CERD

Convention internationale

sur l’élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.

GÉNÉRALE

CERD/C/SR.1627

9 mars 2004

Original: FRANÇAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante-quatrième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 1627e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mercredi 3 mars 2004, à 10 heures

Président: M. YUTZIS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (suite)

Quinzième à dix‑septième rapports thématiques de la Jamahiriya arabe libyenne (suite)

La séance est ouverte à 10 h 10.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Quinzième à dix‑septième rapports périodiques de la Jamahiriya arabe libyenne (CERD/C/431/Add.5) (suite)

1. Sur l’invitation du Président, les membres de la délégation libyenne reprennent place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT invite la délégation libyenne à répondre aux questions posées oralement par les membres du Comité à la séance précédente.

3.M. ABUHAMEIDA (Jamahiriya arabe libyenne) dit que les principes sur lesquels repose l’égalité entre tous les citoyens libyens sont très anciens, puisqu’ils remontent à une période antérieure à la création de l’État libyen, et plongent leurs racines dans le droit naturel, dans les traditions et dans la religion de la société libyenne. En conséquence, que des textes de loi existent ou non en la matière, ces principes revêtent une valeur supérieure et nul ne peut les ignorer.

4.La société libyenne ne connaît pas la discrimination raciale et il n’est pas nécessaire d’adopter une législation spécifique pour combattre ce phénomène. Cela étant, en cas de conflit entre les dispositions de la législation interne et celles de la Convention, ce sont les dispositions de cette dernière qui priment. Conformément à ce principe, la Convention s’impose aux autorités judiciaires.

5.S’agissant de la situation des Berbères et des Touaregs, M. Abuhameida rappelle tout d’abord que, selon la plupart des historiens, y compris les orientalistes occidentaux, les populations berbères sont d’origine arabe et sont venues en Afrique du Nord depuis le Yémen avant l’avènement de l’islam. Les Berbères et les Touaregs ne représentent qu’une proportion très faible de la population totale de la Jamahiriya arabe libyenne et ne constituent pas une minorité en tant que telle, puisque la société libyenne est une société musulmane homogène dont ces populations font partie intégrante. Il reconnaît qu’il n’existe en Libye aucune école spéciale pour l’enseignement du dialecte berbère, mais aucune revendication n’a été exprimée en ce sens. Il ajoute que les lois en vigueur régissent la façon dont les Touaregs, qui vivent dans le sud du pays, doivent prouver leur origine libyenne aux fins d’obtention de la nationalité libyenne. En résumé, s’il existe un problème berbère dans d’autres pays, ce n’est pas le cas en Jamahiriya arabe libyenne et il se peut que cette question soit instrumentalisée aux fins d’une balkanisation du pays ou d’un encouragement au sectarisme ou au communautarisme.

6.S’agissant des droits des travailleurs migrants, le représentant de la Libye signale que la législation libyenne régit les conditions d’entrée et de sortie du territoire libyen et fixe les conditions applicables au séjour des étrangers en territoire libyen conformément aux instruments internationaux et bilatéraux, dont la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, auxquels la Jamahiriya arabe libyenne est partie. Le cas des cinq ressortissants sierra-léonais évoqué par le Comité a d’ailleurs été expliqué en détail à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.

7.En matière de liberté d’expression, M. Abuhameida signale que la loi no 23 de 1998 sur les fédérations, les syndicats et les associations professionnelles et la loi no 19 de 2000 sur la réorganisation des ONG définissent le cadre juridique dans lequel les organisations professionnelles ou commerciales et les organisations non gouvernementales peuvent faire connaître leur point de vue.

8.M. Abuhameida dit que le Code civil libyen contient des dispositions contraignantes applicables aux non-musulmans en matière de statut personnel, notamment en ce qui concerne l’héritage.

9.S’agissant de la recommandation formulée par le Comité des droits de l’enfant en ce qui concerne les programmes scolaires, M. Abuhameida précise que, depuis 1997, des cours relatifs aux droits de l’homme et à la lutte contre la torture sont inscrits au programme des académies, écoles et institutions dans lesquelles sont formés les membres des forces de police, les responsables de l’application des lois et les membres du corps judiciaire.

10.En conclusion, M. Abuhameida affirme que les autorités libyennes attachent une importance particulière aux travaux et aux recommandations du Comité. Il espère que ce dernier est conscient des nombreuses initiatives prises par la Jamahiriya arabe libyenne dans les domaines humanitaire et des droits de l’homme au cours des dernières années, notamment le prix Muammar Kadhafi des droits de l’homme, décerné entre autres à Nelson Mandela, les initiatives prises dans le domaine de la lutte contre le VIH/sida en Afrique ou encore l’examen par les congrès du Peuple de 23 projets de loi concernant les droits de l’homme.

11.M. SHAHI constate, à la lecture des paragraphes 23 et 33 du rapport de l’État partie, que les dispositions de la Convention sont obligatoires et juridiquement supérieures aux dispositions de la législation interne. Néanmoins, en l’absence de texte de loi visant expressément à sanctionner les infractions prévues à l’article 4 de la Convention, M. Shahi se demande comment les dispositions dudit article sont mises en vigueur en pratique. En outre, sachant que la Jamahiriya arabe libyenne compte un peu plus de 400 000 travailleurs étrangers, il est étonné de constater que les tribunaux libyens n’ont pas eu à connaître de la moindre affaire de discrimination. Il lui est difficile d’imaginer qu’aucun cas de cette nature ne puisse se produire à l’avenir et se demande dans quelle mesure une personne lésée par un acte discriminatoire pourrait obtenir réparation si la loi ne prévoit pas qu’il s’agit d’un délit et ne définit pas les peines applicables.

12.M. de GOUTTES se félicite de l’esprit d’ouverture de la délégation libyenne, lequel avait également caractérisé, en 2001 et en 2002, les contacts entre les autorités libyennes et le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée. À l’époque, à la suite d’incidents à caractère xénophobe dont avaient été victimes des travailleurs migrants, le Gouvernement libyen avait annoncé au Rapporteur spécial la création d’une commission d’enquête sur ces incidents, l’organisation de réunions avec la participation de membres du Gouvernement et d’ambassadeurs accrédités à Tripoli et la création d’une commission conjointe sous les auspices de l’Union africaine. M. de Gouttes souhaite recevoir des informations sur la mise en œuvre et le suivi de ces mesures.

13.M. ABOUL-NASR relève que la délégation a affirmé que les normes applicables au respect des droits individuels s’inscrivent dans une longue tradition. La coutume est certes l’une des sources du droit, mais l’article 4 de la Convention demande explicitement aux États parties de prendre des mesures positives pour ériger les actes de discrimination raciale en infractions et pour définir les sanctions précises applicables à ces infractions.

14.M. BOYD se félicite de ce que 23 projets de loi relatifs aux droits de l’homme soient en cours d’examen par les congrès du Peuple. Il constate également que la Grande Charte verte des droits de l’homme à l’ère des masses ainsi que d’autres textes de loi contiennent des dispositions très positives dans le domaine de la protection des droits de l’homme. Toutefois, il aimerait savoir quelles sont les conséquences concrètes de ces dispositions sur la réalité quotidienne des populations minoritaires, telles que les Noirs africains, les Berbères ou encore les Palestiniens. Dans quelle mesure, par exemple, ces minorités sont-elles représentées dans l’administration civile du pays, à l’échelon national ou local, aux postes de responsabilité politique ou dans le monde des affaires?

15.M. ABUHAMEIDA (Jamahiriya arabe libyenne) dit que la Convention fait partie intégrante de la législation libyenne et que de nombreuses dispositions définissent les infractions discriminatoires, racistes ou xénophobes et prévoient des sanctions pour les punir.

16.Les droits des travailleurs étrangers en Libye sont également garantis par un ensemble de dispositions relatives à la résidence, l’accès à la propriété ou encore aux conditions de travail, conformément aux diverses conventions internationales auxquelles la Libye est partie. Dans ces domaines, les droits des étrangers sont identiques à ceux des ressortissants libyens. En cas de violation de ces dispositions, que ce soit par un simple citoyen ou un représentant de l’État, les victimes peuvent saisir les tribunaux nationaux à tous les niveaux de juridiction, à savoir les tribunaux de première instance ou d’appel, la Cour de cassation et même la Cour suprême. D’ailleurs, de nombreuses affaires de discrimination à l’égard de travailleurs africains impliquant des membres des forces de l’ordre sont actuellement en cours, ce qui témoigne de la bonne volonté de l’État en la matière.

17.M. de GOUTTES dit que, quel que soit le pays considéré, le Comité ne peut souscrire à l’idée qu’une société est totalement exempte de discrimination raciale, de racisme et de xénophobie, et que le Comité devrait recommander à l’État partie d’adopter une législation complète pour prévenir les actes de cette nature.

18.M. SHAHI souhaite savoir si le texte de la Convention a été traduit en arabe et distribué aux tribunaux et aux congrès du Peuple ainsi qu’aux travailleurs migrants présents sur le territoire libyen.

19.M. ABUHAMEIDA (Jamahiriya arabe libyenne) assure les membres du Comité que la délégation transmettra aux autorités libyennes la recommandation du Comité en vue d’une meilleure application de l’article 4 de la Convention. Il ajoute qu’à l’instar des autres conventions internationales, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale a été intégrée dans divers codes de procédure.

20.M. THORNBERRY, faisant référence au paragraphe 25 du rapport à l’examen, demande à la délégation libyenne de préciser de quelles minorités il est question dans le Principe 16 de la Grande Charte verte des droits de l’homme à l’ère des masses promulguée en 1988. À propos du paragraphe 3 du même rapport, selon lequel les Libyens sont tous de même origine raciale, il se demande s’il existe ou non dans l’État partie des groupes ethniques qui se différencieraient, par exemple, par leur langue – comme les Berbères. En pareil cas, il faudrait veiller à ce que ces groupes ne fassent pas l’objet de discrimination.

21.M. ABUSEIF (Jamahiriya arabe libyenne) réaffirme que les Berbères, comme les Touaregs, sont libyens, arabes et musulmans et font partie intégrante de la société libyenne. Ils ne sont qu’une tribu sur une vingtaine qui composent la population du pays et ne sont en rien victimes de ségrégation scolaire, ni de discrimination d’aucune sorte. Des actes de racisme sont sans doute commis entre les tribus, mais il s’agit uniquement de manifestations sporadiques et non d’un phénomène systémique.

22.S’agissant du Principe 16 de la Grande Charte verte des droits de l’homme à l’ère des masses promulguée en 1988, M. Abuseif explique que ce texte a une portée générale et s’applique non seulement à la Libye mais aussi à l’humanité en général. Les minorités en cause ne vivent donc pas forcément en Libye. Par ailleurs, M. Abuseif s’étonne de l’insistance avec laquelle les experts du Comité reviennent sur la question des minorités, en général, et des Berbères, en particulier. Le Comité aurait-il été saisi de plaintes émanant de Berbères?

23.M. THORNBERRY dit qu’il n’en est rien et que ses questions à ce sujet procèdent uniquement du désir de mieux connaître la réalité du pays.

24.M. BOYD explique que les diverses questions posées au sujet des minorités libyennes n’avaient d’autre objectif que d’enrichir le débat et de favoriser le partage des informations et des connaissances.

25.M. PILLAI se félicite du dialogue qui s’est instauré avec la délégation et de l’esprit de collaboration qui a présidé à l’examen des quinzième à dix-septième rapports périodiques de la Jamahiriya arabe libyenne. Il appelle l’attention de la délégation sur le fait que des informations seraient les bienvenues dans le prochain rapport périodique sur la législation que l’État partie aura adoptée pour mettre en œuvre l’ensemble des dispositions de la Convention. Il importe selon lui que le Gouvernement étudie des voies de recours dont pourraient disposer les victimes de la discrimination, du racisme ou de la xénophobie et les peines à imposer aux auteurs de tels actes.

26.M. Pillai rappelle, lui aussi, que le Comité ne peut accepter l’affirmation selon laquelle un État partie quel qu’il soit ne connaît aucun problème de discrimination. Il invite donc la délégation à réfléchir aux diverses formes que ce phénomène peut prendre et à revoir sa position en conséquence. Il ajoute que le Comité ne s’intéresse pas seulement aux actes de discrimination systématiques, mais aussi aux manifestations sporadiques de ce phénomène. Il souhaite que l’État partie fasse figurer dans son prochain rapport des informations concernant les affaires de discrimination à l’égard des travailleurs africains qui sont encore en cours ainsi que sur les mesures que le Gouvernement aura prises ou envisagera pour protéger la population contre les actes xénophobes qui se sont multipliés depuis les attentats terroristes du 11 septembre.

27.M. ABUHAMEIDA (Jamahiriya arabe libyenne) remercie M. Pillai de ses commentaires ainsi que les membres du Comité de leur esprit de coopération et rappelle que la Libye est tout à fait disposée à entendre des critiques pour autant qu’elles soient justifiées. La délégation libyenne n’a pas compris l’insistance de certains membres du Comité sur la question des minorités, mais elle espère que ses réponses ont été suffisamment claires et convaincantes.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 11 h 45.

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