Quatre-vingt-troisième session

Compte rendu analytique de la 2261e séance

Tenue au Siège, à New York, le jeudi 17 mars 2005, à 15 heures

Président :Mme Chanetpuis :M. Glele Ahanhanzo

puis :Mme Chanet

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte et des situations de pays (suite)

Quatrième rapport périodique de Maurice

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte et des situations de pays (suite)

Quatrième rapport périodique de Maurice (CCPR/C/83/L/MUS et CCPR/MUS/2004/4)

À l’invitation de la Présidente, la délégation mauricienne prend place à la table du Comité.

M. Leung Shing (Maurice) retrace l’histoire de Maurice depuis son accession à l’indépendance, soulignant la détermination du Gouvernement de promouvoir l’état de droit et de dispenser une aide sociale aux nécessiteux, en dépit des aléas d’une économie vulnérable.

Le Gouvernement mauricien a introduit plusieurs réformes depuis la remise de son quatrième rapport périodique (CCPR/C/MUS/2004/4) au Comité, en mai 2004. En vue d’éliminer la pauvreté et l’illettrisme, des cours de formation préprofessionnelle sont dispensés dans tous les établissements secondaires, et l’emploi de la langue maternelle des élèves, à savoir le créole, est autorisé dans les établissements primaires, afin d’intégrer d’avantage d’enfants au système éducatif.

Le Bureau de l’Ombudsperson pour enfants, créé pour promouvoir et protéger les droits de l’homme, a publié son premier rapport annuel qui sera transmis au Comité ultérieurement, et un projet de loi, actuellement à l’examen au Parlement, vise à étendre ses pouvoirs.

La loi sur la protection contre la violence dans la famille a été modifiée afin de s’appliquer à toutes les personnes qui vivent sous un même toit, outre les conjoints et les enfants. De même, le Gouvernement présentera au Parlement un projet de loi visant à mieux garantir la protection et le bien-être des personnes âgées, tant par l’entremise des tribunaux qu’en imposant des obligations aux institutions concernées. Des installations supplémentaires et davantage de possibilités d’acquisition de revenus sont offertes aux personnes âgées.

La Commission de réforme des lois a été restructurée et elle a établi un rapport final sur la création éventuelle d’un tribunal de la famille. Il est envisage de créer une commission de l’égalité des chances afin de faire disparaître les inégalités qui subsistent entre les sexes.

Le Gouvernement est tout acquis à la promotion des droits des femmes, dans le secteur tant public que privé. Le nombre de femmes occupant des postes de haut niveau a augmenté, notamment dans le secteur public. Toutefois, il reste beaucoup à faire et seule l’éducation permettra de réaliser des progrès.

Des élections générales ont été régulièrement tenues, conformément à la Constitution mauricienne, et la législation proposée prévoira la présence d’observateurs électoraux internationaux.

La loi sur la prévention du terrorisme comporte des garanties visant à protéger les droits constitutionnels des personnes. Ses dispositions n’enlèvent pas leurs pouvoirs aux tribunaux. Depuis son adoption trois ans auparavant, nul n’a été arrêté ni poursuivi en vertu de ses dispositions.

La loi sur la protection des données vise à protéger le droit de chacun au respect de la vie privée, dans le contexte des techniques nouvelles de collecte, de traitement et de stockage des données.

La Cour suprême de Maurice applique la Constitution pour ce qui est de la séparation des pouvoirs et accorde des réparations aux parties lésées conformément à ce principe, ainsi qu’il ressort de deux décisions, rendues récemment dans deux affaires concernant l’une l’admission à titre préférentiel dans des établissements scolaires catholiques et l’autre la mise en liberté sous caution de personnes accusées d’infraction à la législation sur les stupéfiants. Dans la seconde affaire, le Gouvernement prévoit de faire appel de la décision rendue devant le Conseil privé, lequel a confirmé l’arrêt de la Cour dans la première affaire.

La Présidente invite la délégation à répondre aux questions 1 à 16 de la liste des points à traiter (CCPR/C/83/L/MUS).

Cadre constitutionnel et juridique de l’application du Pacte et du Protocole facultatif (art. 2 du Pacte)

M. Boolell (Maurice), se référant à la question 1, dit qu’il n’a pas été jugé nécessaire de prendre des mesures particulières pour permettre aux particuliers de faire valoir les droits garantis par le Pacte, étant donné que l’article 17 de la Constitution impose le respect des droits de l’homme et que la Cour suprême peut statuer sur toute violation de ces droits. De surcroît, la Commission nationale des droits de l’homme peut enquêter sur les allégations de violation et renvoyer les affaires qui lui sont soumises aux organes compétents.

Le représentant de l’État partie évoque également les affaires F. Fatmabee c. The State et Babeea c. The Queen, dans lesquelles les tribunaux ont tenu compte dans leurs décisions du paragraphe 3 d) de l’article 14 et du paragraphe 3 a) de l’article 14 du Pacte, respectivement. Dans la première affaire, le tribunal a estimé que la disposition du Pacte visée, s’agissant de l’octroi d’une aide juridictionnelle dans les affaires de condamnation à mort ne s’appliquait pas, étant donné que le requérant avait décidé de son plein gré de ne pas être représenté par un avocat. Dans la seconde affaire, il a estimé que la disposition du Pacte visée, s’agissant du droit du prévenu d’être informé des motifs de l’accusation portée contre lui s’appliquait mais qu’elle était couverte par l’article pertinent de la Constitution.

Se référant à la question 2, le représentant de l’État partie dit que, outre les fonctions énumérées au paragraphe 3 du rapport, la Commission nationale des droits de l’homme est habilitée à recevoir des plaintes contre des membres de la police et à enquêter à leur sujet et peut examiner les facteurs qui entravent l’exercice des droits de l’homme par tous à Maurice. Si une enquête établit qu’il y a eu violation des droits de l’homme ou que rien n’a été fait pour prévenir une telle violation, la question est renvoyée soit au Directeur des poursuites publiques soit au service, à la Commission ou à l’organe public compétents, pour prendre des mesures disciplinaires. La Commission peut aussi recommander l’octroi d’une réparation au requérant et informer ces derniers des mesures prises.

En outre, de nombreux ateliers ont été organisés pour sensibiliser le public aux questions ayant trait aux droits de l’homme et aux obligations qui incombent à Maurice en tant qu’État partie à des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

Le Gouvernement mauricien a été critiqué par le passé parce que les plaintes déposées contre des policiers étaient examinées par la police elle-même. Depuis lors, une entité distincte, le Bureau d’investigation des plaintes, a été créée. Le Bureau rend compte à la Commission nationale des droits de l’homme, qui veillera à ce que les enquêtes soient menées comme il convient. Les plaintes soumises directement à la Commission peuvent être renvoyées au Bureau pour complément d’enquête. À l’issue de quoi, le Bureau transmet le dossier au Commissaire de police pour qu’il prenne des mesures disciplinaires ou au Directeur des poursuites publiques. Les réponses écrites du Gouvernement contiennent des statistiques sur les plaintes présentées à la Commission au cours de la période 2001-2003, des chiffres provisoires pour 2004, et un classement des plaintes par catégorie en 2003. Le représentant de Maurice appelle l’attention en particulier sur trois affaires d’allégations de brutalités policières, dont l’une a été renvoyée au Directeur des poursuites publiques, une autre réglée par voie de conciliation et une autre encore classée, faute d’éléments de preuve.

Pour sa part, le Bureau d’investigation des plaintes a renvoyé 64 plaintes, la plupart concernant des brutalités policières, à la Commission nationale des droits de l’homme, entre 2001 et 2004. Dans l’un des cas, sur la recommandation de la Commission, la police a présenté des excuses et versé une indemnisation aux plaignants. Les conclusions de la Commission sont rendue publique dans un rapport; le Président de la Commission présente chaque rapport à l’Assemblée nationale dans le mois qui suit sa soumission.

Se référant à la question 3, le représentant de l’État partie dit que tous les motifs de discrimination, interdits en vertu des articles 2 et 26 du Pacte, sont couverts par l’article 16 de la Constitution, à l’exception de la langue, de l’opinion autre que politique et de la fortune. Aucune mesure n’a été prise pour inclure ces motifs; toutefois, en réponse aux propositions du Comité relatives à l’adoption de lois antidiscriminatoires dans l’ensemble des domaines protégés par le Pacte, le Gouvernement mauricien a promulgué en 2002 la loi sur la discrimination sexuelle et finalise actuellement le projet de loi sur l’égalité des chances.

Se référant à la question 4, le représentant de l’État partie indique qu’après les événements du 11 septembre 2001, le Gouvernement mauricien a emboîté le pas au reste du monde et pris des mesures antiterroristes rigoureuses. La loi sur la prévention du terrorisme est fondée sur les instruments de lutte contre le terrorisme auxquels Maurice est partie et sur la législation antiterroriste du Royaume-Uni, de l’Inde et de Singapour. En vertu de cette loi, les délits de terrorisme sont considérés comme des infractions dont les auteurs sont passibles d’extradition, et les terroristes présumés peuvent se voir refuser l’entrée ou le transit sur le territoire mauricien. Le représentant souligne que cette loi n’ôte en aucune manière leurs pouvoirs aux tribunaux, lesquels peuvent annuler toute mesure prise conformément à ses dispositions qui est contraire à la Constitution. Bien qu’elle prévoie la détention au secret et le refus de libération sous caution, s’inspirant à cet égard de dispositions similaires figurant dans la loi de 2000 sur les drogues dangereuses, il n’a pas été signalé de cas de terroristes présumés auxquels la libération sous caution a été refusée, qui ont été détenus au secret pendant 36 heures sans accès à un avocat, dont la demande d’asile a été rejetée ou qui ont été extradés vers des pays où ils risqueraient d’être victimes de violations des droits de l’homme.

Égalité entre hommes et femmes et interdiction de la discrimination (art. 26 du Pacte)

M. Boolell (Maurice), se référant à la question 5, dit que l’emploi des femmes a augmenté de 21 % entre 1993 et 2003, contre 8 % seulement pour les hommes. Toutefois, la répartition professionnelle des femmes n’a que peu variée. Si le pourcentage de femmes parmi les parlementaires, les hauts fonctionnaires et les directeurs d’entreprise a augmenté, la plupart d’entre elles occupent toujours des postes d’employées de bureau ou d’opératrices sur machine. Selon des chiffres publiés en 2002, bon nombre de postes à responsabilités dans le secteur public sont occupés par des femmes. La situation dans le secteur privé est moins encourageante : les femmes occupent 12 % des postes de direction dans l’industrie du textile et 8 % dans le secteur des banques et des assurances, quelques postes uniquement dans le bâtiment et aucun dans l’agriculture.

M me  Narain (Maurice), se référant à la question 6, dit que la Division de la discrimination sexuelle de la Commission nationale des droits de l’homme reçoit et examine les plaintes pour infraction présumée à la loi de 2002 sur la discrimination sexuelle. Ces plaintes donnent lieu à des enquêtes, à la recherche d’un règlement par voie de conciliation et à la formulation de recommandations à l’intention des autorités compétentes. La Division s’occupe des affaires de discrimination et de harcèlement fondées sur le sexe, la situation matrimoniale, la grossesse et les responsabilités familiales, dans divers domaines. Elle s’emploie, autant que faire se peut, à régler les différends par voie de conciliation. En cas d’impossibilité, lorsque le bien-fondé de la plainte a été établi, elle renvoie l’affaire au Directeur des poursuites publiques, à la Commission des relations industrielles ou à un autre organe, recommande, selon qu’il convient, le versement d’une indemnisation au plaignant, et informe celui-ci des mesures prises. Elle est également chargée de promouvoir la compréhension et l’acceptation de la loi sur la discrimination sexuelle et de publier des directives concernant la prévention de la discrimination fondée sur le sexe et du harcèlement sexuel. Des statistiques sur les plaintes reçues et le résultat des enquêtes menées figurent dans les réponses écrites du Gouvernement.

Violences à l’égard des femmes et des enfants et interdiction de l’esclavage et du travail forcé(art. 3, 7, 8 et 24 du Pacte)

Se référant aux questions 7 et 8, M me  Narain (Maurice) dit que, en vertu de la loi de 1997 sur la protection contre la violence dans la famille – qui couvre la violence verbale et physique –, les victimes peuvent s’adresser aux tribunaux pour bénéficier de diverses formes de protection. Suite à des modifications apportées à la loi en 2004, toute personne vivant sous le même toit que l’auteur d’actes de violence peut désormais demander à bénéficier d’une mesure de protection, et les tribunaux peuvent, sous réserve du consentement des deux parties, intimer à celles-ci de suivre une psychothérapie. Selon la loi également, les forces de l’ordre peuvent enquêter sur les cas présumés de violence familiale et, si elles jugent nécessaire d’intervenir, informer la victime de son droit à une protection, organiser son transfert en un lieu sûr ou la faire hospitaliser, et l’aider à porter plainte et à rassembler ses effets personnels. Le non-respect de l’une quelconque des mesures ordonnées constitue une infraction justifiant l’arrestation sans mandat, dont l’auteur est passible d’une amende qui peut atteindre 1 000 dollars et d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans. Pour la période de janvier à novembre 2004, le Ministère des droits de la femme, de l’enfance et de la protection de la famille a enregistré plus de 1 600 cas de violence physique et 850 cas de violence verbale, dont la plupart des victimes étaient des femmes.

Le Ministère a créé un Service de protection de la famille regroupant six bureaux d’appui régionaux chargés de traiter toutes les affaires de violence familiale, et six unités de police régionales spécialisées dans la protection de la famille. Il collabore aussi étroitement avec les hôpitaux qui soignent les victimes de violence familiale et a établi deux services spécialisés dans les agressions sexuelles. Il offre également aux victimes des services juridiques, selon que de besoin, et une aide financière lorsqu’elles quittent le foyer, où elles étaient hébergées et les oriente notamment vers le Ministère de la sécurité sociale.

L’intervenante renvoie les membres du Comité désireux d’obtenir des renseignements sur la formation reçue par la police et les procureurs aux réponses écrites du Gouvernement.

M. Boolell (Maurice), se référant à la question 9, dit que les chiffres fournis par le Service d’aide à l’enfance du Ministère des droits de la femme, de l’enfance et de la protection de la famille ne corroborent pas les allégations faisant état de nombreux cas de maltraitance, de prostitution et de travail des enfants. Le Gouvernement est toutefois très préoccupé par la question. Depuis l’adoption de la loi sur la protection des enfants et de la loi sur l’ombudsperson pour les enfants en 2003, les campagnes de presse et les cours d’éducation sexuelle dispensés dans les écoles primaires ont permis de mieux connaître les droits de l’enfant. Les parents sont davantage prêts à signaler les cas de violence physique ou sexuelle, sachant que leur enfant sera interrogé par du personnel qualifié et recevra le soutien psychologique nécessaire. Le Service d’aide à l’enfance collabore étroitement avec d’autres entités, dont la police, en vue d’assurer aux enfants vulnérables un accès 24 heures sur 24 à un service d’assistance téléphonique d’urgence, une aide juridique gratuite et un accompagnement psychologique. Des centres d’accueil pour enfants victimes d’abus sexuels, le Child Watch Network, la Brigade de protection des mineurs de la police et le plan d’action du Ministère pour lutter contre l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales sont au nombre des autres mesures adoptées.

M me  Narain (Maurice), se référant à la question 10, dit que la loi sur le Conseil national des enfants est entrée en vigueur en 2004. Le Conseil a pour tâches de donner des avis au Ministre sur la politique de protection de l’enfance, de recenser les domaines perfectibles, d’établir une bonne pratique, d’effectuer des recherches et de diffuser une information sur les questions concernant les enfants, de veiller à ce que les organes publics tiennent compte des droits des enfants, d’aider les enfants accusés d’une infraction pénale, de créer des liens entre les organisations mauriciennes d’aide à l’enfance et leurs homologues à l’étranger, ainsi que toutes autres tâches utiles à ses objectifs. La loi prévoit aussi la constitution d’un comité national des enfants.

Droit à la vie (art. 6 du Pacte)

En réponse à la question 11, M me  Narain (Maurice) dit que, selon l’article 235 du Code pénal, quiconque se procure ou consent à recourir à des moyens de se procurer un avortement ou facilite ou pratique un avortement est passible d’emprisonnement. La législation actuelle ne prévoit pas de circonstances dans lesquelles une femme peut légalement recourir à un avortement. En 2001, toutefois, un groupe d’étude a recommandé dans un rapport d’abroger cet article du Code pénal et de le remplacer par une loi qui légaliserait l’avortement dans certaines circonstances. Le Gouvernement étudie toujours ce rapport.

M. Glele Ahanhanzo (Vice-Président) prend la présidence.

Droit de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels,inhumains ou dégradants (art. 7, 9 et 10 du Pacte)

M. Boolell (Maurice), se référant à la question 12, dit que la loi de 2000 sur les drogues dangereuses a été promulguée pour contrer la multiplication de ce type de drogues dans le pays. La loi établit une distinction entre le commerce de drogues, lourdement sanctionné, et la consommation de drogues, cas dans lequel l’accent est mis sur la désintoxication. Selon l’article 34 2) de la loi, au lieu de condamner à une peine d’emprisonnement une personne reconnue coupable d’usage de drogues, le tribunal peut ordonner qu’elle suive un traitement et une cure de désintoxication pendant une période n’excédant pas trois ans, à condition qu’elle s’engage à coopérer à sa guérison. La loi a été modifiée en 2004 de façon à prévoir des peines plus légères, telles que la dispense de peine conditionnelle ou définitive, et la remise conditionnelle de peine, pour les toxicomanes. En vertu de la loi, quiconque est arrêté ou placé en détention pour commerce de drogues ne peut être libéré sous caution s’il a déjà été reconnu coupable d’une infraction à la législation sur les stupéfiants, ou arrêté ou placé en détention alors qu’il était en liberté sous caution en relation avec la même infraction.

La Constitution a été modifiée pour tenir compte du refus obligatoire de libération sous caution prévu par la loi. Toutefois, la Cour suprême a récemment estimé que ces dispositions constituaient une violation de la Constitution, car elles portent atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. Le Gouvernement a fait appel de la décision de la Cour suprême et, dans l’attente que la Section judiciaire du Conseil privé, plus haute cour d’appel du pays, statue, l’application de l’article pertinent de la loi a été suspendue.

Pour finir, le représentant de l’État partie reconnaît qu’un autre article de la loi autorise la mise en garde à vue des suspects pendant 36 heures, sans que ceux-ci puissent avoir accès à qui que ce soit d’autre qu’un policier ou un médecin; toutefois, les suspects ne peuvent être gardés à vue de la sorte que dans certaines circonstances et un certain nombre de garanties sont prévues. Toute décision de détenir une personne au secret peut être contestée devant les tribunaux si elle est jugée anticonstitutionnelle ou déraisonnable.

Les statistiques sur les décès pendant la garde à vue et le résultat des enquêtes menées, demandés à la question 13, figurent dans les annexes aux réponses écrites de la délégation. Il convient aussi de noter que le Code pénal a été modifié de façon à y inclure des dispositions interdisant la torture et les traitements inhumains ou dégradants. Des mesures sont prévues pour prévenir la torture et les mauvais traitements infligés aux détenus par des agents de la force publique et punir les responsables : un détenu peut solliciter en urgence la délivrance d’une ordonnance judiciaire de protection. La mesure prise promptement dans la récente affaire Maigrot offre un bon exemple à cet égard et atteste de l’efficacité de ce recours. Des plaintes peuvent également être soumises oralement lors de l’examen par le tribunal d’une demande de prolongation de la garde à vue ou par écrit, au juge, qui peut alors ordonner l’ouverture immédiate d’une enquête au Conseil des visiteurs, créé en application de la législation relative à la réforme des institutions, à la Commission nationale des droits de l’homme, qui peut demander une enquête, ou au Bureau d’investigation des plaintes de la police. En cas de décès d’un détenu au de son incarcération ou de sa garde à vue, le magistrat de district est habilité par la loi à réaliser une enquête exhaustive, dans le cadre de laquelle toutes les parties sont convoquées, une autopsie est pratiquée, si nécessaire, et un rapport est transmis au Directeur des poursuites publiques.

S’agissant de la question 14, aucune mesure n’a été prise pour donner suite à la recommandation formulée par le Comité dans ses observations finales précédentes, étant donné que l’article 5 1) k) de la Constitution, auquel il est fait référence, est déjà lettre morte et n’est jamais invoqué dans la pratique.

M me  Narain (Maurice) acquiesce, faisant observer qu’aucun texte législatif pertinent n’a jamais fait référence à cette disposition de la Constitution, que l’article 5 1) à un autre endroit prévoit le contrôle des mises en détention par un tribunal spécialement constitué à cet effet et que l’article 5 6) garantit une totale indépendance au Commissaire de police pour ce qui est des ordres de mise en détention.

M. Boolell (Maurice) renvoie le Comité au rapport annuel de la Commission nationale des droits de l’homme pour 2003, qui vient d’être distribué aux membres, pour obtenir un compte rendu exhaustif de l’enquête sur les émeutes pénitentiaires de 2003 auxquelles il est fait référence à la question 15, et pour prendre connaissance des recommandations formulées par la Commission. Comme suite à ce rapport, un expert britannique a été invité à Maurice pour diriger un séminaire sur les toutes dernières méthodes de réadaptation et, avec le concours d’un expert mauricien, établir un rapport sur les conditions de détention dans le pays, à l’issue d’une visite de l’ensemble des établissements pénitentiaires. Ce rapport contient des appréciations positives sur l’impression générale de sûreté dans les prisons et le traitement respectueux accordé aux détenus, mais critique le fait que ceux-ci n’ont pas de possibilités de s’amender et de se livrer à des activités utiles, ni suffisamment de contacts avec leur famille et ne sont pas bien préparés à leur sortie; des projets pilotes sont proposés pour remédier à cette situation. Un expert britannique a par la suite été nommé Commissaire des prisons de Maurice et s’est employé à améliorer la situation dans divers domaines : mise en place d’une stratégie globale de lutte contre la drogue, avec examens médicaux, services de conseil et de soins aux détenus; développement considérable des activités éducatives, formatives et récréatives dans les prisons; promotion du maintien des liens familiaux; création d’un service de soutien psychologique mutuel pour permettre aux détenus de s’entraider durant la période de réadaptation; et instauration de systèmes de sécurité renforcés.

S’agissant de la question 16, le Comité national de lutte contre le sida, créé par le Premier Ministre afin d’exécuter le plan d’action contre le VIH/sida à l’intention des toxicomanes, s’est employé en priorité à mener à bien la rédaction d’un projet de loi sur la prévention du VIH/sida. Il y a environ 2 500 détenus à Maurice, répartis entre huit établissements pénitentiaires, dont un est réservé aux mineurs délinquants et un autre aux femmes, et quatre sont des prisons de haute sécurité. Tous les détenus subissent un test de dépistage du VIH; à l’heure actuelle, 300 d’entre eux sont séropositifs et reçoivent des soins médicaux. Dans le cadre de la nouvelle stratégie de lutte contre la drogue, les patients disposeront d’un plus grand nombre de services de conseil et d’accompagnement psychologique. Le Comité organise également des manifestations publiques à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida.

M. Amor, accueillant avec satisfaction la documentation très riche et les renseignements exhaustifs fournis par Maurice – signe d’une volonté ferme de promouvoir les droits de l’homme et le Pacte – , constate que des progrès tangibles ont été faits depuis le précédent rapport et que les mesures de protection des droits de l’homme se sont régulièrement améliorées. Il serait toutefois nécessaire de préciser la place du Pacte dans l’ordre juridique interne. On ne voit pas bien s’il l’emporte sur la Constitution et la législation nationale, ni même s’il peut, de fait, être invoqué par les tribunaux. Par ailleurs, rien n’est dit dans le rapport et les articles 5, 11 et 13 du Pacte, et la délégation les a aussi passés sous silence; or, il semble qu’une disposition constitutionnelle qui, de toute évidence, contrevient à l’article 9 du Pacte, ait été conservée; le fait que cette disposition soit obsolète constitue pourtant un argument supplémentaire en faveur de son abrogation.

M. Amor se demande si la composition de la Commission nationale des droits de l’homme et les règles qui régissent son fonctionnement sont véritablement conformes aux Principes de Paris, pierre angulaire de toutes institutions nationales. Il se peut aussi que la question de l’archipel de Chagos soulève des problèmes de souveraineté et d’autodétermination.

Le rapport ne fournit aucun détail sur la législation et les règlements antiterroristes adoptés et la délégation n’a répondu que vaguement à la question de savoir si, pour des raisons de sécurité, certains droits garantis par le Pacte n’avaient pas été respectés. Les droits de l’homme énoncés dans le Pacte sont des droits fondamentaux et ils existent, qu’ils aient ou non été consacrés par la législation nationale d’un pays.

Pour finir, certaines dispositions du règlement portant sur le Code de déontologie du Conseil médical de 2000 présentées dans le rapport posent un problème car elles peuvent faciliter l’euthanasie et il serait intéressant de savoir s’il existe des procédures de contrôle visant à prévenir une telle situation.

M me  Chanet (Présidente) reprend la présidence.

M. Shearer se félicite d’apprendre que les principaux partis politiques se sont engagés à inscrire un plus grand nombre de femmes sur les listes de candidats aux prochaines élections. D’autre part, étant donné que la Division de la discrimination sexuelle de la Commission nationale des droits de l’homme s’occupe aussi de la discrimination dans le domaine de l’emploi, il se demande si elle a reçu des plaintes relatives au principe d’un salaire égal pour un travail égal, ou si de telles questions se sont réglées par d’autres voies à Maurice.

M. Shearer espère que, avant de rédiger ses observations finales, le Comité disposera de statistiques sur l’incidence de la violence familiale à l’encontre des femmes et des enfants, et sur le nombre d’ordonnances de protection sollicitées et accordées au titre de la loi de 1997 sur la protection contre la violence dans la famille. Lors d’une enquête sur la violence dans la famille effectuée par une organisation non gouvernementale, 84 % des femmes interrogées ont déclaré avoir été victimes de violences physiques. Cette situation alarmante est perpétuée par le fait que les femmes sont tributaires de leur conjoint pour subvenir aux besoins de leurs enfants. Dans un même ordre d’idées, M. Shearer souhaiterait obtenir des renseignements sur les mesures prises à l’heure actuelle par l’État partie pour satisfaire pleinement aux normes minimales relatives à l’élimination de la traite des enfants.

M. Shearer se demande si le travail forcé et la servitude des enfants sont toujours d’actualité et existent surtout dans le secteur agricole. Les statistiques fournies par le Service d’aide à l’enfance du Ministère des droits de la femme, de l’enfance et de la protection de la famille donnent-elles une image exacte de la réalité, s’agissant notamment des chiffres concernant les troubles du comportement (452) et le travail des enfants (5)? Les cas de travail forcé ou de servitude d’enfants ont-ils tous été signalés? La législation de l’État partie concernant l’avortement est caractéristique de la législation pénale héritée de l’ère coloniale britannique. En attendant l’achèvement des longues formalités nécessaires à la promulgation des révisions proposées, des exceptions à la common law sont-elles accordées par le Directeur des poursuites publiques?

M. Rivas Posada demande si l’État partie est parvenu à une décision concernant la constitutionnalité du refus obligatoire de libération sous caution prévu par la loi sur les drogues dangereuses et dit que le Comité demeure préoccupé, malgré les garanties énumérées dans les réponses à la liste des points à traiter, par la pratique qui consiste à maintenir des suspects en garde à vue pendant 36 heures sans qu’ils aient accès à un avocat. Les données fournies sur les décès en garde à vue ne répondent pas complètement aux questions du Comité concernant les mauvais traitements infligés aux détenus dans les établissements pénitentiaires et les décès qui en résultent. Quels sont les résultats des enquêtes sur ces pratiques et quelles sanctions ont été infligées à ceux qui les perpétuent?

Les assurances données par l’État partie que les articles 5 1) k) et 5 4) de la Constitution ne sont pas appliqués ne suffisent pas à dissiper les craintes du Comité concernant la suite donnée à ses observations finales précédentes. Le seul fait que ces articles existent soulève des questions quant à la compatibilité de la Constitution avec l’article 9 du Pacte.

M. Shearer prend note avec satisfaction de l’enquête sur les incidents survenus à la prison de Beau Bassin, qui devrait entraîner une amélioration générale des conditions d’incarcération à Maurice. Il serait intéressant d’en savoir davantage sur les recommandations de l’équipe chargée de l’enquête et la manière dont elles seront appliquées, ainsi que sur les effets qui en sont escomptés. Il prend également note avec satisfaction du plan ambitieux de l’État partie visant à rédiger une loi sur la prévention du VIH/sida – plan qu’il espère suffisamment vaste.

M. Bhagwati demande si la Constitution mauricienne couvre vraiment l’ensemble des dispositions du Pacte. Il félicite les autorités judiciaires qui ont invoqué les dispositions du Pacte pour étendre les droits constitutionnels, mais estime que ces dispositions devraient être directement applicables aussi dans le droit interne. Il aimerait savoir si Maurice a l’intention de renoncer à la pratique qui consiste à renvoyer des affaires au Conseil privé à Londres, car c’est, après tout, une entité étrangère dans un pays qui vient tout récemment d’adopter sa propre déclaration des droits.

M. Bhagwati souhaiterait savoir si la Commission nationale des droits de l’homme est habilitée à rendre des décisions définitives et ayant force obligatoire au sujet de violations des droits constitutionnels ou si ses pouvoirs se limitent à porter des affaires devant les tribunaux. En matière civile, peut-elle accuser le Gouvernement d’avoir violé des droits de l’homme fondamentaux et ordonné l’octroi de réparations aux victimes? M. Bhagwati souhaiterait obtenir un complément d’information sur la composition de la Commission nationale des droits de l’homme, les procédures de nomination de ses membres (le Parlement intervient-il?) et leur inamovibilité. Enfin, il demande à la délégation de confirmer que les associations réservées aux femmes sont interdites en vertu de la loi sur la discrimination sexuelle de 2002.

M. Wieruszewski, soulignant que l’article 26 du Pacte énonce de multiples motifs de discrimination, souhaite recevoir l’assurance que tous les aspects de la discrimination sont dûment couverts dans la Constitution mauricienne. Il se demande si la loi de 2002 sur la discrimination sexuelle s’étend à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Prescrit-elle des mesures volontaristes pour prévenir la discrimination et remédier aux conséquences de la discrimination chronique sous toutes ses formes?

M. Wieruszewski aimerait en savoir plus sur les obstacles qui ont entravé l’adoption du projet de loi sur l’avortement proposé par un groupe d’étude plus de trois ans auparavant. Ce retard excessif est-il dû à un manque de volonté politique ou à toute autre raison? Les observations générales du Comité permettraient peut-être d’accélérer l’adoption du projet de loi proposé. Comme M. Shearer, M. Wieruszewski souhaiterait savoir s’il a déjà été donné effet à des éléments du projet de loi dans la pratique, par l’intermédiaire de décisions de jurisprudence.

Sir  Nigel Rodley demande si le délai de deux ans prescrit pour le dépôt des plaintes relatives à des mauvais traitements infligés par la police peut être étendu dans des cas extrêmement graves. Il souhaiterait, lui aussi, savoir comment les membres de la Commission nationale des droits de l’homme sont nommés et si la Commission est habilitée à mener des enquêtes ou si elle se contente de renvoyer les affaires à la police ou au Directeur des poursuites publiques. Comment l’arrêt rendu par la Cour suprême en 2001 dans l’affaire Martine Desmarais a-t-il été appliqué? Des mesures disciplinaires ont-elles été prises contre le policier concerné? De même, dans l’affaire de Beau Bassin, la Commission a publié une condamnation générale mais n’a pas incriminé tel out el policier en particulier bien qu’elle ait été contactée par des personnes dont les droits de l’homme avaient été violés. La législation de l’État partie interdisant la torture a-t-elle jamais été invoquée contre des agents de la force publique?

Sir Nigel Rodley partage les préoccupations d’autres membres du Comité concernant les définitions vagues figurant dans la loi de 2002 sur la prévention du terrorisme et leurs conséquences potentielles. Enfin, il se félicite de la disposition prévoyant la réalisation d’enregistrement vidéo des interrogatoires effectués par la police au cours de la période de détention au secret de 36 heures, au titre de la loi sur les drogues dangereuses et de la loi sur la prévention du terrorisme. Peut-être faudrait-il systématiser cette pratique et la généraliser à tous les interrogatoires policiers.

La séance est levée à 18 heures.