Quatre-vingt-douzième session

Compte rendu analytique de la 2512e séance

Tenue au Siège, à New York, le lundi 17 mars 2008, à 15 heures

Président :M. Rivas Posada

Sommaire

Examen des rapports présentés par les États parties en vertu de l’article 40 du Pacte

Cinquième rapport périodique de la Tunisie

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports présentés par les États parties en vertu de l’article 40 du Pacte

Cinquième rapport périodique de la Tunisie (CCPR/C/TUN et CCPR/C/TUN/Q/5)

À l’invitation du Président, les membres de la délégation tunisienne prennent place à la table du Comité.

M. Amor se récuse en vertu du paragraphe 4 de l’article 71 du règlement intérieur du Comité des droits de l’homme.

M. Tekkari (Tunisie) dit que le rapport de son gouvernement couvre une période de 10 ans et récapitule la situation des droits de l’homme en Tunisie au moment où le rythme des réformes visant à accélérer le programme de modernisation du pays s’intensifie. Les réformes introduites portent notamment sur l’état de droit, la consolidation des droits et des libertés ainsi que du système de justice, la promotion d’une culture des droits de l’homme et la volonté de coopération avec l’Organisation des Nations Unies et les mécanismes régionaux relatifs aux droits de l’homme. Si des progrès considérables ont été réalisés en matière de promotion et de protection des droits de l’homme, il reste néanmoins encore beaucoup à faire. Les récentes mesures prises par son gouvernement pour imprimer un nouvel élan aux efforts déployés dans ce domaine portent notamment sur les décisions d’accueillir les rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l’homme et de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et de présenter en 2008 aux organes compétents des Nations Unies huit rapports périodiques sur l’application de diverses conventions relatives aux droits de l’homme; le renforcement du Comité supérieur tunisien des droits de l’homme et des libertés fondamentales en lui conférant un statut législatif et de vastes pouvoirs pour combattre les violations des droits de l’homme, le retrait des réserves émises par la Tunisie à l’égard de la Convention relative aux droits de l’enfant et l’adhésion de la Tunisie au Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La Tunisie a également adopté la Convention sur les droits des personnes handicapées et le Protocole facultatif qui s’y rapporte, et continuera à commuer les peines capitales en peines de réclusion à perpétuité. Parmi les autres mesures figure la décision d’autoriser Human Rights Watch à visiter les prisons tunisiennes et la création d’une instance chargée de l’application des recommandations formulées par les organes de suivi des traités.

Le paysage politique a beaucoup évolué au cours des 20 dernières années, pendant lesquelles neuf partis politiques ont contribué à animer les débats intellectuels et politiques nationaux sur l’avenir du pays. Six d’entre eux sont actifs à la Chambre des députés où ils représentent des tendances opposées. En outre, un nouveau système électoral a été récemment mis en place, qui garantit aux partis d’opposition 25 % au moins des postes dans l’administration nationale, régionale et locale. En ce qui concerne la situation des femmes, la Tunisie fait preuve de la volonté politique nécessaire et a pris les mesures nécessaires pour qu’elles puissent participer au même titre que les hommes à tous les aspects de la vie publique, économique et sociale. La Tunisie interprète la loi islamique (charia) dans le cadre de sa politique réformiste de protection des droits de l’homme en général et de la femme en particulier. La protection de l’enfance et de la famille figure également au nombre des priorités du Gouvernement comme en témoignent les amendements apportés au Code de la famille et l’élaboration d’un code de protection de l’enfance.

Les progrès accomplis doivent être consolidés davantage, vu les problèmes que posent le terrorisme, les antagonismes religieux et le discours déplorable d’incitation à la haine, voire de justification de l’extrémisme, véhiculé par certains réseaux de télévision par satellite. Des attentats terroristes ont été perpétrés en Tunisie par des agents étrangers et nationaux, dont ceux de l’aile nord-africaine de l’organisation Al-Qaida. Cet extrémisme donne une image faussée de la religion et menace les acquis de la modernité et de la démocratie. À en croire un dirigeant extrémiste, qui dit démocratie en islam dit apostasie. Par ailleurs, quelque 500 réseaux de télévision étrangère de la région tentent d’endoctriner la jeunesse tunisienne par des discours simplistes et démagogiques.

Les effets pervers de la mondialisation constituent également une menace pour les droits économiques et sociaux, interdépendants et indissociables de tous les autres droits de l’homme. Son gouvernement entend continuer à protéger et à promouvoir les droits de l’homme tout en relevant divers autres défis. L’orateur espère que sa délégation aura un dialogue constructif avec le Comité.

Le Président invite la délégation à répondre aux questions qui figurent sur la liste des points relevés dans le document portant la cote CCPR/C/TUN/Q/5.

M. Labidi (Tunisie) dit, à propos de la première question inscrite sur cette liste, qu’une fois qu’un traité entre en vigueur, il s’intègre au système juridique national et constitue une source supérieure de droit ayant force exécutoire. Des juridictions de droit commun et des tribunaux administratifs tunisiens ont dans bien des cas permis à des demandeurs d’invoquer directement des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et autres mécanismes juridiques. C’est ainsi qu’en 2000, le Tribunal de première instance de Tunis a rejeté une demande d’application d’une loi égyptienne de répudiation au motif qu’elle allait à l’encontre d’une politique publique tunisienne découlant de l’article 6 de la Constitution, des articles 1, 2, 7 et des paragraphes 1 et 2 de l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que des articles 1, 2 et 16 c) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Il est également arrivé plusieurs fois aux tribunaux, dans leurs jugements, de citer des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme tels que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention relative aux droits de l’enfant. Par exemple, en 2003, un tribunal de première instance saisi d’une plainte du Bureau du Procureur de la République pour établir la filiation déterminée d’un enfant, par des examens d’ADN, a conclu que la filiation, telle que la définit l’article 68 du Code du statut personnel tunisien, est à interpréter au sens large du terme, conformément au paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant.

En 1999, le Tribunal administratif, invoquant l’article 23 du Pacte, a annulé la décision des autorités administratives de licencier un membre des forces de sécurité interne, parce qu’il n’avait pas obtenu l’autorisation préalable d’épouser une étrangère. Dans un avis rendu en 2006, le Conseil constitutionnel a indiqué que la Convention relative aux droits de l’enfant, à laquelle la Tunisie était Partie, privilégiait les intérêts de l’enfant et définissait les droits et les devoirs des parents, et le cas échéant, de la famille élargie.

Une commission constituée de représentants des ministères compétents examine la question de l’adhésion de la Tunisie au Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

M. Al-Ahmadi (Tunisie), répondant à la question de savoir si le Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales est conforme aux Principes de Paris, dit que le Comité supérieur est bien connu du monde arabe. Le Gouvernement a examiné les observations et recommandations des organes des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme et récemment introduit un projet de loi qui, s’il est adopté, permettra d’aligner le Comité supérieur sur les Principes de Paris. Conformément au paragraphe 2 des Principes, la nouvelle loi assurera l’indépendance financière du Comité supérieur, lui reconnaîtra une personnalité morale et juridique, élargira son mandat et définira sa composition et ses attributions. Le Comité pourra également formuler des recommandations à l’attention du Président de la République d’intervenir lui-même, au cas où il considérerait qu’une violation des droits de l’homme aurait eu lieu, de recevoir et d’examiner des plaintes faisant état de ces violations et de visiter des prisons sans autorisation préalable pour s’assurer du respect des dispositions applicables du droit relatif aux droits de l’homme.

Le Comité supérieur sera composé de représentants des ministères compétents et de membres de la société civile, dont des personnalités tunisiennes bien en vue représentant divers courants de pensée, des universitaires et des membres d’organisations non gouvernementales (ONG). Il pourra adopter des décisions par consensus ou à la majorité des voix et présentera un rapport annuel, comme le prévoient les dispositions a) iii) du paragraphe 3 des Principes de Paris.

Certaines ONG craignent que le projet de loi ne mette le Comité supérieur en concurrence avec d’autres organes relatifs aux droits de l’homme. Le Gouvernement considère toutefois qu’une telle concurrence est souhaitable à condition que le Comité supérieur coopère avec les organes internationaux selon que de besoin.

M. Tekkari (Tunisie), répondant à la question 3 de la liste des points recensés dans le document (CCPR/C/TUN/Q/5), dit que 65 % des décisions du Tribunal administratif sont à présent appliquées. Le reste des cas, qui résultent d’un retard plutôt que d’une non-application, se répartissent en deux catégories : ceux où le Tribunal a demandé que la procédure – par exemple de recrutement à un poste – soit reprise depuis le début et ceux à propos desquels le Tribunal a accordé des dommages et intérêts qui seront versés au titre du prochain exercice budgétaire.

À propos de la question de l’indépendance de la magistrature, il indique que la loi d’organisation de 2005 a renforcé l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature. Le nombre de membres du Conseil a été ramenée de 35, dont 6 élus, à 18, dont 8 élus; 30 % de ses membres permanents sont des femmes et deux autres femmes sont nommées pour des mandats renouvelables de deux ans après consultation avec tous les membres du Conseil, dans un acte de discrimination positive. Le Conseil propose la nomination, l’avancement et le transfert des magistrats, qui sont ensuite entérinés par décret. Il est présidé par le Président de la République, premier magistrat du pays, qui ne participe cependant pas à la préparation de ses décisions; celles-ci sont rédigées par un groupe restreint de membres élus.

La question des affectations, dont le Comité s’est inquiété par le passé, est régie par la loi; les magistrats sont assurés de servir un minimum de cinq ans à un poste avant de pouvoir être mutés. Autrement, il serait impossible d’en trouver à affecter dans les zones reculées du pays jugées inattrayantes.

Nombre de conflits civils précédemment réglés à l’amiable ou par les autorités nationales sont maintenant portés devant les tribunaux et amplement relayés par les médias, quoique parfois de façon erronée; la magistrature peut être faussement accusée de manquer d’indépendance lorsque ses décisions divergent des vues exprimées par les médias.

La Tunisie a été victime d’attentats terroristes. La définition du terrorisme donnée à l’article 4 de la loi no 2003-75 du 10 décembre 2003 a été critiquée pour son imprécision alors qu’elle s’inspire de celle contenue dans les instruments internationaux pertinents, notamment la Convention internationale de 1999 pour la répression du financement du terrorisme. La loi ne s’applique qu’aux actes déjà érigés en infraction par le Code pénal, en les qualifiant de terroristes s’ils sont commis dans le but de terroriser une personne, un groupe d’individus ou une population; elle ne s’étend pas aux délits d’opinion. Dans plusieurs cas, des juges d’instruction et des magistrats ont ordonné que des prévenus qui avaient organisé des rassemblements de caractère fondamentaliste sans avoir en fait préparé une infraction soient libérés; deux d’entre eux ont par la suite commis des attentats-suicides.

On reproche également aux tribunaux d’avoir permis à des témoins et des fonctionnaires de police de garder l’anonymat lors du procès, ce qui ne s’est toutefois produit que devant l’existence établie d’une menace imminente. Les accusés et leurs conseils peuvent demander aux tribunaux de révéler l’identité des personnes concernées, et qu’en cas d’abus, le témoin ou le policier peut être poursuivi.

Le Gouvernement tunisien est disposé à renforcer la législation, notamment en matière de lutte antiterroriste, mais seulement pour donner suite à des recommandations concrètes fondées sur des instruments pertinents des Nations Unies plutôt que la législation d’autres États. La loi tunisienne est déjà en avance sur celle d’autres pays dans plusieurs domaines, notamment celui de la garde à vue.

M me  Ammar (Tunisie) dit, au sujet de la violence à l’égard des femmes, que le Code du statut personnel de 1956 établit le principe de l’émancipation des femmes et de l’égalité de tous les citoyens. Des moyens sont mis en œuvre pour lutter contre les comportements traditionnels qui relèguent les femmes à un statut inférieur et contre la violence sexiste et la discrimination dans les secteurs public et privé. La Tunisie s’apprête à adhérer au Protocole additionnel à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et le Code pénal interdit les actes de violence à l’égard des individus des deux sexes, avec ou sans préméditation. Les femmes et les filles jouissent d’une protection juridique contre le viol, y compris de la part des membres de leur famille.

Les femmes victimes ont plein droit de recours et diverses voies s’offrent à elles. Les femmes ne doivent plus obéissance à leur mari; en vertu des amendements apportés au Code du statut personnel en 1993, les rapports entre couples mariés reposent sur la complémentarité et l’indépendance et les femmes ont leur personnalité juridique à part entière.

Le Gouvernement tunisien a élaboré un plan d’action pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, et le mariage est considéré comme une circonstance aggravante qui exige une peine plus sévère. Les auteurs des actes de violence sont passibles d’une peine d’emprisonnement d’un an et d’une amende de 1 000 dinars. Cette peine est doublée lorsque l’auteur est un descendant ou l’époux de la victime. Le viol conjugal est une infraction mais n’a donné lieu à aucune plainte. Plusieurs associations de femmes ont lancé des campagnes de sensibilisation et ouvert des centres d’écoute et de conseil psychologique à l’intention de femmes victimes de violence. L’article 236 du Code pénal fait de l’adultère commis par le mari ou la femme, sans distinction, un acte réprimé par la loi. Les sanctions peuvent être pécuniaires ou sous la forme de peines privatives de liberté, selon la gravité de l’affaire et une indemnisation est versée en cas de voies de fait et de préjudices matériels et non matériels.

M. Tekkari (Tunisie) dit que la Cour de cassation considère que toutes les formes de violence sexuelle sont punies par la loi. Le Gouvernement ne dispose pas de statistiques sur le nombre de plaintes pour violence conjugale mais remédiera à cette omission dans son prochain rapport.

M me  Gueddana (Tunisie) dit que la violence à l’égard des femmes a fait l’objet d’un grand débat national. Une commission nationale composée de représentants de ministères, d’organisations de la société civile et de l’Office national de la famille et de la population a établi un plan national de lutte à cet égard. Aucune statistique n’est encore disponible, mais la commission a recommandé qu’une enquête nationale soit consacrée à ce phénomène en 2008. Les mécanismes de collecte de données sont également réévalués. De nombreux textes législatifs, dont le Code du statut personnel, le Code du travail et des lois relatives à la sécurité sociale, au travail des femmes et au harcèlement sexuel, contiennent des dispositions susceptibles d’aider à la rédaction d’un projet de loi sur la violence sexiste.

Les Ministères de l’intérieur et de la santé publique ont rendu la dénonciation de la violence à l’égard des femmes obligatoire pour les centres d’urgence et les dispensaires. Le Ministère des affaires de la femme, de la famille, de l’enfance et des personnes âgées a recommandé que soient privilégiés quatre domaines : la collecte de données; la prestation de services adéquats et diversifiés; le renforcement des activités de sensibilisation au niveau local afin de modifier les comportements et de réformer les institutions; et le plaidoyer en faveur de l’application de la loi. L’Office national de la famille et de la population a déjà créé des programmes nationaux et contribué de manière effective aux efforts visant à éliminer la violence à l’égard des femmes en assurant des services de santé à près de 2 millions de femmes chaque année.

M. Al-Ahmadi (Tunisie), abordant la question 7 de la liste, dit que l’article 58 du Code du statut personnel définit les modalités de garde de l’enfant en des termes généraux et spécifiques. Les termes généraux s’appliquent aux deux sexes et les termes spécifiques aux seuls hommes. Un homme qui demande la garde d’un enfant doit avoir une femme qui puisse s’en occuper et avoir avec l’enfant un degré de parenté qui exclut le mariage. Dans le cas d’une femme, elle ne doit pas être mariée, bien que cette condition ne soit pas absolue. Une mère a toujours la garde en cas de décès du père ou si l’enfant allaite. Le législateur ayant été guidé dans son choix par le seul souci de l’intérêt supérieur de l’enfant, ces conditions ne sont pas incompatibles avec l’égalité. La jurisprudence tunisienne comporte un exemple d’un enfant tunisien dont la garde a été confiée à une femme étrangère non musulmane résidant hors de Tunisie.

M. Tekkari (Tunisie) indique à propos de la question 8 que si la Tunisie est un État abolitionniste de fait, sa position n’est pas figée. Elle reconnaît qu’une personne condamnée à mort dont la sentence n’est pas exécutée souffre. La Tunisie examine actuellement la possibilité de limiter le nombre de crimes passibles de la peine capitale. Le Parlement est actuellement saisi d’un projet de loi sur l’abolition de la peine de mort. Le passage à une abolition de droit suscite manifestement beaucoup d’intérêt.

M. Rhemakhem (Tunisie) signale à propos de la question 9 que la loi tunisienne interdit formellement la torture et que la Tunisie fait partie des premiers pays à avoir ratifié sans réserve la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La législation tunisienne protège également quiconque contre les arrestations et détentions arbitraires. À propos des affirmations de certaines ONG selon lesquelles la Tunisie avait détenu arbitrairement des défenseurs de droits de l’homme ou fait peu cas de leurs plaintes, il note qu’ils sont traités comme tout autre citoyen. Ils peuvent porter plainte et obtenir l’ouverture d’une enquête, s’il y a des raisons suffisantes de le faire.

Les magistrats du parquet sont habilités à se rendre dans des centres de détention pour y enquêter sur des plaintes de détenus. C’est ainsi qu’un défenseur des droits de l’homme qui soutenait avoir fait l’objet d’une détention arbitraire avait en réalité été condamné pour avoir agressé un collègue et entravé le cours de la justice. Le Comité ne s’attend certainement pas à ce que des défenseurs de droits de l’homme bénéficient d’immunité de poursuites dans de tels cas. La Tunisie fera assurément tout pour appliquer les recommandations du Comité.

M. Tekkari (Tunisie) ajoute que les plaintes peuvent être déposées devant le parquet qui décide si elles sont suffisamment graves pour être transmises à un juge. Si elles se révèlent par la suite sans fondement, des poursuites peuvent être engagées pour diffamation.

Avant un examen périodique ou une réunion du Comité, les plaintes inventées de toutes pièces se multiplient pour tenter de montrer que l’État partie viole systématiquement les droits de l’homme. Les statistiques sont là pour le prouver. Tous les citoyens méritent d’être protégées et sont égaux devant la loi.

Abordant les points sur les conditions de détention, il note que des représentants du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) se sont rendus dans des prisons en Tunisie et constaté que les conditions de séjour s’y étaient améliorées à la suite de l’application des recommandations du CICR. Les visites des prisons ont également aidé à modifier les comportements des autorités pénitentiaires et incité le Gouvernement à envisager de conclure des accords avec d’autres ONG. La Tunisie s’est déjà déclaré prête à signer un accord avec Human Rights Watch à cet égard.

M me  Ammar (Tunisie) dit à propos des plaintes pour torture ou mauvais traitements contre des agents de l’État que le Gouvernement tunisien s’est doté de lois et de mécanismes des plus perfectionnés pour mettre un terme à ces violations des droits de l’homme. Malheureusement, aucune statistique sur les plaintes n’est encore disponible mais compte tenu du nombre de suggestions et d’observations formulées par divers organismes des Nations Unies et spécialistes des droits de l’homme, de telles statistiques figureront dans de prochains rapports. Certaines des plaintes ont donné lieu à des poursuites. Quiconque a le droit de saisir le Ministre de la justice d’une plainte et les tribunaux disposent de personnels compétents capables d’y donner suite. Certaines ont été déposées auprès d’un juge d’instruction ou d’une cour pénale, d’appel ou d’arbitrage. Tous ces mécanismes servent à garantir la protection des droits des victimes et leur efficacité a été illustrée par les cas de jurisprudence cités dans le rapport (CCPR/C/TUN/Q/5). Les plaintes peuvent être déposées également auprès du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales et des sanctions administratives sont aussi prévues pour les agents de l’État qui violent les droits de l’homme. Le Ministère de la justice et d’autres ministères chargés de l’application des lois soutiennent des campagnes de sensibilisation dans les écoles et les universités et les programmes destinés à améliorer la formation des futurs responsables de la sécurité et des prisons. Des efforts ne cessent d’être déployés pour créer de nouveaux mécanismes visant à faire du respect des droits de l’homme par les citoyens et les agents publics une partie de la réalité quotidienne en Tunisie.

M. Te kkari (Tunisie) dit que les défenseurs des droits de l’homme n’ont aucune raison de craindre pour leur sécurité. Des mécanismes disciplinaires sont en place pour empêcher que les agents publics violent les droits de l’homme et les statistiques seront fournies ultérieurement à ce sujet.

M. Fellous (Tunisie), à propos de la question 12, dit que la Tunisie compte neuf partis politiques dont six sont représentés à la Chambre des députés. Tous les partis sont libres de publier leurs journaux et ceux qui siègent à la Chambre des députés reçoivent une subvention publique au titre de leurs activités. Les groupes non reconnus sont soumis aux dispositions de la loi relative aux partis politiques qui prévoit qu’ils doivent agir dans le respect de la Constitution, défendre le républicanisme et rejeter la violence et toute forme de discrimination. La loi stipule également qu’aucun parti politique ne peut se fonder sur la religion, la langue, la race, le sexe ou la région. Les autorités tunisiennes ne sont nullement indifférentes aux actes d'agression, d’où qu’ils proviennent, et s’il vient à être établi qu’un agent chargé de l’application des lois en est l’auteur, les mesures qui s’imposent sont prises et les victimes sont parfaitement en droit de porter plainte et obtenir réparation.

M. T e kkari (Tunisie), se référant à la question 13, dit que de toute évidence, le Gouvernement a pour politique de juger et de sanctionner les agents publics ou les policiers coupables et de dédommager quiconque est détenu sans motif, comme ce fut effectivement le cas à deux ou trois reprises.

M. Al-Ahmadi (Tunisie), en réponse à la question 14 sur le droit à un procès équitable, indique que l’un des critères est assurément que les éléments de preuve soient rassemblés en toute transparence, sans recours aucun à la violence, et que les aveux obtenus par la force sont irrecevables. Les dispositions de la Constitution de 2002 relatives au respect de la dignité humaine et tout le corpus de lois régissant le traitement des individus placés en garde à vue érige la torture en infraction et prévoit des garanties telles que le droit de faire appel à un médecin lors de la période de garde à vue et, depuis l’adoption de la législation de 2007, celui d’avoir un avocat présent lors des interrogatoires. En pratique, nombre de condamnations ont été annulées à cause d’aveux obtenus par la force, comme ce fut le cas tout récemment en 2005, et la politique du Gouvernement est sans ambiguïté à cet égard.

Le Présidentinvite les membres du Comité à poser des questions sur les points 1 à 14 qui figurent sur la liste.

M me  Chanet fait remarquer que la délégation de haut niveau a répondu de manière compétente à un bon nombre de questions du Comité sur la situation en Tunisie au cours de la longue période couverte par le tout dernier rapport, soumis tardivement. Notant toutefois que tous les cas cités (réponse à la question 1) où le Pacte ou d’autres conventions internationales avaient été invoqués directement devant les tribunaux renvoyaient exclusivement au Code du statut personnel, elle se demande s’il n’existe pas de jurisprudence dans d’autres domaines tels que la détention, la torture ou la liberté d’expression. Il serait également utile que le Comité sache précisément pourquoi la Tunisie, qui est Partie à tant de traités internationaux, n’a toujours pas décidé d’adhérer au second protocole facultatif, d’autant lorsqu’elle se déclare État abolitionniste de fait. Que ses tribunaux continuent de prononcer des condamnations à mort, même si elles ne sont pas exécutées, semble être une contradiction. Par ailleurs, la législation tunisienne autorise des délais de garde à vue plus longs que ne le recommande la jurisprudence du Comité, et on ne voit pas très bien comment des détenus peuvent contester la légalité de leur détention, surtout lorsqu’ils n’ont pas d’avocat.

À propos des lois antiterroristes tunisiennes (réponse à la question 5), la définition de terrorisme donnée dans la loi no2003-75 permet de déroger à la procédure pénale établie du pays, et à l’article 9 du Pacte, en érigeant en infraction le simple fait de s’apprêter à commettre un acte terroriste. Par ailleurs, la loi libère tout avocat lié à une affaire terroriste de l’obligation de son secret professionnel envers son client et l’oblige au contraire à renseigner les autorités sur les actions de son client, ce qui va à l’encontre de la jurisprudence du Comité en matière de secret professionnel. On voit difficilement dans ce cas comment les accusés peuvent faire confiance à leurs avocats. La délégation tunisienne doit préciser ce qu’elle entend par le fait que les témoins d’actes terroristes sont tenus de les signaler et peuvent être sanctionnés en cas contraire. Apparemment, très rares sont les affaires de terrorisme qui ont été portées devant les tribunaux et qui ont abouti à des condamnations et plus rares encore ont été les procédures disciplinaires. Malgré l’absence de données statistiques, la délégation tunisienne peut peut-être fournir des informations sur certaines de ces affaires dont 19 ont été citées par d’importantes organisations non gouvernementales dans ce domaine.

Le rapport évoque la question de la torture en des termes généraux alors qu’il y a eu des cas très précis de plaintes pour des actes de torture commis par des autorités tunisiennes. Mme Chanet demande à la délégation de se prononcer sur une décision récente de la Cour européenne des droits de l’homme confirmant le refus d’un autre pays d’extrader vers la Tunisie en raison des risques de torture qui y existent.

La délégation tunisienne continue de rejeter les accusations de harcèlement portées par des défenseurs des droits de l’homme alors que la Représentante spéciale du Secrétaire général concernant la situation des défenseurs des droits de l’homme avait recensé dans ses rapports (E/CN.4/2002/106 et E/CN.4/2006 /95/Add.5) le nombre spectaculaire de 30 cas de mauvais traitements et de 78 cas de plaintes pour harcèlement par des journalistes, militants, médecins, avocats et autres et qui ne peuvent pas tous être accusés de paranoïa. Les charges retenues par les autorités tunisiennes contre les défenseurs des droits de l’homme sont très vagues et Mme Chanet souhaite qu’on lui justifie la réaction répressive du Gouvernement dans ces cas.

M. Bhagwati espère que la Tunisie ne se contentera plus de ne pas appliquer les peines de condamnation à mort prononcées et ne tardera pas à abolir la peine de mort. Il souhaite avoir de plus amples informations sur le Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales : sur la nomination de ses membres, les compétences requises, la durée de leur mandat et surtout la manière dont leur indépendance est assurée et aussi le nombre de fois que le Comité supérieur, tout comme le Médiateur administratif dont il est question au paragraphe 72 du rapport, a formulé des recommandations au Gouvernement sur l’indemnisation des victimes au cours des trois dernières années. Il souhaite également savoir si, au cas où il n’aurait pas donné suite à une recommandation non contraignante, le Gouvernement avait dû motiver sa décision.

Un complément d’information sur le Tribunal administratif (réponse à la question 1) serait utile : les critères qui président au choix des juges; leur champ de compétence, leurs obligations en matière de présentation de rapports et surtout les modalités d’application de leurs jugements et décisions d’indemnisation. La Constitution et les lois tunisiennes garantissent certes l’indépendance de la justice, mais le fait que ce soit le pouvoir exécutif et non le pouvoir judiciaire qui organise les examens de recrutement des magistrats et décide des procédures disciplinaires est préoccupant.

M. Glélé Ahanhanzo fait remarquer que la délégation tunisienne a présenté un exposé très théorique des questions et que c’est peut-être trop beau pour être vrai. Le fait par exemple qu’en vertu de la législation antiterroriste, les procès se déroulent à huis clos, les jugements sont secret et les noms des fonctionnaires de police et autres agents de l’État peuvent ne pas être divulgués rappelle étrangement la « justice anonyme » tant critiquée ailleurs. Le champ d’application de la loi antiterroriste de 2003 est trop vaste et doit être restreint.

Il a été déclaré que les organisations non gouvernementales ont accès aux prisons, mais c’est uniquement le cas des ONG étrangères. Dans l’intérêt de la liberté d’expression et du rôle indispensable de la société civile comme le proclame le Pacte, l’accès aux prisons doit également être ouvert aux ONG locales et nationales. L’orateur souhaiterait de manière générale avoir plus d’informations sur ce que fait concrètement le Gouvernement dans les divers domaines que couvre le Pacte et ce qu’il compte faire pour améliorer la situation des droits de l’homme de tous ses citoyens.

La séance est levée à 18 heures.