003 a pris fin avec les exécutions auxquelles il a été procédé en 2003. Ces exécutions ont été un signal fort envoyé par le Gouvernement en réponse à l’insécurité générale qui régnait dans le pays, à un moment où il était impossible de garder en prison les auteurs des infractions les plus graves.

8.Pour répondre à la question de Mme Wedgwood sur les événements qui se sont produits à Kounu en juin 2008, des fanatiques religieux conduits par un certain M. Marabou ont tenté de lancer une guerre sainte contre la population locale et ont attaqué les forces de sécurité, qui n’ont fait que se défendre. Deux membres de ces forces ont été tués et six autres blessés tandis qu’une vingtaine de fanatiques ont été tués. Leur chef et certains de ses lieutenants ont été placés en détention à N’Djamena sur ordre du juge d’instruction.

9.L’affaire Adouma Ali Ahmat n’est pas simplement une affaire de droit, elle a aussi des aspects politiques et économiques. À la suite de l’assassinat de l’homme d’affaires soudanais Cheikh Ibn Oumar Idriss Youssouf, une dizaine de personnes, dont son associé Adouma, ont été arrêtées et inculpées pour homicide volontaire. Les accusés ont été condamnés à mort lors d’un procès public devant un tribunal pénal au cours duquel ils ont bénéficié de l’assistance d’un avocat. Le chef de l’État a rejeté leur demande en grâce. Les voies de recours étant épuisées, ils ont été exécutés quelques jours plus tard pour éviter qu’ils ne s’évadent.

10.Compte tenu des nombreux problèmes qui se sont posés avant et pendant les événements de janvier 2008, le Gouvernement a créé une commission chargée d’enquêter sur les faits et de déterminer les responsabilités. Les affaires mentionnées dans le rapport de la Ligue tchadienne des droits de l’homme pourraient être exactes et éventuellement être examinées par cette commission d’enquête.

11.L’accès à la fonction publique au Tchad est réservé aux nationaux ou aux personnes naturalisées qui vivent dans le pays depuis plus de cinq ans; cette disposition n’est pas discriminatoire et des clauses analogues existent dans de nombreux pays qui sont obligés d’empêcher que l’accès à la fonction publique soit monopolisé par des ressortissants étrangers.

12.En ce qui concerne le projet de code de la famille, une réunion de toutes les parties prenantes à son élaboration s’est tenue pendant trois jours en juin 2009. Les obstacles à son adoption ont été éliminés et le projet de loi correspondant sera présenté à l’Assemblée nationale pour adoption dans un avenir proche.

13.La question de l’établissement d’une institution nationale des droits de l’homme sera une des priorités de l’ordre du jour du Forum national des droits de l’homme qui se tiendra en novembre 2009 et à l’issue duquel on peut espérer qu’une institution dynamique conforme aux Principes de Paris sera créée.

14.En réponse à la question posée par Mme Motoc, la peine de mort ne peut être exécutée qu’après épuisement de toutes les voies de recours, c’est-à-dire une fois que la demande en grâce a été rejetée. Malheureusement, il est facile de s’évader des prisons tchadiennes; par exemple, en 2006 et en 2008, il y a eu des évasions massives, notamment de condamnés à mort dont beaucoup ont ensuite commis de nouvelles atteintes aux droits de l’homme.

15.L’afflux de réfugiés venant du Soudan et d’Afrique centrale n’a pas échappé à l’attention de la communauté internationale, et le HCR, le CICR, l’UNICEF, Médecins sans frontières et plusieurs autres ONG ont aidé le Gouvernement à s’occuper de ces personnes en leur fournissant notamment des vivres, des tentes et de l’eau potable et en leur dispensant des soins médicaux et un enseignement.

16.Un système de justice pour mineurs a été mis en place: dans chaque juridiction, y compris la cour d’appel, un juge et une division spéciaux s’occupent des affaires impliquant des mineurs.

17.Afin de combler les écarts qui se creusent depuis des années et qui ont gravement limité la scolarisation des filles au Tchad, le Gouvernement a rendu l’éducation gratuite pour les filles.

18.L’assassinat, l’homicide volontaire, l’infanticide, le parricide, l’empoisonnement, la trahison et l’espionnage sont les sept crimes passibles de la peine capitale.

19.M. Djasnabaille (Tchad) dit que si la peine de mort fait toujours débat au Tchad, le Gouvernement y est officiellement opposé. Néanmoins, il doit prendre en considération les différentes options et l’opinion publique − or, étant donné que des homicides et des viols sont signalés tous les jours au Tchad, l’abolition de ce châtiment ne fait pas l’objet d’un consensus. Cela étant, le Gouvernement envisage d’instaurer un nouveau moratoire sur la peine de mort.

20.La question de la violence à l’égard des femmes fait l’objet d’un débat national auquel participent des chefs religieux et tribaux. La moitié environ de la population étant chrétienne et l’autre moitié musulmane, il est difficile de progresser sur cette question, mais le soutien des chefs coutumiers est essentiel pour parvenir à traiter les causes culturelles de la violence familiale.

21.Le Gouvernement intègre peu à peu les chefs traditionnels dans le système démocratique et, au terme de ce processus, les responsables seront finalement élus dans les zones rurales. Les pouvoirs des chefs traditionnels seront progressivement restreints mais les meilleurs éléments de l’identité nationale seront préservés.

22.S’il faut qu’un plus grand nombre de femmes soient instruites pour pouvoir faire campagne en vue de leur participation à la vie politique, les débats sur le projet de code de la famille vont aider les femmes à assumer leur place légitime. En outre, celles-ci peuvent saisir les tribunaux en cas de discrimination, car la législation interne l’emporte sur le droit coutumier.

23.Dans la région de Kouno, certains ont des liens avec Al-Qaïda et le Gouvernement a été obligé de réagir lorsque l’ordre public a été menacé. Il ne souscrit pas à l’analyse de la Ligue tchadienne des droits de l’homme qui affirme dans son rapport que les actes des forces de répression ont été disproportionnés. La laïcité du pays était en danger et des maisons ont été saccagées et des vivres brûlés. La région a maintenant retrouvé le calme et ses habitants reconstruisent leur vie avec l’aide du Gouvernement.

24.M. Amor (Rapporteur pour le Tchad) demande si le Pacte a bel et bien été publié car des informations contradictoires ont été données au Comité. La législation interne n’ayant pas encore été harmonisée avec les dispositions du Pacte, il souhaite savoir si des programmes et des lignes directrices ont été établis en vue du processus d’harmonisation. Enfin, il fait observer qu’il n’est pas nécessaire de codifier l’ensemble du droit coutumier dont certaines dispositions figurent déjà dans divers textes, notamment le Code pénal.

25.Sir Nigel Rodley fait observer que la sincérité de la délégation du Tchad est vraiment désarmante; par exemple, le rapport initial du Tchad (CCPR/C/TCD/1) contient plusieurs déclarations que d’autres États n’auraient pas faites aussi ouvertement. Cette franchise doit être encouragée; toutefois, le Tchad a accepté ses engagements internationaux en toute liberté et n’aurait peut-être pas dû prendre d’engagements qu’il ne peut pas encore tenir.

26.À la lumière du paragraphe 150 du rapport initial, où il est indiqué que la torture est parfois pratiquée en détention, et du paragraphe 177, selon lequel la durée maximale de la garde à vue est souvent dépassée, Sir Nigel Rodley demande si la prolongation de la détention au-delà de la durée normale de garde à vue est illégale et incriminée. Si de tels cas sont découverts par le Procureur au cours d’une inspection, ne peuvent-ils pas être considérés comme des flagrants délits? Ces cas ont-ils déjà donné lieu à des poursuites?

27.D’après les rapports d’ONG, les peines capitales exécutées en 2003 ont été imposées à la suite d’aveux obtenus par la torture; c’est pourquoi le Comité a besoin d’informations complémentaires pour évaluer ces exécutions. Le problème n’est pas l’abolition de la peine de mort, mais le fait que pour que cette peine soit compatible avec le Pacte, il faut respecter certaines dispositions telles que le droit à un procès équitable et le droit de faire appel. Sir Nigel Rodley demande combien de temps les personnes exécutées ont été détenues avant de voir un avocat et souhaite avoir des détails à ce sujet. Il demande aussi quelles sont les garanties en place pour empêcher que des aveux soient extorqués par la torture. Il souhaite aussi savoir si les condamnés ont pu exercer pleinement leur droit de faire appel ou s’ils ont juste eu le droit limité de se pourvoir en cassation. Est-il exact qu’un pourvoi en cassation était pendant devant la Cour suprême lorsque les condamnés ont été exécutés?

28.M me Wedgwood fait observer que tous les rapports utilisés par le Comité sont largement disponibles, y compris sur Internet. Toutes les institutions nationales des droits de l’homme devraient collaborer étroitement avec les ONG et se tenir informées de ces rapports. Il serait bon que la délégation réponde aux questions posées par le Comité au sujet d’affaires particulières.

29.M me  Majodina, faisant référence aux questions qu’elle a posées à la séance précédente à propos de la violence familiale et à l’explication, donnée au paragraphe 99 du rapport initial, selon laquelle la culture de la violence au Tchad est le legs d’une longue histoire d’instabilité, note que la délégation a indiqué que 78 % des personnes traduites en justice sont condamnées pour violence familiale. Elle souhaite en savoir plus sur le cadre juridique du pays et sur les mesures qu’il a prises pour combattre et éliminer cette forme de violence.

30.En ce qui concerne le paragraphe 107 du rapport, elle souhaite avoir des précisions sur les mesures qui seront prises et les peines qui seront imposées si une mineure est enlevée puis mariée à son ravisseur.

31.M.  Bouzid demande s’il est exact que, comme l’indiquent certains rapports, la nourriture dans les prisons n’est pas fournie par les autorités mais par les familles des détenus.

32.M.  Fathalla, faisant observer qu’une première version du projet de code de la famille, mentionné dans les réponses écrites du pays et dont la délégation a dit qu’il permettrait de résoudre plusieurs des problèmes soulevés, a été rédigée en 2000, souhaite savoir quand ce code entrera en vigueur.

33.M. Ayat ne croit pas que la guerre au Tchad soit la seule cause des difficultés qu’a le pays à promouvoir et protéger les droits de l’homme. Bien que la guerre, ou la guerre partielle, soit toujours un facteur déstabilisant, le Tchad est un grand pays peu peuplé et le Gouvernement, s’il en a la volonté politique, devrait pouvoir faire respecter les droits de l’homme dans les régions qui jouissent d’une relative sécurité, notamment la capitale.

34.Les efforts faits pour diffuser le droit international humanitaire constituent un progrès et doivent être loués; la prochaine étape consisterait à encourager la population à le respecter et à l’appliquer. S’il est encourageant que le Tchad ait ratifié le Pacte, il lui reste encore à harmoniser sa législation avec les dispositions de cet instrument et, en particulier, à interdire et à réprimer l’usage de la torture conformément à l’article 7.

35.M. Djasnabaille (Tchad), répondant aux questions posées par M. Amor, dit que le Pacte a été ratifié par l’Assemblée nationale et que l’harmonisation de la législation nationale avec les dispositions du Pacte est prévue dans les prochains mois. Les projets de budget, les préparatifs en vue de l’élection générale en 2010 et l’insécurité persistante ont retardé le processus.

36.Le projet de code de la famille porte sur des domaines aussi divers que la condition des femmes et le rôle traditionnel des chefs de tribu. Initialement proposé en 2000, il a fait l’objet d’un examen approfondi et ses dispositions ont été arrêtées par l’Assemblée nationale préalablement à son adoption, qui est prévue à la prochaine session parlementaire. La codification du droit coutumier fait l’objet d’une grande attention. Le Gouvernement est vraiment déterminé à améliorer la législation.

37.S’agissant des questions posées par Sir Nigel Rodley, le Tchad a signé la Convention contre la torture. Les cas de torture qui se sont produits sous l’ancien Président, Hissène Habré, ne resteront pas impunis et cela servira de leçon à tous les bourreaux potentiels. Tous ceux qui ont été complices d’actes de torture et qui sont encore présents au Tchad seront condamnés par la justice.

38.En ce qui concerne la détention, la police a fréquemment enfreint l’interdiction de détenir une personne en garde à vue plus de quarante-huit heures. De nombreux policiers n’ont pas reçu de formation appropriée et sont souvent recrutés directement dans les forces armées. Des efforts sont faits, avec l’aide de partenaires du développement, pour améliorer la formation des forces de police. M. Djasnabaille a travaillé avec des représentants de la société civile en veillant à ce que les médias fassent état de l’inspection des cellules de détention et que les mineurs en garde à vue soient relâchés. Les infractions aux règles régissant la détention sont dues à l’ignorance et aux pratiques adoptées en raison de la guerre. La législation en vigueur est appropriée mais le Gouvernement doit la faire mieux connaître. Il est très difficile de faire appliquer la loi correctement dans un pays aussi grand que le Tchad.

39.Quant à la peine de mort et au droit à un procès équitable, tous les citoyens ont le droit de faire appel d’une décision de justice auprès d’une juridiction de niveau supérieur. Nul ne peut être exécuté avant épuisement de la procédure d’appel. Tous les prisonniers ont automatiquement le droit d’être défendu par un avocat dès leur première comparution au tribunal et tous les condamnés à mort ont le droit de demander la grâce. Depuis qu’il a été nommé Ministre des droits de l’homme il y a huit mois, M. Djasnabaille s’est efforcé, avec succès jusqu’à présent, d’empêcher les exécutions.

40.En ce qui concerne les points soulevés par Mme Wedgwood, M. Djasnabaille n’a pas prétendu ne pas avoir connaissance des rapports publiés par les ONG, mais a dit que si les organisations de défense des droits de l’homme installées au Tchad ont des inquiétudes, il souhaiterait, en tant que Ministre responsable des droits de l’homme, qu’elles en informent son ministère. Chaque fois qu’il a été informé d’un problème, il a pris toutes les mesures possibles pour y remédier. Il a récemment rendu visite à un journaliste en prison et a contribué à sa libération. Le Ministère ne peut pas régler les problèmes dont il n’est pas informé. Il a pour mission de protéger les associations de défense des droits de l’homme et fera tout son possible pour coopérer avec elles et faciliter leur travail.

41.En ce qui concerne les disparitions, M. Yorongar, membre du Parlement, n’est pas décédé mais est allé à Bruxelles pour suivre un traitement médical, comme M. Djasnabaille l’a indiqué à la séance précédente. En revanche, M. Djasnabaille connaissait et respectait Ibni Oumar Mahamat Saleh (qui a disparu) depuis leurs années d’études et avait travaillé avec lui en vue d’éliminer la dictature et de promouvoir la démocratie au Tchad; cette disparition est une source de grande tristesse. Le Gouvernement a créé une commission d’enquête sur les disparitions dont les conclusions ont été transmises à la police et à l’appareil judiciaire, qui est indépendant. Toutes les personnes appelées à témoigner, même celles qui occupent des postes élevés, notamment le Ministre de l’intérieur et le Ministre de la défense, ont fait une déposition. Si certains ont préféré rendre publiques des informations plutôt que d’apporter des éléments de preuve à la commission, le Gouvernement n’y peut rien. Il n’est pas responsable des disparitions qui se sont produites à une époque où N’Djamena était en état de guerre, où la plus grande partie de la ville était aux mains des rebelles et où la confusion régnait. Il est déterminé à faire en sorte que les droits de l’homme soient protégés et que des enquêtes approfondies soient menées sur les disparitions.

42.En réponse aux questions posées par Mme Majodina, M. Djasnabaille dit que l’infraction de violence familiale est poursuivie conformément au Code pénal. Certains aspects seront aussi traités dans le nouveau code de la famille. S’il est indispensable d’harmoniser la législation nationale avec les dispositions appropriées du Pacte, de renforcer la législation et de poursuivre les actes de violence sexiste, il est peut-être encore plus important de mener des campagnes de sensibilisation. Le public doit avoir conscience que la violence à l’égard des femmes est inacceptable.

43.Le projet de code de la famille sera débattu à l’Assemblée nationale en octobre 2009 et devrait entrer en vigueur en 2010.

44.On trouve au paragraphe 107 du rapport des détails sur les dispositions législatives et les peines réprimant les enlèvements d’enfants. La délégation sait que les sanctions prévues sont insuffisantes et que la législation doit être renforcée pour avoir un effet plus dissuasif. Des mesures doivent également être prises pour que ces dispositions soient dûment appliquées, ce qui n’est pas toujours garanti. La pratique des enlèvements d’enfants à des fins de mariage est profondément enracinée dans la tradition. Il faut donc non seulement engager des poursuites mais aussi mener des campagnes de sensibilisation à grande échelle pour la faire disparaître. Pour montrer que la sensibilisation a déjà progressé dans une certaine mesure, M. Djasnabaille fait part de son expérience lors d’une visite qu’il a menée récemment avec le Représentant spécial du Secrétaire général au Tchad, dans des camps de réfugiés à l’est du pays où les femmes se sont dites opposées au mariage des enfants et ont souhaité que leurs filles reçoivent une instruction. Il a été heureux d’apprendre que, même dans les régions qui restent profondément attachées à la tradition, des progrès sont faits dans ce domaine.

45.En ce qui concerne la franchise avec laquelle la délégation traite les questions soulevées, la situation des droits de l’homme dans le pays ne peut que s’améliorer si les problèmes sont débattus ouvertement et si des mesures correctrices sont prises avec le soutien technique et financier de la communauté internationale. Le Gouvernement tient à coopérer avec le Comité et les associations tchadiennes de défense des droits de l’homme dans ce domaine et M. Djasnabaille invite la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme à se rendre au Tchad, si possible dans la partie orientale du pays, pour se faire directement une idée de la situation.

46.Le Ministère des droits de l’homme a compétence pour enquêter sur les allégations de violation des droits de l’homme et n’épargne aucun effort pour s’acquitter de cette fonction. Toutefois, les plaintes ne sont pas toujours portées à son attention et les efforts faits pour que les auteurs de ces violations rendent compte de leurs actes se heurtent fréquemment à la résistance des tribunaux qui cherchent à maintenir leur indépendance. En outre, la pauvreté largement répandue est un terrain fertile pour la corruption. Dans le nord du pays, en particulier, les menaces et les agressions contre les procureurs sont fréquentes, la corruption règne parmi les magistrats et les victimes de violations des droits de l’homme portent rarement plainte par crainte de vengeance.

47.Sir Nigel Rodley souhaite avoir des données précises sur les affaires de prisonniers condamnés à mort le 25 septembre 2003, à savoir la date de détention, le temps écoulé avant que l’accusé ait pu voir un avocat, la durée du procès et les dates des audiences en appel. Est-il exact que les exécutions ont eu lieu alors que les pourvois en cassation étaient encore pendants devant la Cour suprême?

48.M. Amor, faisant référence à la question 10, demande si les mutilations génitales féminines sont largement répandues. Il souhaiterait avoir des statistiques ou des estimations sur le nombre de femmes qui en sont victimes et voudrait savoir si cette pratique est interdite par la loi.

49.Il semble que la polygamie soit répandue dans l’État partie et M. Amor rappelle à la délégation l’Observation générale no 28 dans laquelle le Comité a affirmé que la polygamie est attentatoire à la dignité de la femme.

50.Passant à la question 13, M. Amor dit que le fait d’employer des enfants comme vachers ou domestiques revient à pratiquer une forme moderne d’esclavage au sens du Pacte. Il souhaite savoir comment la délégation envisage les possibilités d’éradiquer ces pratiques.

51.À titre d’exemple des conséquences effrayantes du mariage forcé de mineures, M. Amor cite le cas de Khadidja Oumane Mahamat, qui a empoisonné l’homme âgé de 70 ans auquel elle a été mariée de force à l’âge de 13 ans. La jeune fille, détenue sans procès depuis 2004, est tombée enceinte et a accouché après avoir été violée par un des gardiens de la prison. D’après un représentant du Bureau du Procureur, elle est continuellement victime de violences sexuelles et le risque d’une autre grossesse ne peut pas être exclu. M. Amor demande si des mesures ont été prises pour remédier à cette situation et si les violeurs ont été punis.

52.En ce qui concerne la pratique des enlèvements d’enfants en vue de leur adoption, M. Amor rappelle le cas de l’association caritative l’Arche de Zoé qui a été accusée de tentative d’enlèvement de mineurs ou d’aide à leur enlèvement au Tchad. Si les personnes impliquées ont été traduites en justice, les victimes n’ont pas reçu réparation. Des informations ont confirmé qu’il n’est pas rare que des enfants soient enlevés puis adoptés, bien que le fondement juridique de ces adoptions soit évidemment contestable. M. Amor aimerait avoir des précisions sur les dispositions juridiques régissant l’adoption dans l’État partie. S’il est compréhensible que des familles démunies ne puissent pas toujours agir dans l’intérêt supérieur de leurs enfants, il incombe clairement à l’État de protéger les enfants qui relèvent de sa juridiction.

53.En ce qui concerne la question 18, M. Amor demande des précisions sur les violations des droits de l’homme commises par les forces de sécurité tchadiennes. La délégation devrait donner des informations sur les procédures disciplinaires et des exemples de cas où les exactions commises par les forces de sécurité ont été poursuivies. M. Amor demande quelles sont les mesures prises pour mettre un frein au recours quasisystématique et excessif à la violence armée. À ce titre, il rappelle le cas de Mme Jacqueline Moudeïna, grièvement blessée par les forces de sécurité au cours d’une manifestation pacifique. Il demande si les auteurs ont été punis et si Mme Moudeïna a bénéficié d’une réparation.

54.Passant à la question des arrestations illégales, M. Amor demande si les sanctions prévues par la loi sont appliquées dans la pratique. Il invite la délégation à commenter les informations faisant état de centres de détention secrets et demande si des progrès ont été faits dans l’affaire de la disparition d’Ibni Oumar Mahamat Saleh.

55.M me Wedgwood, tout en félicitant la délégation pour sa franchise, dit qu’elle a été déçue d’apprendre que le Gouvernement était manifestement impuissant face aux nombreux problèmes qu’a le pays. Il est difficile de croire que le Gouvernement fédéral a si peu d’influence sur ce qui se passe aux niveaux local et régional. Le Président est un dirigeant compétent qui pourrait utiliser son charisme pour montrer la voie dans le domaine des droits de l’homme. La diffusion des moyens modernes de communication pourrait être mise au service de ces efforts. L’État partie prévoit-il d’utiliser des moyens innovants pour promouvoir et protéger les droits de l’homme, comme des discours présidentiels ou des procès et des sanctions exemplaires et bien médiatisés?

56.En ce qui concerne la question 11, MmeWedgwood demande quelles mesures ont été prises pour incriminer la torture dans l’État partie, comme l’exige la Convention contre la torture. Elle souhaite également savoir si l’État partie a prévu d’adopter une procédure centralisée pour les visites en prison et si des particuliers peuvent intenter des actions en dommages et intérêts pour torture.

57.En ce qui concerne la question 12, Mme Wedgwood a conscience que des contraintes budgétaires peuvent empêcher la construction de lieux de détention distincts, mais il devrait néanmoins être possible de séparer les mineurs des adultes dans les installations existantes qui comprennent plusieurs cellules. Pour éviter que les détenus soient victimes de violences, elle propose que le juge local se rende quotidiennement dans les lieux de détention. Elle a été surprise d’apprendre que si la durée de garde à vue n’est pas souvent respectée, c’est parce que la police ne dispose pas du matériel approprié; or, le seul outil nécessaire est un registre pour y inscrire la date et l’heure d’admission et celles prévues pour la remise en liberté.

58.Passant à la question 13, MmeWedgwood dit que le mariage avant l’âge de la majorité sexuelle n’est rien d’autre que de l’esclavage moderne. Elle demande si la délégation considère qu’il est possible d’éliminer les mariages d’enfants.

59.Sans vouloir minimiser les nombreuses difficultés auxquelles l’État partie fait face, MmeWedgwood trouve qu’il est inutile d’invoquer continuellement la complexité de la situation pour expliquer le non-respect du Pacte. Si les chefs de tribu posent un problème, il serait bon que quelques-uns d’entre eux fassent partie de la délégation pour faciliter le dialogue direct entre les responsables locaux importants et la communauté internationale; la même chose est valable pour les femmes.

60.M me  Chanet dit que le Comité a conscience de la tâche monumentale à laquelle doit s’atteler le Gouvernement tchadien pour reconstruire le pays et établir la primauté du droit après des années de conflit. L’État partie a présenté une analyse approfondie des nombreux obstacles empêchant la bonne mise en œuvre du Pacte, mais est resté assez vague sur les mesures prises pour remédier à la situation. MmeChanet souhaiterait obtenir des précisions sur la façon dont l’État partie a l’intention de résoudre les problèmes dans la pratique.

61.En ce qui concerne la question 14, MmeChanet demande si l’État partie continue à imposer des mesures d’éloignement aux mineurs et, dans l’affirmative, quelles sont les mesures prises pour que ces mineurs ne soient pas victimes de travail forcé, de la prostitution, du recrutement forcé comme enfants soldats ou ne soient pas adoptés illégalement. Qui est responsable des enfants une fois qu’ils ont été retirés du lieu où l’infraction a été commise?

62.La délégation ayant indiqué que la durée légale de la garde à vue était souvent dépassée, des mesures sont-elles prises pour remédier à cette situation? Le Procureur se rend-il régulièrement dans les lieux de détention pour veiller à ce que cette durée légale soit respectée? Existe-t-il des registres des suspects placés en garde à vue? Le Gouvernement devrait utiliser les moyens législatifs et judiciaires à sa disposition pour pallier ces manquements. Le fait de poursuivre et de punir les responsables des gardes à vue prolongées pourrait notamment se révéler dissuasif.

63.Faisant référence à l’article 14 du Pacte, MmeChanet demande quels sont les motifs de la discrimination fréquemment observée dans les procédures judiciaires et ce qui explique ce phénomène. Elle souhaite connaître les mesures concrètes qui sont prises pour veiller à ce que des interprètes soient disponibles et nommés dans les procédures judiciaires si nécessaire, pour que les défendeurs soient toujours assistés d’un avocat et pour accélérer les procès. Elle demande des informations complémentaires sur le fonctionnement de la Cour d’appel d’Abéché, notamment une mise à jour sur les conditions de sécurité. Elle souhaite également savoir comment les juges sont nommés, comment ils deviennent membres du Conseil supérieur de la magistrature, ce qui garantit leur indépendance du pouvoir politique et s’ils peuvent être sanctionnés et, dans l’affirmative, dans quelles circonstances. Il serait en outre utile de savoir si les juges peuvent être contraints de démissionner et quelle est la procédure suivie en l’espèce.

64.M me  Majodina dit qu’il est difficile de comprendre pourquoi l’État partie n’a pas adopté une démarche plus volontariste pour prévenir le recrutement transfrontière d’enfants soldats. Elle demande s’il peut y avoir une solution politique à ce problème ou si le déploiement d’enfants par des groupes soudanais et le Gouvernement tchadien a quelque chose de bénéfique. Elle souhaite savoir si le mémorandum publié par le Ministre de la défense qui interdit le recrutement de mineurs dans l’armée tchadienne à compter de la fin de 2006 est appliqué. Il serait également intéressant de savoir si, après que le Ministre s’est rendu dans plusieurs régions du pays, des visites de contrôle supplémentaires sont menées dans les centres d’entraînement militaire pour éviter que le recrutement d’enfants se poursuive. Des mesures sont-elles prises pour sensibiliser les officiers aux droits de l’enfant et à la protection de l’enfance, étant entendu que le recrutement d’enfants, que ce soit pour des raisons culturelles ou économiques, est totalement inacceptable et constitue une violation du Pacte et d’autres instruments internationaux?

65.Mme Majodina demande si les informations indiquant que les autorités sont peu disposées à enregistrer les naissances dans les parties orientales du pays sont exactes. Elle demande instamment au Gouvernement de prendre toutes les mesures possibles pour encourager toute la population, y compris les personnes déplacées, à déclarer les enfants à l’état civil. Des unités mobiles d’état civil sont souvent efficaces dans ce domaine.

66.Le Comité souhaiterait obtenir des statistiques actualisées sur le nombre de filles inscrites à l’école.

67.M.  Salvioli partage les inquiétudes de M.Amor et, en particulier, engage l’État partie à prendre des mesures dans l’affaire Khadidja Oumane Mahamat, ce qui exige de la volonté politique et non des ressources financières. Compte tenu de la position de l’État partie sur l’enlèvement de filles aux fins de mariages forcés, cette affaire tragique est une excellente occasion pour le Gouvernement de bien faire comprendre à l’opinion que cette pratique est inadmissible en toutes circonstances.

68.Compte tenu du niveau de discrimination et de violence à l’égard des femmes, M. Salvioli demande quand les modifications législatives interdisant la discrimination à l’égard des femmes entreront en vigueur.

69.L’État partie a l’obligation, en application du Pacte, de veiller à ce que les lieux de détention permettent aux personnes privées de liberté de préserver leur dignité humaine. Toutefois, les informations relatives aux conditions dans les prisons tchadiennes font état d’une surpopulation terrible et de maladies. M. Salvioli souhaite savoir quelles mesures concrètes prend l’État partie pour améliorer les conditions de détention et quand ces mesures porteront leurs fruits. En outre, il demande quelles sont les mesures prises pour éliminer la pratique qui consiste à enchaîner les détenus considérés comme susceptibles de s’évader.

70.M.  Pérez Sánchez-Cerro demande quelles sont les réformes prévues pour rétablir la confiance de la population dans les institutions juridiques de l’État partie, ce qui est d’autant plus urgent que les enquêtes pénales annoncées fin 2000 sur les activités de l’ancien Président Habré et ses complices n’ont donné aucun résultat et que les auteurs présumés des atteintes aux droits de l’homme travaillent toujours pour les services de sécurité. Le Comité a reçu des informations indiquant que le manque d’indépendance de l’appareil judiciaire, l’ingérence fréquente des autorités militaires et administratives, le manque de ressources et l’arriéré judiciaire qui en résultait favorisaient l’impunité, même dans les affaires les plus graves. Les commentaires de la délégation sur cette situation seraient les bienvenus. M.Pérez Sánchez-Cerro souhaite également connaître les mesures que l’État partie, qui a eu la franchise de reconnaître que les personnes qui n’honorent pas leurs dettes ou leurs obligations contractuelles sont condamnées à des peines d’emprisonnement, prévoit d’adopter pour veiller au respect de l’article 11 du Pacte.

71.M me  Keller, relevant que les prévenus ne sont pas séparés des condamnés ni les mineurs des adultes dans les prisons locales, demande si cela signifie aussi que les femmes ne sont pas détenues séparément. Il serait utile de connaître le nombre de détenues dans l’État partie et les mesures prises pour les protéger.

72.Sir Nigel Rodley, notant que le seul élément de la réponse écrite de l’État partie à la question 11 de la liste des points à traiter qui porte sur les poursuites judiciaires est la mention de la procédure engagée contre l’ancien Président Habré et des membres de son régime, dit qu’il n’a pas été répondu à la question posée. Or c’est une question importante, notamment parce que des membres des forces de sécurité ont été impliqués dans les actes de torture et les meurtres commis en février 2008, auxquels la question 11 fait référence. Dans ce contexte, Sir Nigel Rodley demande si les informations données par la délégation au sujet du manque de formation et de discipline de l’armée valent aussi pour la garde présidentielle. Dans l’un et l’autre cas, il serait utile de connaître les mesures qui sont prises pour remédier à la situation.

73.M.  Djasnabaille (Tchad) dit que des chefs traditionnels pourront faire partie des futures délégations mais que leurs réponses ne seront peut-être pas utiles, car ils résistent souvent aux changements que le Gouvernement essaie de mettre en place. Il propose que Mme Wedgwood et d’autres membres du Comité se rendent au Tchad pour discuter avec des chefs traditionnels et des femmes, de façon à essayer de mieux comprendre le contexte culturel. Les difficultés auxquelles se heurte le Gouvernement ne concernent pas la législation en elle-même mais plutôt son application, à laquelle une grande partie de la société tchadienne oppose une résistance non négligeable.

74.Le Gouvernement ne prend pas le conflit actuel comme prétexte mais essaie d’expliquer le contexte difficile dans lequel il tente de faire changer les choses. Il s’efforce d’établir la paix et de préparer le terrain pour mettre en œuvre des mesures qui garantiront le respect des droits de l’homme une fois le conflit terminé. Le Ministère des droits de l’homme établira ses prochaines priorités en se fondant sur l’analyse minutieuse des recommandations du Comité. M. Djasnabaille appelle la communauté internationale à assumer ses responsabilités en ce qui concerne la situation au Darfour, en particulier parce que le conflit épuise les ressources du Gouvernement et de l’appareil judiciaire.

75.De nombreux membres de l’appareil judiciaire manquent d’expérience et la corruption règne. Il est toutefois difficile de sanctionner les juges. L’indépendance du système judiciaire peut aussi être compromise par les forces de sécurité. Étant donné que la garde présidentielle est recrutée dans les rangs de l’armée, ses membres ne sont pas mieux formés que ceux de l’armée.

La séance est levée à 13 heures.