Nations Unies

CERD/C/SR.1908

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

14 janvier 2010

Français

Original: anglais

Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale

Soixante-quatorzième session

Compte rendu analytique de la 1908 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mercredi 18 février 2009, à 15 heures

Président e: Mme Dah

Sommaire

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention (suite)

Rapport initial et deuxième à neuvième rapports périodiques du Congo

Questions d’organisation et questions diverses

Forum sur les questions relatives aux minorités

La séance est ouverte à 15 h 15.

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention (point 5 de l’ordre du jour) (suite)

Rapport initial et deuxième à neuvième rapports périodiques du Congo (CERD/C/COG/19; HRI/CORE/1/Add.79; CERD/C/COG/Q/9; CERD/C/COG/Q/9/Add.1)

1. Sur l ’ invitation de la Présidente, la délégation congolaise prend place à la table du Comité.

2.M. O kio (Congo) déclare que son pays est attaché au principe de l’universalité des droits de l’homme et que la lutte contre toutes les formes de discrimination, notamment contre la discrimination raciale, revêt une importance capitale pour le Congo depuis l’accession de ce dernier à l’indépendance. Toutes les constitutions adoptées jusqu’à ce jour ont interdit la discrimination fondée sur l’origine, la situation sociale ou matérielle, l’appartenance raciale, ethnique, le sexe, l’instruction, la langue, la religion, la philosophie ou le lieu de résidence. Parallèlement, la législation interdit toute mention de l’ethnie et de la religion dans les actes d’état civil, de même que les tatouages indélébiles de nature à caractériser l’appartenance d’une personne à une ethnie déterminée. Le Gouvernement congolais garantit à tous les citoyens vivant sur le territoire les mêmes conditions d’existence et de développement. Un programme de municipalisation accélérée est, en outre, mené depuis cinq ans en vue de créer dans tous les départements administratifs de véritables infrastructures de développement social, économique et culturel. Plusieurs programmes sanitaires ont été adoptés pour la prise en charge de la santé de la mère et de l’enfant, des personnes vivant avec le VIH/sida, des victimes de violences et des personnes handicapées. Tous les citoyens congolais et les ressortissants étrangers séjournant au Congo jouissent de l’égalité de traitement dans le cadre de ces programmes.

3. M. Okio ajoute que bien que les Pygmées aient une culture propre et bénéficient de l’entière attention du Gouvernement congolais, certaines de leurs mœurs ne favorisent pas toujours de bons rapports avec le reste de la population. Le Gouvernement congolais ne les tolère pas et appelle au contraire au brassage des populations. Il n’existe pas au Congo de réserve de Pygmées ou d’autres peuples autochtones. De nombreuses initiatives ont été prises pour encourager la cohésion sociale, comme le recrutement des populations autochtones dans la fonction publique et les entreprises forestières et la célébration annuelle de la Journée internationale de solidarité avec les peuples autochtones du monde. En outre, un projet de loi a été élaboré, avec le concours du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), pour la promotion et la protection des droits des peuples autochtones.

4. M . M avoungou (Congo) présente les grandes lignes des réponses écrites de son pays à la liste des points à traiter (document sans cote, disponible en français uniquement). Il explique que le terme de discrimination «raciale» n’existe pas au Congo puisque tous ses nationaux sont considérés comme congolais. Le projet de loi sur la promotion et la protection des droits des peuples autochtones a reçu un fort soutien tant au niveau national qu’international, mais nécessite d’être retravaillé avant de pouvoir être adopté. Plusieurs organisations de la société civile appuient les efforts déployés par le Gouvernement pour promouvoir les droits des peuples autochtones.

5. M. E womsan, Rapporteur pour le Congo, rappelle que dans ses observations finales précédentes concernant le Congo (A/54/18, par. 84 à 115), adoptées en 1999, le Comité avait noté que les membres des groupes pygmées continuaient d’être victimes de discrimination ethnique et suggéré que le Gouvernement congolais fasse appel à l’assistance technique offerte au titre du programme de services consultatifs et d’assistance technique du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme afin d’établir son rapport. À l’évidence, l’État partie a suivi ce conseil, ce qui lui a permis de soumettre un rapport franc qui contient une analyse critique de la situation en matière de discrimination raciale dans l’État partie.

6. Rappelant que les trois guerres civiles qu’a connues l’État partie entre 1993 et 1999, auxquelles des milices armées ont participé, ont exacerbé la haine ethnique et la discrimination raciale, M. Ewomsan souhaite obtenir des renseignements actualisés sur le processus de réconciliation nationale engagé et sur la manière dont le Gouvernement entend mettre fin à l’opposition nord-sud.

7. Le Rapporteur souhaite également obtenir des précisions sur la Commission nationale des droits de l’homme, et notamment savoir si cette instance a été établie conformément aux Principes de Paris et en quoi son mandat diffère de celui du Médiateur. Il s’étonne de ce que, selon le Groupe de travail sur les peuples/communautés autochtones en Afrique, les Pygmées sont désignés différemment selon les régions, et aimerait savoir si ces appellations correspondent à celles qu’utilisent les Pygmées pour se nommer ou sont simplement celles utilisées par la population majoritaire. Il demande également à la délégation congolaise d’indiquer si les autorités envisagent de procéder à un recensement exhaustif de la population afin de compiler des données statistiques précises sur la composition ethnique du pays, notamment sur les personnes qui n’appartiennent pas à l’ethnie bantoue.

8. M. Ewomsan demande également à la délégation congolaise de fournir des informations plus détaillées sur les tensions qui règnent entre la population congolaise et les réfugiés rwandais et sur la situation des réfugiés en général (par exemple, en matière d’accès à l’emploi ou de naturalisation). À cet égard, il recommande à l’État partie de veiller à ce que des mécanismes adéquats soient mis en place pour répondre aux besoins des réfugiés et d’adopter une loi pour encourager l’intégration sociale des réfugiés à long terme. Le Congo devrait également ratifier la Convention relative au statut des apatrides et la Convention sur la réduction des cas d’apatridie.

9. M. Ewomsan souhaite par ailleurs savoir quelles mesures l’État partie entend prendre pour réduire l’incidence de maladies infectieuses telles que le paludisme, la tuberculose, le VIH/sida, la fièvre typhoïde et les maladies diarrhéiques, qui contribuent considérablement à la réduction de l’espérance de vie, en particulier parmi les groupes vulnérables, y compris les Pygmées. Relevant que la population souffre de mauvaises conditions de vie, dépend des importations alimentaires et n’a pas accès à l’eau potable, il souhaite savoir quelles mesures l’État partie entend adopter pour réduire les disparités économiques et sociales enregistrées au sein de la population, en particulier entre les zones rurales et les zones urbaines. Notant en outre que selon certaines informations, les enfants pygmées seraient livrés à eux-mêmes dès l’âge de 10 ans, le Rapporteur se demande si cette situation n’est pas due au fait que leurs parents ne disposent pas des ressources nécessaires pour subvenir aux besoins des enfants, et si l’État partie a l’intention de remédier à cette situation.

10. Le Rapporteur se félicite que les traités internationaux ratifiés par l’État partie, et notamment la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, aient un rang constitutionnel et que leurs dispositions puissent être directement invoquées devant les tribunaux nationaux. Il souligne toutefois que les lois et les règlements doivent être appliqués pour que ce droit devienne effectif et que la discrimination doit être érigée en infraction par le Code pénal congolais pour pouvoir être poursuivie en justice. L’État partie devrait également adopter la définition élargie de la discrimination énoncée par la Convention, en particulier en ce qui concerne la notion de race.

11. M. Ewomsan estime que davantage doit être fait en faveur des populations autochtones, qui sont souvent considérées comme des êtres humains inférieurs, victimes de discrimination ou utilisées comme esclaves dans certaines régions et qui, selon l’Observatoire congolais des droits de l’homme, ne disposent que rarement de papiers d’identité. Selon certaines informations, les Pygmées n’auraient qu’un accès limité à la justice et leur système judiciaire traditionnel ne serait pas reconnu. En outre, les femmes pygmées subiraient une double discrimination, la première en tant que membres d’une minorité et la seconde en tant que victimes d’actes de violence sexuelle de la part de membres de leur ethnie, les Pygmées, et de la part des Bantous. Estimant en outre que les chefs traditionnels choisis par les Pygmées et leurs droits fonciers devraient être reconnus par l’État, le Rapporteur demande à la délégation congolaise d’indiquer les mesures prises, en consultation avec les peuples autochtones, pour protéger leurs droits fonciers, promouvoir leur droit de gérer et d’exploiter leurs terres, et d’indemniser les communautés qui ont été privées de leurs terres ancestrales.

12. Cela étant, M. Ewomsan se félicite qu’un atelier sur les droits autochtones ait été organisé en coopération avec l’Observatoire congolais des droits de l’homme et que des représentants du Gouvernement congolais et d’organisations non gouvernementales (ONG) ainsi que des femmes juristes, notamment, y aient participé. Tout en espérant que le projet de loi sur la promotion et la protection des droits des peuples autochtones sera adopté très prochainement, il souligne que les autorités doivent veiller à ce que ce texte soit effectivement appliqué une fois la loi promulguée.

13. M. Ewomsan dit que l’organisation de festivals à l’occasion de la Journée internationale de solidarité avec les populations autochtones est une initiative louable de nature à mieux faire connaître les problèmes rencontrés par les populations autochtones et à remédier à leur condition d’infériorité mais estime que les programmes scolaires devraient également traiter de ces populations. Des mesures doivent être prises pour encourager la scolarisation des enfants autochtones et faire en sorte que le système éducatif s’adapte au mode de vie autochtone. Des informations sur les mesures que le Gouvernement envisage d’adopter dans ce domaine seraient bienvenues.

14. M. Ewomsan salue les efforts déployés par l’État partie pour sensibiliser davantage la population aux questions autochtones et dispenser une formation aux magistrats et aux agents de la fonction publique mais réaffirme que le projet de loi sur la promotion et la protection des droits des peuples autochtones doit être adopté et mis en œuvre et que la discrimination doit être érigée en infraction pénale en droit interne. Il recommande à l’État partie de coopérer avec les organisations des droits de l’homme pour aider les peuples autochtones à obtenir réparation en justice lorsque leurs droits ont été enfreints.

15. Le Rapporteur se félicite également que le Congo ait pris l’initiative d’organiser le Forum international des peuples autochtones d’Afrique centrale (FIPAC) sur le thème «L’implication des peuples autochtones dans la gestion durable et la conservation des écosystèmes forestiers d’Afrique centrale» mais souligne que le droit des populations autochtones de gérer et d’exploiter leurs terres doit être garanti et que les «écogardes» doivent être sensibilisés à cette question.

16. M. S icilianos dit que l’État partie doit appréhender la notion de discrimination raciale de façon moins étroite et incorporer à sa législation une définition de la discrimination qui soit pleinement conforme à la définition élargie qu’en donne l’article premier de la Convention. La discrimination fondée sur l’appartenance ou l’origine ethnique, par exemple, constitue bel et bien une discrimination raciale et le fait d’imposer aux Pygmées des travaux obligatoires et non rémunérés est une pratique assimilable à la discrimination raciale.

17. Rappelant qu’en vertu de l’article 4 de la Convention et des recommandations générales VII et XV du Comité l’État partie a l’obligation légale de rendre punissables en droit les actes de discrimination raciale ou d’incitation à la discrimination raciale, M. Sicilianos se félicite de l’information selon laquelle le Congo envisage d’amender son Code pénal et l’invite à s’atteler à cette réforme aussi rapidement que possible. Il rappelle que l’incrimination pénale de la discrimination raciale peut constituer, de ce point de vue, un moyen efficace de dissuasion.

18. M. Sicilianos juge gravement préoccupantes les attitudes des Congolais envers les Pygmées et la manière dont ils sont traités par la population majoritaire. Il souhaite, par conséquent, obtenir des informations détaillées sur le Plan d’action national pour l’amélioration de la qualité de vie des populations autochtones 2009-2013, et notamment sur les ressources dont il a été doté et les mécanismes établis aux fins de sa mise en œuvre. Il souhaite également recevoir des informations sur l’état d’avancement du projet de loi relatif à la violence sexuelle contre les femmes, sur les autres dispositions adoptées pour éliminer la violence sexuelle, sur les mesures prises pour venir en aide aux victimes, et sur les tensions entre la population et les réfugiés rwandais. M. Sicilianos note que l’État partie reconnaît visiblement l’existence de problèmes graves de discrimination raciale et qu’il convient d’y remédier mais souligne que les bonnes intentions ne suffisent pas et que des mesures concrètes doivent être adoptées pour y mettre un terme.

19. M. K emal fait valoir la grave préoccupation que lui inspire la situation des peuples autochtones au Congo, en particulier des Pygmées, et estime que l’État partie doit mener des campagnes de sensibilisation pour modifier l’attitude de la population à l’égard de ces peuples et veiller à ce qu’ils jouissent des mêmes droits et soient traités de la même manière que les autres citoyens congolais. Il est également préoccupé par l’ampleur des actes de violence sexuelle et d’abus sexuels commis contre des femmes pygmées. Il estime, en outre, qu’au lieu de chasser les Pygmées des forêts et de mener des projets de déforestation en vue d’obtenir des bénéfices à court terme, il serait préférable de promouvoir l’utilisation durable des forêts et de la culture des Pygmées afin d’encourager le tourisme. Cela permettrait de préserver les forêts et de protéger la culture pygmée, tout en assurant des revenus à long terme au pays.

20. M. D iaconu se félicite qu’un projet de loi sur la promotion et la protection des droits des peuples autochtones ait été élaboré, qui devrait être adopté et mis en œuvre dès que possible, et que le Congo ait conclu des accords d’entraide judiciaire avec les États voisins. Il note également avec grand intérêt qu’un Forum international des peuples autochtones d’Afrique centrale (FIPAC) a été organisé, sur l’initiative du Congo, sur le thème «L’implication des peuples autochtones dans la gestion durable et la conservation des écosystèmes forestiers d’Afrique centrale», sujet qui constitue, à ses yeux, un élément important de la protection des peuples autochtones et des groupes ethniques.

21. Se référant au paragraphe 152 du rapport périodique, M. Diaconu juge préoccupantes les informations faisant état de discriminations commises par des Bantous à l’endroit des autochtones, qu’ils considéreraient comme leurs sujets. À cet égard, il rappelle que la discrimination fondée sur «l’ascendance» constitue une forme de discrimination raciale proscrite par la Convention. L’interdiction faite aux peuples autochtones de vivre dans le même village que les Bantous constitue un autre exemple de discrimination fondée sur l’ascendance. M. Diaconu dit que pour éradiquer ce genre de pratiques, il ne suffit pas de sensibiliser les Congolais aux droits des peuples autochtones.

22. Pour ce faire, le Congo doit disposer d’une législation interdisant et réprimant la discrimination raciale. C’est le Code pénal qui doit comprendre des dispositions de ce type et non la Constitution, qui ne peut pas être appliquée par les tribunaux.

23. M. de G outtes, à l’instar de M. Diaconu, souhaite vivement que le projet de loi sur la promotion et la protection des droits des peuples autochtones, qui est un instrument clef, soit adopté dans les plus brefs délais. Il souhaiterait également disposer de statistiques sur la composition de la population, et notamment sur le pourcentage que représentent les populations autochtones dans l’ensemble de la population congolaise, et connaître le résultat de la consultation des peuples autochtones dans le processus d’administration des eaux et des forêts dont il est question au paragraphe 122 du rapport. Il estime, par ailleurs, que le niveau de représentation des populations autochtones dans la fonction publique n’est pas assez important. De plus amples informations sur les cas signalés de violence et d’abus de pouvoir, évoqués au paragraphe 80 du rapport périodique à l’examen, seraient bienvenues.

24. Rappelant le caractère impératif des dispositions de l’article 4 de la Convention, M. de Gouttes juge insuffisantes les mesures décrites aux paragraphes 67 à 71 du rapport périodique du Congo et estime que les actes décrits à l’article 4 de la Convention doivent impérativement être érigés en infractions punissables par la loi. Il exprime, par conséquent, l’espoir que le Congo amendera les dispositions du Code pénal de manière à ce que celles-ci soient conformes à l’article précité. En ce qui concerne l’application de l’article 6 de la Convention, M. de Gouttes relève qu’aucune plainte pour discrimination raciale n’a été formée au Congo mais souligne que cet état de fait n’est pas nécessairement positif parce que cela peut être le signe d’une méconnaissance des citoyens de leurs droits, d’une peur de représailles ou d’une méfiance des administrés à l’égard du système judiciaire.

25. M. de Gouttes souhaite en outre savoir pourquoi, parmi toutes les institutions mises en place depuis l’élection du Président de la République en mars 2002, seule la Commission nationale des droits de l’homme (CERD/C/COG/9, par. 33) n’a pas tenu de session inaugurale à ce jour et si la composition de cette instance est conforme aux Principes de Paris. En outre, compte tenu du nombre de ressortissants étrangers qui se sont réfugiés au Congo, M. de Gouttes suggère au Gouvernement congolais d’envisager de se doter d’une loi sur les réfugiés et les demandeurs d’asile. Il demande, en outre, à la délégation congolaise d’indiquer si le Gouvernement envisage de faire la déclaration prévue à l’article 14 de la Convention reconnaissant la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de personnes ou de groupes de personnes qui se plaignent d’être victimes d’une violation par l’État partie de l’un des droits énoncés dans la Convention.

26. M. M urillo M artinez accueille avec satisfaction les mesures décrites aux paragraphes 57 à 64 du rapport en vue de garantir aux populations autochtones le plein exercice des droits de l’homme et libertés fondamentales, dont la célébration annuelle de la Journée internationale de solidarité avec les peuples autochtones, et souhaite connaître l’impact de ces mesures.

27. En ce qui concerne l’égalité d’accès des populations autochtones à la justice, M. Murillo Martinez estime qu’il pourrait être utile d’encourager les Pygmées à avoir recours au droit coutumier, parallèlement au système de justice ordinaire. Il ajoute à cet égard que le droit coutumier a été pleinement reconnu par son propre pays, la Colombie, et que ce système s’est avéré très utile pour le règlement de certains différends.

28. M. P eter, préoccupé par les connotations négatives attachées au mot «Pygmées» pour décrire les Baka, les autochtones du Congo, souhaite obtenir des précisions sur l’utilisation de cette terminologie. Il voudrait également connaître les conclusions des enquêtes menées au sujet des atteintes graves commises par des représentants des forces de l’ordre et des écogardes du projet pour la gestion des écosystèmes périphériques du Parc national Ndoki sur les Baka, dont il est fait état au paragraphe 81 du rapport périodique à l’examen.

29. M. Peter aimerait également recevoir des précisions sur «l’opposition très marquée de certains services et personnalités» au projet de loi pour la promotion et la protection des droits des peuples autochtones, à laquelle il est fait référence au paragraphe 58 du rapport à l’examen, et notamment savoir qui précisément est opposé à ce projet de loi et quelles sont les raisons de cette opposition. Il se demande, à cet égard, si l’intention du Gouvernement, en légiférant sur cette question, est de protéger les Baka ou de les «civiliser». Il souhaite, par ailleurs, savoir si les informations sur l’espérance de vie moyenne, qui est passée de 53 ans en 2002 à 48,5 ans en 2006, selon le paragraphe 16 du rapport, concernent aussi les Baka.

30. M. C ali T zay demande à la délégation congolaise de commenter les informations selon lesquelles des cartes d’identité seraient vendues aux populations autochtones congolaises et précise que le fait de ne pas disposer de papiers d’identité peut créer toutes sortes de problèmes pour les populations autochtones qui, dans certains cas, ont été considérées comme des étrangers en situation irrégulière ou maltraitées par la police. M. Cali Tzay est également préoccupé par l’inégalité d’accès des populations autochtones à la justice, ce qui pose particulièrement problème lorsque des différends les opposent aux Bantous, et par l’absence d’assurance juridique en matière de titres fonciers autochtones et considère que ces deux problèmes sont aggravés par la relation de subordination des peuples autochtones aux Bantous.

31.À l’instar des orateurs précédents, M. Cali Tzay souhaite obtenir davantage d’informations sur les atteintes graves supposées de certains représentants des forces de l’ordre contre les populations autochtones, évoquées aux paragraphes 80 et 81 du rapport périodique à l’examen. Il se félicite en outre que le projet de loi sur la promotion et la protection des droits des peuples autochtones comprenne des dispositions relatives à la consultation des peuples autochtones et souligne que si ce texte est adopté, ce sera la première fois que le droit des peuples autochtones à être consultés est consacré par la loi, conformément à l’esprit de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée il y a peu.

32. M. D anielsen demande à la délégation congolaise d’indiquer si les tribunaux nationaux et les autorités administratives sont habilités à réexaminer la législation nationale à la lumière des obligations internationales contractées par le Congo, par exemple des dispositions de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. En d’autres termes, il souhaite savoir si les citoyens congolais peuvent invoquer directement la Convention devant les tribunaux lorsqu’ils allèguent une violation quelconque, par les autorités congolaises, des droits que leur confère la Convention, même si ces allégations n’ont aucun fondement légal au niveau national ou sont en contradiction avec le droit interne. L’expert souhaite savoir s’il existe une jurisprudence congolaise sur ce point et, dans la négative, en connaître les raisons.

33. M. M urillo M artinez souhaite savoir si le Ministère de la promotion de la femme et de l’intégration de la femme au développement, dont il est question au paragraphe 119 du rapport, est, à l’instar de la Direction générale des impôts, dirigé par une femme.

34. M. O kio (Congo), répondant aux questions relatives à l’utilisation du terme «Pygmées» dans le rapport périodique de son pays et à ses connotations péjoratives potentielles, explique que le mot Pygmées est un terme français, le français étant la langue officielle du Congo. Le représentant explique que dans sa région natale, les Pygmées sont appelés les «Batwa» et, qu’à sa connaissance, ils sont désignés sous cette appellation dans les pays voisins du Congo. Il ajoute que le terme «Pygmées» n’existe ni dans sa langue maternelle ni dans d’autres langues vernaculaires du Congo. C’est un terme qui est utilisé pour décrire un groupe de populations autochtones, tout comme le mot «Bantou» décrit un certain nombre de sous-groupes ethniques.

35. M. Okio note que la plupart des questions soulevées par les experts au cours du présent dialogue portent sur les droits des populations autochtones et indique qu’il reviendra plus en détail sur ce sujet à la séance suivante. En ce qui concerne les droits des femmes, M. Okio explique qu’elles participent pleinement à la vie économique et politique du pays, qu’elles bénéficient du droit à l’éducation, à un salaire égal et à postuler à tout poste pour lequel elles sont qualifiées, même si comme dans tous les pays du monde, les femmes congolaises assument un fardeau disproportionné des tâches ménagères. Le Ministère de la promotion de la femme est effectivement dirigé par une femme, qui a du reste consacré de nombreuses années de sa vie à la cause des femmes, et qu’elle défend vigoureusement. Les femmes occupent de nombreux postes ministériels au Congo.

36. M. Okio explique que les «écogardes» sont chargés de protéger les forêts et qu’ils sont employés par l’État et non par des groupes paramilitaires. Leur formation comprend cependant un volet paramilitaire pour leur permettre de se défendre contre les braconniers et de dissuader ces derniers d’entrer en action.

37. Sur la question de savoir si les mécanismes de justice traditionnelle pourraient être utilisés pour résoudre les problèmes rencontrés par les Pygmées, le représentant congolais explique que bien que son pays reconnaisse et applique le droit coutumier, il n’a pas connaissance d’un système de justice traditionnelle reconnu comme étant propre aux Pygmées. Il explique qu’il est particulièrement difficile de résoudre certains des problèmes spécifiques aux Pygmées en raison de leur nomadisme. Il précise, à cet égard, que les Pygmées se déplacent souvent, de leur propre chef et non parce qu’ils y sont contraints par les Bantous.

38. M. Okio dit que le rapport périodique soumis par son pays ne contient pas de données sur les populations autochtones parce que ces données ne sont pas disponibles. Un recensement complet de la population n’a pas encore été effectué en raison du fait que le Gouvernement n’a pas les moyens d’accéder aux populations concernées. Seules des données approximatives existent quant au nombre de personnes qui vivent actuellement dans les forêts.

39. En ce qui concerne l’état actuel du projet de loi sur la promotion et la protection des droits des peuples autochtones, le Président du Congo a indiqué qu’il soutenait pleinement ce texte et on peut donc espérer qu’il sera adopté dans les mois qui suivent, à moins que les membres du Parlement n’en décident autrement.

40. S’agissant de la question de l’état civil, M. Okio explique qu’un nombre important de Pygmées et de Bantous n’ont pas de papiers d’identité. Lors des campagnes électorales générales, les partis politiques encouragent les administrés à se procurer des papiers d’identité afin de pouvoir voter et, dans certains cas, ce sont les partis eux-mêmes qui financent les frais d’émission de tels documents. En règle générale, les villageois ne voient pas l’intérêt de posséder une carte d’identité, sauf s’ils ont l’intention de se déplacer dans le pays, auquel cas leurs papiers peuvent être vérifiés. Le Gouvernement compte prendre prochainement des mesures pour contacter les personnes qui ne disposent pas encore de document d’identité. Il est vrai que des problèmes se sont posés lorsque des Congolais voyageant sans papiers d’identification ont été soumis à des contrôles de police, mais les autorités s’efforcent alors de comprendre les problèmes particuliers rencontrés dans ce domaine par les populations autochtones.

41. M. Okio reconnaît que les Pygmées perçoivent parfois des salaires inférieurs à ceux des Bantous et affirme que le Gouvernement sera mieux armé pour faire face à ce problème une fois le projet de loi sur la promotion et la protection des droits des peuples autochtones adopté.

42.Le nombre relativement faible d’enfants autochtones scolarisés s’explique par les traditions nomades des Pygmées. Bien souvent, les enfants pygmées vont à l’école pendant trois mois, puis disparaissent quand leur famille se déplace à nouveau. Le nomadisme a également des conséquences sur le droit des Pygmées à la terre et à la démarcation des terres autochtones. Au Congo, toutes les terres appartiennent à la nation et les populations autochtones jouissent des mêmes droits que les autres citoyens pour ce qui est de leur exploitation et culture. Il est certain que des différends ont opposé les populations autochtones et les Bantous et que ces derniers ont essayé de les priver de leurs droits fonciers mais il faut espérer que le projet de loi en question, une fois adopté, permettra de résoudre ces problèmes. Malgré tout, les Pygmées peuvent aussi exercer leur droit de cultiver la terre et de vendre les produits de la terre qu’ils occupent.

43. Le Gouvernement congolais est résolu à protéger les droits des peuples autochtones, même si la législation nationale pourrait être encore améliorée en vue d’une meilleure application des dispositions pertinentes de la Convention.

44. M. P rosper souhaite savoir si les tensions ethniques qui ont éclaté au Congo ou le long de ses frontières sont dues à la situation difficile que connaissent les pays voisins et si le Gouvernement congolais a pris des mesures pour atténuer ces tensions ou en prévenir l’escalade. Il souhaite également savoir si les cartes d’identité congolaises mentionnent des informations telles que l’origine ethnique du titulaire ou simplement des données factuelles telles que le nom et le lieu de naissance.

Questions d’organisation et questions diverses (point 3 de l’ordre du jour)

Forum sur les questions relatives aux minorités

45. M. T hornberry rappelle que le Comité l’a chargé de participer, en qualité de représentant de ce dernier, au premier Forum sur les questions relatives aux minorités qui s’est tenu les 15 et 16 décembre 2008, au Palais des Nations, à Genève. Il indique qu’il a été désigné Rapporteur de cette session inaugurale, dont le but était d’élaborer des recommandations sur le thème de l’éducation et des minorités. Le projet de recommandations, auquel il a travaillé avec l’Experte indépendante des Nations Unies sur les questions relatives aux minorités, est en cours de finalisation en raison des nombreuses observations suscitées par le texte. Ce projet devrait pouvoir être présenté par l’Experte indépendante au Conseil des droits de l’homme à sa session suivante.

46. La participation au Forum a été importante et diversifiée et a, notamment, réuni des représentants d’États parties de tous les continents et un nombre non négligeable d’experts. Les membres d’autres organes conventionnels et les représentants d’institutions des Nations Unies qui ont également participé à cet événement ont procédé à un échange de vues et d’observations tout à fait intéressant.

47. Le projet de recommandations porte sur de nombreuses questions qui préoccupent souvent le Comité. Le principe de base de ce texte est que l’éducation est un droit fondamental consacré par les normes et conventions internationales. Les thèmes de l’accès à l’éducation et des obstacles psychologiques, géographiques, financiers et linguistiques à l’accès à l’éducation ont été explorés de même que les questions relatives à la gouvernance et à la participation des membres de groupes minoritaires à la conception des institutions et structures éducatives. Le Forum a également discuté de l’enseignement des programmes scolaires, de la dotation en ressources humaines et des cadres institutionnels d’éducation et abordé la question du contenu des programmes et des questions de langue d’enseignement. Les participants ont également soulevé toute une série de questions relatives à la ségrégation et la déségrégation raciale; à ce propos, on a estimé que des normes différentes ont été élaborées à diverses époques sous les auspices des Nations Unies, qui ne faisaient pas toujours bon ménage. On a fait valoir que les approches initiales avaient peut-être été trop intégrationnistes et qu’avec l’émergence des normes relatives aux minorités et aux peuples autochtones, une approche plus autonome de la notion de normes éducatives s’est fait jour. Les participants au Forum sont convenus que la question du contrôle exercé par les peuples autochtones sur leurs propres institutions éducatives constitue un enjeu majeur.

48.L’idée selon laquelle l’école serait conçue comme un lieu d’accueil de populations sédentaires doit, selon les participants, être réexaminée à la lumière de sa pertinence pour les populations nomades. D’autres stratégies pourraient être utilisées pour développer l’enseignement intracommunautaire, remettre en question la nature statique de l’enseignement et souligner le rôle originel de l’éducation, à savoir mettre en valeur le potentiel des individus dans leurs cadres culturels respectifs. On a également considéré que l’enseignement public n’est pas, ipso facto, la panacée et qu’il peut être utilisé à des fins très négatives, par exemple pour assimiler des populations et encourager une hégémonie culturelle et, ce faisant, marginaliser les cultures autochtones.

49. M. Thornberry indique que l’Experte indépendante a proposé que le projet de recommandations soit distribué aux divers organes créés en vertu des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme aux fins d’examen et de prise de décision éventuelle, notamment quant à l’incorporation du texte adopté par le Forum dans leurs recommandations générales. Au cas où le Comité envisagerait d’adopter ce texte, certains termes devront être modifiés afin d’être davantage conformes aux vues légèrement différentes du Comité sur les questions d’origine ethnique et nationale. L’Experte indépendante a recommandé d’éviter une approche trop eurocentrée de la question et de passer d’une conception des droits axée sur l’identité à une approche plus socioéconomique afin de tenir spécifiquement compte de l’influence de la pauvreté sur la jouissance des droits des minorités et, en général, à une dimension beaucoup plus vaste que celle habituellement adoptée par le passé en matière de droits des minorités. Le Comité pourrait examiner ces recommandations à sa session suivante, à condition qu’elles aient été soumises au Conseil des droits de l’homme dans l’intervalle.

50. M. E womsan juge ce sujet passionnant et estime qu’il y a toujours eu un objectif caché dans les politiques d’éducation, ce qui saute évidemment aux yeux lorsque l’on s’intéresse aux peuples autochtones, les établissements scolaires étant utilisés pour créer une hégémonie sociale. Il considère qu’il serait intéressant d’examiner comment l’école pourrait être modifiée de manière à tenir compte de modes de vie différents, à encourager la diversité et, surtout, à développer l’humanité.

51. M. M urillo M artinez souhaite savoir si la notion de «minorités» a été examinée par les participants au Forum.

52. M. A mir juge utile de mieux comprendre le rôle de l’école et comment elle a pu servir d’outil d’intégration sociale. Il se demande si, en particulier pour les peuples autochtones des zones rurales, les rôles traditionnels pourraient être inversés, de manière à ce que les communautés jouent un rôle actif dans l’assimilation des enseignants et de l’école.

53. M. de G outtes souscrit aux vues exprimées par M. Ewomsan et M. Amir mais fait part de sa réticence à l’égard de la proposition de M. Thornberry en matière d’enseignement intracommunautaire. Il explique que ce type d’enseignement risque d’isoler totalement les établissements scolaires concernés et préfère, pour sa part, à cette idée une approche pédagogique basée sur l’ouverture.

54. M. D iaconu met l’accent sur le rôle historique important de l’État en matière d’éducation et souligne que même l’enseignement privé est contrôlé par l’État. Il est du devoir de tous les établissements scolaires de respecter les principes d’égalité des chances et d’égalité d’accès à l’emploi et à la vie sociale. M. Diaconu est d’avis que ce qui est constitutif d’une discrimination en matière d’éducation doit être discuté plus avant. Il pose la question de savoir si les écoles non mixtes, les écoles religieuses qui sélectionnent les élèves sur la base de leur confession, ou les écoles qui favorisent une langue plus qu’une autre sont, de facto, discriminatoires.

55. M. L indgren A lves, soutenant les remarques faites par M. de Gouttes, souhaite connaître les critères retenus par le Forum pour définir les «minorités» qui ont été invitées à participer aux débats.

56. M. T hornberry, répondant aux questions posées sur la définition des «minorités», dit que le secrétariat du Forum a dressé la liste des groupes minoritaires invités, même s’il y a lieu de croire que ceux qui ont participé au Forum se sont définis eux-mêmes comme tels. Le Forum n’a pas tenté de définir les «minorités», non plus d’ailleurs que les réunions organisées par des groupes autochtones. Ce Forum réunissait des personnes d’origines très différentes et, pour autant qu’il le sache, ses recommandations n’ont pas eu pour ambition de définir le terme «minorités». Si le Comité envisage d’adapter certains aspects de ces recommandations, il lui faudra certainement définir plus précisément les groupes qui, selon lui, constituent des minorités.

57. Répondant à la remarque de M. de Gouttes sur l’enseignement communautaire et aux points intéressants soulevés par M. Diaconu, M. Thornberry dit que l’éducation communautaire devrait englober les communautés vulnérables et celles dont les cultures ont été dévalorisées. De ce point de vue, l’éducation intracommunautaire pourrait constituer une défense sociale, un moyen de réparer ou de rétablir la confiance de chacun dans l’importance de sa culture. Le Comité voudra peut-être explorer des idéaux fondés sur des approches participatives. Quoi qu’il en soit, les droits des minorités constituent, en partie, une défense face à l’extérieur et les liens entre l’enseignement intracommunautaires, les droits des individus et les droits de l’homme feront partie des sujets qui devront être discutés. Le principe de l’enseignement intracommunautaire ne devrait pas être balayé mais rattaché, en quelque sorte, aux principes généraux de non-discrimination et à la notion de société participative.

La séance est levée à 18 h 5.