NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.254521 juillet 2008

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre‑vingt‑treizième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 2545e SÉANCE*

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mercredi 9 juillet 2008, à 15 heures

Président: M. RIVAS POSADA

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (suite)

Quatrième rapport périodique de la France

La séance est ouverte à 15 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (point 6 de l’ordre du jour)(suite)

Quatrième rapport périodique de la France (CCPR/C/FRA/4; CCPR/C/FRA/Q/4, CCPR/C/FRA/Q/4/Add.1)

1. Sur l’invitation du Président, M me  Belliard, M. Mattei, M me  Tissier, M me  Ricaud, M me  Diego, M. Dumand, M. Petraz, M. Juy ‑Birmann, M. de Croone, M me  Doublet, M. Le Coz, M. Guyetant, M me  Del Corso, M me  Dime ‑Labille, M me  Sirinelli, M. Riberolles et M me  Basso (France) prennent place à la table du Comité .

2.Mme BELLIARD (France), présentant le quatrième rapport périodique (CCPR/C/FRA/4), tient tout d’abord à prier le Comité d’excuser le retard avec lequel il a été soumis.

3.Le Pacte, de par son caractère transversal et l’exigence de ses dispositions, constitue aux yeux de la France un traité fondamental, qui influe sur ses réglementations et le contentieux national. Il est un texte de référence pour les autorités françaises et un texte phare pour les juridictions nationales, de plus en plus souvent amenées à connaître de ses dispositions. Sa mise en œuvre requiert des efforts constants et la France a considérablement progressé dans cette tâche depuis l’examen de son rapport périodique précédent, en 1997. Les mesures présentées dans le rapport s’inscrivent plus globalement dans l’action internationale de la France, dont l’engagement en matière de droits de l’homme s’exprime en premier lieu dans les organes des Nations Unies − en témoignent les travaux récents sur le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, deux textes qui seront ratifiés prochainement. Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur le 2 janvier 2008, après la réforme constitutionnelle nécessaire. Convaincue que les engagements internationaux sont indispensables pour relayer, mais aussi entraîner, les efforts nationaux, la France est également engagée au sein d’autres organes internationaux, notamment le Conseil de l’Europe, dont elle a récemment ratifié la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains et signé la Convention sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, à l’élaboration de laquelle elle avait activement participé.

4.Les principales initiatives dans le domaine des droits de l’homme s’articulent autour de trois grands axes qui traversent l’ensemble de la réflexion et de l’action publiques: le respect de la diversité, la recherche de l’égalité, et la garantie des droits face aux missions les plus régaliennes de l’État. Selon l’approche française, la diversité s’exprime à travers les choix personnels de chaque individu. Chacun reste ainsi libre de ses préférences, qu’il choisisse ou non de pratiquer ses droits collectivement. Cette conception protège les individus des contraintes communautaires qui pourraient limiter leur liberté, mais ne fait en aucun cas obstacle au respect des différentes pratiques culturelles par l’État, lequel applique des politiques permettant par exemple aux langues et cultures minoritaires de trouver une place dans l’éducation et les médias. Ainsi, un conseil académique des langues régionales veille au statut et à la promotion des langues et cultures régionales dans chaque académie. La loi du 1er août 2000 relative à la liberté de communication dispose que les sociétés de radio et de télévision du service public doivent contribuer à l’expression des principales langues régionales parlées sur le territoire métropolitain. Outre ces efforts d’accompagnement de la diversité, de véritables aménagements juridiques sont parfois mis en œuvre pour adapter le droit à certaines pratiques culturelles, notamment dans les collectivités d’outre‑mer, où le respect intégral des coutumes et traditions des populations locales est garanti par l’article 75 de la Constitution.

5.Cependant, la prise en compte de la diversité doit aller de pair avec la poursuite, attentive et permanente, de l’égalité de droits entre les citoyens. C’est pourquoi les autorités s’attachent à corriger les discriminations qui sont encore observées en pratique. Le législateur est notamment intervenu pour écarter certains régimes dérogatoires dans les territoires d’outre‑mer, qui semblaient incompatibles avec le principe de l’égalité entre hommes et femmes. Au plan national, la loi du 4 avril 2006 est venue aligner l’âge légal du mariage pour les femmes sur celui des hommes (18 ans au lieu de 15). Enfin, plusieurs textes ont été adoptés pour assurer l’égalité professionnelle, par exemple la loi du 23 mars 2006 sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Ces efforts ont même trouvé une traduction constitutionnelle, avec la réforme introduisant en 1999 dans la Constitution le principe de parité dans l’accès aux mandats et fonctions électives. La recherche de l’égalité et la lutte contre les discriminations ont donné lieu à la création de nouveaux mécanismes de vigilance, comme la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), créée en décembre 2004. Celle‑ci peut être saisie directement par quiconque s’estime victime d’une discrimination réprimée par la loi ou par un engagement international pris en vertu d’un instrument ratifié par la France, et dispose de pouvoirs d’enquête étendus, renforcés par la loi du 31 mars 2006, qui lui donne notamment la possibilité de proposer des transactions pour l’indemnisation des victimes. Déjà revêtue d’une très forte autorité morale, cette institution indépendante a trouvé en peu de temps une place centrale dans le paysage institutionnel français, et émet régulièrement des recommandations sur des textes de nature législative ou réglementaire.

6.Enfin, garantir les droits des citoyens dans le cadre de la mise en œuvre des politiques de sécurité et d’ordre public est l’une des missions essentielles de l’état de droit. Dans ce cadre, la France tente d’apporter une attention toute particulière aux groupes susceptibles de présenter une plus grande fragilité face aux politiques publiques: étrangers, mineurs, détenus. Des efforts ont ainsi été menés pour simplifier la procédure d’asile; un organisme unique est compétent, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, dont toutes les décisions peuvent être contestées devant la Cour nationale du droit d’asile. La procédure a aussi été complétée parce qu’il est désormais tenu compte non seulement des persécutions au sens de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, mais aussi, au titre de la protection subsidiaire, du risque de traitements contraires à la Convention contre la torture. La réforme apportée avec la loi du 20 novembre 2007, qui a introduit un recours suspensif pour les demandeurs d’asile se voyant opposer à la frontière un refus d’entrée sur le territoire, a permis en quelques mois de tirer des enseignements de l’arrêt Gebremedhin rendu en 2007 par la Cour européenne des droits de l’homme. Elle illustre ainsi le souci de la France de sans cesse faire évoluer son droit selon les voies d’amélioration dictées au niveau international.

7.Le sort des détenus fait également l’objet d’une attention accrue, dans une situation rendue particulièrement difficile par la surpopulation carcérale. Des mesures ont été prises pour réduire la fréquence du recours à l’isolement cellulaire et améliorer le traitement des plaintes et requêtes individuelles des détenus. Les droits des gardés à vue ont été réaffirmés dans une circulaire du 11 mars 2003 relative à la garantie de la dignité des personnes gardées à vue, qui trouve un pendant dans la circulaire du 22 février 2006 concernant les mineurs. Parallèlement, les formations à l’intention des forces de l’ordre sont sans cesse améliorées afin de mettre toujours plus en exergue les exigences en matière de respect des droits. Il faut enfin souligner dans ce domaine le développement d’organes de contrôle indépendants qui apportent de nouvelles garanties par la surveillance qu’ils exercent, comme la Commission nationale de déontologie de la sécurité qui veille au respect de la déontologie par tous les services et autorités assurant des missions de sécurité ou de protection, et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, institué en 2007, en application du Protocole facultatif à la Convention contre la torture.

8.Le quatrième rapport périodique de la France et les réponses écrites ont été élaborés selon une logique de coordination et de concertation: concertation gouvernementale, pour assurer l’aspect interministériel de l’examen, et concertation avec des instances indépendantes, notamment la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui compte en son sein de nombreux représentants de la société civile et dont le statut a été récemment rénové afin de satisfaire aux Principes de Paris. C’est donc par un dialogue toujours plus étoffé avec ses partenaires indépendants et la société civile que le Gouvernement entend poursuivre l’effort de vigilance et d’exigence qui s’impose dans le domaine bien particulier des droits de l’homme. La France se présente ainsi devant le Comité avec la conviction que, dans cette matière plus encore que dans toute autre, la réflexion et l’échange doivent être continuellement poursuivis, les moyens disponibles redéployés et la vigilance constante.

9.Le PRÉSIDENT remercie la délégation et l’invite à répondre aux questions nos 1 à 14 de la liste des points à traiter (CCPR/C/FRA/Q/4).

10.Mme BELLIARD (France) dit que les réserves et déclarations déposées par la France (question no 1) ne sont remises en cause par aucun élément nouveau, si ce n’est que le Gouvernement, comme il l’avait annoncé dans le rapport, a modifié la déclaration relative au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, en conséquence de la réforme législative qui a introduit en 2000 un appel en matière criminelle. La nouvelle formulation illustre le champ actuel de la restriction à la possibilité de former un appel, désormais limité aux tribunaux de police, lesquels ne se prononcent que sur les infractions les moins graves, non susceptibles d’être punies d’un emprisonnement.

11.Les dispositions du Pacte sont de plus en plus souvent invoquées devant les juridictions nationales (question no 2). Elles le sont avant tout devant les tribunaux judiciaires, le plus souvent sous l’angle du droit processuel. L’article 14 du Pacte est le plus fréquemment cité; sont notamment invoqués devant la Cour de cassation la publicité des débats, le délai juridictionnel raisonnable ou le droit à un double degré de juridiction en matière pénale. La référence au principe de non‑rétroactivité de la loi pénale prévue à l’article 15 est également fréquente. Le juge administratif a également reconnu l’effet direct de plusieurs dispositions du Pacte, dont le paragraphe 2 de l’article 9 (par exemple au sujet d’une décision de placement d’office) ou le paragraphe 1 de l’article 10 (par exemple au sujet d’un décret d’extradition).

12.Le suivi des communications présentées par des particuliers (question no 3) est confié à un mécanisme ad hoc au sein du Ministère des affaires étrangères, qui implique la Direction des Nations Unies et la Direction des affaires juridiques ainsi que, lorsque cela est nécessaire, les ministères techniques concernés.

13.En réponse aux questions légitimes du Comité sur les mesures de lutte contre le terrorisme (question no 4), il convient de préciser que la loi définit la notion d’acte de terrorisme par la réunion de deux éléments: l’existence d’un crime ou d’un délit de droit commun incriminé par le Code pénal, et la relation de ce crime ou délit avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. La qualification terroriste d’une infraction autorise, outre une aggravation des peines et l’application des régimes spécifiques de garde à vue et de détention provisoire, l’utilisation de techniques d’investigation spéciales et un traitement judiciaire spécifique, qui induit notamment une compétence exclusive du tribunal de grande instance et de la cour d’appel de Paris pour l’application des peines. Les crimes terroristes sont jugés par une cour d’assises spécialement composée de magistrats professionnels et il est prévu un allongement des délais de prescription de l’action publique et de la peine, qui seront de trente ans au lieu de dix pour les crimes et de vingt ans au lieu de trois pour les délits. La loi du 23 janvier 2006 permet de porter la durée de la garde à vue à six jours dans deux cas exceptionnels: s’il existe un risque sérieux de l’imminence d’une action terroriste en France ou à l’étranger, ou si les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement. En dehors de ces deux hypothèses, la durée de la garde à vue en matière terroriste, comme en matière de criminalité organisée, ne peut excéder quatre jours (quarante‑huit heures suivies, exceptionnellement, d’une prolongation). Le Conseil constitutionnel a considéré que ces régimes dérogatoires, strictement encadrés par la loi, étaient bien proportionnés aux buts légitimes poursuivis. La législation française apparaît donc entièrement compatible avec les dispositions du Pacte, à la condition que son usage reste exceptionnel et fasse l’objet d’un examen au cas par cas, ce que les chiffres démontrent; en effet, à ce jour, la garde à vue de six jours, possible depuis deux ans et demi, n’a été utilisée qu’une seule fois, à l’encontre d’une seule personne, pour les nécessités de la coopération internationale. La détention provisoire ne doit pas être confondue avec la garde à vue. Elle ne peut être décidée que dans le cadre d’une procédure d’instruction, au sujet d’une personne mise en examen, et pour les motifs prévus par le Code de procédure pénale, tenant par exemple à la nécessité d’éviter toute pression sur les témoins ou les victimes, au risque de renouvellement de l’infraction ou à la nécessité de protéger la personne mise en examen elle‑même. Le placement en détention provisoire, considéré comme exceptionnel, est de la compétence du juge des libertés et de la détention, que le juge d’instruction doit saisir s’il estime un tel placement indispensable. Afin de tenir compte de la grande complexité des infractions en lien avec le terrorisme, la durée de la détention provisoire peut atteindre quatre ans en cas de qualification criminelle terroriste. La décision peut évidemment faire l’objet d’un appel, et la personne concernée peut, tout au long de sa détention, demander sa mise en liberté. Le juge a l’obligation de statuer dans un délai de trois jours et, en cas de refus, l’intéressé peut exercer un recours devant la cour d’appel. Les procédures et les recours ainsi prévus assurent donc la compatibilité de la législation nationale avec les droits garantis par les articles 9 et 14 du Pacte. La loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique instaure une prise en charge financière de l’intervention de l’avocat qui assiste les personnes soupçonnées de terrorisme. Pendant la phase d’enquête, toute personne peut demander à s’entretenir avec un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office, sans condition de ressources. En cas d’acte de terrorisme, cependant, l’entretien avec l’avocat ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai de soixante‑douze heures. Pendant la phase judiciaire, c’est‑à‑dire pendant l’instruction et la phase de jugement, toute personne mise en examen pour un crime ou un délit de terrorisme peut bénéficier de l’aide juridictionnelle suivant le niveau de ses ressources.

14.En ce qui concerne l’accès des femmes aux postes à responsabilité (question no 5), des disparités importantes demeurent dans le secteur privé, où les femmes ne représentaient que 17,2 % des dirigeants d’entreprise en 2005. Les chiffres sont toutefois plus encourageants dans certains secteurs: ainsi, 20,3 % des dirigeants d’entreprise dans les services sont des femmes, et 21,2 % dans le commerce. Dans la fonction publique, les femmes représentaient 59 % des emplois des trois fonctions publiques réunies à la fin 2005, mais seulement 15 % des 7 362 emplois supérieurs. De nombreuses mesures ont été initiées afin d’améliorer cette situation. D’autres statistiques détaillées sont données dans les réponses écrites.

15.Pour ce qui est des actions engagées pour améliorer la situation des femmes dans la fonction publique, il faut préciser que les résultats des «plans pluriannuels d’amélioration de l’accès des femmes aux emplois et postes de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État» ne sont pas encore connus car le bilan de ces plans sera dressé dans le courant de l’année 2008. En outre, un «réseau des coordonnateurs égalité hommes‑femmes» favorise les échanges de bonnes pratiques entre les administrations. Le protocole d’accord du 25 janvier 2006 sur l’amélioration des carrières et sur l’évolution de l’action sociale dans la fonction publique a introduit de nouvelles facilités dans la conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle, avec des aides destinées à favoriser le maintien en activité des jeunes parents, comme une participation aux frais de garde des enfants de 0 à 3 ans. Plusieurs propositions sont en outre à l’étude au sein du Ministère de la fonction publique, parmi lesquelles l’assouplissement de l’impératif de mobilité géographique, souvent plus pénalisant pour les femmes, et l’adoption de chartes de gestion du temps, destinées à l’encadrement supérieur, afin d’améliorer la conciliation du temps de travail et du temps familial et personnel.

16.Le harcèlement sexuel est réprimé par l’article 222‑33 du Code pénal, qui prévoit une peine d’emprisonnement d’un an et une amende de 15 000 euros. La loi du 17 janvier 2002 a supprimé la condition d’un lien d’autorité entre l’auteur et la victime. Le délit de harcèlement sexuel peut aussi être constaté entre un enseignant et un élève. Cinquante‑trois condamnations ont été prononcées en 2005 et 64 en 2006, dont 6 peines d’emprisonnement ferme. Ce volet pénal est complété par un volet social, et ces mêmes principes sont ainsi déclinés dans le Code du travail. Toute disposition ou tout acte pris dans le cadre d’un harcèlement sexuel est nul de plein droit. De plus, lorsque le harcèlement sexuel n’est pas le fait de l’employeur mais d’un salarié, celui‑ci est passible, outre les sanctions pénales susmentionnées, d’une sanction disciplinaire. L’employeur doit prévenir le harcèlement sexuel, et les délégués du personnel peuvent exercer leur droit d’alerte et agir en justice sur ce fondement. L’article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 modifiée, portant droits et obligations des fonctionnaires, sanctionne pareillement le harcèlement sexuel dans la fonction publique.

17.Les données concernant les violences envers les femmes (question no 6) sont collectées par diverses institutions (services de police et de gendarmerie, services judiciaires) et donnent lieu à des enquêtes régulières. Diverses études générales sont aussi organisées. Une récente enquête de victimationde l’Observatoire national de la délinquance menée en collaboration avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a fait apparaître que, toutes formes de violence confondues, la proportion de femmes victimes est significativement plus élevée (6,1 %) que celle des hommes (5,1 %), comme il ressort de l’annexe 3 aux réponses écrites (CCPR/C/FRA/Q/4/Add.1). Le nombre de procédures relatives aux violences conjugales enregistrées par les parquets augmente: il y a eu 52 171 affaires nouvelles en 2006, contre 39 156 en 2003. Les condamnations, qu’il s’agisse de crimes ou de délits, pour les années 1994 à 2006 ont fortement augmenté, passant de 656 à 12 584. L’emprisonnement est la peine la plus courante, avec une augmentation de la part des emprisonnements fermes. D’autres mesures sont prises pour lutter contre ces violences. Ainsi, des lois ont été adoptées tant sur le plan civil que sur le plan pénal. La loi du 26 mai 2004 dispose que dans un divorce, en cas de violences, la jouissance du logement conjugal est attribuée au conjoint qui n’est pas l’auteur de celles‑ci; la loi du 4 avril 2006 reconnaît notamment le vol entre époux; la loi du 5 mars 2007 prévoit l’extension du suivi sociojudiciaire avec injonction de soins aux auteurs de violences commises au sein du couple et la loi du 20 novembre 2007 assure le droit de séjour aux victimes de violences conjugales de nationalité étrangère. La prise en charge des femmes victimes de violences a été renforcée grâce à différentes mesures de soutien et de protection des victimes. Ainsi, afin d’améliorer le premier accueil, un numéro d’appel national a été créé, qui garantit une écoute professionnelle, anonyme et personnalisée et une orientation adaptée. En outre, les femmes victimes de violences ont été prioritaires pour l’attribution des logements financés par l’État. Aujourd’hui, 115 centres d’hébergement accueillent en priorité des femmes victimes de violences. La sensibilisation de tous les professionnels concernés par les violences conjugales se fait par la diffusion de brochures qui leur sont destinées et par des actions de formation. La lutte contre les stéréotypes sexistes et la prévention des violences dès l’école se poursuivent. Dans le cadre d’une convention interministérielle signée avec le Ministère de l’éducation nationale, de nombreux outils de sensibilisation ont été mis en place, et la formation des acteurs éducatifs s’est développée. Des campagnes de communication à l’intention du grand public ont également été menées. Une campagne de communication doit ainsi accompagner pendant toute sa durée le deuxième plan global triennal (2008‑2010) présenté le 21 novembre 2007, intitulé «Douze objectifs pour combattre les violences faites aux femmes».Les autorités françaises continuent de rechercher de nouveaux progrès.

18.En ce qui concerne les mauvais traitements infligés par les forces de l’ordre (question no 7), le dispositif statistique disponible en France ne permet pas de comptabiliser les condamnations concernant les agissements des agents de la force publique sur des personnes de nationalité étrangère. L’application informatique Cassiopée, décrite dans le rapport, devrait permettre d’améliorer ce dispositif à partir du premier semestre 2009. En tout état de cause, de nombreuses actions sont menées pour lutter contre les mauvais traitements et les discriminations dans ce domaine. Par exemple, les militaires de la gendarmerie sont formés et encadrés pour veiller au respect des normes applicables. Les officiers et les sous‑officiers doivent suivre des cours de déontologie et d’éthique aux différents stades de leur formation. En outre, lors de la signature en décembre 2007 d’un protocole entre la HALDE et la gendarmerie nationale, un document intitulé «Sanctionner les discriminations» a été distribué à tous les militaires de la gendarmerie. Toutes les plaintes reçues par les unités de gendarmerie sont transmises à l’autorité judiciaire, qui peut également être saisie directement par le plaignant. Au cours des deux dernières années aucun militaire de la gendarmerie n’a fait l’objet de condamnation pénale pour l’un des chefs visés dans la question du Comité. La Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), autorité administrative indépendante, n’a pas davantage eu à connaître de dossiers mettant en cause des militaires de la gendarmerie pour de tels faits.

19.Concernant la police nationale, les autorités françaises sont très attentives aux conditions dans lesquelles doivent être traitées les personnes pendant une arrestation, une garde à vue ou toute autre mesure privative de liberté, ainsi que lors de l’exécution d’une mesure d’éloignement prise à l’égard d’un étranger. Une très grande attention est notamment portée à trois grands principes: le respect absolu des personnes, quelles que soient leur nationalité ou leur origine, l’utilisation strictement nécessaire et proportionnée de la force, la protection des personnes appréhendées et le respect de leur dignité. Dans cet esprit, les autorités françaises s’emploient à organiser une formation adaptée. Des modules de formation associent ainsi la CNDS et la HALDE. Une formation spécifique de sept jours est consacrée aux procédures d’éloignement des étrangers. Comme la gendarmerie, la police nationale a signé avec la HALDE une convention de partenariat qui a débouché sur la publication d’un guide pratique pour la lutte contre les discriminations. Parallèlement à la formation, l’accent est mis sur l’encadrement et le contrôle. Un dispositif piloté par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) permet notamment d’opérer des contrôles inopinés dans les services de police. Enfin, tout fonctionnaire de police qui s’écarte des lois et des règles éthiques s’expose à une double sanction, pénale et disciplinaire. En 2006, sur les 3 228 sanctions disciplinaires prononcées à l’égard de policiers, 114 (soit 3,5 %) se rapportaient à des violences avérées; sur celles‑ci, 8 ont conduit à la révocation des agents concernés ou à une mesure assimilée. Ces faits sont à rapprocher des 4 millions d’interventions de police réalisées chaque année.

20.La pratique consistant à bander les yeux des personnes gardées à vue est interdite, a fortiori pendant un interrogatoire. Une telle pratique serait manifestement contraire au principe du respect de la dignité des personnes gardées à vue, souligné dans une circulaire du Ministre de l’intérieur en date du 11 mars 2003. On ne recouvre le visage d’une personne privée de liberté que dans certains cas exceptionnels, pendant une durée limitée, pour assurer sa sécurité ou celle des forces de police, par exemple lors de déplacements, afin d’empêcher l’identification des intéressés par des individus extérieurs. Ces mesures, ponctuelles et de très courte durée, visent à assurer le respect de la présomption d’innocence, en évitant qu’une personne menottée ne soit photographiée ou ne fasse l’objet d’un enregistrement audiovisuel.

21.En ce qui concerne l’état des prisons (question no 8), les derniers travaux d’observation approfondis menés sur les établissements pénitentiaires sont les enquêtes des deux chambres du Parlement menées en 2000. En outre, au printemps 2006, une organisation non gouvernementale a, avec l’aide du Médiateur de la République, envoyé un questionnaire à l’ensemble des détenus et, à l’issue de sa visite en France en 2006, le Comité pour la prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe a formulé des recommandations dans ce domaine. Il ressort de l’ensemble des travaux d’observation que la France a un taux d’incarcération dans la moyenne européenne, mais qu’elle connaît des difficultés liées à l’ancienneté de son parc pénitentiaire et à la surpopulation carcérale. Ainsi, au 1er mai 2008, on comptait 63 645 personnes incarcérées pour 50 746 places. Seules certaines maisons d’arrêt sont confrontées à cette difficulté. Une étude récente montre que l’on est parvenu à faire diminuer le nombre de suicides entre 2002 et 2007. Des efforts considérables sont faits pour rénover les prisons et augmenter le nombre de places, qui est passé de 34 200 places en 1987 à 50 500 places en 2007; grâce à la politique volontariste de construction actuellement menée, le nombre de 63 500 places devrait être atteint en 2012. De plus, six établissements pénitentiaires adaptés aux mineurs sont opérationnels. Enfin, les deux premiers hôpitaux‑prisons qui seront créés à Lyon et à Rennes en 2009 constitueront une avancée dans l’accès aux soins psychiatriques. On a également lancé une politique ambitieuse pour développer les aménagements de peine, qui a porté ses fruits puisque ceux‑ci ont progressé de 34 % entre 2007 et 2008. Le placement sous surveillance électronique mobile s’est développé (44 % de plus en un an) et les libérations conditionnelles ont progressé de 9 % en 2007. Le projet de loi pénitentiaire présenté en juin 2008 devrait répondre à un grand nombre des recommandations formulées par le CPT dans son rapport. Il permettra, en particulier, d’aller plus loin dans le domaine de l’aménagement de peine, tout en donnant de nouveaux droits aux détenus, par exemple, la possibilité d’élire domicile en prison pour effectuer toutes les démarches préparant leur sortie afin d’éviter leur marginalisation. Pour limiter le recours à la détention provisoire, le projet vise en outre à créer une assignation à résidence. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, institué par la loi du 30 octobre 2007 et nommé par décret du 13 juin 2008, veillera à la mise en œuvre de ces mesures. Son budget est fixé à 2,5 millions d’euros par an.

22.En ce qui concerne le contrôle des établissements pénitentiaires (question no 9), la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) créée en 2000 est chargée notamment d’examiner les plaintes intéressant l’administration pénitentiaire qui lui sont adressées et dispose de moyens d’enquête étendus. Elle peut demander aux ministres de lui communiquer toutes informations et pièces utiles, ou procéder à des vérifications sur les lieux. Son enquête achevée, elle adresse ses avis et recommandations aux autorités publiques ou privées, lesquelles doivent répondre dans un délai fixé par elle. Si les réponses tardent ou si les recommandations ne sont pas suivies d’effet, la Commission peut établir un rapport spécial qui est publié au Journal officiel. Elle a également le pouvoir de proposer au Gouvernement toute modification de la législation ou de la réglementation relatives à ses domaines de compétence. Enfin, elle établit un rapport annuel qui est rendu public. En six ans d’activité, la CNDS a enregistré 71saisines concernant l’administration pénitentiaire, qui impliquaient essentiellement des maisons d’arrêt. Elle s’est rendue dans de nombreux établissements pour entendre les détenus et le personnel pénitentiaire. Elle a notamment dû enquêter sur les circonstances de 12 décès de détenus, dont 7 suicides. Les cas de violences entre codétenus et les suicides ont montré qu’il était important d’adapter les solutions aux situations individuelles et de prévenir ces actes. À la suite des recommandations et avis émis par la CNDS, l’administration pénitentiaire a été conduite à rappeler au respect des règlements et de la déontologie à titre individuel ou par des textes de portée générale. La mission de la CNDS, qui concerne non seulement les établissements pénitentiaires mais toutes les forces de sécurité, constitue donc une garantie essentielle pour les citoyens.

23.Dans le domaine de la lutte contre la traite des êtres humains (question no 10), la France poursuit une politique déterminée. Contre la prostitution, sa politique est abolitionniste, conformément à la Convention internationale pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, adoptée par l’ONU le 2 décembre 1949. La France a ratifié la Convention du Conseil de l’Europe contre la traite des êtres humains, entrée en vigueur le 1er mai 2008. En droit interne, la loi du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure a renforcé les mesures visant à lutter contre ce phénomène. Elle réprime plus durement l’esclavage domestique, dorénavant puni de cinq ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. Depuis 2004, près d’une quinzaine de condamnations à des peines d’emprisonnement ont été prononcées sur le fondement de ces dispositions. De plus en vertu du Code pénal, la traite des êtres humains est une infraction punie de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende, et la minorité de la victime est une des principales circonstances aggravantes. Les tribunaux ont sanctionné 28 infractions de ce type en 2003, 29 en 2004, 35 en 2005 et 38 en 2006. Le Code pénal punit également les personnes qui bénéficient des services des victimes de la traite des êtres humains, notamment aux fins d’exploitation sexuelle, par exemple dans les dispositions relatives au proxénétisme. Parallèlement, les pouvoirs publics se sont résolument engagés dans la lutte contre la pornographie mettant en scène des enfants et la cybercriminalité. La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a ainsi institué des cyberpatrouilles qui ont pour objectif de prévenir certaines infractions et d’en rechercher les auteurs. La législation organise une répression sévère des responsables de l’exploitation sexuelle et son application permet, dès le début de l’enquête, de ne pas nuire à la victime et de garantir sa sécurité et, éventuellement, celle de sa famille restée au pays. En cas de danger, les victimes de traite peuvent bénéficier d’une protection policière et un système de protection sociale et d’assistance est disponible. Enfin, le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit qu’un étranger qui porte plainte contre les auteurs de faits de traite peut recevoir une autorisation de séjour et exercer une activité professionnelle.

24.En ce qui concerne le travail des prisonniers en Polynésie française (question no 11), il importe de rappeler que le travail des détenus est régi par le Code de procédure pénale. Le travail en établissement pénitentiaire est organisé selon trois formes. Dans le régime de la concession, l’administration pénitentiaire conclut avec une entreprise un contrat fixant les conditions relatives à l’effectif des détenus employés et au montant des rémunérations. Les détenus travaillent alors au sein de la prison pour le compte d’entreprises privées. Le travail est facultatif en métropole comme dans les territoires d’outre‑mer et ne peut donc être proposé qu’aux détenus qui en font la demande expresse. Les rémunérations sont versées à l’administration, qui opère le reversement des cotisations sociales aux organismes de recouvrement, et procède ensuite à l’inscription et à la répartition de la rémunération nette sur le compte nominatif des détenus. Le travail en détention est donc un outil essentiel de réinsertion qu’il conviendra de continuer à développer pour faire face à la demande importante des détenus.

25.La délégation souhaite rassurer le Comité concernant les craintes qu’il a exprimées dans la question no 12 au sujet de la rétention de sûreté et de la rétroactivité. Conformément à la loi du 25 février 2008, qui s’inspire de l’exemple de certains pays européens, deux mesures de sûreté peuvent être décidées à l’encontre des personnes condamnées à une peine d’au moins quinze ans de réclusion pour les crimes les plus graves, notamment s’ils ont été commis contre des mineurs, lorsque ces personnes présentent une extrême dangerosité et un risque de récidive très élevé. La première mesure est la rétention de sûreté qui, à la fin de leur peine, permet de placer ces personnes dans un centre sociomédical judiciaire pour une durée d’un an, renouvelable tant que perdure leur particulière dangerosité. Ces personnes font l’objet d’une prise en charge médicale, sociale et psychologique permanente visant à permettre la fin de cette mesure. Conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2008, la rétention de sûreté ne peut être appliquée qu’à des personnes condamnées pour des faits commis après l’adoption de la loi. Il n’y a donc aucune rétroactivité de cette mesure ni, dès lors, aucune atteinte aux dispositions de l’article 15 du Pacte. La seconde mesure instituée est la surveillance de sûreté, qui permet la surveillance par les autorités publiques d’une personne après sa libération pendant une durée d’un an, renouvelable tant que l’intéressé demeure dangereux. La mesure vise donc une personne libre mais peut notamment comporter une injonction de se soigner et l’obligation de porter un bracelet électronique. Elle est applicable immédiatement aux personnes déjà condamnées, mais il ne s’agit pas d’une peine; cette mesure a pour unique objectif d’empêcher la récidive d’un crime. Il n’y a donc pas violation de l’article 15 du Pacte, qui interdit de prononcer une peine plus lourde que celle qui était applicable au moment où l’infraction aété commise. Les procédures applicables pour placer et maintenir une personne en rétention de sûreté ou sous surveillance de sûreté respectent pleinement les exigences procédurales énoncées à l’article 9 du Pacte visant à empêcher les arrestations ou détentions arbitraires. Ainsi, en ce qui concerne la rétention de sûreté, la procédure nécessite une décision expresse de la cour d’assises autorisant une éventuelle rétention en fin de peine, un rapport d’expertise sur la dangerosité en fin de peine, la proposition d’une commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté et une décision motivée, susceptible de recours, de la juridiction régionale de la rétention de sûreté, qui est composée de magistrats de la cour d’appel. La surveillance de sûreté fait l’objet d’un encadrement tout aussi rigoureux.

26.Pour ce qui est de l’expulsion des étrangers (question no 13), en droit français, conformément aux principes établis par les conventions internationales, une mesure d’éloignement du territoire à l’encontre d’un étranger, quels qu’en soient les motifs, ne peut être prononcée qu’après un examen individuel de situation. Il est interdit de prononcer des mesures collectives d’éloignement. Il convient toutefois de distinguer les mesures d’éloignement, décidées pour motif de séjour irrégulier, des mesures d’expulsion, prises pour motif d’ordre public. Les premières recouvrent les obligations de quitter le territoire français et les arrêtés de reconduite à la frontière pour séjour irrégulier. Elles ne peuvent être décidées que pour des motifs prévus par la loi et ne peuvent être prononcées à l’égard de personnes dites «protégées», comme les enfants mineurs, les personnes justifiant d’attaches familiales caractérisées en France ou les personnes se trouvant dans des situations particulières (invalides, malades). Les demandeurs d’asile, enfin, ne peuvent pas être éloignés avant que l’Office de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d’asile ne se soient prononcés sur leur qualité de réfugié. Une telle mesure est susceptible de recours devant le tribunal administratif; le recours est suspensif et les services d’un interprète et d’un avocat, le cas échéant commis d’office, sont assurés. Le juge administratif exerce un contrôle approfondi de la mesure d’éloignement, en veillant en particulier à protéger le droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi que de la décision fixant le pays de destination, compte tenu, notamment, de l’article 3 de la Convention contre la torture. En 2005, 14 901 mesures de reconduite pour séjour irrégulier ont été exécutées et 16 653 en 2006. L’augmentation s’explique par une forte pression migratoire ainsi que par une plus grande mobilisation pour assurer, dans le respect du droit et des personnes, l’éloignement d’étrangers se trouvant dans l’illégalité. Le Gouvernement propose aux étrangers en situation irrégulière des possibilités de retour volontaire financé.

27.Les mesures d’expulsion sont prises pour des motifs graves d’ordre public, après examen d’ensemble de la situation de l’étranger, et restent exceptionnelles; 385 arrêtés d’expulsion ont été exécutés en 2002, 242 en 2003, 231 en 2004, 243 en 2005, et 224 en 2006. La loi du 26 novembre 2003 a renforcé les protections dont bénéficient les étrangers justifiant d’attaches personnelles ou familiales en France contre l’expulsion pour motif d’ordre public. Plus ces attaches sont fortes, plus le niveau de menace à l’ordre public doit être élevé pour justifier l’expulsion. La mesure d’expulsion, sauf cas exceptionnels, ne peut être prononcée avant l’avis rendu par une commission d’expulsion, composée de magistrats et devant laquelle l’intéressé peut comparaître assisté d’un conseil et d’un interprète. L’arrêté d’expulsion peut en outre faire l’objet d’un recours en annulation, qui peut être assorti d’un référé suspension, qui suspend l’exécution de la mesure. Le juge administratif assure un contrôle juridictionnel approfondi des motifs et du caractère proportionné de l’expulsion.

28.En ce qui concerne les violences commises lors de l’exécution des mesures d’éloignement (question no 14), depuis 2001, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et l’Inspection générale de la Police nationale n’ont eu à connaître que de 14 affaires mettant en cause des représentants des forces de l’ordre pendant l’exécution de mesures d’éloignement d’étrangers. La plupart de ces affaires concernaient des allégations de manquements à la déontologie. Les autorités françaises sont très attentives aux conditions dans lesquelles sont exécutées les mesures de refus d’admission à la frontière et les éloignements. Les services s’emploient à effectuer ces opérations dans le respect de la dignité des personnes et à n’utiliser que la force strictement nécessaire et proportionnée. L’instruction du 17 juin 2003 du Directeur général de la police nationale relative à l’éloignement par voie aérienne des étrangers en situation irrégulière, inspirée des recommandations du Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe, définit très strictement les conditions d’utilisation de la force lors de l’exécution de ces mesures. Des formations spécifiques sont dispensées aux policiers chargés de ces opérations et seuls ceux qui ont suivi la formation et ont été reconnus aptes sont habilités à effectuer ces escortes. Un encadrement strict de ces opérations est enfin assuré par la hiérarchie et tout manquement aux obligations déontologiques ou acte de violence illégitime est immédiatement sanctionné par une mesure disciplinaire, sans préjudice des sanctions pénales encourues.

29.Le PRÉSIDENT remercie la délégation française de ses réponses détaillées et invite les membres à faire des observations supplémentaires.

30.Mme WEDGWOOD dit que le Comité encourage toujours les États parties à s’interroger sur la justification du maintien des réserves et déclarations qu’ils ont faites à l’égard du Pacte et les engage à les retirer intégralement ou en partie. La réserve de la France à l’article 4 revient à donner en quelque sorte au Président de la République une autorisation générale de déroger aux dispositions du Pacte, alors que les garanties dont il est possible de suspendre l’application en cas de proclamation de l’état d’urgence sont très limitées et expressément énoncées à l’article 4 et dans l’Observation générale no 29 du Comité. Il se peut fort bien que dans la pratique la France s’en tienne à ces restrictions, mais il n’en demeure pas moins que le pouvoir de prendre «toutes les mesures exigées par les circonstances» constitue une exception considérable qui mérite d’être reconsidérée.

31.On peut se demander pour quelles raisons, alors que la plupart des pays s’efforcent de moderniser leur système de justice militaire, la France estime nécessaire de maintenir sa réserve à l’égard des articles 9 et 14 du Pacte concernant le régime disciplinaire dans les armées. En effet, il est tout à fait possible d’appliquer des règles particulières dans une juridiction ou une commission militaire, sans pour autant avoir besoin d’exclure l’application des dispositions de ces articles.

32.Concernant la déclaration relative à l’article 13, si la procédure française d’expulsion des étrangers est équitable rien ne devrait s’opposer au retrait de cette déclaration. Le Pacte pourrait être un instrument très utile pour réglementer cette procédure, notamment dans le contexte des transferts de personnes par voie aérienne vers l’Afrique du Nord récemment signalés par les journaux. Si la législation en vigueur dans certaines collectivités territoriales d’outre ‑mer est contraire aux dispositions de l’article 13, la meilleure solution serait de la modifier en conséquence.

33.L’État partie fait valoir que «l’article 27 du Pacte n’a pas lieu de s’appliquer» parce que les minorités ne constituent pas des groupes reconnus en tant que tels et que l’appartenance à une minorité quelle qu’elle soit résulte d’un choix individuel. Cette conception a pour effet d’empêcher la collecte des données nécessaires à l’établissement d’un état des lieux objectif de la situation des minorités dans le pays, notamment des difficultés particulières que leurs membres peuvent rencontrer sur le plan économique et social, ce qui est regrettable.

34.En vertu de la législation antiterroriste, les suspects n’ont le droit de s’entretenir avec un avocat qu’à compter de la soixante‑douzième heure de garde à vue; pour le Comité qui recommande d’assurer l’assistance d’un avocat le plus rapidement possible après l’arrestation, ce délai apparaît extrêmement long. Une telle durée de la détention avant inculpation est étonnante, surtout de la part d’un pays européen, sachant que dans de nombreux pays un suspect ne peut plus être interrogé en l’absence d’un avocat s’il a demandé à être assisté par un conseil, même si celui‑ci ne se présente pas tout de suite.

35.La détention provisoire des personnes soupçonnées de terrorisme peut durer jusqu’à 4 ans et 8 mois, ce qui au regard des normes admises en common law et en vertu du Pacte paraît tout à fait excessif. Il semble en outre que les motifs prévus pour justifier un aussi long maintien en détention permettent d’en faire un usage très large. Il faudrait savoir quel est le niveau de preuve requis en pareil cas. La validité des éléments de preuve censés justifier le prolongement de la détention provisoire devrait être vérifiée selon des critères rigoureux, ce qui ne semble pas être le cas. Faut‑il comprendre que la détention provisoire est en pratique une forme de détention sans inculpation pendant laquelle le juge d’instruction peut poursuivre l’enquête, même en l’absence de faits pouvant être retenus contre le suspect? Il serait également utile de savoir si la règle des 4 ans et 8 mois a été approuvée par le Conseil constitutionnel ou déclarée acceptable par la Cour européenne des droits de l’homme et si les déclarations faites par le suspect au cours des soixante‑douze premières heures de la garde à vue sont réputées recevables en toutes circonstances, même lorsque le suspect n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat.

36.En ce qui concerne les conditions carcérales (question no 4), les chiffres de 63 645 détenus pour 50 746 places fournis par l’État partie montrent très clairement qu’il existe un grave problème de surpopulation. Le programme de construction devant porter la capacité d’accueil totale du parc pénitentiaire à 63 500 places d’ici à 2012 risque fort de ne pas suffire à le résoudre étant donné que le nombre de prisonniers aura très probablement augmenté dans le même temps. L’État partie aurait intérêt à explorer d’autres options en remplacement de la privation de liberté, par exemple le régime de semi‑liberté ou la liberté conditionnelle.

37.Le contrôle des établissements pénitentiaires est une question difficile qui se pose à tous les pays sans exception. Les prisonniers sont exposés à toutes sortes de menaces et d’exactions, tant de la part des autres détenus que de celle des gardiens. Il serait utile de savoir si les prisonniers peuvent intenter une action en réparation ou demander une action immédiate en cas de violences ou de mauvais traitements systématiques comme c’est le cas par exemple aux États‑Unis, si les journalistes peuvent se rendre dans les prisons et s’entretenir en privé avec les détenus et si ceux‑ci peuvent adresser des plaintes pour violences à un médiateur, en toute confidentialité. S’il existe des statistiques relatives au nombre de poursuites engagées contre des gardiens pour mauvais traitements, le Comité souhaiterait les connaître. La France semble privilégier une approche centralisée du contrôle et de la réforme des établissements pénitentiaires. Elle gagnerait peut‑être à adopter une politique davantage inspirée par la base, c’est‑à‑dire les prisonniers eux‑mêmes et leurs plaintes, pour favoriser l’interaction entre les différentes parties prenantes.

38.À propos du travail des prisonniers en Polynésie française, Mme Wedgwood demande dans quelle mesure les employeurs privés peuvent recourir à la force à l’encontre des prisonniers et si ceux‑ci sont soumis à des traitements tels que le port obligatoire de chaînes ou de vêtements montrant qu’ils sont des prisonniers, qui sont clairement dégradants.

39.Au sujet des mesures de sûreté permettant de maintenir en détention pour une période indéfinie des condamnés après qu’ils ont exécuté leur peine au motif qu’ils présentent des troubles graves de la personnalité, Mme Wedgwood souhaiterait savoir quel est le niveau de preuve requis en la matière et quels sont les recours ouverts aux personnes visées par de telles mesures. Le système pénal offre des moyens de répondre à la nécessité de tenir les personnes dangereuses à l’écart de la société et on peut se demander pourquoi l’État partie ne les utilise pas au lieu de permettre que ces personnes soient maintenues en détention indéfiniment, ce qui semble la porte ouverte à toutes sortes d’abus.

40.Sir Nigel RODLEY remercie la délégation d’avoir donné des exemples d’affaires dans lesquelles les dispositions du Pacte ont été invoquées devant les tribunaux ou par ceux‑ci mais regrette qu’elle n’ait pas indiqué à quel effet ces dispositions avaient été invoquées. Tout exemple concret qu’elle pourra donner sera le bienvenu.

41.À propos de la rétention de sûreté des personnes reconnues dangereuses, Sir Nigel Rodley se demande si cette mesure doit être prévue dès la condamnation, auquel cas il s’agirait d’une mesure relevant de l’administration de la justice pénale, somme toute proche de la réclusion à perpétuité, laquelle s’accompagne de la garantie d’une révision périodique.

42.D’après une étude réalisée par Amnesty International en 2005, les membres des forces de l’ordre impliqués dans des affaires d’usage excessif de la force allant jusqu’à l’homicide bénéficieraient dans la plupart des cas d’une totale impunité ou ne seraient condamnés qu’à des peines symboliques. Une autre source de préoccupation tient au fait que les citoyens ordinaires ne peuvent pas saisir directement la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) mais doivent adresser leurs plaintes à un parlementaire qui se charge de les transmettre. En outre, dans son rapport d’activité, la Commission laisse entendre que ses ressources sont insuffisantes et qu’elle n’est pas certaine de pouvoir continuer à s’acquitter de sa mission. Il semble donc qu’il n’y ait pas dans l’État partie d’institution capable de garantir que les atteintes commises par les forces de l’ordre soient dûment recensées, poursuivies et sanctionnées par les tribunaux, une lacune à laquelle il est impératif de remédier. La délégation pourra peut‑être indiquer quelles mesures l’État partie envisage de prendre dans ce sens.

43.Les États peuvent avoir des raisons légitimes de vouloir expulser des étrangers, par exemple lorsque ceux‑ci représentent une menace pour l’ordre public ou la sécurité nationale, mais ils ne peuvent pas le faire lorsque les intéressés courent un risque réel d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans le pays de renvoi. Pour contourner cet obstacle, certains États cherchent à éliminer le «risque réel» de torture ou de traitement dégradant, notamment en concluant avec le pays de renvoi un accord par lequel celui‑ci s’engage à faire en sorte que la personne expulsée soit bien traitée une fois revenue sur son territoire. D’après les informations à la disposition du Comité, la France aurait à de nombreuses reprises expulsé des personnes à destination de pays où le risque de torture est notoire, notamment vers l’Afrique du Nord, apparemment sans avoir demandé de garanties. C’est là un grave sujet de préoccupation pour le Comité, qui attend des éclaircissements de la part de la délégation.

44.En vertu de la législation antiterroriste, pour qu’un juge puisse ordonner le placement en détention provisoire, qui peut être très long, il faut qu’il y ait des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que l’intéressé ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission d’une infraction, ce qui a priori semble être un critère raisonnable. En revanche, le rôle des différents magistrats qui interviennent dans la procédure n’apparaît pas clairement défini. La décision appartient certes au juge des libertés et de la détention mais, selon la complexité de l’affaire de terrorisme, ce juge peut avoir beaucoup de difficultés à aller dans un sens contraire à la position du procureur. En outre, pour une infraction comme l’«association de malfaiteurs», il semble assez facile de trouver des éléments rendant vraisemblable la participation à un tel délit.

45.Une autre source de préoccupation tient à la durée totale de la détention. À ce sujet, des statistiques détaillées sur les éléments suivants seraient utiles: durée de la détention précédant le placement en détention provisoire (garde à vue); durée moyenne de la détention provisoire avant l’abandon des poursuites et nombre de personnes concernées; durée moyenne de la détention provisoire avant jugement, nombre de personnes concernées, acquittées et reconnues coupables. Le Comité s’inquiète de ce que le système de la détention provisoire puisse être utilisé non pas tant pour garantir que les coupables soient condamnés mais pour déstabiliser des groupes ou des individus par des moyens qui ne sont peut‑être pas compatibles avec le Pacte. Le Comité attend avec intérêt les commentaires de la délégation sur ces questions.

46.Mme MOTOC, revenant sur l’égalité entre hommes et femmes (question no 5), relève avec préoccupation que la proportion de femmes occupant des postes à responsabilité reste faible, en particulier dans le secteur privé, et que les mesures mises en œuvre pour remédier à cette situation ne semblent pas produire les effets escomptés. Il serait intéressant de savoir quelles autres mesures l’État partie envisage de prendre pour renforcer l’accès des femmes aux emplois supérieurs. Plusieurs rapports d’organisations non gouvernementales font état des difficultés particulières auxquelles se heurtent les femmes immigrées, notamment dans l’accès à l’emploi, a fortiori lorsqu’elles sont issues de cultures dans lesquelles la femme n’est traditionnellement pas libre de ses choix. Des renseignements sur les mesures prises pour favoriser l’intégration de ces femmes seraient utiles.

47.Dans les territoires d’outre‑mer, les années 90 ont marqué un tournant dans l’évolution de la situation des femmes car un nombre croissant d’entre elles ont commencé à s’adresser aux institutions judiciaires soit en premier recours, soit pour faire appel des sanctions coutumières, pour faire valoir leurs droits. Mais la conquête de l’égalité entre hommes et femmes est un processus qui nécessite des efforts constants et les progrès accomplis doivent être consolidés par de nouvelles mesures. Il serait intéressant de savoir si une politique visant à améliorer la condition des femmes sur le long terme est actuellement mise en œuvre.

48.Les statistiques relatives au harcèlement sexuel montrent que très peu d’affaires de cette nature sont portées devant les tribunaux, ce qui pourrait être le signe que la législation sur le harcèlement sexuel est encore relativement mal connue par la population. Il serait intéressant de savoir si des mesures sont envisagées pour mieux faire connaître ces dispositions et encourager les femmes victimes de harcèlement sexuel à y recourir pour dénoncer ces actes.

49.Mme Motoc prend note des mesures adoptées pour lutter contre la violence faite aux femmes (question no 6) et demande un complément d’information sur les actions entreprises spécifiquement à l’intention des femmes immigrées et des femmes des territoires d’outre‑mer confrontées à ce problème.

50.M. JOHNSON LOPEZ dit qu’il ressort des rapports de diverses organisations non gouvernementales que l’incidence des mauvais traitements infligés à des étrangers par des membres des forces de l’ordre aurait augmenté de manière préoccupante au cours des dernières années. Malgré les explications données par la délégation, M. Johnson Lopez pense que ce problème exige une attention sérieuse des autorités, qui devraient exercer un contrôle plus strict sur le comportement des agents des forces de l’ordre.

51.La délégation a indiqué que la pratique consistant à bander les yeux des détenus était utilisée uniquement lors de déplacements pour qu’ils ne soient pas reconnus et donc pour assurer leur protection. Toutefois, d’après des sources non gouvernementales, cette pratique serait également utilisée durant des interrogatoires. Les autorités devraient faire des investigations plus poussées sur cette question.

52.L’État partie a considérablement renforcé le cadre législatif de la lutte contre la traite des êtres humains en adoptant une série de lois qui criminalisent non seulement la traite, mais aussi les activités qui y sont associées, comme l’esclavage domestique, punies de lourdes amendes et de peines d’emprisonnement de plusieurs années. Concernant la prostitution de mineurs et la pédophilie, des statistiques sur les affaires de ce type portées en justice et les peines prononcées à l’encontre des coupables seraient utiles.

53.En ce qui concerne les expulsions d’étrangers, M. Johnson Lopez fait siennes les réflexions de Sir Nigel Rodley sur la question. Il considère que les autorités françaises devraient examiner beaucoup plus soigneusement les dossiers des étrangers en situation irrégulière, notamment, et s’abstenir de procéder à des expulsions en masse de façon à éviter les injustices. La suite donnée aux plaintes pour des actes de violence commis par la Police aux frontières au cours d’opérations d’expulsion est un autre sujet de préoccupation; l’État partie devrait redoubler d’efforts, notamment en renforçant le dispositif de contrôle de l’action des forces de l’ordre, pour éviter que de tels actes de violence ne se reproduisent.

54.M. GLÈLÈ AHANHANZO dit que l’examen du rapport périodique de la France est un cadre de dialogue et d’échange et le Comité, loin d’être un tribunal, a pour mission d’apprécier l’application du Pacte par l’État partie, exercice qui nécessite de comprendre clairement les raisons à l’origine des politiques et pratiques de l’État partie. Un arsenal de mesures législatives relatives à l’immigration ont été adoptées ces dernières années en France. Le dispositif juridique et la pratique en matière d’expulsion des étrangers l’inquiètent particulièrement. La question le touche particulièrement en sa qualité d’Africain né à l’époque de la colonisation et connaissant la France de l’intérieur pour y avoir fait ses études secondaires et supérieures et y avoir vécu trente‑cinq ans. En outre, en qualité de Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, il a effectué en 1995 une mission dans différents pays d’Europe, dont la France. Concrètement, M. Glèlè Ahanhanzo se demande pour quelle raison la France harcèle aujourd’hui les Africains et les renvoie dans leurs pays, alors même qu’elle était venue les chercher il y a quelques décennies lorsqu’elle avait besoin de main‑d’œuvre. Il partage un grand nombre des préoccupations exprimées par les autres membres du Comité au sujet des expulsions d’étrangers et souhaite savoir pour quelle raison la France procède à un si grand nombre de reconduites à la frontière. Chaque année ont lieu au moins 15 000 expulsions, et 25 000 étrangers ont été reconduits à la frontière en 2007. Cette situation inquiétante est aussi très triste car elle s’accompagne de la séparation des familles, qui est un véritable drame. En effet, quelle identité culturelle et quel avenir auront, par exemple, les enfants, nés d’un père étranger expulsé de France, qui seront restés sur le territoire français avec leur mère? La situation soulève à l’évidence des questions au regard du respect de la dignité humaine et compromet l’exercice des droits fondamentaux de ces enfants.

55.Il y a quelques années, une prison souterraine a été découverte près de Marseille, et cette situation ne coïncide pas avec l’image de la France qui lui a été montrée dans les grands lycées de ce pays. De même, les dispositions prévoyant que les étrangers peuvent être placés en rétention jusqu’à trente‑deux jours ne sont guère compatibles avec le droit tel qu’il lui a été enseigné dans les universités françaises. L’évolution actuelle de la situation, qui aboutit quasiment à un rejet des étrangers, est d’autant plus difficile à comprendre que la France manque de main‑d’œuvre pour exercer des métiers dont ses ressortissants ne veulent pas. D’une façon générale, cette évolution est‑elle le signe que la France, qui représente pour les Africains la terre de l’humanisme et du respect de la dignité de l’homme, entend renoncer, pour des raisons économiques ou culturelles, aux idéaux qu’elle a portés dans le monde entier? M. Glèlè Ahanhanzo remercie par avance la délégation française des explications et commentaires qu’elle voudra bien apporter au Comité concernant la politique de la France à l’égard des étrangers.

56.M. LALLAH, revenant sur le phénomène de la violence contre les femmes, dit que l’étude publiée il y a quelques jours par l’Observatoire national de la délinquance indique qu’un acte de violence sur quatre est commis au sein de la famille. L’État partie consacre d’ailleurs plusieurs paragraphes du texte des réponses écrites aux mesures prises pour remédier à la situation, mais M. Lallah voudrait que la délégation française indique quels effets concrets ont eus ces mesures et quels dispositifs nouveaux ont été mis au point pour résoudre le problème très grave de la violence dans la famille.

57.Le domicile d’une responsable politique qui était candidate à la dernière élection présidentielle a été cambriolé à plusieurs reprises. Les autorités de l’État partie ont nié toute implication dans les actes commis mais, compte tenu des dispositions des articles 17 et 25 du Pacte, M. Lallah considère qu’une réaction plus appropriée de leur part aurait consisté à s’engager à ce qu’une enquête approfondie soit menée dans cette affaire. Il voudrait savoir si les autorités ont agi dans ce sens ou ont l’intention de le faire.

58.M. Lallah s’associe aux questions qui ont été posées par Sir Nigel Rodley concernant le nombre de procès pour des actes de terrorisme, le nombre de personnes détenues dans ce cadre et la durée de leur détention, toutes données qui sont essentielles pour déterminer si la législation pertinente est pleinement compatible avec le Pacte. Il s’associe également aux observations de Sir Nigel Rodley concernant la rétention de sûreté, mesure qui soulève des questions non seulement au titre de l’article 15 du Pacte mais aussi au regard de ses articles 9 et 10. En particulier, dans le cas d’une personne ayant purgé une peine de longue durée et dont on considère qu’elle doit être placée en rétention à la fin de sa peine pour des raisons de dangerosité, la mesure pourrait être interprétée comme un manquement de l’État partie à ses obligations au titre du paragraphe 3 de l’article 10 du Pacte. En tout état de cause, la rétention de sûreté constitue une privation de liberté et, à ce titre, elle doit être entourée de toutes les garanties du Pacte, en particulier celles de l’article 9. Il conviendrait de savoir notamment si le placement en rétention de sûreté fait suite à une décision judiciaire et si l’intéressé peut faire examiner sa détention par un juge.

59.M. IWASAWA dit qu’il a noté que les tribunaux administratifs avaient reconnu l’effet direct de plusieurs articles du Pacte, et il souhaiterait obtenir confirmation que c’est le cas également des tribunaux judiciaires.

60.La séance est suspendue à 17 h 35; elle est reprise à 17 h 50.

61.Le PRÉSIDENT invite la délégation française à répondre aux questions qui ont été posées oralement par les membres du Comité.

62.Mme BELLIARD (France), en réponse aux questions concernant les réserves formulées à l’égard de différents articles du Pacte, indique tout d’abord que la réserve portant sur le paragraphe 1 de l’article 4 vise à assurer la compatibilité du Pacte avec l’article 16 de la Constitution et, plus généralement, la législation relative à l’état d’urgence et l’état de siège. Le Comité peut avoir l’assurance que cette réserve n’aurait d’effet concret que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, c’est‑à‑dire lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu. En outre, le Président de la République ne peut prendre les mesures autorisées par l’article 16 qu’après consultation du Premier Ministre et des présidents des deux chambres et du Conseil constitutionnel.

63.En ce qui concerne la réserve relative aux articles 9 et 14 du Pacte, il faut souligner tout d’abord qu’elle a trait à l’application de mesures disciplinaires au sein de l’armée, et non pas de sanctions pénales. Cette réserve permet simplement à la hiérarchie militaire, en cas de comportement répréhensible d’un membre des forces armées, de le confiner chez lui ou dans son unité, de façon à éviter qu’il ne reparte sur un terrain d’opérations.

64.La réserve portant sur l’article 27 du Pacte reflète la conception française selon laquelle la protection s’applique à des droits individuels et non pas collectifs, ce qui ne nuit d’ailleurs en rien au respect du droit des personnes appartenant à des minorités d’avoir leur propre vie culturelle, de pratiquer leur propre religion et d’employer leur propre langue. La France maintient la réserve à l’article 27 du Pacte car elle demeure attachée à cette conception.

65.Quant à la déclaration interprétative concernant l’article 13 du Pacte, il n’est pas envisagé de la retirer dans la mesure où il s’agit d’une simple déclaration de précaution visant à éviter les incertitudes juridiques dès lors que, dans certains cas, des textes différents s’appliquent en métropole et outre‑mer. En tout état de cause, le dispositif appliqué à l’égard des étrangers sur l’ensemble du territoire de la République est encadré par de très nombreuses garanties de fond qui sont de nature à assurer le respect des droits des intéressés.

66.Mme DEL CORSO (France) relève, à propos des questions de l’égalité entre hommes et femmes, que la participation des femmes à la vie professionnelle a sensiblement augmenté, puisque ces dernières représentent aujourd’hui à peu près la moitié de la population active. Cela étant, des discriminations demeurent: le taux de chômage des femmes reste supérieur de deux points à celui des hommes, les femmes ne représentent que 36 % des cadres et des membres de professions intellectuelles supérieures, elles sont surreprésentées dans les emplois à temps partiel et l’écart moyen entre la rémunération des hommes et celle des femmes reste de 19 %. Dans ce contexte, une politique particulièrement dynamique est menée depuis de nombreuses années par les gouvernements qui se sont succédé. Au nombre des mesures les plus récentes, il convient de mentionner la loi du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, qui renforce l’obligation faite aux partenaires sociaux de négocier en la matière, ainsi que la Conférence tripartite regroupant des représentants des employeurs, des salariés de l’État, qui s’est réunie à la demande du Président de la République en novembre 2007. Elle avait pour objectif de poursuivre les efforts entrepris et d’envisager les moyens d’obtenir des résultats plus rapides en matière de résorption des écarts de salaire entre hommes et femmes. À l’issue de la Conférence il a été décidé, entre autres choses, que toutes les entreprises de plus de 50 salariés devraient avoir mis en place, au plus tard le 31 décembre 2009, un plan de résorption des écarts salariaux discriminatoires entre les hommes et les femmes. Ce plan devra comporter des mesures de rattrapage salarial. En l’absence de telles mesures, des sanctions financières seront imposées dès le début de 2010 aux entreprises. Parallèlement, il a été décidé d’agir sur les facteurs structurels des inégalités salariales (la concentration des femmes dans les emplois les moins valorisés et les moins rémunérés, par exemple).

67.En ce qui concerne les femmes immigrées, le Gouvernement a entrepris depuis 2002 une vaste réforme de la politique interministérielle d’accueil et d’intégration des personnes immigrées, qui tient compte des besoins particuliers des femmes. Cette réforme est axée autour de trois grands thèmes. Premièrement, l’accès au droit, grâce à l’élaboration de guides juridiques permettant aux femmes de mieux connaître et faire valoir leurs droits. Deuxièmement, la réforme s’attache à améliorer l’accès à l’emploi, par des actions visant à former et sensibiliser les agents du Service public de l’emploi à la double discrimination que peuvent subir les femmes, et à les aider à mettre fin aux pratiques discriminatoires. Des mesures de parrainage et d’accompagnement vers l’emploi sont prises, et des partenariats sont développés, notamment avec les secteurs du bâtiment et de la grande distribution, pour favoriser une meilleure intégration des jeunes garçons et filles immigrés. Une action est également menée pour faciliter la création et la reprise d’entreprises par des femmes immigrées. Le troisième axe de la réforme gouvernementale est la lutte contre les pratiques traditionnelles néfastes, en particulier les mariages forcés et les mutilations génitales féminines. La loi du 4 avril 2006 a renforcé les dispositions visant à réprimer ces pratiques contraires à la dignité humaine. En outre, les pouvoirs publics continuent d’appuyer l’action des associations qui interviennent auprès des populations concernées pour prévenir les pratiques en question. Enfin, une étude est aussi menée actuellement concernant la double discrimination. Elle donnera lieu à des recommandations, qui devraient déboucher sur la mise en place d’un plan d’action.

68.En ce qui concerne la violence dans la famille, les statistiques que l’Observatoire national de la délinquance vient de présenter dans son étude font état de plus de 47 500 faits de violences volontaires sur des femmes par le conjoint ou un ancien conjoint enregistrés en 2007. Elles sont publiées dans le cadre du deuxième plan d’action triennal de lutte contre les violences à l’égard des femmes (2008‑2010) qui a été adopté en novembre 2007. Elles confirment la nécessité de poursuivre une politique active de prévention et de lutte contre les violences dans la famille et elles montrent aussi que les femmes victimes sont de plus en plus nombreuses à dénoncer les violences qu’elles subissent. À l’automne 2008, une nouvelle campagne sera lancée pour inciter encore davantage les femmes victimes de violences à porter plainte. D’une façon générale, les autorités françaises sont soucieuses de développer la prévention, de poursuivre les efforts pour prendre la mesure exacte du phénomène et mieux coordonner l’action de tous les acteurs concernés, qu’il s’agisse de la police, de la justice, des services sociaux ou d’autres, et également de mieux protéger les femmes victimes et leurs enfants, lesquels sont parfois des victimes indirectes des violences quand ils en sont témoins.

69.M. JUY‑BIRMANN (France), répondant aux questions plus spécifiquement consacrées à la situation des femmes outre‑mer, fait observer que deux statuts personnels coexistent à Mayotte, en Nouvelle‑Calédonie et à Wallis‑et‑Futuna: l’un de droit commun, régi par les dispositions du Code civil, et l’autre de droit local ou coutumier. Le fait qu’il existe un droit coutumier ne signifie pas en soi qu’il y ait dérogation aux principes républicains et aux engagements internationaux souscrits par la France et, en tout état de cause, les autorités de l’État veillent régulièrement à interdire toute pratique ou coutume susceptible de porter atteinte, par exemple, aux principes de la laïcité et de l’égalité entre hommes et femmes. Ainsi, la loi no 2001‑616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte a été modifiée de façon à interdire la polygamie et la répudiation des épouses. Au‑delà de la sphère juridique, la condition de la femme dans les territoires d’outre‑mer a aussi évolué grâce à l’action des femmes elles‑mêmes, qui sont tournées vers l’avenir et se sont efforcées d’améliorer leur situation, notamment en ce qui concerne l’accès à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse. Des structures associatives ont été créées, qui revendiquaient une plus grande émancipation des femmes, ce qui a d’ailleurs permis aux autorités d’étendre à l’ensemble de l’outre‑mer le dispositif législatif applicable en métropole. Les revendications des femmes en matière d’égalité se sont aussi exprimées dans le domaine économique, et certaines disparités entre les hommes et les femmes ont ainsi été gommées, notamment sur le plan de la rémunération et de la réglementation du travail, même si les territoires d’outre‑mer sont encore la partie du territoire de la République dans laquelle la discrimination est sans doute la plus forte, notamment en matière d’embauche.

70.En ce qui concerne la participation à la vie politique, les femmes se sont mobilisées en faveur de la pleine égalité dans ce domaine. Il n’est que de citer le cas des femmes kanakes, qui saisissent systématiquement les tribunaux de droit commun pour contester les coutumes qui leur paraissent discriminatoires. On peut aussi mentionner le mouvement TE HINE MANOHITI en Polynésie française, composé exclusivement de femmes et représenté à l’Assemblée de Polynésie française, ou encore les «Chatouilleuses» de Mayotte, un mouvement de femmes mahoraises qui se sont battues pour ancrer Mayotte dans la République française et empêcher qu’elle ne rejoigne l’Union des Comores. À Mayotte, les femmes s’adressent d’ailleurs régulièrement à la justice de droit commun, considérant qu’elle est plus favorable aux droits des femmes et davantage sensible à leurs besoins que les caddies (chefs religieux musulmans). Tout cela montre que la coutume est susceptible d’évolution et, en tout état de cause, les autorités de l’État veillent à ce que les principes républicains ainsi que les engagements souscrits au titre du Pacte et de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes soient pleinement respectés outre‑mer.

71.Le PRÉSIDENT remercie la délégation française et annonce que le Comité poursuivra l’examen du rapport à sa prochaine séance.

La séance est levée à 18 h 10.

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