NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.246815 novembre 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-dixième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 2468e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mercredi 18 juillet 2007, à 15 heures

Président: M. RIVAS POSADA

SOMMAIRE

OBSERVATIONS GÉNÉRALES DU COMITÉ (suite)

Projet d’observation générale no 32 concernant l’article 14 du Pacte (suite)

La séance est ouverte à 15 h 15.

OBSERVATIONS GÉNÉRALES DU COMITÉ (point 8 de l’ordre du jour) (suite)

Projet d’observation générale no 32 concernant l’article 14 du Pacte (suite) (CCPR/C/GC/32/CRP.1/Rev.5)

1.Le PRÉSIDENT invite les membres du Comité à reprendre l’examen du projet d’observation générale concernant l’article 14 du Pacte.

2.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’observation générale) rappelle que le Comité a déjà examiné en première lecture l’ensemble des paragraphes du projet d’observation générale, mais des modifications ont été proposées depuis pour certains d’entre eux et d’autres n’ont pas encore été approuvés. Il suggère d’examiner les seuls paragraphes qui entrent dans l’un ou l’autre de ces cas de figure, en commençant par le paragraphe 5.

Paragraphe 5

3.Mme WEDGWOOD s’interroge sur le sens de la quatrième phrase (version anglaise) du paragraphe 5, dans laquelle il est dit que «comme l’article 7, dans sa totalité, ne souffre lui non plus aucune dérogation, aucun élément de preuve obtenu en violation de cette disposition ne peut être admis dans un procès soumis à l’article 14, y compris en période d’état d’urgence, sauf si une déclaration obtenue sous la torture sert de preuve à l’encontre d’une personne accusée de torture». Tout en précisant d’emblée qu’elle n’est en aucun cas favorable à l’admission d’éléments de preuve obtenus en violation de l’une quelconque des dispositions de l’article 7 du Pacte, Mme Wedgwood se demande s’il est légitime de considérer que le fait qu’une déclaration ait été obtenue sous la torture rend, par principe, irrecevables toutes les déclarations faites ultérieurement (principe du «fruit de l’arbre empoisonné»). Ce serait peut‑être aller trop loin que d’exclure la recevabilité de tout élément de preuve, à charge comme à décharge, recueilli grâce à une déclaration obtenue par la torture.

4.M. LALLAH et Mme MAJODINA souhaiteraient que soit explicitée la dernière partie de la quatrième phrase («sauf si une déclaration obtenue sous la torture sert de preuve à l’encontre d’une personne accusée de torture»).

5.Sir Nigel RODLEY dit que, pour répondre à la préoccupation de Mme Wedgwood qui vise manifestement, entre autres, le cas où une déclaration obtenue par la torture se révélerait importante pour la défense de la victime de la torture, le Comité pourrait préciser qu’aucun élément de preuve obtenu en violation de l’article 7 ne peut être admis contre quiconque dans un procès.

6.La deuxième partie de la quatrième phrase (cinquième phrase dans les textes espagnol et français) s’inspire de l’article 15 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Sir Nigel Rodley était membre du Groupe de travail de la Commission des droits de l’homme ayant œuvré à la rédaction de cet article, qui prévoit qu’aucune déclaration obtenue par la torture ne peut être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure «si ce n’est contre la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite». Cette exception avait été introduite sur la proposition du Secrétaire général de la Commission internationale de juristes, qui était soucieux d’assurer qu’une déclaration obtenue par la torture, y compris un faux témoignage, puisse être retenue comme élément de preuve de la torture. Le Groupe de travail avait partagé ce souci et avait ainsi proposé l’insertion de l’exception susmentionnée. Le groupe de travail du Comité des droits de l’homme qui a rédigé le projet d’observation générale concernant l’article 14 s’est inspiré de l’article 15 de la Convention et a souhaité affirmer qu’une déclaration ou un aveu obtenu par la torture pouvait être recevable dans une procédure visant l’auteur de l’acte de torture.

7.Mme WEDGWOOD constate que la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants prévoit l’irrecevabilité de toute déclaration obtenue par la torture mais ne dit rien sur les déclarations obtenues par un autre traitement interdit par l’article 7 du Pacte. Dans la rédaction proposée du paragraphe 5 du projet d’observation générale, le Comité affirme l’exclusion de tout élément de preuve obtenu en violation de l’article 7, c’est‑à‑dire par la torture ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Mme Wedgwood s’est félicite mais fait observer qu’en toute logique il conviendrait alors d’étendre aux déclarations obtenues par un traitement cruel, inhumain ou dégradant l’exception prévue dans la dernière partie de la phrase sur l’article 7.

8.M. BHAGWATI s’interroge sur l’opportunité de prévoir le cas où une déclaration obtenue sous la torture peut être retenue contre une personne accusée de torture, dans la mesure où l’acte de torture constitue en soi un élément suffisant.

9.Le PRÉSIDENT fait observer que, d’une façon générale, les termes employés dans les versions anglaise, espagnole et française du texte ne doivent pas laisser à penser que les éléments de preuve sont nécessairement des déclarations, car il existe d’autres formes de preuve.

10.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’observation générale) rappelle que, lors d’une séance précédente, le Comité avait déjà évoqué la question de savoir s’il convenait de reprendre la formulation de l’article 15 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et avait estimé que la dernière partie de cet article («si ce n’est contre la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite») pourrait prêter à confusion, ce qui explique que le paragraphe 5 du projet d’observation générale soit libellé quelque peu différemment. Toutefois, le Comité pourrait considérer en définitive qu’il est préférable de libeller la fin de la phrase sur l’article 7 en reprenant les termes de l’article 15 de la Convention («pour établir qu’une déclaration a été faite»). En tout état de cause, l’exception prévue est très importante car, dans un procès, les déclarations obtenues par la torture constituent parfois le seul élément de preuve de la torture, et le Comité devrait réaffirmer le principe fondamental énoncé dans la Convention.

11.La question de la recevabilité des preuves obtenues grâce à des déclarations faites sous la torture est complexe et particulièrement vaste, et le Comité pourrait utilement se référer au texte faisant autorité dans ce domaine, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et plus précisément à son article 15. Cette disposition de la Convention porte sur les déclarations invoquées comme éléments de preuve. Le Comité devrait également s’inspirer de son Observation générale no 20 concernant l’article 7, dans laquelle il est dit (par. 12) que la loi devrait interdire d’utiliser ou déclarer irrecevables dans une procédure judiciaire des déclarations et aveux obtenus par la torture ou tout autre traitement interdit. Par souci de clarté, le Comité pourrait peut‑être reprendre ces termes, ce qui éviterait aussi de longs débats sur le principe du «fruit de l’arbre empoisonné».

12.Sur la question de savoir s’il conviendrait de mentionner également les traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Kälin suggère, là aussi, de s’inspirer de ce qui est dit au paragraphe 12 de l’Observation générale no 20 du Comité («obtenus par la torture ou tout autre traitement interdit»). Le Comité doit encore se prononcer sur la question de savoir si une déclaration ou un aveu obtenus sous la torture peuvent être retenus comme un élément à décharge en faveur de l’accusé dans un procès. M. Kälin en doute car non seulement les déclarations et aveux ainsi obtenus sont contraires à la loi et à la morale, mais ils sont aussi particulièrement peu fiables puisqu’il est bien connu que, sous la torture, on peut dire n’importe quoi. À son sens, rien ne permettrait de corroborer une affirmation selon laquelle un élément de preuve à décharge obtenu sous la torture peut être recevable. Pour toutes ces raisons, M. Kälin invite le Comité à renoncer à introduire les termes suggérés par Sir Nigel Rodley («contre quiconque») et à s’en tenir à la formulation employée dans la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

13.M. SHEARER partage le point de vue de M. Kälin et suggère, pour rendre les choses plus claires, de préciser que l’exception vise les déclarations ou aveux obtenus sous la torture qui servent de preuve de l’acte de torture lui-même. Il conviendrait d’ajouter également une note de bas de page renvoyant à l’article 15 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dont les termes, s’ils diffèrent légèrement de ceux proposés pour le paragraphe 5, ne sont néanmoins nullement contradictoires avec eux.

14.M. LALLAH se déclare satisfait des explications qui ont été apportées et des modifications rédactionnelles suggérées par M. Kälin. Concernant le point soulevé par Mme Wedgwood, il lui paraît peu judicieux de poursuivre la discussion faute d’une jurisprudence du Comité en la matière et compte tenu également de la très grande complexité de la question.

15.Sir Nigel RODLEY salue la suggestion de M. Shearer, et propose d’étendre l’exception aux déclarations et aveux obtenus par tout traitement visé à l’article 7 du Pacte. Enfin, il lui paraît approprié, dans le contexte d’une observation générale concernant l’article 14, de s’inspirer du libellé de l’Observation générale no 20 et de dire, dans la première partie de la phrase sur l’article 7, qu’aucune déclaration, aucun aveu ni, en règle générale, aucun autre élément de preuve obtenu en violation de l’article 7 ne peuvent être admis dans un procès soumis à l’article 14.

16.Mme WEDGWOOD souscrit à l’idée d’étendre aux traitements cruels, inhumains ou dégradants l’interdiction frappant les déclarations ou aveux obtenus sous la torture. Le Comité doit toutefois garder à l’esprit que la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ne consacre pas le principe du «fruit de l’arbre empoisonné», même en ce qui concerne les seuls actes de torture, et il doit être pleinement conscient qu’en acceptant la formulation proposée pour le paragraphe 5 du projet d’observation générale il introduit ce principe, et de surcroît non pas seulement pour la torture mais aussi pour les traitements cruels, inhumains ou dégradants. Or, dans la réalité, les enquêtes de police ne sont pas toujours effectuées dans des conditions irréprochables, et le Comité devrait veiller à ne pas prescrire l’irrecevabilité absolue de preuves découlant de déclarations ou d’aveux obtenus par un «simple» mauvais traitement, par exemple, et qui auraient été certainement recueillies sans cela par d’autres moyens.

17.Le PRÉSIDENT appelle l’attention du Comité sur le fait que, s’il décide de rester au plus près des termes employés dans l’article 15 de la Convention et le paragraphe 12 de son Observation générale no 20, il restreindra son propos à un seul moyen de preuve, car les déclarations et les aveux ne sont pas les seuls éléments permettant d’établir les faits.

18.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’observation générale) dit que le Comité pourrait effectivement renoncer à parler des traitements autres que la torture dans la première partie de la phrase du paragraphe 5 sur l’article 7, pour la raison invoquée par Mme Wedgwood. En ce qui concerne la dernière partie de la phrase, une solution pourrait consister à prévoir une exception dans le cas d’une déclaration ou d’un aveu obtenu en violation de l’article 7 qui servirait de preuve à l’encontre d’une personne accusée d’un acte de torture ou de tout autre traitement interdit par cette disposition.

19.Sir Nigel RODLEY a cru comprendre que le Rapporteur aurait souhaité insérer des termes plus précis que «en règle générale».

20.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’observation générale) dit que si les éléments de preuve obtenus sous la torture autres qu’une déclaration ou des aveux doivent être considérés comme irrecevables, il peut y avoir des exceptions. Il comprend bien l’objection de Mme Wedgwood dans le cadre du système de common law, mais souligne que dans la tradition continentale européenne, le critère du «fruit de l’arbre empoisonné» porte sur le point de savoir s’il aurait été ou non possible d’obtenir les mêmes éléments de preuve par des moyens légaux. En outre, cette tradition n’exclut pas toujours automatiquement ce type d’éléments de preuve. Le Rapporteur est d’accord avec l’orientation de la proposition de Sir Nigel Rodley mais n’est pas convaincu que l’insertion des termes «en règle générale» suffirait à régler la question, car il lui semble au contraire que cela ne ferait que compliquer les choses. Peut‑être Sir Nigel Rodley pourrait‑il affiner sa proposition par la suite, en tenant compte de l’existence d’éventuelles exceptions.

21.Sir Nigel RODLEY ne souhaite pas pour l’instant proposer une formulation trop précise car il est loin d’être au fait de toutes les spécificités des différents systèmes judiciaires. Cela dit, il n’ignore pas que les policiers doivent recueillir des éléments de preuve pour faire condamner des criminels et qu’ils recourent parfois à des moyens illégaux à cet effet − et le fait d’exclure certains éléments vise précisément à les décourager d’employer ces moyens. Sir Nigel Rodley ne pense pas que ce serait aller trop loin que d’introduire dans le paragraphe 5 des éléments de la règle de l’irrecevabilité du «fruit de l’arbre empoisonné». Peut‑être serait‑il préférable, pour rendre le texte plus souple, d’employer la formule «en principe» au lieu des termes «en règle générale».

22.Mme WEDGWOOD dit que dans certains pays, il est parfois très difficile de savoir ce qu’ont fait les policiers, car ceux‑ci n’enregistrent pas les interrogatoires sur vidéocassette, de sorte qu’il est impossible de savoir avec certitude si une personne qui affirme avoir été battue dit ou non la vérité. Or, si on exclut les déclarations qui suscitent un doute, cela risque d’avoir des conséquences très graves, si bien que l’on peut être tenté de ne rien exclure. La doctrine relative aux éléments qui auraient pu être découverts par ailleurs, par exemple grâce à des témoins, existe également en common law. Après avoir évoqué, à propos de la règle de l’exclusion, les éléments de preuve obtenus lorsque la police a agi de manière presque conforme à la Constitution, («attenuated evidence») pour lesquels on pourrait peut‑être faire pencher la balance de l’autre côté, Mme Wedgwood conclut qu’elle préfèrerait que le Comité intègre ces éléments en tant qu’exception au lieu de débattre de la différence entre «en règle générale» et «en principe». Sur un autre point, elle souhaite appeler l’attention sur la différence qui existe entre «through» et «in». Peut‑être faudrait‑il, dans la version anglaise, remplacer «through violation» par «in violation», ce qui permettrait à chacun de l’interpréter comme il l’entend.

23.M. LALLAH pense qu’il faut relier la preuve à l’aveu ou à la déclaration, et peut‑être manque‑t‑il ici un adjectif qui permettrait d’établir cette relation et sans lequel le sens de la phrase est trop général et trop vague. Il faudrait que le Rapporteur trouve une solution, car le membre de phrase «aucun autre élément de preuve» a une portée préoccupante.

24.Sir Nigel RODLEY rappelle qu’il a effectivement proposé d’insérer certains mots mais sans préciser lesquels. Il propose donc que le membre de phrase en question se lise comme suit: «aucune déclaration, aucun aveu et, en principe, aucun autre élément de preuve obtenu en violation» («in violation»). Cela dit, peut‑être serait‑il préférable de suspendre momentanément l’examen de cette phrase.

25.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’observation générale) pense également qu’un délai de réflexion est nécessaire et donne lecture de la phrase telle qu’elle est actuellement libellée: «De même, comme l’article 7, dans sa totalité, ne souffre lui non plus aucune dérogation, aucune déclaration, aucun aveu et, en principe, aucun autre élément de preuve obtenus en violation de cette disposition ne peuvent être invoqués en tant qu’élément de preuve dans un procès soumis à l’article 14, y compris en période d’état d’urgence, sauf si une déclaration ou un aveu obtenus en violation de l’article 7 servent de preuve d’un acte de torture ou de tout autre traitement interdit par cette disposition.». Dans la version anglaise, le paragraphe 6 actuel deviendra le paragraphe 5 et le paragraphe 5 tel que modifié deviendra le nouveau paragraphe 6. Dans la version française, la première phrase de l’actuel paragraphe 5 deviendra le nouveau paragraphe 5, et le reste du paragraphe 5 deviendra le nouveau paragraphe 6, le paragraphe 6 actuel étant supprimé.

Paragraphes 8, 9 et 10

26.En ce qui concerne le paragraphe 8, le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice est une notion fondamentale qui doit être lue en liaison avec la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14. Mme Wedgwood a évoqué l’indépendance des juges par opposition à leur indépendance effective, mais le Rapporteur ne pense pas qu’il convienne d’aborder cette question, qui concerne les juges administratifs, au paragraphe 8. Il propose de supprimer le membre de phrase «de compétence, d’impartialité et d’indépendance et le principe d’équité», car il n’est pas nécessaire d’énoncer ces principes, ce qui donnerait la rédaction suivante: «En termes généraux, le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice garantit, outre les principes mentionnés dans la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14…».

27.Au paragraphe 9, Mme Wedgwood a estimé que l’expression «ou relèveraient de sa compétence» va trop loin car elle vise, par exemple, le cas d’une personne à laquelle un État refuserait un visa, de sorte que cette personne relèverait de sa compétence sans pour autant avoir accès à ses tribunaux. Pour juste que soit cette observation, le Rapporteur pense qu’elle ne justifie pas la suppression du membre de phrase. Il suffirait de préciser, à la première phrase, qu’il s’agit du droit d’accès aux tribunaux dans les cas où l’on cherche à déterminer le bien‑fondé d’une accusation en matière pénale et/ou de contestations sur les droits et obligations de caractère civil.

28.Le Rapporteur dit que M. Amor a proposé d’ajouter le membre de phrase «quelle que soit leur condition» après «même s’ils sont apatrides». Il n’y voit pas d’inconvénient mais souhaite savoir pourquoi cette proposition se rapporte uniquement aux apatrides et pas aux autres personnes mentionnées dans la phrase. M. Amor a également proposé d’ajouter, à la phrase suivante, le membre de phrase «par la loi ou dans les faits» après «sont systématiquement entravées». Cette précision semble très judicieuse au Rapporteur qui est d’accord pour l’insérer.

29.M. AMOR répond qu’il ne vise pas particulièrement les apatrides et qu’il a en réalité proposé la rédaction suivante: «Le droit d’accès … doivent être accordés aussi à tous les individus, quelle que soit leur nationalité, même s’ils sont apatrides, ou quelle que soit leur condition, par exemple demandeurs d’asile, etc.».

30.Sir Nigel RODLEY n’a pas saisi le sens de la proposition de Mme Wedgwood au sujet du droit d’accès aux tribunaux et souhaite que le Rapporteur apporte quelques explications.

31.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’observation générale) dit qu’il s’était mépris sur le sens de la proposition de M. Amor, qui lui semble excellente. En réponse à Sir Nigel Rodley, il précise qu’il faut distinguer le droit d’accès aux tribunaux, qui n’est octroyé que dans les cas où il faut déterminer le bien‑fondé d’accusations pénales ou des contestations sur les droits et les obligations de caractère civil et le droit à l’égalité devant les tribunaux. Tel qu’il est libellé, le paragraphe induit en erreur, comme il vient de le comprendre grâce à l’observation de Mme Wedgwood. Il serait donc peut‑être utile de préciser que l’article 14 comprend le droit d’accès aux tribunaux dans les cas où on cherche à déterminer le bien‑fondé d’une accusation pénale ou de contestations sur les droits et obligations de caractère civil puis ajouter que cet accès doit être réel pour tous.

32.Sir Nigel RODLEY remercie le Rapporteur de cette proposition, qui règle le problème. Il pense qu’il faudrait traduire le terme «condition» par «status» dans la version anglaise.

33.M. AMOR dit qu’en français le terme «condition» n’est pas synonyme de «statut», puisque la condition implique le statut mais le déborde. Il tient donc à conserver ce terme dans la version française.

34.M. LALLAH demande si l’expression «suit at law» sera traduite par le terme employé dans le Pacte.

35.Le PRÉSIDENT dit que les termes des versions espagnole et française du Pacte seront repris pour éviter tout problème. Il fait observer que les mots «proprement dit» sont inutiles dans la première phrase et qu’il suffirait de dire «l’égalité devant les tribunaux s’entend du droit d’accès aux tribunaux».

36.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’observation générale) explique qu’à la dernière phrase du paragraphe 10, Mme Wedgwood propose de limiter le principe de l’assistance judiciaire aux cas où une personne «souhaite faire procéder au contrôle constitutionnel des irrégularités constatées au cours d’un procès pénal» en ajoutant le membre de phrase «et qui ne peuvent pas faire l’objet d’un recours direct». Cela ne s’appliquerait donc pas dans les situations où il est possible d’engager un recours en inconstitutionnalité pour ensuite saisir la Cour suprême ou la Cour constitutionnelle.

37.Mme WEDGWOOD dit qu’elle souhaite simplement préserver la «créativité ambiguë» du paragraphe 10. Le Comité y encourage les États à accorder une aide juridictionnelle gratuite, et dans certains cas ils sont tenus de le faire. Ce qu’elle voudrait faire, c’est limiter le champ d’application du «par exemple». Par recours direct, elle n’entend pas uniquement la première instance d’appel. Aux États‑Unis et dans les pays de common law, la question qui se pose est celle de savoir à quel moment il faut limiter le processus d’appel.

38.Le PRÉSIDENT dit qu’en Amérique latine, par exemple, l’appel ne s’entend qu’après la première instance. Au‑delà, il ne s’agit plus d’appel mais de jugement en révision, d’amparo, etc. La proposition de Mme Wedgwood risque donc de semer la confusion et de créer de nouvelles difficultés compte tenu des différences entre les deux systèmes.

39.Mme MOTOC demande à quelle étape du processus pénal l’aide juridictionnelle doit être garantie, en particulier si elle devrait être obligatoire dès l’ouverture de la procédure dans le système inquisitorial, où le procureur intervient avant le procès proprement dit. À l’heure actuelle, ce n’est pas le cas dans de nombreux États, ce qui crée des problèmes pour les personnes placées en détention provisoire.

40.Le PRÉSIDENT demande au Rapporteur pour l’observation générale d’expliquer l’idée générale du paragraphe 10, ce qui permettrait d’y voir plus clair et de trancher entre les diverses propositions.

41.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’observation générale) dit que la proposition faite par Mme Wedgwood le laisse perplexe, même s’il voit très bien de quoi elle veut parler. Avant d’en arriver à des recours constitutionnels, il faut épuiser les recours ordinaires, et l’aide juridictionnelle est nécessaire à tous les niveaux. Dans certaines affaires pénales, on peut former un recours constitutionnel, mais c’est alors le tribunal de dernière instance qui tranche. Le Rapporteur ne voit donc guère de situations dans lesquelles il ne serait pas justifié d’octroyer cette aide financière, et il estime que la formulation actuelle est déjà assez précise, outre qu’elle est cohérente avec la jurisprudence du Comité.

42.Mme WEDGWOOD dit que lorsqu’une personne interjette appel auprès des tribunaux de common law, qui peuvent trancher des questions de droit et des questions constitutionnelles (et les confondent souvent afin d’éviter les secondes), c’est l’avocat qui choisit les questions qu’il va soulever, c’est‑à‑dire celles qui lui semblent les plus judicieuses − procès trop rapide, aveux obtenus sous la torture, etc. Ce qui est préoccupant au sujet des contestations indirectes («collateral attacks») en général, c’est‑à‑dire des contestations introduites souvent des années après la fin de la procédure d’appel auprès de la Cour suprême, c’est qu’elles tendent à prolonger les procédures. Indépendamment de la position du Comité à l’égard de la peine de mort, il faut déterminer si le Pacte exige que les États fournissent une assistance judiciaire gratuite pour les contestations indirectes aussi. Or, c’est un sujet très polémique pour deux raisons: premièrement, une personne peut introduire autant de contestations indirectes qu’elle le souhaite sur autant de points qu’elle le souhaite, et donc soulever à ce moment‑là des questions qui auraient pu l’être beaucoup plus tôt, lors du premier «recours direct» («direct appeal»); et deuxièmement, le terme «contrôle constitutionnel» couvrirait nécessairement les contestations indirectes parce que, dans le système de common law, les questions soulevées dans la plupart des affaires pénales sont aujourd’hui d’ordre constitutionnel. Peut‑être que l’insertion d’un terme tel que «direct» ou «en temps voulu» permettrait de limiter la portée de la phrase aux appels directs, à l’exclusion des contestations indirectes («collateral attacks»).

43.Sir Nigel RODLEY dit que dans le système de common law britannique, le terme «recours» (appeal) s’entend de toute procédure de révision, par une juridiction supérieure, d’une décision rendue par une juridiction inférieure. Il n’appartient pas au Comité de dire dans quelles circonstances un recours est ou n’est pas légitime: soit le recours existe, soit il n’existe pas. De ce point de vue, l’ajout du terme «available» (lorsque ce recours existe) avant «constitutional review» (contrôle constitutionnel) pourrait être une solution acceptable.

44.Le PRÉSIDENT approuve la proposition de Sir Nigel Rodley, qui présente l’intérêt de laisser une marge d’interprétation suffisante pour tenir compte des différences entre les systèmes juridiques existants sans pour autant entrer dans le détail de leurs caractéristiques respectives.

45.Mme WEDGWOOD est d’avis que l’octroi d’une aide juridictionnelle n’a lieu d’être obligatoire que dans le cadre de procédures pénales, y compris en cas de recours constitutionnel. Étendre cette obligation à d’autres procédures irait au-delà de la jurisprudence existante du Comité et créerait un précédent, ce qui n’est pas le rôle d’une observation générale, qui consiste à interpréter et à analyser la jurisprudence existante. En outre, dans un pays comme les États‑Unis, où il est souvent recouru de manière abusive aux contestations indirectes (collateral attacks) − procédures distinctes engagées pour contester un aspect d’une autre affaire, plus ancienne −, il serait aberrant en pareil cas d’exiger qu’une aide juridictionnelle soit accordée par l’État dans toutes ces procédures.

46.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’observation générale) est favorable à la modification proposée par Sir Nigel Rodley car le fonctionnement du contrôle (recours) constitutionnel diffère effectivement d’un système juridique à un autre. Mais quel que soit le système, le Comité ne saurait permettre qu’une personne soit privée du droit de se prévaloir d’un recours existant au seul motif qu’elle ne dispose pas des moyens financiers nécessaires pour le faire, a fortiori lorsqu’il s’agit pour elle d’échapper à la peine de mort. Le Comité se fonde en cela sur le paragraphe 1 de l’article 14 et sur le paragraphe 3 de l’article 2.

47.Le PRÉSIDENT, notant qu’un consensus semble s’être dégagé autour du paragraphe 10 tel que modifié par Sir Nigel Rodley, considère qu’il n’y a pas lieu de s’attarder davantage sur des points de détail propres à certains systèmes juridiques.

48. Le paragraphe 10, tel que modifié oralement, est approuvé.

Paragraphes 11 et 12

49. Les paragraphes 11 et 12 sont approuvés.

Paragraphe 13

50.Sir Nigel RODLEY propose d’ajouter l’expression suivante à la fin de la deuxième phrase: «, not entailing actual disadvantage or other unfairness to the defendant» (à condition qu’il n’en résulte pas, pour le défendeur, un désavantage ou un manque d’équité). La décision du Comité à cet égard dépendant de la position finale qu’il adoptera dans une affaire qu’il n’a pas encore examinée en plénière, Sir Nigel Rodley suggère d’introduire sa proposition entre crochets en vue d’y revenir ultérieurement.

51. Il en est ainsi décidé.

Paragraphes 14 et 15

52. Les paragraphes 14 et 15 sont approuvés.

Paragraphe 16

53.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’observation générale) soumet au Comité deux propositions de modification émanant de Mme Wedgwood. La première, à laquelle il souscrit, vise à supprimer la phrase «The concept is large» (La notion en question est large), et à remplacer le pronom sujet «It» (Elle) de la phrase suivante par «The concept» (La notion en question). La deuxième proposition a trait aux procédures d’arbitrage. Le Rapporteur croit comprendre que le fond de la question réside dans le point de savoir si les juridictions d’arbitrage relèvent de l’article 14 ou non. Selon le système juridique considéré, soit les tribunaux arbitraux font partie des juridictions ordinaires et, à ce titre, sont liés par l’article 14, soit ils n’en font pas partie, auquel cas l’article 14 n’entre en ligne de compte que si leurs décisions peuvent faire l’objet d’un recours devant une juridiction ordinaire. M. Kälin n’est pas convaincu de l’opportunité d’aborder cette question dans le projet d’observation générale sur l’article 14, ou tout au moins de le faire au paragraphe 16.

54.M. AMOR dit que, dans un très grand nombre de pays, la procédure d’arbitrage relève davantage du domaine du droit privé que de celui du droit public et les garanties prévues à l’article 14 du Pacte n’interviennent que lorsque la décision arbitrale est soumise à des juridictions de l’État pour exequatur. Il ne voit par conséquent pas de raison d’évoquer la procédure d’arbitrage dans un projet d’observation générale relative à l’article 14.

55.Le PRÉSIDENT est également de cet avis, d’autant qu’il serait impossible de parvenir sur ce point à une position acceptable par tous les membres du Comité compte tenu des différences de fonctionnement de l’arbitrage d’un système juridique à un autre.

56.Mme WEDGWOOD précise que son intention n’est pas d’inclure les procédures d’arbitrage dans le champ d’application de l’article 14, mais bien de les en exclure. Or en définissant le caractère civil d’une procédure («suit at law») comme dépendant de la nature du droit en question et non pas du statut de l’organe appelé à statuer sur ce droit, on étend implicitement l’article 14 à la procédure d’arbitrage, la nature du droit en question dans une procédure de droit public ou dans un arbitrage privé étant souvent la même. Il faudrait par conséquent modifier la formulation par l’adjonction d’un simple mot, de manière à exclure expressément les procédures d’arbitrage du champ d’application de l’article 14.

57.M. BHAGWATI est également contre le fait d’étendre la portée de l’article 14 aux procédures d’arbitrage.

58.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’observation générale) juge utile de rappeler que les cas visés par l’article 14 sont ceux qui ouvrent droit à une action devant les tribunaux, le facteur déterminant à cet égard étant la nature du droit en question. Autrement dit, un gouvernement ne doit pas pouvoir obliger un particulier à soumettre un litige concernant un contrat de droit privé à un arbitrage plutôt qu’à un tribunal. Le paragraphe 16 dispose qu’en cas de «suit at law» (détermination de droits et obligations de caractère civil), peu importe que cette notion soit définie dans le système juridique interne comme relevant du droit privé, administratif ou autre, le requérant doit pouvoir plaider sa cause devant un tribunal sans que le gouvernement puisse l’en empêcher. Il faudrait peut-être aborder la question des tribunaux d’arbitrage dans le paragraphe 18, relatif à la définition de la notion de «tribunal».

59.M. SHEARER, en réponse à la préoccupation de Mme Wedgwood, propose de préciser, en ajoutant l’adjectif correspondant, que les procédures englobées par la notion de «suit at law» s’entendent des procédures judiciaires, lesquelles, par définition, excluent les procédures d’arbitrage.

60.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’observation générale) et Mme WEDGWOOD approuvent la proposition de M. Shearer.

61.Sir Nigel RODLEY rappelle qu’en anglais, l’expression «suit at law» renvoie à des questions de droit privé et demande confirmation aux membres du Comité versés dans les systèmes de droit français ou de droit espagnol du fait que les termes «de caractère civil» et «de carácter civil» englobent d’autres notions en plus de celles relevant du droit privé. Si tel est le cas, il serait disposé à accepter le paragraphe 16 et à revoir sa position concernant certaines communications.

62.Le PRÉSIDENT doute qu’il soit possible de se prononcer catégoriquement sur la portée de l’expression «suit at law» et de ses équivalences en français et en espagnol, cette question étant une source perpétuelle de réflexion et de controverse au sein du Comité, lequel a d’ailleurs à plusieurs reprises appliqué l’article 14 dans des cas qui ne relevaient pourtant pas de la notion de droit ou d’obligation de caractère civil interprétée dans son sens le plus strict. Cette question est vraisemblablement vouée à continuer à faire débat au sein du Comité mais aussi dans d’autres organes internationaux.

63.M. AMOR fait valoir que les différences entre les systèmes juridiques internes existent bien au-delà des mots. Par exemple, en Tunisie, les obligations de caractère civil s’entendent de toutes les obligations en matière autre que pénale, ce qui comprend les obligations liant des particuliers entre eux, mais aussi les obligations liant des particuliers à l’administration. Il n’y a pas de raison de privilégier une conception, et donc une langue, plutôt qu’une autre. La diversité des systèmes juridiques est une source d’enrichissement mutuel qu’il faut au contraire mettre à profit.

64.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’observation générale) dit que selon lui, l’expression française «droits et obligations de caractère civil» englobe d’autres droits et obligations que ceux relevant du droit privé. La différence de portée entre l’expression anglaise «suit at law» et l’expression française «de caractère civil» tient au fait que le système juridique continental comporte une notion qui n’existe pas dans le système de common lawen vigueur outre-Manche, à savoir le contrat administratif, qui lie des particuliers à l’administration et inversement. Ayant eu à statuer sur des affaires exactement semblables, qui avaient été jugées dans le cadre de procédures à caractère civil au sens de «suit at law» par les juridictions d’un pays de common law mais traitées comme relevant du droit administratif par les juridictions d’un pays de droit continental européen, la Cour européenne des droits de l’homme est finalement parvenue à la conclusion, que dès lors que l’obligation ou le droit concerné était de nature contractuelle, peu importait qu’ils relèvent du droit privé ou du droit administratif en vertu du système juridique interne. La définition de la notion «de caractère civil» énoncée au paragraphe 16 s’appuie sur une abondante jurisprudence du Comité, est pleinement conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans ce domaine et propose un compromis entre les partisans d’une application la plus large possible de l’article 14 et ceux qui en préconisent une application stricte.

65.M. LALLAH dit que le recours, par le Comité, à la notion de la nature du droit ne date pas de l’affaire Perterer. La décision adoptée par le Comité dans cette affaire, à savoir que même dans une procédure pouvant relever du droit administratif, l’accès à une procédure judiciaire devait être garanti, visait à éviter que, dans certains systèmes, un droit déterminé soit régi par le droit administratif plutôt que par le droit civil. Le Comité ne peut pas permettre que des recours soient court-circuités en cas de violations de droits. Lorsqu’il est porté atteinte concrètement aux droits des personnes, en matière d’aménagement du territoire, les organes de droit administratif sont compétents, mais leurs décisions peuvent être révisées par des tribunaux. Le système de contrôle juridictionnel a été conçu suivant ce principe. S’appuyant sur la jurisprudence établie par le Comité sur cette question, M. Lallah accepte l’interprétation figurant au paragraphe 16 comme une solution de compromis à discuter au cas par cas.

66.Sir Nigel RODLEY dit qu’ayant obtenu confirmation du fait que la portée de la notion de «caractère civil» débordait le champ du droit privé, il est disposé à approuver le paragraphe 16.

67.M. IWASAWA tient à indiquer que dans la version japonaise du Pacte, la notion anglaise de «suit at law»a été interprétée comme étant une notion large, non comme une notion se limitant aux questions de droit privé comme indiqué par Sir Nigel Rodley.

68.Le PRÉSIDENT croit comprendre qu’il a été pris note de la suppression suggérée par Mme Wedgwood et de la proposition de M. Shearer, et que le paragraphe 16 recueille le consensus des membres du Comité.

69. Le paragraphe 16 est approuvé, sous réserve de modifications rédactionnelles ultérieures.

Paragraphe 17

70. Le paragraphe 17 est approuvé.

Paragraphe 18

71.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’observation générale) dit que la question qui se pose est celle de savoir s’il peut être fait appel d’une décision administrative devant un tribunal répondant aux critères figurant dans la définition énoncée au paragraphe 18. Cette question ne se pose bien entendu que dans les cas de «suit at law» (détermination du bien-fondé de contestations sur des droits et obligations de caractère civil); dans les autres cas, l’article 14 est sans objet. La jurisprudence issue de l’affaire Perterer n’élargit pas la notion de «suit at law»; elle établit simplement que lorsqu’une affaire ne porte pas sur la détermination de droits ou d’obligations de caractère civil («suit at law») mais qu’elle est jugée par un tribunal au sens de l’article 14, les garanties énoncées dans ce même article doivent être respectées. Dans l’affaire Perterer, le Comité a établi qu’il ne s’agissait pas d’une procédure au sens de «suit at law»,mais, l’État partie ayant reconnu que l’organe qui avait décidé en appel d’appliquer des mesures disciplinaires à l’encontre de M. Perterer était un tribunal au sens de l’article 14, le Comité a conclu que les garanties prévues à l’article 14 devaient être respectées. M. Kälin ne voit donc pas de raison de modifier le texte du paragraphe 18.

72.Mme WEGDWOOD insiste sur le fait que, dans le système du common law, les tribunaux administratifs sont théoriquement dépendants du pouvoir exécutif, même si on leur donne une indépendance «pratique» (en anglais: «effective»). Toute décision rendue par ces tribunaux sur des droits et obligations de caractère civil serait donc contraire au Pacte, puisqu’il est dit au paragraphe 18 que les décisions de ce genre doivent être rendues par un tribunal «indépendant du pouvoir exécutif et législatif». Cela revient à exclure la quasi-totalité des décisions administratives aux États-Unis, par exemple.

73.Par ailleurs, Mme Wedgwood se demande quelle est la relation entre la nature des droits et la nature du tribunal. M. Kälin semble dire que l’on ne parlera de détermination des droits et obligations de caractère civil que si le tribunal est en quelque sorte public, mais l’on a vu au paragraphe 16 que le «caractère civil» dépendait de la nature du droit en question et non de la nature du tribunal.

74.M. AMOR affirme qu’au contraire, depuis très longtemps, les tribunaux administratifs ne relèvent plus du pouvoir exécutif. En France, le système de la justice «retenue» par l’exécutif bien qu’exercée par les tribunaux a disparu avec l’arrêt Cadot en 1889. Et tous les pays dont le système est inspiré du modèle français ont délégué aux tribunaux administratifs une justice que ceux-ci administrent en toute indépendance. Il existe peut-être une unité de juridiction aux États‑Unis, mais ailleurs, c’est la dualité des ordres de juridiction qui prévaut: un ordre administratif et un ordre judiciaire, bien distincts.

75.Mme PALM ajoute que les juges administratifs sont indépendants dans un très grand nombre de pays, pas seulement dans ceux qui sont inspirés du modèle français. En Suède, par exemple, les juridictions administratives des trois degrés sont de vrais tribunaux totalement indépendants. Il faut cependant tenir compte des autres systèmes qui peuvent exister dans d’autres pays.

76.M. BHAGWATI dit qu’en Inde il existe également un très grand nombre de tribunaux administratifs qui s’occupent des droits des personnes dans différents domaines, en toute indépendance.

77.Sir Nigel RODLEY pense qu’il faut néanmoins admettre qu’il puisse exister dans certains pays des organes qui portent le nom de tribunal administratif et qui ne sont pas indépendants de l’exécutif. Il propose donc d’ajouter «réellement» (en anglais: «effectively») avant «indépendants».

78.M. LALLAH salue cette tentative de compromis mais doute qu’elle règle le problème car un tribunal qui ne serait pas «réellement» indépendant pourrait contourner toutes les dispositions du Pacte.

79.Après un échange de vues auquel participent M me  Palm, M me Wegdwood , M.  Amor , M.  Bhagwati et Sir Nigel Rodley , il est décidé de ne pas retenir cette proposition.

80.Sir Nigel RODLEY ajoute qu’en tout état de cause la deuxième partie de la phrase, qui dit qu’il peut s’agir «selon le cas, [d’un organe] qui statue en toute indépendance sur des questions juridiques dans le cadre de procédures à caractère judiciaire», répond aux préoccupations de Mme Wegdwood.

81.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’observation générale) confirme que c’est effectivement la raison pour laquelle il a ajouté cette précision. La notion de «tribunal administratif» varie d’un pays à l’autre. En droit français, elle est très claire et désigne un vrai tribunal au sens de l’article 14. Mais dans le système germanique, par exemple, on trouve des institutions hybrides qui sont liées d’une certaine manière à l’administration, même si elles n’ont pas à suivre des directives.

82.Quant à la relation entre la nature des droits et la nature du tribunal, la seconde dépend en fait de la première. La nature du droit détermine s’il s’agit d’une contestation relative aux droits et obligations de caractère civil, et si tel est le cas, alors la décision doit être rendue par un tribunal au sens de l’article 14. Cependant, dans certains pays, on aura d’abord une procédure administrative, puis une sorte d’appel interne au sein du système administratif, comme la Commission de recours en Suisse, qui n’est pas un tribunal. Mais, après ce stade, l’affaire doit être examinée par un tribunal. En Suisse, par exemple, ce sera un tribunal administratif au sens du droit français.

83.Afin de rassurer les États parties qui craignent d’être obligés de porter directement toute affaire administrative devant un tribunal – ce que ne dit pas l’article 14, qui exige seulement un tribunal indépendant sans préciser à quel stade −, M. Kälin propose de modifier comme suit la quatrième phrase du paragraphe 18:

«De la même façon, toute décision dans des contestations relatives aux droits et obligations de caractère civil doit être rendue, au moins à l’un des stades de la procédure, par un «tribunal» au sens de cette disposition.».

84.Enfin, par souci de cohérence, il faudrait remplacer «court» par «tribunal» à la cinquième phrase de la version anglaise.

85.Le PRÉSIDENT propose d’adopter le paragraphe 18 avec les modifications proposées par le Rapporteur.

86.Il en est ainsi décidé.

Paragraphe 19

87.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’Observation générale) explique que ce paragraphe a été approuvé à la session de New York. Dans la deuxième phrase, qui précise sur quoi porte la garantie d’indépendance des tribunaux, Mme Wegdwood a proposé de supprimer les références à l’avancement et aux mutations. Cela ne semble plus pertinent puisque sa modification concernait les juges administratifs aux États‑Unis, et non les tribunaux au sens de l’article 14.

88.Le paragraphe 19 est adopté.

Paragraphes 20 et 21

89.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’Observation générale) dit que le libellé de ces paragraphes a également été débattu et approuvé à la session de New York, et n’appelle pas de commentaire.

90. Les paragraphes 20 et 21 sont adoptés.

Paragraphe 22

91.M. KÄLIN (Rapporteur pour l’Observation générale) explique qu’il a essayé de reformuler ce paragraphe en tenant compte des débats du Comité au sujet de l’affaire Madani.

92.M. AMOR fait observer que le paragraphe 22 porte sur les tribunaux militaires et les tribunaux d’exception mais ne traite que des premiers dans la suite du texte. De plus, le Comité vient de voir que ce n’est pas la nature du tribunal qui importe mais bien les garanties prévues par l’article 14. Les tribunaux militaires ou d’exception ne sont pas interdits par le Pacte, pour autant qu’ils respectent ces garanties. Tous les tribunaux, ordinaires ou non ordinaires, doivent les respecter.

93.M. Amor estime qu’il n’appartient pas au Comité d’accepter ou de rejeter une catégorie donnée de tribunaux, ni de dire aux États quelles juridictions doivent juger quelles affaires. C’est pourquoi il était en désaccord avec la position adoptée par le Comité en l’affaire Madani. Entre un pouvoir d’interprétation et un pouvoir créatif ou normateur, il y a un grand pas qui, s’il était franchi, priverait de fondement les observations générales du Comité. Celui-ci doit donc veiller à ne pas dépasser la fonction d’interprétation qui lui est dévolue en sa qualité de gardien du Pacte.

94.M. Amor propose de modifier comme suit la quatrième phrase du paragraphe:

«Il incombe à l’État partie poursuivant des civils devant des tribunaux militaires ou des tribunaux d’exception de veiller scrupuleusement au respect de toutes les dispositions prévues à l’article 14. Aucune limitation aux garanties prévues à l’article 14 ne peut être acceptée. L’exigence d’un procès équitable ne peut être contournée ou atténuée en raison du caractère militaire ou d’exception de la juridiction saisie.».

95.M. KHALIL pense lui aussi que le plus important n’est pas la nature du tribunal mais bien le respect des garanties énoncées à l’article 14. Les États doivent démontrer que la juridiction qu’ils choisissent pour connaître d’une affaire donnée respecte ces garanties.

96.Le PRÉSIDENT prie M. Amor de communiquer sa proposition par écrit aux membres, en vue de la reprise du débat à la séance suivante.

La séance est levée à 18 h 5.

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