Nations Unies

CERD/C/SR.2056

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

1er mars 2011

Original: français

Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale

Soixante- dix- huitième session

Compte rendu analytique de la 2056 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le jeudi 17 février 2011, à 10 heures

Président: M. Kemal

Sommaire

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention (suite)

Quatorzième à dix-huitième rapports périodique s de C uba (suite)

La séance est ouverte à 10 h 10.

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention (suite)

Quatorzième à dix-huitième rapports périodiques de Cuba (CERD/C/CUB/14-18; CERD/C/CUB/Q/18; CERD/C/CUB/CO/18) (suite)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation cubaine re prend place à la table du Comité.

2.M. Thornberry souhaite avoir des précisions sur la nature et les effets à Cuba de la discrimination fondée sur la couleur qui a été évoquée précédemment par la délégation et le Rapporteur. Il rappelle à ce sujet que le concept fondamental sur lequel repose la Convention n’est pas la notion de race mais celle de discrimination raciale fondée sur cinq critères, et que les groupes ethniques ou minoritaires doivent être désignés selon l’appellation qu’ils ont eux-mêmes choisie. Cela étant, il demande s’il est exact, comme l’indique le rapport, qu’il n’existe pas de minorité ethnique à Cuba. Par ailleurs, il souhaite savoir comment les dispositions relatives à l’interdiction de la discrimination, de l’incitation à la haine raciale et de la diffusion de discours de haine sont intégrées dans le Code pénal. En particulier, il demande quel peut être l’élément moral de l’infraction (mens rea) dans ces articles du Code et si ces derniers sont stricts. Regrettant l’absence d’organisations non gouvernementales (ONG), il demande à la délégation si elle n’estime pas préférable de bénéficier des observations des ONG durant les débats plutôt que d’examiner seulement des rapports écrits.

3.M. Amir dit que Cuba a dû consentir au cours de son histoire d’importants efforts pour se donner les moyens de financer une politique de développement conforme à son idéal de liberté et d’indépendance tout en maintenant sa cohésion sociale face à l’adversité. Grâce à cela, Cuba est resté un pays libre qui a libéré sa population d’une forme d’esclavagisme économique et social. Aujourd’hui, Cuba œuvre à la construction de meilleures relations avec le reste du monde, notamment avec les États-Unis d’Amérique, qui ont également manifesté leur volonté d’améliorer leurs rapports avec l’île.

4.M. Moreno (Cuba) remercie les membres du Comité qui ont manifesté leur solidarité et leur compréhension à l’égard de Cuba. Évoquant les récents événements dans le monde arabe et en Égypte, il affirme que Cuba a été exemplaire en matière de promotion de la démocratie au cours des cinquante dernières années. Le Gouvernement cubain a toujours organisé des consultations populaires sur les grandes questions politiques, et le système participatif cubain se fonde sur les électeurs et non sur des groupes de pouvoir établis. La crise que connaissent les partis traditionnels dans de nombreux pays du monde est due au fait que ces partis ont un lien très fort avec les grands centres du pouvoir, ce qui n’est pas démocratique. M. Moreno souligne qu’il n’existe pas un seul modèle universel de démocratie, mais plusieurs, parce que la démocratie est le produit de la volonté des peuples, qui se traduit dans une multiplicité de systèmes politiques, économiques et sociaux.

5.M. Moreno confirme que de nombreux enfants et adultes victimes de la catastrophe de Tchernobyl ont suivi, et suivent encore un traitement à Cuba, mais il précise qu’il n’a pas eu connaissance des deux cas mentionnés par un membre du Comité qui sont sûrement des cas isolés. Il indique également ne pas avoir été informé de l’étude sur la discrimination raciale mentionnée dans un reportage de la BBC dont le Rapporteur a fait état.

6.Confirmant que Cuba n’est pas partie à la Convention des Nations Unies de 1951 sur le statut des réfugiés, ni au Protocole de 1967 s’y rapportant, il précise que le pays s’acquitte néanmoins des obligations découlant de ces deux instruments et que les autorités maintiennent un dialogue ouvert et continu avec le représentant du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés à La Havane. Très peu de réfugiés arrivent à Cuba et les personnes qui demandent le statut de réfugié sont généralement des victimes de la traite des êtres humains. En revanche, durant les années 70 et 80, Cuba a accueilli des milliers de réfugiés en provenance de dictatures militaires d’Amérique latine, et ces réfugiés étaient des Blancs, des Noirs, des autochtones, et il n’y avait donc aucune discrimination à leur égard.

7.M. Moreno indique que la peine de mort est effectivement prévue par la législation mais que son application est exceptionnelle à Cuba et qu’elle est strictement encadrée par la législation. Par exemple, la Constitution prévoit la possibilité de commuer la peine de mort en peine de prison à vie pour un certain nombre de délits, ce qui est arrivé plus d’une fois. Pendant de nombreuses années, Cuba a dû appliquer des lois sévères pour défendre sa sécurité nationale et sanctionner des crimes terroristes, mais elle l’a fait dans le respect de la légalité. Aujourd’hui, la peine de mort est toujours contraire à la philosophie de Cuba et le Gouvernement est favorable à son abolition lorsque la situation le permettra.

8.À propos des libertés fondamentales, M. Moreno précise que plus de 2 000 organisations non gouvernementales sont dûment enregistrées à Cuba et qu’il y a plus de 700 publications régulières, plus d’une centaine d’émetteurs de radio et une cinquantaine de chaînes nationales et régionales de télévision malgré le blocus économique et financier qui est imposé à l’île. Plus d’un million et demi de Cubains ont régulièrement accès à l’Internet, et Cuba a éradiqué l’analphabétisme, ce qui est un premier pas essentiel pour assurer l’exercice réel de la liberté d’expression et d’information. En outre, 10 % de la population détient un diplôme universitaire.

9.Le processus de consultation populaire intervient dans toutes les décisions importantes concernant l’avenir de la population cubaine. Ainsi, la nouvelle politique cubaine de perfectionnement du système économique et social fait l’objet d’un débat populaire à tous les niveaux, auquel il a lui-même participé en tant que citoyen au côté de centaines de milliers de Cubains.

10.M. Moreno réfute les allégations formulées par certains pays et ONG pour des raisons purement politiques, selon lesquelles la liberté d’expression fait l’objet de restrictions à Cuba. Nul ne peut être sanctionné pour le simple fait d’exprimer librement ses convictions et idées politiques. Certaines personnes ont été poursuivies en justice parce qu’elles s’étaient livrées à des activités de mercenariat ou avaient reçu de l’argent de puissances étrangères pour commettre des actes de déstabilisation. Les communautés autochtones ont malheureusement toutes été exterminées au XVIe siècle par les colons espagnols. L’espagnol est la langue officielle mais de nombreux journaux sont publiés et des émissions radiotélévisées diffusées dans d’autres langues. L’accès aux zones touristiques et récréatives, y compris aux plages, est libre et public.

11.M me Herrera Caseiro (Cuba) dit que son pays n’a pas jugé nécessaire de faire la déclaration prévue à l’article 14 de la Convention et de reconnaître la compétence d’organes ou de mécanismes supranationaux. Les mécanismes nationaux en place ont permis jusqu’à présent d’empêcher toutes violations des dispositions consacrées par la Convention et d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

12.La promotion de la condition de la femme figure parmi les priorités des autorités cubaines, qui ont adopté des programmes sectoriels et des mesures spécifiques dans le cadre d’un plan national d’action visant à mettre en œuvre les recommandations de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes. À Cuba, aucune femme n’est obligée de se prostituer pour assurer sa subsistance. Entre la Révolution de 1959 et la fin des années 90, la prostitution avait pratiquement disparu dans le pays mais le développement du tourisme international, pour faire face aux conséquences du blocus imposé par les États-Unis d’Amérique, a entraîné une réapparition du phénomène. Toutefois, le nombre de prostituées est très faible par rapport à la plupart des autres pays. Le Ministère du tourisme a mis en place une direction de la sécurité et de la protection chargée de lutter contre tout éventuel risque d’exploitation sexuelle et de corruption. Les sévices sexuels sur enfants sont formellement proscrits et sévèrement punis par le Code pénal. En 1999, le Code pénal a été amendé afin d’y incorporer le délit de proxénétisme et de traite des personnes et de prévoir des sanctions plus sévères pour tous ceux qui organisent ou favorisent l’entrée sur le territoire ou la sortie d’individus à des fins d’exploitation sexuelle et de prostitution. Quiconque utilise une personne de moins de 16 ans à des fins de prostitution ou de pornographie est passible du délit de corruption de mineur. Le cadre de protection des enfants et des adolescents a été renforcé pour faire face en particulier aux problèmes liés au développement du tourisme international et de la criminalité transnationale organisée.

13.La Constitution et la législation cubaines, qui protègent le droit de tout citoyen cubain de circuler librement sur le territoire, d’y établir sa résidence ainsi que de sortir du pays, sont pleinement compatibles avec les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques applicables en la matière. Tout Cubain vivant à l’étranger et titulaire d’un passeport valide peut entrer dans le pays autant de fois qu’il le souhaite. De même, les Cubains qui possèdent un visa valide peuvent se rendre sans restriction à l’étranger, sauf dans les cas prévus par la loi en vue de garantir la sécurité nationale. Depuis la fin des années 1960, les États-Unis d’Amérique ont adopté une politique migratoire qui favorise l’immigration illégale et le trafic de personnes de Cuba vers les États-Unis. L’Administration Bush a même financé des programmes visant à inciter des experts cubains travaillant à l’étranger dans les domaines de la santé et de l’éducation à émigrer aux États-Unis. Pour ce qui est des flux migratoires avec les autres pays, ils ne posent aucun problème et sont pleinement conformes aux normes bilatérales et internationales applicables en matière migratoire. Le Gouvernement cubain a entrepris d’actualiser et de perfectionner ses lois relatives à la nationalité et aux migrations, dont la loi sur la nationalité de 1948 qui est devenue caduque. Cuba compte peu de résidents permanents étrangers sur son territoire. Ces personnes jouissent des mêmes droits et libertés que les ressortissants cubains, à l’exception des droits de vote, d’être élu et de servir dans la fonction publique.

14.S’agissant des contrôles aux frontières, quiconque essaie d’entrer clandestinement dans le pays, sans respecter les dispositions de la législation migratoire, est systématiquement refoulé. Le droit d’asile est dûment reconnu par l’article 13 de la Constitution cubaine et Cuba est partie à la Convention de La Havane de 1928 sur l’asile et à la Convention de Montevideo de 1933 sur l’asile politique. Ces dernières années, Cuba a vu échouer sur ses côtes des Haïtiens qui tentaient, à bord d’embarcations précaires, de se rendre aux États-Unis. Ces migrants font l’objet d’une assistance humanitaire et sont logés et nourris gracieusement par l’État qui dispose pourtant de ressources très limitées à cet effet. Ces citoyens sont renvoyés dans leur pays d’origine sur la base du volontariat. Cuba a signé un protocole d’accord avec le Gouvernement haïtien et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) en vue de faciliter l’organisation de ces rapatriements.

15.M. Alonso (Cuba) dit que la politique de lutte contre la discrimination raciale mise en œuvre par les autorités cubaines remonte à la Révolution de 1959, soit à plus de cinquante ans, et qu’il est désormais difficile de faire une distinction entre Afro-Cubains et personnes d’origine européenne. De nombreux postes à très haute responsabilité sont d’ailleurs occupés par des Afro-Cubains. L’Église catholique cubaine a recommencé à jouer un rôle important au niveau national, en particulier l’archevêque de La Havane, le cardinal Jaime Ortega, qui a joué un rôle de médiateur dans le cadre de la libération de prisonniers condamnés pour opposition à la Révolution cubaine et d’autres activités, notamment de collaboration avec l’Église catholique des États-Unis d’Amérique dans le but de faire évoluer la politique hostile de Washington à l’égard de Cuba. Cette nouvelle influence de l’Église catholique cubaine a beaucoup surpris les médias étrangers, mais elle répond à des aspirations communes de l’Église catholique et de l’État cubain. Les autorités politiques cubaines ne doutent pas que cette coopération s’intensifiera.

16.M me Bonachea Rodríguez (Cuba) dit que dans son pays, les ONG peuvent intervenir dans le système interinstitutionnel chargé de recueillir et d’examiner les plaintes émanant de particuliers qui s’estiment victimes de violations de leurs droits fondamentaux. Les mécanismes et politiques en place pour la protection et la promotion des droits de l’homme font l’objet d’une évaluation et d’un suivi permanents. Cuba est pleinement consciente que l’absence de plaintes pour discrimination raciale ne signifie pas systématiquement que la discrimination raciale n’existe pas. Toutefois en l’espèce, le fait que 70 000 Cubains saisissent chaque année la Fiscalía General de la República montre que la population est dûment informée de ses droits. Les Cubains n’éprouvent aucune méfiance à l’égard de la justice et, d’après les statistiques disponibles, pas moins de 27 % d’entre eux ont été rétablis dans leurs droits à la suite des procédures judiciaires qu’ils avaient engagées. Il n’existe pas non plus de crainte de représailles dans la mesure où les Cubains savent que le Code pénal prévoit des sanctions sévères, notamment l’application de peines d’emprisonnement allant de un à trois ans, pour des délits tels que l’intimidation de témoin. Si la Fiscalía General décide de ne pas donner suite à une plainte, c’est que les faits ne sont pas constitutifs d’un délit ou que les éléments de preuve ne suffisent pas pour établir la commission d’un délit.

17.S’agissant de la composition de la population carcérale, 65 % des détenus sont âgés de 31 à 59 ans, 96,8 % sont des hommes et 3,2 % des femmes. Parmi eux, 63,2 % sont blancs, 29 % métis et 27,8 % noirs. Le personnel de justice est composé à 72 % d’Afro-Cubains et à 70 % de femmes. Dans la police, les Afro-Cubains représentent 50,4 % des effectifs.

18.Mme Bonachea Rodríguez ajoute que les fonctionnaires de police cubains suivent une formation aux droits de l’homme qui porte, notamment, sur le Code de déontologie de la police, la loi de procédure pénale et les principes fondamentaux des droits de l’homme, y compris ceux qui touchent la discrimination raciale. Une directive détaillée a été adressée à tous les commissariats de police de l’île pour attirer l’attention des policiers sur la nécessité de respecter l’intégrité physique et la dignité de tous, suspects comme victimes de délits.

19.M. Quintanilla Roman (Cuba) explique que la protection contre tout acte de discrimination raciale est une disposition constitutionnelle et que de nombreux articles du Code pénal visent expressément à lutter contre la discrimination raciale. Ainsi, l’article 295 du Code dispose que quiconque porte atteinte au droit à l’égalité est passible d’une peine privative de liberté de six mois à deux ans, d’une amende ou des deux à la fois. Cette disposition s’applique à toute personne qui se rend coupable de discrimination à l’égard d’une autre personne, favorise la discrimination ou y incite, soit par des déclarations délibérément offensantes fondées sur le sexe, la race, la couleur ou l’origine nationale, soit par des actions visant à faire obstacle à l’exercice des droits à l’égalité énoncés dans la Constitution. Les mêmes peines s’appliquent à quiconque diffuse des idées fondées sur la supériorité ou la haine raciales, commet des actes de violence ou incite à en commettre contre tout groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine ethnique. D’autres textes de loi, tels que le Code de la famille, le Code de l’enfance et de la jeunesse, le Code du travail, la loi sur le droit d’auteur, la loi sur la santé publique et la nouvelle loi sur la sécurité sociale de décembre 2008 proscrivent et préviennent la discrimination raciale.

20.Toutes les dispositions de l’article 4 de la Convention ont été prises en considération dans la législation cubaine, qui condamne et sanctionne tout type de propagande et toutes les organisations qui s’inspirent d’idées ou de théories fondées sur la supériorité d’une race ou d’un groupe de personnes d’une certaine couleur ou d’une certaine origine ethnique, ou qui prétendent justifier ou encourager toute forme de haine ou de discrimination raciales. En outre, la loi de 1985 sur les associations interdit la création d’associations racistes et ségrégationnistes.

21.M. Feraudy Espino (Cuba) s’étonne qu’il soit demandé à son pays s’il existe des organismes spécialisés dans la lutte contre la discrimination. Il rappelle que l’un des principes ayant sous-tendu la Révolution cubaine a été l’éradication de tous les types d’inégalités sur lesquels prospéraient les régimes antérieurs. Aucune plainte n’a été formée pour discrimination raciale car les Cubains se considèrent comme étant tous le fruit du métissage.

22.Le Président dit qu’il s’est rendu à deux reprises à Cuba, en 1979 et en 1981. Il rappelle que le Pakistan, pays dont il est ressortissant, a été frappé en janvier 2011 par un séisme d’une très forte magnitude et que Cuba a envoyé des centaines de sauveteurs, notamment de nombreux médecins, pour venir en aide aux sinistrés pakistanais malgré des ressources extrêmement limitées. Cette marque de solidarité internationale mérite d’être soulignée.

23.M. Moreno (Cuba) reconnaît que son pays est loin d’être riche et explique que la philosophie cubaine en matière de coopération diffère de celle de pays beaucoup mieux nantis qui offrent à d’autres des services dont ils sont excédentaires alors que Cuba partage ce qu’elle a.

24.M. Thornberry souligne que le Comité s’interroge souvent sur la signification du mot «homogénéité» car il a souvent par le passé été utilisé pour dissimuler des situations d’inégalité. La discrimination raciale existe dans tous les pays, sous une forme ou une autre, et le Comité s’efforce donc toujours de déterminer la situation qui prévaut dans les États parties, y compris à Cuba. À cet égard, il rappelle à la délégation cubaine qu’un groupe ethnique ne se définit pas seulement par la race ou l’ethnie de ses membres mais aussi par leur religion et leur culture.

25.M. Moreno (Cuba) reconnaît que de nombreux facteurs, notamment anthropologiques, linguistiques, sociaux et religieux, entrent en ligne de compte pour définir un groupe racial ou ethnique. Il rappelle cependant que même si Cuba compte un nombre important de Métis et de Noirs, un Cubain se dira toujours Cubain avant de se définir comme blanc, noir ou métis. Les populations blanches, noires et métisses sont disséminées sur tout le territoire national. Il est impossible de pratiquer une quelconque ségrégation à Cuba, non seulement en raison de motifs liés à l’histoire et à la philosophie politiques révolutionnaires mais aussi parce que les conditions objectives d’exercice du pouvoir ne le permettraient pas.

26.M. Lahiri se félicite du dialogue fructueux qui s’est engagé avec la délégation cubaine et des réponses précises apportées par cette dernière aux nombreuses questions posées par les experts au sujet de la mise en œuvre concrète de la Convention sur le territoire de l’État partie. Il relève les résultats exceptionnels obtenus par Cuba dans les domaines de la santé publique et de l’éducation, en dépit de l’embargo injuste qui la frappe depuis plusieurs décennies. Cuba jouit d’un prestige exceptionnel au niveau international et il y a lieu d’espérer que la coopération se poursuivra entre le pays et toutes les instances de l’Organisation des Nations Unies.

27.M. Lindgren Alves prend note avec intérêt des réponses orales fournies par la délégation cubaine aux nombreuses questions qui lui ont été posées à la séance précédente. Il relève que certains propos tenus par les membres de la délégation font écho aux préoccupations qu’il ne cesse personnellement de faire valoir auprès du Comité depuis neuf ans, à savoir que l’on ne saurait exiger que tous les États parties appliquent de la même manière et uniformément les dispositions de la Convention. La délégation cubaine s’étonne, à juste titre, que le Comité s’intéresse aux mécanismes mis en place pour évaluer les progrès réalisés par certains groupes de population d’ascendance africaine alors que le pays fait de l’égalité de tous ces citoyens le fondement de toutes ses politiques depuis cinquante ans.

28.M. Moreno (Cuba) dit que la justice voudrait que l’on traite différemment des situations qui sont, par essence, différentes. Tous les pays ne sont pas égaux et ne sont pas dans la même situation du point de vue ethnique. C’est sur ce principe que tous les organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme devraient se fonder pour étudier la situation dans les États parties à des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

29.M. Ewomsan souligne que beaucoup de cadres africains ont été formés dans les universités des pays de l’ancien bloc socialiste, y compris à Cuba. Or, certains de ces pays, en particulier la Fédération de Russie, connaissent actuellement une montée inquiétante du racisme dirigé contre les personnes d’origine africaine. Une tendance similaire a-t-elle été constatée à Cuba?

30.M. Moreno (Cuba) dit que plus de 2 500 étudiants africains sont actuellement inscrits à l’université à Cuba et qu’aucun cas de discrimination raciale visant des personnes appartenant à ce groupe n’a été signalé à ce jour.

31.M. de Gouttes souhaiterait recevoir de plus amples explications sur l’absence de plaintes pour discrimination raciale dans l’État partie. Il espère que des statistiques sur les plaintes et les poursuites liées à des affaires de discrimination raciale seront fournies au Comité dans le rapport périodique suivant.

32.M. Moreno (Cuba) dit que la Fiscalía General de la República a reçu plusieurs milliers de plaintes sur les questions les plus diverses, mais qu’aucune de ces plaintes ne portait sur des actes de discrimination raciale. Pourtant, les Cubains connaissent très bien leurs droits et savent à qui s’adresser pour demander justice, le cas échéant. L’absence de plaintes est donc plutôt un signe que la discrimination raciale ne représente pas un grave problème à Cuba.

33.Le Président demande s’il arrive que des personnes se voient refuser l’accès à un lieu public en raison de leur couleur de peau ou de leur tenue vestimentaire.

34.M. Moreno (Cuba)dit que, d’après son expérience, les rares personnes qui se voient refuser l’entrée dans un lieu public à Cuba sont généralement des touristes européens − blancs pour la plupart − dont la tenue est jugée trop décontractée.

35.M. Calí Tza y, relevant que, d’après la délégation, les Cubains ne se sentent pas noirs, blancs ou métis, mais avant tout cubains, fait observer que dans son pays, le Guatemala, un autochtone pourrait difficilement se définir comme guatémaltèque sans préciser à quelle communauté il appartient car cela reviendrait à renier son identité, ses racines et sa culture millénaire. La délégation voudra donc bien expliquer ce que l’on entend par «être cubain».

36.M. Moreno (Cuba) dit que, comme les autochtones qui vivaient autrefois dans l’île ont été exterminés, Cuba ne peut s’enorgueillir comme le Guatemala et d’autres pays de la région andine d’avoir des racines et une culture millénaire. À la différence de ces pays, l’identité nationale s’est construite essentiellement autour d’un métissage séculaire entre Européens et Africains, ce qui fait sa particularité. Pour cette raison, l’origine raciale ou ethnique est une question qui n’intéresse ni ne préoccupe le Cubain moyen. Enfin, M. Moreno dit que la lutte contre la discrimination raciale est un processus de longue haleine et que le plus important à cet égard est de s’attaquer aux préjugés et de faire évoluer les mentalités par l’éducation et la sensibilisation.

37.M. Lindgren Alves demande si les 70 000 plaintes présentées à la Fiscalía General de la República pour des motifs autres que la discrimination raciale portaient sur des violations imputées à des agents de l’État.

38.M me Bonachea Rodríguez (Cuba) précise que le chiffre de 70 000 correspond au nombre de personnes qui se sont adressées à la Fiscalía General et non au nombre de plaintes. Seules 12 000 personnes ont porté plainte, les autres ayant simplement demandé une assistance juridique. Parmi ces 12 000 personnes se trouvaient des personnes d’ascendance africaine, mais aucune d’entre elles n’a porté plainte pour discrimination raciale.

39.M. Feraudy Espino (Cuba) tient à préciser que l’absence de plaintes pour discrimination raciale ne signifie nullement que ce phénomène n’existe pas dans la société cubaine. Seulement, lorsqu’un incident raciste se produit, il est très difficile pour la victime de porter plainte, en raison notamment de la composition métissée de la population.

40.M. Murillo Martínez (Rapporteur pour Cuba) se félicite du dialogue constructif engagé avec la délégation cubaine et, synthétisant les débats, note que le Comité a reconnu le rôle joué par Cuba dans la lutte contre l’apartheid et relevé que son développement et ses progrès en matière de lutte contre la discrimination raciale étaient freinés par l’embargo. En outre, le Comité a noté que, comme dans la plupart des pays qui ont un passé esclavagiste, les personnes d’ascendance africaine étaient confrontées à une discrimination structurelle dans l’État partie. Concernant l’absence de plaintes pour discrimination raciale, le Rapporteur espère que l’État partie mènera des recherches afin de déterminer pourquoi les victimes du racisme ne portent pas plainte et s’il existe des obstacles les empêchant de saisir la justice. Il espère aussi que l’État partie donnera au Comité des renseignements sur les activités qu’il entend mener dans le cadre de la célébration de l’Année internationale des personnes d’ascendance africaine. Enfin, sachant que 85 % des Cubains qui reçoivent des fonds de l’étranger sont des Blancs, l’État partie voudra peut-être engager une réflexion sur les répercussions de ces envois sur l’économie du pays et sur la société cubaine, eu égard à la Convention.

41.Le Président remercie la délégation cubaine et déclare que le Comité a ainsi achevé la première partie de l’examen des quatorzième à dix-huitième rapports périodiques de Cuba.

La séance est levée à 13 h 5.