NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.248823 janvier 2008

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-onzième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 2488e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le jeudi 18 octobre 2007, à 10 heures

Président: M. RIVAS POSADA

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (suite)

Quatrième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne (suite)

La séance est ouverte à 10 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Quatrième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne(CCPR/C/LBY/4; CCPR/C/Q/LBY/4) (suite)

1.Sur l’invitation du Président, la délégation de la Jamahiriya arabe libyenne reprend place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT invite la délégation à répondre aux questions supplémentaires qui ont été posées à la séance précédente.

3.M. ABUSEIF (Jamahiriya arabe libyenne) dit qu’avant de donner la parole aux membres de la délégation, il souhaiterait appeler l’attention des membres du Comité sur le paragraphe 2 de l’article 71 du Règlement intérieur du Comité, selon lequel «si, de l’avis du Comité, un rapport présenté par un État partie en vertu de l’article 40 du Pacte ne contient pas de renseignements suffisants, le Comité peut demander à cet État de fournir les renseignements supplémentaires requis, en indiquant pour quelle date lesdits renseignements devront être présentés». Pour M. Abuseif, il ressort clairement de ce paragraphe que la demande en question doit être formelle et non formulée de vive voix comme cela a été fait à la séance précédente par certains membres du Comité, de manière totalement inacceptable.

4.M. AL JETLAWI (Jamahiriya arabe libyenne) dit que la charia islamique est pleinement compatible avec les dispositions du Pacte. Pour ce qui est de la dignité de l’être humain, elle va même au-delà puisqu’elle reconnaît des droits au fœtus. En ce qui concerne la peine de mort, la qisas (loi du talion) en limite l’application. En effet, le principal objectif de cette peine n’est pas l’exécution en soi, mais la possibilité d’exercer des représailles publiques ou privées. Pour ce qui est de l’élément privé, il est légitime qu’une personne qui commet un meurtre soit châtiée et, quant à l’élément public, la peine joue un rôle de dissuasion. La diyah (prix du sang) limite également l’application de la peine capitale en ce que les proches de la victime peuvent demander que le condamné ne soit pas exécuté mais verse une fidyah (compensation). C’est ce qui s’est passé dans l’affaire des infirmières bulgares et du médecin palestinien.

5.M. AL MAJDOUB (Jamahiriya arabe libyenne) dit, à propos du statut juridique du Pacte (question no 1), que les dispositions de tout instrument international auquel la Jamahiriya adhère sont incorporées dans le droit interne et peuvent être appliquées directement par les juridictions nationales.

6.La torture est strictement interdite par la législation libyenne. L’article 435 du Code pénal dispose que toute personne occupant une charge publique qui torture ou ordonne de torturer un détenu est passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée de trois à dix ans. Toutes les violations commises ont donné lieu à des enquêtes, des poursuites et des sanctions. Cependant, seul un petit nombre de cas ont été signalés.

7.M. AL JETLAWI (Jamahiriya arabe libyenne) fait remarquer combien il est difficile de s’entendre au niveau international sur une définition du terrorisme et, partant, d’élaborer un instrument dans ce domaine et souligne qu’il en va de même pour la Jamahiriya. Il existe toutefois un certain nombre de lois qui sanctionnent les actes terroristes, comme la loi no7 de 1981 relative à la possession d’armes à feu et d’explosifs et la loi no13 de 1993 relative au vol à main armée.

8.M. ABUSEIF (Jamahiriya arabe libyenne), abordant la question de la condition des femmes, dit que les Libyennes sont libres et émancipées, que beaucoup d’entre elles travaillent et que toutes peuvent se déplacer sans être obligatoirement accompagnées d’un homme, contrairement à ce qui a été affirmé.

9.Le PRÉSIDENT remercie la délégation libyenne et invite les membres du Comité à poser des questions complémentaires.

10.Sir Nigel RODLEY, présentant une motion d’ordre, dit qu’il tient à répondre au chef de la délégation libyenne à propos du point de procédure que celui‑ci a soulevé. Outre l’article 71, paragraphe 2, du Règlement intérieur du Comité que M. Abuseif a cité, il faut rappeler aussi l’article 66, paragraphe 4, qui dispose que «le Comité peut, par l’intermédiaire du Secrétaire général, informer les États parties de ses souhaits concernant la forme et la teneur des rapports qui doivent être soumis en vertu de l’article 40 du Pacte». Les attentes du Comité à ce propos sont clairement exprimées dans les directives concernant les rapports présentés par les États parties, et le quatrième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne n’est pas du tout conforme aux directives en question. Il n’y a pas lieu d’attendre la fin du débat pour appeler l’attention de l’État partie sur ce fait.

11.M. IWASAWA fait observer que la mission du Comité est principalement d’aider les États parties à mettre en œuvre les dispositions du Pacte et que l’échange de vues qui a lieu pendant l’examen du rapport périodique est généralement considéré par les délégations comme l’occasion d’engager un dialogue constructif. Dans le cadre de ce dialogue, les membres du Comité peuvent être amenés à poser des questions et à demander un complément d’information, sans devoir nécessairement accepter toutes les explications fournies par la délégation. Cela ne va nullement à l’encontre de l’article 71 du Règlement intérieur du Comité.

12.Enfin, lorsqu’elle a répondu à certains membres du Comité à propos des amputations pratiquées sur des auteurs de vol, la délégation libyenne a qualifié les actes incriminés de «terroristes», mais quelle que soit la gravité de l’infraction commise, l’amputation n’est pas conforme aux dispositions du Pacte.

13.M. O’FLAHERTY s’associe aux remarques des autres membres concernant les méthodes de travail du Comité et ajoute qu’il aurait été extrêmement utile que les renseignements fournis par la délégation en réponse aux questions posées à la séance précédente figurent dans le quatrième rapport périodique ou dans les réponses écrites. Pour ce qui est de la question du terrorisme, l’emploi que l’État partie fait de ce terme est sérieusement préoccupant. Il est vrai qu’il n’existe pas de définition du terrorisme unanimement reconnue sur le plan international, mais aucune des définitions existantes ne permettrait de qualifier de «terroristes» des infractions telles que le vol à main armée. De surcroît, l’absence de consensus international sur une définition du terrorisme ne dispense pas l’État partie d’élaborer, au niveau national, une définition du terrorisme qui soit conforme aux normes internationales relatives aux droits de l’homme. À cette fin, il pourrait par exemple s’inspirer des propos du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, qui parle d’«actes visés par différents instruments internationaux commis dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves (ou être une prise d’otage) et [ayant] pour objet de semer la terreur, d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou s’abstenir de le faire» (E/CN.4/2006/98, par. 38). À ce propos, M. O’Flaherty attend toujours une réponse à sa question concernant l’état d’avancement du projet de code pénal, notamment les éléments du texte relatifs au terrorisme. Il souhaiterait également que la délégation commente les propos tenus en 2002 par le chef d’État libyen, qui a affirmé que les adultes coupables de terrorisme ne bénéficiaient pas des services d’un avocat et que leurs droits fondamentaux n’étaient pas garantis.

14.Mme WEDGWOOD dit que le débat qui a lieu pendant l’examen des rapports périodiques présentés par les États parties devrait être considéré par ces derniers comme une occasion de progresser dans la mise en œuvre du Pacte en portant un regard critique sur leurs réalisations. Par exemple il serait utile, non seulement pour les membres du Comité mais aussi pour la Jamahiriya arabe libyenne, de dresser un bilan plus complet des mesures prises contre la torture (nombre d’enquêtes menées, de poursuites engagées, de jugements prononcés…). La délégation libyenne ne doit pas se sentir offensée lorsque ce type d’information lui est demandé, car les mêmes questions sont posées aux autres États parties.

15.Mme CHANET dit qu’elle s’étonne de l’angle sous lequel la délégation libyenne a interprété le Règlement intérieur du Comité. La possibilité d’apporter des éléments d’information supplémentaires, précisément oralement, pendant l’examen du rapport périodique, est souvent appréciée par les délégations vu qu’elle évite parfois au Comité de formuler des considérations désagréables dans ses observations finales, qui sont rendues publiques et font l’objet d’une conférence de presse à la fin de la session. Dans cet esprit, Mme Chanet ajoute qu’elle attend toujours une réponse explicite à sa question concernant le document qu’auraient signé les infirmières bulgares pour renoncer à leur droit de recours.

16.M. AMOR tient à ce qu’il soit pris note de ce que, pour la Jamahiriya arabe libyenne, la charia islamique n’est nullement contraire aux dispositions du Pacte et demande à la délégation d’expliquer comment la discrimination à l’égard des femmes dans certains domaines ou la pratique de châtiments corporels tels que l’amputation, pour ne citer que deux exemples, peuvent être conciliés avec les principes énoncés dans cet instrument.

17.M. LALLAH reprend à son compte les questions posées par d’autres membres du Comité sur le terrorisme. Il souhaiterait des renseignements précis concernant les règles de procédure applicables aux personnes soupçonnées d’actes terroristes et demande si ces personnes ont toujours droit à un procès. Il s’associe aux remarques de ses collègues à propos de l’attitude de la délégation libyenne et regrette que celle‑ci ait émis une objection de procédure aux questions posées par le Comité; ces questions auraient probablement été moins nombreuses si l’État partie avait présenté un rapport conforme à ses obligations en vertu du Pacte.

18.Le PRÉSIDENT invite la délégation libyenne à commenter les interventions des membres du Comité avant de répondre à la suite des questions.

19.M. ABUSEIF (Jamahiriya arabe libyenne) remercie les membres du Comité de leurs observations et reconnaît qu’un esprit de dialogue est indispensable à tout progrès.

20.M. AL JETLAWI (Jamahiriya arabe libyenne) précise que la délégation libyenne ne voit aucun inconvénient à ce qu’on lui pose des questions. Ce qui l’a offensée, c’est le parti pris que traduisaient plusieurs interventions de membres du Comité; ainsi, affirmer que l’État partie ne s’est pas acquitté de ses obligations n’est pas une question mais un jugement.

21.Contrairement à ce qu’a dit un des membres du Comité, les châtiments corporels tels que l’amputation ne sont pas appliqués aux auteurs de vol à main armée, mais aux personnes qui constituent des bandes armées dans le but de s’approprier le bien d’autrui sous la menace ou par la force, en allant parfois jusqu’au meurtre. Les actes visés sont souvent commis dans des zones isolées ou dans le désert, par des bandits de grand chemin qui profitent de la vulnérabilité de leurs victimes. Ils ne sont pas comparables à de simples vols à l’étalage ou à des vols de voitures, qui sont passibles uniquement de peines de prison.

22.Mme WEDGWOOD dit que l’époque où l’application de châtiments corporels tels que l’amputation pouvait être considérée comme nécessaire est révolue. Un État moderne et riche comme la Libye a d’autres moyens de faire respecter la loi et de punir les contrevenants, par exemple en les incarcérant.

23.M. KHALIL regrette que la délégation n’ait pas fourni les statistiques demandées sur les cas d’exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires (question no 10) et qu’elle n’ait pas non plus répondu à la question relative à la manière dont l’État supervise le traitement des personnes incarcérées, en particulier en cas de présomption d’actes de torture ou de mauvais traitements. Le Comité avait déjà soulevé ces questions dans ses observations finales relatives à l’examen du troisième rapport périodique de la Jamahiriya arabe libyenne (CCPR/C/79/Add.101) et espère donc qu’il y sera répondu dans le cadre du dialogue avec la délégation ou ultérieurement par écrit, ou que les raisons empêchant l’État partie d’apporter les informations demandées lui seront expliquées.

24.Sir Nigel RODLEY dit que le rapport soumis par l’État partie n’est pas conforme aux directives et qu’il s’agit d’un fait et non d’un jugement. Il est tout aussi vrai que la délégation a donné oralement des réponses très utiles, notamment sur la définition de la notion de «haraba» (vol à main armée), qui semble viser les actes de banditisme perpétrés dans des régions isolées. Faut‑il en conclure que les actes similaires commis en zone urbaine ne sont pas punis par l’amputation? La position du Comité concernant les châtiments corporels est claire: les châtiments corporels, a fortiori lorsqu’ils prennent la forme de pratiques extrêmes telles que l’amputation, sont contraires à l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui interdit la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, quelle que soit la nature de l’infraction qu’ils sont censés sanctionner.

25.Le PRÉSIDENT demande à la délégation si elle est en mesure de répondre aux questions des membres du Comité avant de répondre aux questions nos 15 à 27 de la liste des points à traiter.

26.M. ABUSEIF (Jamahiriya arabe libyenne) dit que les statistiques auxquelles le Rapporteur a fait référence et qui n’ont pas été données dans les réponses écrites seront communiquées à très bref délai au Comité. Répondant aux questions de la liste des points à traiter, il indique que le Code de procédure pénale énonce toutes les garanties nécessaires pour protéger les prévenus contre les détentions arbitraires. En outre, l’article 7 de la Grande Charte verte des droits de l’homme qualifie la liberté individuelle de tous les citoyens de sacrée et prévoit que ne peuvent être privées de liberté que les personnes qui représentent une menace pour autrui. Ces principes sont confirmés par l’article 14 de la loi n° 20 relative à la promotion de la liberté. Les dispositions qui régissent la détention avant jugement offrent les garanties nécessaires pour éviter tout abus d’autorité de la part des membres des forces de police. En outre, en vertu de la loi no 5 de 2005 sur les établissements pénitentiaires, il ne peut être recouru à l’isolement cellulaire que dans les limites prévues par la loi et en application d’une décision judiciaire.

27.Tout prévenu est libre de solliciter les services de l’avocat de son choix. Les personnes trop pauvres pour se faire représenter par un avocat privé bénéficient de l’aide juridictionnelle, y compris dans les affaires pénales. Le suivi médical des détenus est prescrit par la loi no 5 de 2005 sur les établissements pénitentiaires.

28.La délégation n’est pas à même de donner des renseignements en réponse à la question no 17 relative aux mesures prises pour abroger la loi promulguée en 1997 sous le nom de «Charte d’honneur». Elle peut toutefois signaler qu’une commission a été établie pour réexaminer la législation et éventuellement proposer des amendements. Le projet de code pénal n’a pas encore été adopté. Quant au nouveau code de procédure pénale évoqué par le Comité, aucun projet n’est à l’étude.

29.L’Inspection judiciaire se compose de magistrats de haut rang qui ont une grande expérience et offrent toutes les garanties de probité requises. Elle est présidée par le Président de la Cour suprême. Elle a pour mandat d’évaluer le comportement professionnel de tous les membres du corps judiciaire et de vérifier qu’il est respectueux de la loi. Toutefois, elle ne peut pas influer sur les décisions rendues par les magistrats dans l’exercice de leurs fonctions. L’indépendance du pouvoir judiciaire est garantie par le fait que ses membres ne sont subordonnés à aucune autorité dans l’exercice de leurs fonctions et qu’ils sont inamovibles. Ils peuvent toutefois être relevés de leurs fonctions à l’issue d’une procédure disciplinaire dans les cas et selon les modalités définis par la loi sur la magistrature.

30.Le Conseil suprême de la magistrature a adopté en août 2007 une décision portant création des tribunaux et parquets spéciaux de Tripoli. Chacun de ces tribunaux et de ces parquets est compétent dans un domaine particulier, par exemple la lutte contre les stupéfiants ou les délits économiques, et tous appliquent le Code de procédure pénale et le Code pénal. En ce qui concerne le Tribunal populaire, toutes ses décisions ont été rendues conformément à la loi et dans le respect de toutes les garanties d’un procès équitable.

31.En vertu de l’article 8 de la loi no 20 sur la promotion de la liberté, tout citoyen a le droit d’exprimer librement son opinion au sein des congrès populaires et dans les médias, à condition que ce droit ne soit pas exercé en violation des droits d’autrui, par exemple à des fins diffamatoires.

32.En ce qui concerne la remise en liberté des personnes détenues sous l’accusation d’atteinte à l’État (question n° 22), des statistiques sur le nombre d’amnisties qui ont été prononcées depuis 2006 pourront être apportées ultérieurement. Le processus de révision de la loi sur les publications no 76 de 1972 (question no 23) est toujours en cours.

33.La loi no19 relative à la création d’associations est actuellement examinée en vue d’apporter les modifications nécessaires pour renforcer la liberté d’association. Il est inexact qu’une demande d’enregistrement émanant d’une structure collective qui a été rejetée par la juridiction administrative compétente n’est pas susceptible d’appel. La loi sur la justice administrative prévoit expressément la possibilité d’exercer un recours en pareil cas.

34.La législation, notamment la loi sur la protection de l’enfance, la loi sur la protection sociale et la loi sur l’état civil, assure la même protection à tous les enfants sans exception, qu’ils soient nés hors mariage ou dans le mariage.

35.Le PRÉSIDENT remercie la délégation libyenne de ses réponses et invite les membres du Comité à formuler des remarques ou des questions complémentaires.

36.M. SHEARER remercie la délégation des précisions apportées sur l’affaire Loubna El Ghar c. Jamahiriya arable libyenne. Il regrette toutefois qu’aucune information complémentaire n’ait été donnée sur le sort de M. El‑Megreisi, emprisonné en 1990 et dont la famille est sans nouvelles depuis 1992. À défaut de disposer d’éléments nouveaux concernant la situation de M. El‑Megreisi, la délégation est sans doute en mesure d’indiquer si des enquêtes ont été ouvertes et si d’autres mesures ont été prises pour faire la lumière sur cette affaire. Ces informations pourront être communiquées au Comité ultérieurement, par écrit.

37.La durée de la détention avant jugement n’est pas réglementée de la même façon selon les textes. La loi no 20 sur la promotion de la liberté ne donne aucune indication concernant la durée de la détention avant jugement, si ce n’est qu’elle doit correspondre à la durée minimale nécessaire pour mener l’enquête et recueillir des preuves; le Code de procédure pénale prévoit que le suspect doit être conduit dans les quarante‑huit heures suivant son arrestation devant le représentant du ministère public, lequel ordonne sa libération ou son placement en détention provisoire dans un délai de vingt‑quatre heures; enfin la loi relative aux stupéfiants et aux substances psychotropes fixe à trente jours la durée maximale de la détention avant jugement. Des précisions sur la pratique dans le domaine de la détention provisoire seraient donc bienvenues. L’article 9, paragraphe 3), du Pacte dispose que tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale doit être traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Il faudrait par conséquent avoir la certitude que le représentant du ministère public devant lequel est présenté le suspect en vue de sa libération ou de son placement en détention provisoire est bien habilité à exercer des fonctions judiciaires et s’en acquitte en toute indépendance.

38.La délégation n’a pas exposé en détail la teneur des dispositions législatives régissant la détention au secret. Des informations complémentaires sur ce sujet seraient utiles. D’après certaines organisations non gouvernementales, 258 personnes seraient actuellement détenues au secret dans l’État partie et cette pratique serait essentiellement le fait de l’agence nationale de sécurité. La délégation voudra peut-être commenter ces allégations. Deux affaires en particulier ont été portées à l’attention du Comité. Dans la première, l’intéressé a été arrêté en 1997 et il est resté au secret jusqu’en 2003, année où il a été jugé et condamné à la réclusion à perpétuité pour avoir soutenu une organisation interdite. Le Comité serait intéressé de connaître les conditions dans lesquelles il effectue sa peine. La deuxième affaire concerne la détention depuis 2004 d’un dissident politique dans un lieu tenu secret. Toute précision que la délégation pourra apporter sur la situation actuelle de cette personne serait appréciée.

39.À propos de la liberté d’association, il convient de rappeler que les seules restrictions permises à l’exercice de ce droit sont celles énoncées au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Par conséquent, l’État partie ne peut interdire une association sans justifier cette décision. Le Comité se félicite qu’une révision de la loi no 73 de 2002 ait été entreprise en vue d’offrir un mécanisme d’appel aux associations dont l’enregistrement a été refusé et prie l’État partie de le tenir informé de l’évolution de cette initiative.

40.M. O’FLAHERTY constate que, contrairement à ce que l’État partie a déclaré au Conseil de sécurité, le nouveau code pénal n’a pas été adopté. En outre, selon certaines informations, des personnes arrêtées en Afghanistan ont été livrées aux autorités libyennes, qui les ont placées en détention. La délégation est invitée à confirmer si cela est exact, et, dans l’affirmative, à préciser comment sont respectés les droits de ces détenus.

41.En ce qui concerne la «Charte d’honneur» de 1997, il serait utile de savoir si l’État partie entend suspendre l’application de cette loi pendant sa révision, et si l’objectif est de la modifier, voire de l’abroger comme le Comité l’avait recommandé en 1998 déjà. L’État partie n’a pas donné d’informations sur les châtiments collectifs éventuellement imposés depuis 1997; or il semble que ce genre de mesures soient fréquentes, notamment à Ben Walid, près de Tripoli.

42.Le problème qui se pose à propos de la liberté d’expression est le même que celui évoqué par M. Shearer au sujet de la liberté d’association: l’État partie est invité à expliquer comment les dispositions qui restreignent très largement l’exercice de ces droits (lois nos 76 et 71 de 1972, art. 206 et 208 du Code pénal) peuvent être considérées comme compatibles avec le Pacte. Il y a lieu de se féliciter de ce que toute discrimination à l’égard des enfants nés hors mariage a été supprimée dans la législation. Il voudrait cependant savoir ce qu’il en est dans la pratique, et si l’État partie prévoit de mener des campagnes de sensibilisation pour faire changer les mentalités sur ce point. Selon certaines informations, le jour de la rentrée scolaire, des enfants nés de Libyennes mariées à des étrangers ont été renvoyés chez eux en application d’une décision émanant du Ministère de l’éducation. Il semble également que les enfants berbères (amazighs) soient traités différemment des autres. La délégation est invitée à donner des explications à ce sujet.

43.M. KHALIL s’interroge lui aussi sur les raisons du retard dans l’adoption des nouveaux code pénal et code de procédure pénale. Il se félicite que l’État partie ait donné des informations détaillées sur le mandat de l’Inspection judiciaire, car l’indépendance de la magistrature est une question essentielle. Il salue également la suppression des tribunaux populaires, mais regrette que la délégation n’ait pas indiqué combien de personnes condamnées par ces juridictions se trouvaient encore en détention. En outre, certaines ONG donnent à entendre que les tribunaux populaires ont en fait été remplacés par les tribunaux spéciaux instaurés par la loi no 6 de 2006. Il est encourageant que les personnes accusées d’atteintes à la sécurité de l’État aient maintenant accès à un mécanisme de recours, mais des doutes persistent quant au respect, par ces juridictions d’appel, des garanties prévues à l’article 14 du Pacte.

44.Le Comité a appris par les médias que le colonel Kadhafi avait créé un comité chargé de la libération des prisonniers politiques. Il serait utile d’avoir des précisions, en particulier de connaître les critères appliqués pour décider des libérations. Des informations seraient également bienvenues sur la révision de la loi no 76 de 1972 (loi sur les publications), qui est apparemment en cours depuis de nombreuses années. Enfin, le Comité regrette qu’aucune information n’ait été apportée sur la diffusion du Pacte. Il note avec satisfaction que la Jamahiriya arabe libyenne a adhéré à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et aux Protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l’enfant, mais se demande ce qui est fait pour informer les agents de l’État et le public sur ces instruments, en particulier sur les droits et les obligations qu’ils contiennent, ainsi que sur les observations finales du Comité. Il serait donc utile de savoir s’il existe un organisme chargé de cette mission de diffusion, si des campagnes de sensibilisation et des formations sont prévues, et si les ONG − notamment celles dont les activités sont décrites aux paragraphes 33 et 34 du rapport − jouent un rôle dans ce domaine.

45.Mme WEDGWOOD souhaite avoir des explications sur des mesures qui viseraient la minorité amazigh. D’après certaines informations, la pratique qui consiste à refuser la scolarisation des enfants qui portent un nom amazigh − et n’ont pas pris un nom arabe − persiste, malgré l’adoption d’un décret l’interdisant expressément. Les Amazighs n’auraient pas le droit d’utiliser leur langue, le tamazigh, en public, en particulier à la télévision ou à la radio. De jeunes musiciens auraient été menacés d’arrestation pour avoir chanté en tamazigh. Les associations visant à promouvoir ou à perpétuer la culture amazigh seraient également interdites. Enfin, l’ibadisme, un courant de l’islam, est interdit, ce qui est contraire à la liberté de religion.

46.Sir Nigel RODLEY demande quels tribunaux autres que les juridictions ordinaires existent dans l’État partie – tribunaux spéciaux, spécialisés, ad hoc, etc. − et quelles sont les lois qui les réglementent. Des précisions sur leur composition seraient également utiles, ainsi que sur les voies de recours. L’État partie a affirmé qu’il était inutile de prévoir le réexamen des décisions des tribunaux populaires car elles étaient rendues dans le respect de toutes les garanties requises, mais l’on peut se demander alors pourquoi ces tribunaux ont été supprimés − même si c’est là une mesure bienvenue. Il serait aussi intéressant de savoir par exemple quelle sorte de tribunal spécial s’est occupé du meurtre du journaliste Daif al‑Ghazal ou de l’affaire concernant Idriss Boufayed et ses 11 coaccusés.

47.Le PRÉSIDENT dit que le Comité va faire une courte pause pour permettre à la délégation de préparer ses réponses aux questions du Comité.

La séance est suspendue à 12 h 10; elle est reprise à 12 h 30.

48.M. AL JETLAWI (Jamahiriya arabe libyenne) dit qu’il importe de rectifier une erreur de traduction; l’expression «tribunaux spéciaux» a été employée alors qu’il s’agit de «tribunaux spécialisés». Les tribunaux spéciaux sont des tribunaux d’exception, mis en place pour des cas d’urgence, alors que les tribunaux spécialisés connaissent de certaines matières spécifiques, par exemple des accidents de la route, du trafic de drogues ou des questions agricoles. Ils permettent d’alléger le travail des tribunaux ordinaires.

49.Les enfants nés hors mariage ne font en aucun cas l’objet de discriminations. Ils sont protégés par l’État, qui continue à prendre soin d’eux même après leur majorité, en leur apportant une aide financière et morale. Conformément à la loi, l’État prend en charge les personnes qui ne peuvent pas s’appuyer sur leur famille, et les enfants illégitimes ne font pas exception. Des foyers spéciaux s’occupent d’eux. Ils sont dûment enregistrés à l’état civil et, comme tous les autres enfants, ils ont des papiers d’identité et un patronyme. Il existe d’ailleurs une loi à ce sujet, ce qui montre qu’il n’y a pas de discrimination. Il est également faux d’affirmer que des enfants, notamment amazighs, ne seraient pas acceptés dans les écoles. Tous les citoyens libyens ont le droit à l’éducation gratuite aux niveaux primaire, secondaire et universitaire. Concernant l’affaire al ‑Ghazal, dont les médias se sont faits l’écho, il s’agit d’une affaire pénale dans laquelle les accusés ont été dûment entendus par un tribunal, qui a rendu un jugement. La «Charte d’honneur» a effectivement été mise en place mais elle n’a jamais été appliquée et fait l’objet d’un moratoire de facto.

50.M. DERBI (Jamahiriya arabe libyenne) dit que la loi établit une distinction entre syndicats et associations professionnelles. La création de syndicats est autorisée par la loi no 23 de 1998 et leurs activités sont régies par la loi no 58 du Code du travail de 1970 dont les dispositions sont conformes aux normes internationales du travail, notamment à la Convention no 98 de l’OIT concernant l’application des principes du droit d’organisation et de négociation collective. Cependant, comme des lacunes avaient été relevées dans le premier chapitre, une loi séparée consacrée aux syndicats a été élaborée et le chapitre en question a été abrogé. Suite à la ratification de différentes conventions de l’OIT et de l’Organisation arabe du travail (OAT), cette loi a été abrogée et remplacée par un texte qui ne comporte plus aucune disposition restreignant la liberté d’association ou la liberté syndicale. Au contraire, l’article 2 de la nouvelle loi prévoit que les personnes qui travaillent dans le même secteur ou dans des secteurs voisins ont le droit de se constituer en syndicat et que les différents syndicats peuvent à leur tour créer des organisations intersyndicales. La nouvelle loi sur les syndicats établit les règles générales de leur organisation administrative et financière. L’enregistrement des syndicats n’est soumis à aucune restriction: il suffit de présenter un dossier au registre syndical, qui vérifie ensuite qu’un certain nombre de critères sont bien remplis, tels que le nombre de membres. Il convient de rappeler que, conformément à la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi, les membres de l’OIT ont l’obligation, du seul fait de leur appartenance à cette organisation, de respecter les droits fondamentaux qui sont l’objet des conventions de l’OIT relatives à la liberté d’association et à la reconnaissance effective du droit de négociation collective, l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire, l’abolition effective du travail des enfants et l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession. Étant donné que la Jamahiriya a ratifié les conventions en question, elle a entrepris de réviser son Code du travail afin de le rendre conforme aux dispositions qu’elles contiennent, notamment celles qui portent sur la protection des mères. La révision devrait être achevée d’ici à la fin 2007, étant donné qu’un projet de loi a déjà été présenté aux comités populaires. Il faut aussi mentionner à ce propos la Grande Charte verte des droits de l’homme à l’ère des masses, qui prévoit également la création de syndicats. La législation garantit donc bien la liberté d’association. Néanmoins, suite à certaines observations de l’OIT, la procédure de mise en œuvre de cette législation est actuellement réexaminée. En outre, la loi no 19 relative à la création d’associations est réexaminée afin de garantir sa conformité avec les instruments internationaux auxquels l’État est partie.

51.Mme MARKUS (Jamahiriya arabe libyenne) rappelle que le système politique du pays est fondé sur la démocratie directe. Chaque citoyen a la possibilité d’agir directement sur les affaires du pays par le biais de quelque 370 comités populaires et il peut exprimer son avis publiquement tant au sein des comités que dans la presse ou par tout autre moyen, conformément à la loi sur la liberté d’expression (art. 8) et à la loi sur la consolidation de la liberté, pour autant que son discours ne porte pas atteinte aux principes de la démocratie. La presse et les médias bénéficient de la même liberté d’expression, conformément à l’article premier de la loi de 1972 sur les publications. Dans la pratique, la presse arabe et la presse internationale sont disponibles sans restriction aucune, Internet est accessible dans des lieux aussi bien publics que privés et la Jamahiriya arabe libyenne est l’un des pays qui compte le plus d’antennes paraboliques au monde.

52.M. AL MAJDOUB (Jamahiriya arabe libyenne) dit que, conformément au Code de procédure pénale, le délai autorisé pour la garde à vue d’un suspect est de quarante‑huit heures. L’officier judiciaire doit déférer le suspect devant un représentant du ministère public dans ce délai et celui-ci doit rendre une décision dans les vingt‑quatre heures. Il peut décider soit d’une détention provisoire de six jours, soit d’une libération immédiate. Si l’enquête l’exige, une prorogation de la détention est possible sur décision du ministère public, pour une durée maximale de trente jours. Une nouvelle prolongation est possible sur décision d’une cour d’appel composée de trois juges qui examinent le dossier avec le prévenu et son avocat. Dans les affaires relatives aux stupéfiants, étant donné la gravité des infractions et la complexité des enquêtes, le délai pour déférer le suspect devant un représentant du ministère public est porté à sept jours et la détention provisoire peut également être prolongée jusqu’à trente jours. Enfin, sur la question de la détention, la délégation réfute formellement l’allégation selon laquelle 285 personnes seraient détenues au secret, ou à l’isolement, dans le pays.

53.M. O’FLAHERTY rappelle qu’il est important que les États parties veillent à ce que le Pacte soit respecté non seulement dans leur législation, mais également dans la pratique. Si des mesures positives sont prises en faveur des enfants illégitimes, il semble que, dans les faits, ceux-ci soient grandement défavorisés. Il serait donc utile de connaître les programmes sociaux de l’État partie qui permettent de lutter contre les préjugés. Il y a lieu de se féliciter de ce que la «Charte d’honneur» ait été suspendue, mais il souhaiterait avoir de plus amples renseignements sur les répercussions que son application aurait entraînées à Ben Walid, au sud de Tripoli. Enfin, il signale qu’il n’a pas reçu de réponse à sa question sur les enfants issus de couple dans lequel un seul parent est Libyen et qui n’ont pas accès à l’éducation.

54.Sir Nigel RODLEY remercie la délégation libyenne de ses précisions à propos des tribunaux. Il souhaiterait recevoir la liste complète des tribunaux spécialisés assortie de détails, notamment sur la législation qui en porte création et les modalités de la nomination des juges. Si des tribunaux spéciaux existent ou ont existé, il faudrait connaître les raisons qui ont justifié leur mise en place, les infractions qui y sont jugées, la législation qui en porte création, leur composition et la procédure de nomination des juges. Il prend note du fait que l’affaire al ‑Ghazal était une affaire pénale ordinaire, mais il souhaiterait avoir des précisions sur le tribunal qui a jugé cette affaire, ainsi que sur la juridiction qui a été saisie de l’affaire Boufayed.

55.Mme WEDGWOOD souligne que le fait que les enfants amazighs puissent être scolarisés s’ils prennent un nom arabe ne peut pas justifier leur exclusion s’ils conservent leur nom berbère. La délégation libyenne ne semble pas remettre en question l’interdiction dans le pays des noms berbères, des émissions en berbère et des organisations berbères. L’État partie voudra peut-être revoir cette question et apporter de plus amples informations sur ce sujet.

56.M. AL JETLAWI (Jamahiriya arabe libyenne) dit qu’il n’est pas certain de comprendre les questions posées au sujet des enfants illégitimes. Il faut savoir que leur famille s’occupe d’eux dès leur naissance et qu’ils bénéficient d’une protection. En ce qui concerne les tribunaux, il n’existe que des tribunaux spécialisés; il n’y a pas de tribunal spécial. C’est le tribunal pénal de Ben Ghazi, un tribunal ordinaire, qui a jugé les affaires al ‑Ghaza et Boufayed. Pour ce qui est de l’amputation dans les cas de «haraba», cette peine n’est pas appliquée si le défendeur montre qu’il se repent et qu’il a des remords.

57.Le PRÉSIDENT remercie la délégation de ses réponses. Il rappelle que l’État partie s’est engagé à faire tenir des informations complémentaires par écrit d’ici au 23 octobre 2007, de façon que le Comité puisse les prendre en compte dans ses observations finales. Il convient de dissiper tout malentendu concernant l’application par le Comité de son règlement. S’il estime que les réponses qu’il a reçues n’étaient pas claires, le Comité a le devoir de le signaler sans que cela ne soit perçu comme un jugement ou un parti pris. Le Comité des droits de l’homme est un organe de coopération international, chargé de déterminer si les États honorent leurs obligations tant en droit qu’en pratique. Les déficiences constatées par le Comité restent un sujet de préoccupation et il faut espérer que le dialogue avec l’État partie ira en progressant, et sera fondé sur le principe de la coopération et de la confiance.

58.M. ABUSEIF (Jamahiriya arabe libyenne) dit que les débats qui ont eu lieu sont importants puisqu’ils ont permis de clarifier certaines ambiguïtés et d’améliorer la compréhension entre le Comité et la délégation. Celle-ci lui fera parvenir ses réponses par écrit, accompagnées de statistiques.

59. La délégation de la Jamahiriya arabe libyenne se retire.

La séance est levée à 13 h 15.

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