CCPR

Pacte international relatif aux droits civilset politiquesDistr.

GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.1871

6. décembre 2000

FRANÇAIS

Original : ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME

Soixante-dixième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1871ème SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mardi 17 octobre 2000, à 15 heures

Présidente : Mme MEDINA QUIROGA

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN VERTU DE L'ARTICLE 40 DU PACTE (suite)

‑ Troisième et quatrième rapports périodiques de la Trinité‑et‑Tobago (suite)

_______________

Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également incorporées à un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques du Comité seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la session.

GE.00-45132 (F)

La séance est ouverte à 15 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN VERTU DE L'ARTICLE 40 DU PACTE (point 3 de l'ordre du jour) (suite)

Troisième et quatrième rapports périodiques de la Trinité‑et‑Tobago (CCPR/C/TTO/99/3 et Corr.1; CCPR/C/70/L/TTO) (suite)

1.Sur l'invitation de la Présidente, la délégation de la Trinité‑et‑Tobago reprend place à la table du Comité.

2.La PRÉSIDENTE invite la délégation à continuer à répondre aux questions orales posées à la séance précédente.

3.M. MAHARAJ (Trinité‑et‑Tobago) indique que la législation de la Trinité‑et‑Tobago relative aux châtiments corporels a été améliorée, ce type de sanction ne pouvant plus désormais être imposé qu'aux adultes, définis comme personnes âgées de plus de 18 ans. Sur le principe, cependant, l'État partie n'accepte pas l'interprétation selon laquelle le Pacte interdirait les châtiments corporels. De même, il y a divergence d'interprétation entre le Gouvernement trinidadien et le Comité sur la question du Protocole facultatif. En effet, si le Comité reconnaissait que le Pacte ne restreint pas le droit souverain des États en matière de peine capitale et se contentait de l'aider à appliquer sa législation, la Trinité‑et‑Tobago pourrait envisager de revenir sur sa position et de lever sa réserve. Par contre, si, comme cela semble être le cas, le Comité refuse d'accorder des garanties de délai et vise l'abolition de fait de la peine capitale, elle ne pourra s'y résoudre. Outre ses obligations internationales, le Gouvernement trinidadien tient à s'acquitter des obligations qu'il a envers son peuple et de la responsabilité qui est la sienne d'éviter l'anarchie. Il est en cela soutenu par les gouvernements d'autres pays des Caraïbes, qui, faute d'alternative, envisagent aujourd'hui d'adopter eux aussi la solution pratique adoptée par la Trinité‑et‑Tobago, qui ne pouvait pas concilier le Protocole facultatif et l'article 5 de sa Constitution.

4.Concernant les services de police, M. Maharaj reconnaît qu'il y a dans son pays, comme dans beaucoup d'autres, des cas de corruption, d'abus de pouvoir et de brutalités. L'important est de mettre en place des mécanismes de contrôle, et cela a été fait. Il y a lieu de signaler ainsi la création récente de la Commission des services de police et de l'Autorité chargée de l'examen des plaintes contre la police, deux organismes ‑ le premier étant indépendant et le second relevant de la police ‑ chargés d'enquêter en cas d'allégations de ce type. Sur la question spécifique de la corruption, M. Maharaj indique que les lois en la matière s'appliquent également aux policiers. Un projet de loi contre la corruption prévoyant la création d'un organisme anticorruption est en outre actuellement à l'examen au Parlement. De manière générale, les services de police trinidadiens ont fait d'énormes progrès ces dernières années, comme l'ont reconnu les autres pays lors de la Conférence sur l'application des lois qui a récemment réuni les États-Unis d'Amérique et les États des Caraïbes et d'Europe. Au cours des quatre ou cinq dernières années, par exemple, les services de police nationaux ont aidé les autorités américaines et canadiennes ainsi que les autorités de divers pays européens à intercepter plusieurs centaines de tonnes de cocaïne en transit sur le territoire de la Trinité‑et‑Tobago et destinés à ces pays. M. Maharaj conclut sur le sujet des services de police en indiquant que la clause constitutionnelle qui accordait l'immunité judiciaire à la Commission des services de police a été supprimée.

5.Répondant à une demande de précisions sur les recours en inconstitutionnalité, M. Maharaj dit que toute décision des pouvoirs aussi bien législatif qu'exécutif ou judiciaire peut faire l'objet d'une demande de recours auprès de la High Court. La décision alors prise peut faire l'objet d'un appel devant la Cour d'appel, lequel peut lui‑même être contesté devant la plus haute instance judiciaire du pays. Si une décision est déclarée inconstitutionnelle, elle est déclarée nulle et non avenue de plein droit. De manière générale, outre le recours en inconstitutionnalité, toutes les sauvegardes sont garanties dans le pays : examen judiciaire, action administrative et habeas corpus.

6.Enfin, M. Maharaj tient à signaler que des faits cités par certains membres du Comité sont erronés, s'agissant notamment de questions soulevées dans le rapport d'Amnesty International. Quoi qu'entretenant de bonnes relations de coopération avec les organismes de défense des droits de l'homme, intergouvernementaux et non gouvernementaux, en général, et avec Amnesty International en particulier, le Gouvernement trinidadien a le devoir de corriger certaines allégations infondées, et le rapport d'Amnesty International a fait l'objet d'une réponse détaillée élaborée par le Parlement, qui est mise à la disposition du Comité. M. Maharaj ne souhaite pas entrer dans le détail des différentes allégations, mais engage les membres du Comité à prendre connaissance de cette réponse. Sur la question des juges de paix, l'une des mesures prises pour résoudre les problèmes existants a consisté à créer une commission d'enquête et à nommer une unité spéciale anticorruption. À la suite de cette initiative, plusieurs juges de paix ont été mutés et le processus de recrutement a été entièrement revu, de sorte qu'il comprend maintenant des examens et des entretiens.

7.M. SCHEININ fait observer que puisque l'État partie conteste expressément les conclusions d'Amnesty International, cette ONG devrait avoir la possibilité d'exprimer son point de vue.

8.La PRÉSIDENTE répond qu'il n'est pas possible de donner la parole à une ONG pendant l'examen du rapport d'un État partie.

9.M. PURSGLOVE (Trinité‑et‑Tobago) signale qu'en 1999 aucune sentence de flagellation n'a été prononcée et 17 personnes ont été condamnées au fouet. En 2000, aucune sentence ni de flagellation ni de fouet n'a été enregistrée. Les condamnations à des châtiments corporels doivent être appliquées dans les six mois, sans quoi elles sont tout simplement annulées. La sentence prononcée à l'encontre d'une femme à laquelle il a été fait référence n'a pas été appliquée et ne le sera pas, puisque le délai de six mois a maintenant expiré. Comme cela a déjà été dit, plus aucun mineur ne peut être condamné à une peine de châtiment corporel. Dans tous les cas, un médecin doit, de par la loi, être présent.

10.Sur la question des conditions de détention, M. Pursglove n'ignore pas que le Comité a considéré dans plusieurs cas que la Trinité‑et‑Tobago n'avait pas respecté les dispositions du Pacte. Il tient à souligner, cependant, que le Comité en est arrivé à ces conclusions sans avoir consulté l'État partie et sur la seule base de communications émanant de prisonniers. En 1999, le Gouvernement trinidadien a examiné les 10 cas en question et a conclu à la majorité qu'il n'y avait pas eu violation du Pacte. En tout état de cause, la question globale des conditions de détention est actuellement examinée par un commissaire juridique, qui traitera amplement dans son rapport de la conformité avec les normes internationales.

11.Revenant brièvement sur la question de la peine capitale, M. Pursglove invite les membres du Comité à prendre connaissance du projet de loi visant à réviser la liste des crimes passibles de cette peine et les assure que, si cette loi est adoptée, ils en seront informés. S'agissant de la suite donnée aux observations du Comité, il reconnaît que la Trinité‑et‑Tobago n'a pas toujours respecté ses obligations en matière de soumission de rapports et de suivi, mais fait observer que des mesures ont été prises au cours des dernières années pour éliminer les retards enregistrés auprès de tous les organes conventionnels. Il tient cependant à souligner que la Trinité‑et‑Tobago ne considère pas les observations du Comité comme des décisions, mais bien comme des recommandations, que le Gouvernement a l'obligation d'examiner et de prendre en considération, non d'appliquer immédiatement à la lettre. Toutes les conclusions du Comité sont systématiquement portées à la connaissance des organes compétents qui examinent les cas concernés et sont rendues publiques dans la presse. Cela ne signifie pas que ces organes partagent ces conclusions, ni que celles‑ci seront immédiatement mises en œuvre. Pour preuve du fait que, sans être systématiquement et immédiatement appliquées, les conclusions du Comité sont prises en considération, M. Pursglove indique que la totalité des communications examinées par le Comité dans les années 90 ont été régulièrement soumises aux organismes nationaux compétents. Dans tous ces cas, les peines ont été commuées et dans un cas, celui de Daniel Pinto, le Ministère de la sécurité nationale a conseillé que le détenu soit libéré.

12.Il est regrettable que le Ministère de la justice n'ait pas disposé du mécanisme nécessaire pour assurer le suivi adéquat de chaque affaire individuelle s'agissant des constatations du Comité. Mais l'ambition actuelle de l'État partie, même s'il a dénoncé le Protocole facultatif, est d'accorder toute l'attention voulue aux affaires encore en suspens devant le Comité afin de s'acquitter de ses obligations. Il est à remarquer que la Commission interaméricaine des droits de l'homme est saisie de nombreuses pétitions individuelles émanant de particuliers de la Trinité‑et‑Tobago, puisque pas moins de 45 dossiers de ce type sont devant cette institution, soit le record pour tous les pays des Caraïbes. L'État trinidadien a répondu à la Commission en ce qui concerne chacun des dossiers dans le délai d'un mois qu'il s'est lui-même imposé afin que la Commission ne puisse invoquer aucun motif pour ne pas examiner rapidement les dossiers en question (le délai a été fixé par la section judiciaire du Conseil privé). On comprendra qu'avec une telle charge de travail, le Ministère de la justice a dû concentrer tous ses moyens sur l'étude de ces dossiers, ce qui l'a sans doute amené à négliger d'autres obligations.

13.À propos de la place des instruments internationaux dans l'ordre juridique interne de l'État partie, la Trinité‑et‑Tobago se voit reprocher comme d'autres pays de common law d'ignorer ses obligations au titre du droit international au profit de l'application de son droit interne. En réalité, les instruments internationaux ne font pas partie de l'ordre juridique interne de la Trinité‑et‑Tobago tant que le Parlement n'a pas adopté une loi qui transforme les dispositions de l'instrument international en loi interne. Or, il y a eu une période où les gouvernements de la Trinité‑et‑Tobago ont signé des accords internationaux sans se préoccuper de savoir si ceux-ci trouvaient leur expression dans les dispositions de la législation interne. Depuis lors, l'État s'efforce de régler cette question en mettant en place au sein du Ministère de la justice un mécanisme chargé d'examiner chacun des accords internationaux signés ou ratifiés par la Trinité‑et‑Tobago pour vérifier que la loi interne pertinente est bien conforme aux dispositions de ces instruments et, en l'absence d'une telle loi, de proposer une législation donnant effet aux instruments internationaux. C'est ainsi que, dans le courant du mois d'octobre 2000, la Trinité‑et‑Tobago va adhérer à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ainsi qu'au Protocole de 1967, après agrément du Cabinet et examen par les ministères et départements concernés afin que puissent être adoptés des projets de loi destinés à lui donner effet.

14.Des questions ont été posées sur les brutalités policières, accompagnées d'allégations concernant des cas précis. Les allégations en question sont probablement fondées sur des informations fournies au Comité par Amnesty International, et le Gouvernement trinidadien y a répondu dans le document mis à la disposition des membres du Comité et intitulé "The Facts of the Matters", dans lequel sont reprises diverses allégations émanant d'Amnesty International. Les membres du Comité y trouveront notamment les différents recours dont disposent les personnes qui se disent victimes de brutalités policières et auxquelles il appartient de prendre les mesures appropriées pour faire valoir les droits que leur reconnaissent la Constitution et la loi.

15.Des questions ont été posées au sujet du fait que l'avortement est illégal à la Trinité‑et‑Tobago. Il existe toutefois un mécanisme qui permet de procéder à une interruption de grossesse dans certaines circonstances : si la grossesse présente un danger pour la femme, celle‑ci peut s'adresser à la justice pour demander une ordonnance judiciaire autorisant l'interruption de grossesse. On a cité également le cas de l'hôpital Sainte-Anne, établissement dans lequel les conditions d'hospitalisation laisseraient nettement à désirer. Lorsque des allégations de ce type sont formulées, elles font immédiatement l'objet d'une enquête, ce qui est le cas en l'occurrence, et les mesures appropriées seront prises.

16.On a demandé à quel stade un justiciable pouvait avoir droit à l'aide juridictionnelle : la réponse est dès le début d'une procédure judiciaire. Il est certain, et le Gouvernement le reconnaît, que dans les affaires où l'accusé risque la peine de mort, une telle aide doit être disponible au tout premier stade de la procédure, faute de quoi la section judiciaire du Conseil privé ordonnera la libération du prisonnier ou renverra l'affaire pour qu'elle soit rejugée, la défense étant assurée dans des conditions correctes. Les avocats qui assurent la défense au titre de l'aide juridictionnelle reçoivent une somme forfaitaire fixée par la loi ou à la discrétion du juge, ce qui est également vrai dans le cas des personnes présentant une requête constitutionnelle, contrairement au mythe qui voudrait que les avocats offrent leurs services à titre gracieux. L'aide est fournie sous réserve que les critères fixés par la loi soit remplis (bien fondé de la cause et moyens). Pour les demandes d'autorisation de former recours devant la section judiciaire du Conseil privé dans le cas des personnes risquant la peine de mort, le Gouvernement met à la disposition du requérant une somme lui permettant de présenter sa demande d'autorisation spéciale de former recours. Si la section judiciaire du Conseil privé accorde l'autorisation, elle enjoint l'État d'apporter une contribution aux frais encourus par le requérant (pétitionnaire). C'est ainsi que l'État trinidadien a déjà versé des millions de livres trinidadiennes au titre de l'aide juridictionnelle.

17.Les commentaires qui ont été faits au sujet de l'arrestation donnent l'impression que toute personne peut être arrêtée à tout moment pour n'importe quelle raison à la Trinité‑et‑Tobago. Il est certes possible, comme dans beaucoup d'autres ordres juridiques, à la police de procéder à une arrestation sans mandat, dans des situations qui sont spécifiées par la loi (les textes législatifs correspondants ont été mis à la disposition des membres du Comité). Toutefois, le principe de la présomption d'innocence existe et une personne qui a été arrêtée et détenue sans mandat judiciaire dispose de mécanismes lui permettant de contester (challenge) son arrestation et sa mise en détention.

18.La PRÉSIDENTE invite la délégation trinidadienne à répondre à la deuxième partie de la liste des points à traiter, qui se lit comme suit :

"Égalité de droits entre hommes et femmes et égalité devant la loi (art. 3 et 26)

13.Le projet de loi de 1998 sur l'égalité des chances a‑t‑il été adopté par le Parlement et mis en application par proclamation présidentielle ? Pourquoi le projet de loi exclut‑il la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ?

14.Donner des précisions sur le problème de la violence familiale. Quelles améliorations ont été apportées par la loi sur la violence familiale adoptée en 1999 et en quoi vont‑elles assurer une meilleure protection aux femmes et aux enfants aux articles 3 et 24 du Pacte ?

État d'urgence (art. 4)

15.En quoi la partie III du chapitre I de la Constitution garantit‑elle que les mesures d'exception sont conformes aux dispositions de l'article 4 du Pacte (par. 67 du rapport) ?

Droits des étrangers (art. 13)

16.En vertu de quelle disposition une mesure d'expulsion prononcée par un fonctionnaire dans les conditions indiquées au paragraphe 188 peut‑elle être réexaminée, conformément à l'article 13 ?

Droit à la vie privée et à la liberté d'expression (art. 17 et 19)

17.Commenter le projet de loi mentionné au paragraphe 232 et expliquer s'il permettra de concilier de manière satisfaisante la protection contre la diffamation et la liberté d'expression.

18.À quels projets de loi ont donné lieu les recommandations formulées dans le Livre vert intitulé Reform of the Media Law – Towards a Free and Responsible Media ? A‑t‑on tenu compte de la nécessité d'adopter une législation qui soit compatible avec l'article 19 (par. 244 et 245) ?

Liberté de religion (art. 18)

19.Le projet de loi composite (réforme spirituelle) visé au paragraphe 238, en ce qui concerne la discrimination à l'encontre de certains groupes religieux a‑t‑il été adopté ? La loi est‑elle entrée en application ?

Participation à la direction des affaires publiques (art. 25)

20.Indiquer si l'accès à la fonction publique et à des emplois stables dans ce secteur est ouvert à tous sans discrimination.

Diffusion d'informations sur les dispositions du Pacte (art. 2)

21.Préciser les mesures prises pour diffuser des informations sur la présentation des rapports et leur examen par le Comité, notamment en ce qui concerne ses observations finales. Fournir en outre des informations sur les dispositions prises pour sensibiliser au Pacte tous les agents de la fonction publique, en particulier les enseignants, les juges, les avocats et les membres des forces de police."

19.M. PURSGLOVE (Trinité‑et‑Tobago) dit, à propos du point 13, que le projet de loi sur l'égalité des chances est maintenant devenu loi et entrera en vigueur lorsque les mécanismes qui y sont prévus – à savoir la Commission de l'égalité des chances et le tribunal du même nom – auront été mis en place, c'est‑à‑dire d'ici trois ou quatre mois. La question de savoir pourquoi la loi exclut la discrimination fondée sur l'orientation (ou la préférence) sexuelle appelle la réponse suivante : il ne s'agit pas d'une loi révolutionnaire, mais certainement d'une mesure importante, qui a été examinée sous tous ses aspects par une commission parlementaire, puis étudiée par la Commission des lois, compte tenu des observations faites par plusieurs représentants des différents secteurs de la société civile concernés. La Commission des lois a estimé qu'il fallait agir de manière progressive et qu'il était peut‑être prématuré d'inclure dans le champ de cette loi tous les groupes susceptibles de revendiquer cette protection. Par conséquent, certaines dispositions ont été incluses et d'autres seront ajoutées plus tard, parmi lesquelles la protection contre la discrimination fondée sur la préférence sexuelle. Il ne faut pas perdre de vue, qu'à la Trinité‑et‑Tobago, les pratiques homosexuelles et lesbiennes sont des délits au regard du droit pénal et qu'avant d'inclure la préférence sexuelle dans une législation de protection contre la discrimination, il faudra revoir la législation pénale en la matière. La loi sur l'égalité des chances complète la protection déjà prévue dans la Constitution, qui s'exerce vis‑à‑vis de l'individu et de l'État, tandis que la nouvelle loi offre une protection qui s'étend au secteur privé.

20.Mme  SIRJUSINGH (Trinité-et-Tobago) apporte les précisions demandées et répond aux questions posées au point 14 de la liste, qui concerne la violence familiale, laquelle demeure un problème sérieux dans son pays. Des améliorations ont été apportées par le Gouvernement depuis 1995 et parmi les mesures prises en vertu des amendements à la loi sur la violence familiale, on peut citer : premièrement, la création en 1996 d'une ligne téléphonique d'urgence fonctionnant 24 h sur 24 - National Domestic Violence Hotline - à l'intention des victimes et des auteurs d'actes de violence familiale (services offerts : interventions d'urgence, consultations, orientation et information). Deuxièmement, la création d'une unité de la violence familiale -  Domestic Violence Unit - en mai 1997 au sein du Ministère de la culture et des affaires féminines. Troisièmement, la création dans 22 localités de centres d'information et de soutien ‑ Drop-In Information and Support Centres ‑, dotés d'une équipe comprenant des travailleurs sociaux, des policiers, des responsables communautaires et du personnel de la Division des affaires féminines : ils offrent au public des consultations, des interventions d'urgence, une orientation vers d'autres services ainsi qu'une information sur tout ce qui touche à la violence et aux agressions sexuelles. Quatrièmement, la création d'unités de police de proximité (Community Policing Units) chargées des problèmes sociaux au niveau local, et notamment de la violence dans la famille. Cent deux fonctionnaires de police ont récemment reçu une formation spéciale visant à les sensibiliser à ce type de problème et à l'accueil des victimes. La police de proximité peut aider les victimes de violence familiale à obtenir des mesures judiciaires de protection (protection orders) telles que le placement des victimes dans des refuges spéciaux où elles seront en sécurité et l'accès à des services de consultation.

21.La nouvelle législation a également élargi la définition de la violence familiale qui inclut désormais toutes les formes de violence sexuelle, financière, affective et psychologique, ainsi que l'éventail des mesures de protection offerts aux victimes et prévoit des mesures d'aide financière en faveur de la victime d'abus. Les tribunaux peuvent ordonner l'indemnisation de la victime ainsi que d'autres formes d'aide provisoire de manière que celle-ci ne soit pas pénalisée financièrement par le recours à la justice. Par ailleurs, la nouvelle loi confère à la police de plus larges pouvoirs pour enquêter sur les incidents liés à la violence familiale en pénétrant dans les domiciles privés sans mandat judiciaire, afin de pouvoir protéger la victime ou empêcher qu'elle ne subisse d'autres violences. Une garantie est toutefois prévue à cet égard : lorsqu'un policier exerce ce pouvoir en vertu de la nouvelle loi, il doit remettre un rapport écrit de son intervention en en précisant les circonstances.

22.Mme Sirjusingh poursuit en répondant à la question du point 15 sur les mesures d'exception et signale que la Constitution de la Trinité-et-Tobago prévoit des garanties adéquates pour prévenir la violation de droits spécifiques énoncés dans le Pacte. Selon l'article 7.3 de la Constitution, une loi promulguée en régime d'exception qui spécifie expressément qu'elle produit ses effets seulement pendant cette période, ainsi que tous règlements adoptés au titre du paragraphe 1 du même article, produisent leurs effets même s'ils sont incompatibles avec les articles 4 et 5 de la Constitution, à moins qu'il ne soit prouvé que leurs dispositions ne sont pas raisonnablement justifiables pour faire face à la situation qui prévaut pendant cette période. Par conséquent, une personne peut attaquer au moyen d'une requête constitutionnelle présentée devant la High Court toute législation qu'elle estime non justifiable pour faire face à la situation existante et la High Court est habilitée à déclarer ladite loi dépourvue d'effet sur cette base. L'article 11 de la Constitution dispose que quiconque est détenu en vertu d'une loi ou d'un règlement pris en période d'exception peut demander à tout moment pendant sa détention que son cas soit examiné par un tribunal indépendant et impartial créé conformément à la loi et présidé par un magistrat désigné par le Président de la Cour Suprême. Il s'agit d'une garantie importante contre une détention illégale (voir par. 73 du rapport). Enfin, la Constitution reconnaît le droit pour une personne de former un recours en habeas corpus pour demander à un tribunal de se prononcer sur la validité de sa détention par l'État, en période d'état d'urgence ou non. Telles sont les trois importantes garanties qu'offre la Constitution contre la détention illégale.

23.M. PURSGLOVE (Trinité-et-Tobago) répond à la question du point 16 portant sur les dispositions selon lesquelles une mesure d'expulsion peut être réexaminée. En vertu de la loi sur l'immigration, la décision d'expulsion prise par le ministre est définitive et prise en dernier ressort, sans pouvoir être contestée devant aucune juridiction (par. 188 du rapport). Toutefois, en vertu de l'article 31 de cette loi, dans certaines circonstances, appel peut être fait de cette décision devant le juge de la High Court, puis appel de la décision rendue par la High Court peut être fait devant la Cour d'appel, lorsqu'il s'agit d'un arrêté d'expulsion pris par le Special Enquiry Officer, par le ministre ou par un fonctionnaire de l'immigration. En tout état de cause, il existe à côté de cette clause spéciale la possibilité pour la justice (High Court) de réexaminer tout arrêté d'expulsion pris par le ministre, dans le cadre de la procédure de réexamen judiciaire, pour illégalité, irrationalité ou vice de procédure. En effet, le champ d'application de cette procédure de réexamen judiciaire a été élargi en vertu de la loi pertinente, ce qui permet à quiconque se considère lésé par un arrêté d'expulsion de demander au ministre de justifier sa décision et d'en obtenir le réexamen. En attendant qu'il soit statué sur son appel ou sur sa demande de réexamen judiciaire, la personne visée par l'arrêté d'expulsion peut être mise en liberté sous caution. Il existe donc deux garanties permettant d'attaquer un ordre d'expulsion.

24.Mme SIRJUSINGH (Trinité-et-Tobago) répond à la question du point 17 touchant la protection contre la diffamation et la liberté d'expression. Le projet de loi sur la diffamation vise à remplacer la loi actuelle, qui est pour l'essentiel un héritage du droit anglais (common law) de 1846, et a pour ambition de ménager un équilibre entre la liberté d'expression et le droit de toute personne de faire protéger sa réputation contre les attaques injustifiées. La nouvelle loi supprimera la distinction entre diffamation écrite et diffamation verbale (libel and slander). Le principal souci du législateur est de simplifier la loi en éliminant les risques de confusion et de faciliter l'action en justice pour rétablir la réputation de la personne diffamée (voir par. 232 du rapport). Le tribunal pourra notamment déterminer si la déclaration incriminée est conforme à la vérité ou non et ordonner à l'auteur de faire publier dans la presse une rétractation, une rectification ou des excuses.

25.Mme Sirjusingh poursuit en répondant à la question du point 18, qui porte sur les recommandations formulées dans le Livre vert intitulé "Reform of the Media Law – Towards a Free and Responible Media" (par. 244 du rapport). Le Livre vert a été soumis au public pour que celui‑ci formule des observations et la Commission des lois a été chargée d'établir un rapport sur le résultat de cette consultation. Il en ressort que le public appuie dans son écrasante majorité la réforme de la législation sur la diffamation et qu'il retient trois principaux domaines sur lesquels il faudrait légiférer immédiatement. Le premier concerne donc la législation sur la diffamation, qui fait déjà l'objet d'un projet de loi visant à donner effet à certaines des recommandations figurant dans le Livre vert. Premièrement, la loi devrait encourager les médias à révéler les cas de corruption et de malversations en leur facilitant l'accès à certaines informations. Une seconde recommandation est que les victimes de publications mensongères par les médias aient le droit d'obtenir une rectification ou des excuses rapides ainsi que le droit de faire publier une réponse. Dans le nouveau projet de loi, la personne incriminée pourra faire une offre de réparation sans qu'il soit nécessaire de porter l'affaire en justice. La troisième recommandation a trouvé son application dans le projet de loi sur la diffamation : les médias devraient avoir l'obligation de rendre compte de manière honnête et impartiale et sans malveillance des débats parlementaires; à cela s'ajoute la suppression de l'infraction de diffamation blasphématoire (par. 244 du rapport).

26.Le second domaine où il serait nécessaire de légiférer concerne la protection de toutes les confessions religieuses contre la discrimination, qui fait l'objet d'un projet de loi sur la réforme spirituelle (par. 245 du rapport), déjà approuvé par la Chambre des représentants, visant à protéger toutes les confessions religieuses contre le dénigrement et les moqueries. Le troisième domaine de préoccupation concerne la nécessité de promouvoir une société authentiquement démocratique en instituant un "droit de savoir" protégé par la loi (par. 245), afin de faciliter l'accès à l'information. Le Gouvernement a déjà promulgué une législation sur la liberté de l'information et, dès que les structures administratives et autres seront en place, cette nouvelle loi entrera en application. Sur les autres recommandations du Livre vert, les divergences d'opinion dans le public incitent à en approfondir l' examen avant de passer à l'application.

27.M. PURSGLOVE (Trinité-et-Tobago) répond aux questions du point 19 sur la liberté de religion, sujet déjà abordé précédemment : le projet de loi a été examiné par la Chambre des représentants et se trouve maintenant devant le Sénat. Le projet de loi sur la réforme spirituelle vise à supprimer la discrimination qu'instaurait auparavant la loi à l'égard de certains groupes religieux, en accordant en quelque sorte une suprématie au groupe d'obédience chrétienne par rapport à d'autres. Lorsque le projet deviendra loi et que celle‑ci sera en application, l'ancienne infraction de "blasphème" en common law deviendra le délit de diffamation, conformément à la nouvelle loi sur la diffamation, et pourra être invoqué par tous les groupes religieux, et pas seulement ceux appartenant à la religion chrétienne.

28.Mme SIRJUSINGH (Trinité-et-Tobago), répondant sur le point 20, indique que les fonctionnaires sont employés non pas par le Gouvernement mais par des commissions autonomes régissant les différents secteurs de la fonction publique (administration, police, établissements pénitentiaires, services juridiques et judiciaires, etc.). La loi permet aujourd'hui l'ouverture d'une enquête en cas d'allégations de discrimination dans la fonction publique. Par ailleurs, une loi portant modification de la Constitution prévoit la possibilité de créer une commission parlementaire pour enquêter sur le fonctionnement des dites commissions, à l'exception de celles régissant les services juridiques et judiciaires. D'une façon générale, la procédure de recrutement des fonctionnaires n'est pas discriminatoire et aucune question concernant la race ou la religion, notamment, ne figure dans les formulaires d'embauche.

29.M. PURSGLOVE (Trinité-et-Tobago) indique, en réponse sur le point 21, que le rapport soumis à l'examen du Comité a été établi dans des délais trop brefs pour permettre une consultation des organisations non gouvernementales aussi large que les autorités l'auraient souhaité. Cependant, des réunions ont été organisées entre les responsables du service des droits de l'homme du Ministère de la justice et les représentants d'organisations non gouvernementales, et les observations qui ont été formulées dans ce cadre ont été prises en compte dans l'élaboration du rapport. En outre, les autorités ont eu la chance de pouvoir s'entretenir avec M. Bhagwati, membre du Comité des droits de l'homme, qui s'est rendu à la Trinité-et-Tobago. Elles avaient espéré organiser un atelier à l'intention des organisations non gouvernementales pour les aider à contribuer utilement à l'établissement des rapports périodiques. Toutefois, le Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme n'a pas pu dépêcher des experts à cette fin dans les délais très courts qui étaient impartis, et la tenue d'un tel atelier reste un projet à concrétiser. Avec l'aide du Programme des Nations Unies pour le développement, un séminaire a cependant été organisé à l'intention des fonctionnaires gouvernementaux participant à l'élaboration du rapport. Ainsi, des experts se sont rendus à la Trinité‑et‑Tobago et ont fourni aux autorités des indications utiles sur la procédure d'établissement des rapports au titre des différents instruments internationaux. M. Pursglove ajoute que le service des droits de l'homme du Ministère de la justice est assisté d'un comité interministériel réunissant des représentants de tous les départements concernés, lesquels ont eux‑mêmes des contacts directs avec les organisations non gouvernementales, dont les points de vue sont ainsi dûment pris en considération. Le Gouvernement espère toutefois être en mesure, à l'avenir, de mettre en place un mécanisme plus efficace permettant aux ONG de faire entendre leur voix à un stade plus précoce de l'établissement des rapports. Le rapport à l'examen a cependant été largement diffusé auprès de toutes les organisations non gouvernementales pertinentes, et il peut être consulté dans les bibliothèques, ainsi que sur le site Internet du Ministère de la justice. En outre, les particuliers peuvent, sur demande, en obtenir une copie. Enfin, lorsque le rapport a été soumis devant le Parlement, il a été demandé aux représentants de la société civile et des organismes intéressés de présenter leurs observations à son sujet. Les autorités commencent à recevoir ces observations et espèrent que le processus sera encore plus dynamique pour l'établissement du prochain rapport périodique.

30.En ce qui concerne la promotion des droits de l'homme et la diffusion d'informations sur les instruments internationaux en la matière, elles sont du ressort du service des droits de l'homme du Ministère de la justice, qui est chargé, entre autres, de sensibiliser le public aux obligations incombant à la Trinité‑et‑Tobago dans ce domaine. Enfin, le Gouvernement célèbre chaque année la Journée des droits de l'homme, en coopération avec le Programme des Nations Unies pour le développement, et c'est une occasion supplémentaire de promouvoir le respect des droits de l'homme.

31.La PRÉSIDENTE remercie la délégation trinidadienne et invite les membres du Comité à poser oralement des questions complémentaires.

32.M. YALDEN rappelle qu'il a posé une question concernant le rôle et les fonctions du Médiateur, à laquelle il n'a toujours pas été répondu. Il voudrait savoir en particulier si le mandat du Médiateur couvre bien l'ensemble des droits protégés par le Pacte.

33.En ce qui concerne la loi sur l'égalité des chances, il conviendrait de savoir si elle prévoit un salaire égal pour un travail de valeur égale. Par ailleurs, la loi exclut la discrimination fondée sur un certain nombre de motifs, mais ne dit apparemment rien, concernant, entre autres, la discrimination foncée sur l'âge. En outre, les dispositions relatives aux organismes bénévoles à but non lucratif paraissent contestables. Par ailleurs, les dispositions de l'article 7 de la loi pourraient soulever des questions au regard du Pacte étant entendu que, dans un grand nombre de pays, le harcèlement sexuel est considéré comme relevant de la discrimination fondée sur le sexe, d'une part, et qu'il est souvent pratiqué dans un cadre privé, d'autre part. M. Yalden serait reconnaissant à la délégation trinidadienne de bien vouloir apporter des éclaircissements sur tous ces points.

34.Enfin, la lecture du rapport, conduit à s'interroger sur la compatibilité de certaines lois avec la loi sur l'égalité des chances. En particulier, les dispositions de la loi sur l'immigration interdisant l'entrée du territoire à diverses catégories de personnes (par. 182 du rapport) sont clairement discriminatoires et il conviendrait de savoir dans quelle mesure elles sont compatibles avec la loi sur l'égalité des chances.

35.M. BHAGWATI remercie les autorités trinidadiennes d' avoir établi un rapport complet montrant les progrès réalisés dans la promotion et la protection des droits de l'homme dans l'État partie et il salue les initiatives du Gouvernement en matière législative. En particulier, il se félicite de l'adoption d'une loi sur l'examen judiciaire et d'une loi sur la liberté d'information. Rares sont les États qui ont adopté ce type de texte, et encore moins les pays en développement. Toutefois, il est très important que des mécanismes appropriés d'application des lois soient mis en place pour que les textes ne restent pas lettre morte.

36.M. Bhagwati partage les préoccupations que les autres membres du Comité ont exprimées et s'interroge, lui aussi, sur l'action du Médiateur. Dans combien de cas celui-ci a‑t‑il conclu que la plainte dont il était saisi était fondée et quelles mesures a‑t‑il prises en conséquence ? Quel est le pourcentage de cas où ses recommandations ont été acceptées et ont été rejetées ou n'ont pas été suivies d'effet ?

37.En ce qui concerne la loi sur le calcul du travail non rémunéré de 1996, M. Bhagwati s'interroge sur les moyens de quantifier ce type de travail, et souhaiterait des éclaircissements à cet égard. Par ailleurs, concernant la question de l'égalité des chances, il serait important de savoir quelles mesures le Gouvernement a prises pour mettre en place la commission de l'égalité des chances et le tribunal de l'égalité des chances, qui permettraient de donner effet à la loi récemment adoptée dans ce domaine. M. Bhagwati voudrait également savoir si la loi de 1986 relative aux infractions contre les mœurs prévoit l'interdiction du harcèlement sexuel. Par ailleurs, quel mécanisme a été établi pour donner effet à la loi sur la violence familiale qui a été adoptée en 1999, et quelle procédure permet de recevoir des plaintes et d'enquêter sur les violences dans la famille ? M. Bhagwati voudrait savoir par ailleurs ce qui est fait pour accroître la participation des femmes à la gestion des affaires publiques, d'une part, et pour augmenter le nombre des femmes occupant des postes au plus haut niveau de l'appareil judiciaire, d'autre part.

38.Un autre aspect sur lequel M. Bhagwati souhaiterait des précisions concerne les mesures prises pour faire mieux connaître au public les dispositions de la loi sur l'examen judiciaire, de façon que les particuliers et les organisations non gouvernementales puissent s'en prévaloir devant les tribunaux pour demander le respect des droits de l'homme. Enfin, M. Bhagwati est particulièrement préoccupé par la teneur des articles 4 et 5 de la Constitution. En effet, ces dispositions autorisent des dérogations à des droits qui n'en souffrent aucune au titre du Pacte, et elles semblent ainsi incompatibles avec les dispositions du paragraphe 2 de l'article 4 du Pacte. M. Bhagwati souhaiterait des éclaircissements sur ce point.

39.M. LALLAH apprécie la qualité du rapport et remercie la délégation trinidadienne pour les réponses utiles qu'elle a apportées aux questions des membres du Comité. Il reste toutefois préoccupé par les questions faisant l'objet des points 15 et 21 de la liste. En ce qui concerne le point 21, il convient de bien voir que les rapports demandés au titre de l'article 40 du Pacte, tout comme d'ailleurs l'examen de ces rapports par le Comité, ont pour objet de déterminer non pas si la situation dans l'État partie est compatible avec le droit interne, mais si la législation et la Constitution de l'État partie sont compatibles avec le Pacte et si leur application est conforme aux obligations internationales souscrites en vertu du Pacte. Dans ce cadre, M. Lallah rappelle que les autorités trinidadiennes ont pris des engagements importants au titre du paragraphe 2 de l'article 2 du Pacte, qu' elles sont tenues de respecter, et que le Comité a, quant à lui, comme mission de les assister à cet effet dans toute la mesure de ses moyens. Il est essentiel que les autorités comprennent que le Comité ne cherche pas à condamner leur action mais s'efforce, au contraire, de les aider à aller plus loin dans le respect des droits de l'homme. Le Gouvernement trinidadien a pris plusieurs initiatives remarquables, en particulier en créant le service des droits de l'homme du Ministère de la justice, et il serait pleinement souhaitable que le Comité et le Gouvernement de l'État partie procèdent à un échange de vues sur les meilleures façons d'améliorer ce qui doit encore l'être. Une possibilité serait que le secrétariat du Commonwealth et le Comité organisent ensemble, sous l'égide de l'ONU, des réunions de travail avec des représentants du pouvoir judiciaire de la Trinité‑et‑Tobago. Pour l'heure, il ressort du dialogue avec les représentants de l'État partie que le Pacte n'est pas considéré comme faisant partie intégrante du droit interne et que, partant, les autorités ne s'estiment pas tenues de lui donner effet dans la législation. La situation concernant l'application de l'article 4 du Pacte en fournit une bonne illustration. La délégation trinidadienne a donné des indications sur ce que recouvre l'article 4 de la Constitution, mais n'a d'aucune façon montré en quoi il était conforme à l'article 4 du Pacte. Plus précisément, le paragraphe 2 de l'article 4 du Pacte prévoit qu'il ne peut être dérogé à un certain nombre de droits. Or, la Constitution trinidadienne prévoit, elle, d'amples dérogations à plusieurs droits fondamentaux. En outre, la délégation de l'État partie n'a pas fait mention de l'article 13 de la Constitution, qui est clairement contraire au principe même du respect des droits et des libertés de la personne. Cette situation est grave, et il serait temps d'y remédier. M. Lallah avait exprimé les mêmes préoccupations il y a treize ans, lors de l'examen du deuxième rapport périodique (CCPR/C/37/Add.7), et il espérait alors que les autorités envisageraient des mesures leur permettant de s'acquitter pleinement des obligations internationales qui leur incombent. À l'évidence, les mesures nécessaires n'ont pas été prises et il est grand temps d'agir pour remédier à la situation.

40.M. SCHEININ, revenant brièvement sur les réponses que la délégation trinidadienne a apportées à propos des points 1 à 14 de la liste, relève que les autorités de l'État partie réduisent apparemment les engagements pris au titre du Pacte à la seule obligation de présenter des rapports périodiques en vertu de l'article 40 et limitent le rôle du Comité à la formulation de recommandations. Il rappelle que le Pacte est un traité international, dont les dispositions doivent avoir une interprétation internationalement convenue, et dont l'application ne saurait être subordonnée aux points de vue de tel ou tel État partie concernant sa souveraineté ou sa culture. Le Comité des droits de l'homme, quant à lui, est l'instance qui donne et affine l'interprétation des dispositions du Pacte, dans le cadre des procédures établies dans cet instrument et dans le Protocole facultatif s'y rapportant, et sa mission ne saurait se résumer à la simple formulation de recommandations.

41.M. Scheinin partage les préoccupations de MM. Bhagwati et Lallah concernant les dispositions relatives à l'état d'urgence et s'associe aux questions qu'ils ont posées concernant les dérogations à certains droits prévues dans la Constitution. Par ailleurs, il ne semble pas que le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies ait été notifié des deux déclarations d'état d'urgence, ce qui soulève des questions au regard de l'application du Pacte. Plus généralement, les autorités envisagent‑elles de modifier la Constitution pour la rendre compatible avec les dispositions de l'article 4 du Pacte ? Deux aspects sont préoccupants : les dérogations possibles à des droits auxquels il ne saurait être dérogé en vertu du Pacte, d'une part, et la définition d'un état d'urgence, qui paraît beaucoup plus large que celle énoncée dans le Pacte, d'autre part. Si le premier état d'urgence qui a été proclamé (par. 69 du rapport) répondait peut‑être à une situation telle que prévue à l'article 4 du Pacte, le deuxième état d'urgence ne paraît pas avoir été déclaré conformément aux critères énoncés dans le Pacte. En outre, la situation exposée au paragraphe 75 du rapport, en particulier les motifs et les conditions de l'arrestation et de l'assignation à résidence de la Présidente de la Chambre des représentants, ne semblent pas non plus conformes aux critères énoncés à l'article 4 du Pacte, et la mesure prise évoque davantage une privation de liberté arbitraire au sens du Pacte. M. Scheinin souhaiterait des éclaircissements sur tous ces points.

42.En ce qui concerne l'infraction de diffamation pénale (par. 244 du rapport), qui devrait être apparemment supprimée dans le cadre de la réforme de la loi sur les médias, M. Scheinin relève que la délégation trinidadienne n'a pas répondu aux questions qui ont été posées à ce sujet. Qui plus est, le Ministre de la justice a mentionné cette infraction dans la partie de sa déclaration devant le Comité concernant les activités d'Amnesty International, ce qui ne laisse pas d'inquiéter. En effet, l'infraction de diffamation pénale pourrait facilement être retenue contre des défenseurs des droits de l'homme, ce que laisse entendre d'ailleurs l'allusion du Ministre de la justice à cette infraction dans le cadre des réponses aux critiques formulées par Amnesty International. M. Scheinin voudrait être assuré que cette infraction sera supprimée ou que, à tout le moins, elle ne peut viser les activités des défenseurs des droits de l'homme. Enfin, et plus généralement, M Scheinin constate que ni la déclaration du Ministre de la justice, ni les indications fournies par d'autres membres de la délégation n'ont apporté d'éléments de réponse satisfaisants aux questions du Comité.

43.M. ZAKHIA, tout en reconnaissant la qualité du rapport, relève que rien ou presque n'y est dit sur le statut personnel, en particulier concernant le divorce, le mariage, la succession, la transmission de la nationalité, etc. L'égalité entre les hommes et les femmes est‑elle réalisée dans tous ces domaines et, dans le cas contraire, est‑il envisagé de réformer le statut personnel pour assurer pleinement cette égalité ?

44.M. AMOR voudrait savoir s'il existe un droit au passeport pour les citoyens trinidadiens, ou si ceux‑ci ont simplement la possibilité d'avoir un passeport. En outre, s'agissant du droit de quitter le pays, il souhaiterait savoir ce que représente le montant de la taxe de départ et de la taxe de sécurité par rapport au salaire minimum garanti.

45.M. Amor souhaiterait avoir par ailleurs des précisions concernant l'institution du mariage. Il demande en particulier, si le statut personnel des musulmans et des hindous est régi par leur religion ou s'il existe des lois qui définissent les conditions relatives au mariage, au divorce et aux droits de succession. En ce qui concerne la polygamie, on peut lire au paragraphe 261 du rapport que rien n'autorise ou ne permet de valider un mariage polygame. Un tel mariage est‑il néanmoins possible, et la polygamie est‑elle passible de sanctions autres que la seule non‑validation du mariage polygame ? M. Amor se demande en outre pour quelle raison le droit d'adhérer à un syndicat n'est pas garanti dans le droit interne, en particulier dans la Constitution. Enfin, le texte de la loi sur la réforme spirituelle paraît libellé dans des termes excessivement généraux, et M. Amor ne voit pas bien quels principes il consacre. Il voudrait savoir, en particulier, si cette loi reconnaît clairement la liberté de croyance, quelle que soit la croyance, ou si elle ne reconnaît que les seules communautés religieuses. La loi consacre‑t‑elle aussi la liberté de manifester sa croyance, telle que reconnue dans le droit international et en particulier à l'article 18 du Pacte ?

46.Lord COLVILLE demande que la délégation précise par écrit quelles sont les dispositions législatives figurant dans le Livre vert qui, après avoir été adoptées par le Parlement, ont effectivement été promulguées : qu'en est-il par exemple de la législation sur l'égalité des chances ? Par ailleurs, il croit comprendre, d'après les réponses données par la délégation, que les citoyens ont la possibilité de s'adresser aux tribunaux en invoquant l'inconstitutionnalité des dispositions prises pour imposer l'état d'urgence quand celui‑ci ne semble pas raisonnablement justifié pour faire face à la situation existante. Or, la Constitution ne contient apparemment pas de garanties de ce genre et les tribunaux ne peuvent donc pas être saisis dans de tels cas. La même situation se présente s'agissant des dispositions de l'article 5, auxquelles il est possible de déroger quand l'état d'urgence est appliqué. Il s'agit là d'un problème fondamental auquel il importe de trouver une solution.

47.Mme EVATT demande si la législation qui criminalise les relations homosexuelles entre adultes consentants est effectivement appliquée et souhaite recevoir des données chiffrées sur les poursuites entamées, les condamnations prononcées et les possibilités de recours concernant ce type de délit. Elle voudrait aussi savoir ce qu'il en est du projet, évoqué au paragraphe 264 du rapport, visant à revoir la législation relative au mariage et si des mesures ont été prises pour faire coïncider l'âge légal du mariage pour les hommes et les femmes, d'une part, et pour tous les groupes religieux, de l'autre. Par ailleurs, le fait que la loi exige qu'un médecin soit présent pendant les flagellations indique bien que ce châtiment est inhumain et dégradant et, en outre, la Commission des lois ayant récemment autorisé de nouveau cette pratique, on ne peut guère s'attendre à ce qu'elle émette des recommandations au sujet d'éventuels recours contre ce châtiment.

48.La PRÉSIDENTE invite la délégation trinidadienne à répondre aux questions supplémentaires posées par les membres du Comité.

49.M. MAHARAJ (Trinité-et-Tobago) dit que la délégation trinidadienne s'est efforcée de répondre clairement à toutes les questions posées par les membres du Comité mais que si des réponses supplémentaires sont nécessaires, le Gouvernement pourra les communiquer par écrit, notamment en ce qui concerne la position qu'il maintient à propos de la peine capitale et des châtiments corporels. Pour ce qui est des dispositions relatives à l'état d'urgence qui seraient contraires aux principes énoncés dans le Pacte et de la nécessité de modifier la Constitution en conséquence, le Gouvernement étudiera la question et communiquera ses observations par écrit.

50.En ce qui concerne les préoccupations concernant les informations émanant d'Amnesty International, M. Maharaj rappelle qu'il existe à la Trinité‑et‑Tobago un organisme juridiquement habilité à enquêter sur les agissements des membres des forces de police. Les réponses à toutes les autres questions sur ce point seront données par écrit.

51.La PRÉSIDENTE engage la délégation à répondre autant que possible dès à présent aux questions posées.

52.Mme SIRJUSINGH (Trinité‑et‑Tobago) dit, au sujet des plaintes formulées contre la police, que quiconque conteste la façon dont sa plainte a été traitée par la Division des plaintes peut saisir l'Autorité des plaintes d'une demande de réexamen, et ce, par écrit, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision (par. 112 du rapport). L'Autorité, qui est présidée par un juge à la retraite de la Cour suprême, réexaminera l'affaire sans que la Division intervienne. Par ailleurs, on constate dans certaines régions une nette diminution des plaintes faisant état de voies de fait.

53.Mme Sirjusingh ajoute qu'il n'a pas été jugé utile de consigner dans les réponses de l'État partie les renseignements demandés au sujet de l'article 13 de la Constitution, puisque la question a déjà été traitée dans le rapport (par. 77). En ce qui concerne la mise au secret, un certain nombre de règles sont imposées et cette mesure n'est applicable qu'aux personnes violentes et agressives. De plus, une surveillance médicale est assurée 24 heures sur 24 par le personnel infirmier et la mise au secret ne dure en pratique que de 12 à 72 heures.

54.M. PURSGLOVE (Trinité‑et‑Tobago) dit que le Gouvernement envisage effectivement la possibilité de mettre en place une commission nationale des droits de l'homme. À présent qu'il existe au sein du Ministère de la justice un service des droits de l'homme, doté de ressources humaines et financières suffisantes, le Gouvernement est pour la première fois en mesure de s'acquitter pleinement de ses obligations en matière d'établissement de rapports, de suivi des recommandations du Comité et d'information du public. La commission nationale ainsi mise en place devrait pouvoir non seulement recevoir les plaintes émanant de particuliers mais aussi s'occuper des actions intentées collectivement et représenter des groupes sociaux. Un document de travail concernant la création d'une telle commission devrait être établi dans un avenir proche.

55.S'agissant des mesures prises pour faire connaître les dispositions de la loi relative à l'examen judiciaire, un programme d'information du public a été mis en place sous les auspices du Ministère de la justice, qui s'efforce également de faire connaître les autres dispositions prises par le Gouvernement au nom des citoyens. La question de l'intégration, dans le droit interne, des obligations prévues dans les différents instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme a été abordée à l'occasion de l'établissement du rapport. Le Gouvernement attendra de recevoir les observations du Comité pour voir si la législation nationale est pleinement conforme aux dispositions du Pacte et il lui appartiendra ensuite de décider des mesures à prendre pour maintenir le respect à la fois du droit interne et des engagements pris sur le plan international.

56.M. MAHARAJ (Trinité‑et‑Tobago) dit, au sujet du mariage, qu'eu égard à la très grande diversité de la population il est très difficile d'arriver à ménager toutes les susceptibilités, même dans un pays aussi petit. Il indique que des consultations ont été organisées récemment pour demander aux représentants de toutes les religions ce qu'ils souhaiteraient voir supprimer ou modifier dans l'ordonnance relative au mariage. Force est de constater que les réponses communiquées par les uns peuvent parfois être perçues comme insultantes par les autres et qu'elles sont souvent en contradiction avec les dispositions du Pacte. Il ne suffit donc pas de se placer dans la seule perspective juridique pour dire que toutes les mesures doivent être prises afin d'appliquer strictement les dispositions du Pacte.

57.La PRÉSIDENTE indique que l'État partie devra faire parvenir ses réponses écrites au Comité dans un délai d'une semaine afin que celui‑ci puisse les prendre en considération quand il établira ses observations finales, à l'issue de l'examen des troisième et quatrième rapports périodiques de la Trinité‑et‑Tobago. Elle rappelle à cet égard que le Comité ne se contente pas de formuler de simples recommandations et qu'en l'occurrence la Trinité‑et‑Tobago se doit d'aligner les dispositions de son droit interne sur celles du droit international et, pour ce faire, d'amender sa Constitution ou d'abroger certaines lois si celles‑ci sont incompatibles avec le Pacte. Il faut espérer que l'État partie prendra des mesures pour remédier à certaines situations, y compris la précarité des droits de l'homme qui découle des dispositions mêmes de la Constitution et que le Comité a été unanime à critiquer.

58.M. MAHARAJ (Trinité‑et‑Tobago) remercie la Présidente et prend note de ses remarques concernant les principes du droit international et des obligations des États. Il tient toutefois à dire officiellement que le Gouvernement trinidadien adhère pleinement aux principes du droit international mais qu'il estime en ce qui concerne les recommandations du Comité, qui seront dûment examinées, que les pays des Caraïbes, dont la Trinité‑et‑Tobago fait partie, ne se sont jamais engagés lorsqu'ils ont ratifié le Pacte à compromettre leur souveraineté nationale, en acceptant par exemple d'être contraints d'adopter des lois contraires à leur ordre juridique interne. La question n'en sera pas moins examinée comme il se doit et elle donnera certainement lieu à des débats approfondis. Enfin, la délégation trinidadienne annonce au Comité que M. Pinto a été libéré et que de nombreux autres prisonniers ont vu leur peine commuée.

59.La PRÉSIDENTE remercie la délégation trinidadienne et indique que le Comité a achevé l'examen des troisième et quatrième rapports périodiques de la Trinité‑et‑Tobago.

La séance est levée à 17 h 50.

-----