Nations Unies

CERD/C/SR.2026

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

19 août 2010

Original: français

Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Soixante-dix-septième session

Compte rendu analytique de la 2026 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mercredi 11 août 2010, à 15 heures

Président: M. Kemalpuis:Mme Dah

Sommaire

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention (suite)

Dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques de la France

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention (point 4 de l’ordre du jour) (suite)

Dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques de la France (CERD/C/FRA/17-19; CERD/C/FRA/Q/17-19)

1. Sur l’invitation du Président, la délégation française prend place à la table du Comité.

2.M. Pellet (France) rappelle que la société française est fondée sur le principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi, sans distinction d’origine, de race ou de religion, tout en étant conscient que ce principe n’est pas toujours respecté comme il devrait l’être et qu’il est donc nécessaire d’agir en conséquence. C’est dans ce contexte que s’inscrit le débat sur l’identité nationale ouvert par le Ministre de l’immigration en novembre 2009: pour répondre aux préoccupations soulevées par la résurgence de certains communautarismes, avec notamment l’objectif de réduire la distance qui sépare l’égalité formelle de l’égalité réelle entre les citoyens.

3.Consciente que le racisme, la discrimination raciale et la xénophobie sont des fléaux universels, la France participe activement, aux cotés d’autres États, aux programmes mis en place dans les différentes enceintes européennes et internationales. Ainsi, le Directeur de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui fait un travail remarquable, fera très prochainement en France une visite qui pourrait mener à l’adoption de mesures dépassant le cadre français.

4.En France, la lutte contre la discrimination raciale s’appuie d’abord sur une politique d’intégration résolue, qui vise à permettre à tous les immigrés en situation régulière de trouver leur place au sein de la société. Dans le cadre du débat sur l’identité nationale, un séminaire gouvernemental a dégagé plusieurs pistes d’action en vue de renforcer l’intégration des étrangers dans la communauté nationale. Premièrement, les formations proposées gratuitement dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration signé avec chaque migrant primo-arrivant seront développées. Ce contrat, mis en place en 2003, mettra l’accent sur le respect des valeurs de la République et permettra d’améliorer la connaissance de la langue française. Deuxièmement, l’opération «l’école ouverte aux parents d’enfants étrangers», expérimentée avec succès dans 12 départements, sera étendue. Elle a pour ambition de mieux accompagner les parents d’élèves étrangers ou immigrés, de nationalité française ou non, et de les aider à surmonter leur appréhension face à l’institution scolaire. Troisièmement, il est proposé de faciliter l’accès à la nationalité française aux étrangers dont l’intégration aura été exceptionnelle. Le projet est de réduire de cinq à deux ans la durée de la présence régulière en France exigée de ces personnes, dont les mérites servent exceptionnellement le pays, pour obtenir la nationalité française.

5.La lutte contre les discriminations à l’école constitue un autre aspect important de la politique d’intégration. La circulaire de la rentrée scolaire 2009 a fait du refus des discriminations et de la lutte contre la violence une priorité et a rendu obligatoire l’inscription de ce principe dans les règlements intérieurs des établissements scolaires. Par ailleurs, une mission «Parité et lutte contre les discriminations» chargée de promouvoir les politiques éducatives relatives à la lutte contre les discriminations a été créée en 2009 au sein du Ministère de l’éducation nationale. Le principe de l’égalité des chances dans le domaine primordial de l’éducation constitue un élément déterminant du programme interministériel «Espoir banlieues», lancé en février 2008, qui vise à permettre la réduction des écarts constatés entre les quartiers sensibles et le reste du pays. En outre, une série de mesures ont été prises pour répondre aux difficultés rencontrées par les élèves et leur famille: l’accompagnement éducatif, la création de lycées d’excellence dans les quartiers défavorisés, la mise en place de dispositifs expérimentaux de réussite scolaire dans 200 lycées, la lutte contre le décrochage scolaire, les internats d’excellence, et l’ouverture des classes préparatoires aux grandes écoles aux élèves venant de milieux défavorisés.

6.Conscient que c’est dans le domaine de l’emploi que les discriminations signalées à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité sont les plus nombreuses, le Gouvernement juge important de mener une politique active visant à favoriser l’accès de tous au monde du travail. C’est pourquoi, en lien avec les partenaires sociaux, il a mis en place un label «diversité», qui vise à garantir l’absence de toute discrimination dans tous les processus de gestion des ressources humaines des entreprises et des administrations (en particulier en matière de recrutement et de formation). Au 31 juillet 2010, près de 580 000 salariés étaient employés dans 210 établissements ayant reçu ce label. Une autre mesure devrait être effective prochainement, le CV anonyme, dont le principe a été défini par un article du Code du travail suite à l’adoption de la loi sur l’égalité des chances de 2008. Le décret d’application sera finalisé après consultation des partenaires sociaux.

7.S’agissant de l’exercice du droit au logement, M. Pellet indique que la loi de 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale constitue une avancée considérable en matière de politique sociale du logement: elle a permis de franchir une étape décisive en créant un recours juridictionnel en plus du recours amiable existant, et en désignant une autorité astreinte à une obligation de résultats. Depuis janvier 2008, des commissions de médiation départementales traitent des recours amiables tendant à l’attribution d’un logement formés par des personnes répondant aux conditions d’accès au logement social. Ces commissions désignent au préfet les demandeurs qu’elles identifient comme prioritaires et auxquels un logement doit être attribué en urgence. Le recours contentieux devant le juge administratif est l’élément novateur de cette loi: un juge unique statue sur le recours, dans un délai de deux mois, et s’il constate qu’aucune offre adaptée n’a été proposée, il peut ordonner le logement du requérant par l’État.

8.La loi prévoit en outre la création d’un comité de suivi de la mise en œuvre du droit au logement opposable. La mise en œuvre de la loi étant rendue difficile dans certains territoires où la tension du marché du logement est très forte, des mesures à l’appui de son application ont été prises, notamment la loi de mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, qui renforce les actions de prévention des expulsions.

9.S’agissant des gens du voyage et des Roms, qui rencontrent effectivement sur le territoire français d’importantes difficultés d’ordre économique et social, M. Pellet indique que le Gouvernement français est déterminé à trouver des solutions tenant compte des modes de vie spécifiques de ces populations, à l’intérieur du cadre républicain. Il souligne que la situation des gens du voyage, qui sont en grande majorité de nationalité française, doit être clairement distinguée de celle des Roms, qui sont étrangers, essentiellement roumains ou bulgares, et dont les modes de vie sont très différents.

10.La population des gens du voyage est estimée en France à environ 300 000 personnes, tandis que 11 millions de Roms vivent en Europe, dont 7 à 9 millions au sein de l’Union européenne. Leur situation socioéconomique est très précaire et leur intégration constitue un défi que la France s’efforce de relever à l’échelon national et européen. La France estime en effet que pour lutter contre les discriminations dont font l’objet les Roms, il est indispensable de traiter aussi les causes de ce problème, à savoir le défaut d’intégration de ces populations dans leur pays d’origine. Pour cette raison, la France et la Roumanie travaillent étroitement à l’intégration des Roms roumains dans leur pays d’origine. Plus généralement, l’objectif est de s’assurer que les Roms jouissent de conditions de vie dignes dans l’ensemble de l’Union européenne.

11.Les gens du voyage rencontrent des difficultés de nature différente, notamment en raison de leur mode de vie itinérant. L’Assemblée nationale a créé, en septembre 2009, une mission d’information parlementaire chargée d’examiner et d’adapter la législation relative à leur accueil et à leur habitat. La question de la révision du dispositif d’application de la loi concernant les titres de circulation sera examinée dans le cadre des travaux menés par cette mission parlementaire, de même que celle relative aux modalités de l’exercice du droit de vote par les gens du voyage. En ce qui concerne les aires d’accueil réservées aux gens du voyage, étant donné que leur réalisation est encore inégale selon les départements, la politique du Gouvernement en faveur de leur développement sera poursuivie.

12.S’agissant du devoir de mémoire, obligation dont il souligne l’importance, M. Pellet dit que la prévention et la lutte contre les discriminations imposent à la France de se tourner vers son passé pour reconnaître le métissage de sa culture et les discriminations intolérables qui ont été perpétrées dans le pays à travers les siècles. C’est dans ce but qu’a été créée en 2006 à Paris la Cité de l’histoire de l’immigration, institution culturelle destinée à mettre en valeur la place des immigrés dans la construction de la France. Auparavant, en juillet 1995, le Président de la République, Jacques Chirac, dans une allocution prononcée à l’occasion du 53e anniversaire de la rafle des juifs au Vel d’Hiv, reconnaissait pour la première fois au nom de l’État français la part de responsabilité des autorités françaises dans les atrocités commises sur le territoire français pendant la Seconde Guerre mondiale. Depuis lors, la France prend part activement à d’autres initiatives visant à mieux faire connaître les pages sombres de l’histoire de l’humanité: lors de la Conférence d’examen de Durban, en 2009, elle a exprimé le souhait que le texte rappelle la mémoire des victimes de l’esclavage, de l’apartheid et du colonialisme et elle a veillé à ce que le texte rappelle également la mémoire de la Shoah; elle participe au Groupe d’action international dédié à la mémoire de l’Holocauste créé en 1998; enfin, elle a été, en 2001, le premier pays à reconnaître que l’esclavage constituait un crime contre l’humanité.

13.Pour ce qui est de la répression des actes discriminatoires, au cours de l’année 2009, le Ministère de la justice et des libertés a poursuivi la politique pénale définie en matière de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, qui vise à apporter une réponse pénale rapide et ferme, mise en œuvre par des magistrats spécialisés. La Garde des Sceaux a donc demandé aux procureurs généraux d’étendre la compétence des pôles antidiscrimination, qui avaient été mis en place au sein des tribunaux français, à tous les actes commis en raison de l’appartenance de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou de son orientation sexuelle. L’objectif visé était de confier à un magistrat spécialisé le traitement de l’ensemble des infractions à caractère raciste ou xénophobe, de favoriser les échanges entre les représentants du ministère public, les associations et les représentants des communautés religieuses, et de favoriser l’expression et le dépôt des plaintes des victimes. Toutefois, malgré l’importance des relations de partenariat mises en œuvre au sein des pôles antidiscrimination, les parquets soulignent la faiblesse du nombre de plaintes déposées pour des faits de discrimination et font état de la réticence des victimes à déposer une plainte. Le nombre de procédures pénales ne paraissant pas en rapport avec l’investissement mis en œuvre, des réflexions sont actuellement menées au sein des parquets afin de dégager d’autres méthodes pour identifier les situations d’infractions discriminatoires.

14.La lutte contre la discrimination raciale sur Internet est une des priorités de la France. Un rapport complet sur cette question a été rendu en janvier 2010 par la Présidente du Forum des droits sur l’Internet, qui préconise un plan d’action associant les différents acteurs de l’Internet afin d’accroître la connaissance du phénomène, d’encourager la prévention et la répression ainsi que la coopération internationale. Au plan international, la France a été l’un des premiers États à ratifier en 2006 le Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité, qui vise à incriminer les actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques, et elle plaide pour sa ratification par le plus grand nombre d’États. Toutefois, la France est consciente que cette lutte ne doit pas donner lieu à des restrictions abusives de la liberté d’expression, et le Ministre des affaires étrangères et européennes a lancé à cette fin une initiative sur Internet et la liberté d’expression.

15.En conclusion, M. Pellet dit que la France est consciente des difficultés qu’il y a à combattre la discrimination raciale sur son territoire, et annonce que le Gouvernement vient de décider de lancer la préparation d’un plan national de lutte contre le racisme, conformément aux engagements qu’il a pris sur la scène internationale.

16.M. Prosper (Rapporteur pour la France) se félicite de la décision prise par la France d’élaborer un plan national de lutte contre le racisme et note avec satisfaction que l’État partie dispose d’un large éventail d’outils juridiques et techniques pour combattre la discrimination raciale. La France est un grand pays dont la contribution à l’humanité est riche et dont l’influence a été considérable. La devise de la République française, «Liberté, Égalité, Fraternité», a fait naître de nombreux espoirs partout dans le monde, mais force est de constater qu’il existe une vraie contradiction entre l’image exportée à l’étranger et la réalité sur le terrain. Beaucoup d’immigrés semblent s’intégrer dans la société française mais, de l’avis général, les couches sociales les plus favorisées et les secteurs économiques et politiques influents échappent à la diversité ethnique. Le Rapporteur évoque les efforts politiques visant à priver certains Français d’origine étrangère de leur nouvelle nationalité et fait état des préoccupations exprimées par certaines communautés au sujet du profilage racial, du déni de nationalité et des difficultés d’accès au logement et aux soins de santé. Certains parlent même de l’apparition d’une société à deux vitesses. M. Prosper s’inquiète d’un réel manque de volonté politique au sommet de l’État pour offrir à tous la même égalité des chances et répondre aux attentes de chacun. Enfin, il exhorte la France à faire vivre les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité.

17.M. Avtonomov voudrait recevoir davantage de renseignements sur la composition ethnique de la France, soulignant l’importance des données ethniques pour l’adoption de mesures préventives visant à améliorer la situation socioéconomique de certains groupes défavorisés. La collecte de données ethniques permettrait en outre aux autorités françaises de mieux appréhender certains problèmes, avant que ne surviennent des actes de violence tels que ceux évoqués au paragraphe 25 du rapport à l’examen. L’expert demande aussi des précisions sur la distinction faite par la France entre les gens du voyage et les Roms. Il voudrait en particulier savoir si les Roms proviennent d’Europe centrale et orientale, s’ils sont nomades et si les enfants ont accès à l’école. Il appelle l’attention de la délégation française sur le nombre insuffisant de campements disponibles pour les gens du voyage et les Roms. Il voudrait par ailleurs obtenir des précisions sur le droit de vote des gens du voyage, compte tenu des difficultés qu’ils rencontrent pour s’inscrire sur les listes électorales. Enfin, l’expert demande si Mayotte est un département français et si les habitants de ce territoire d’outre-mer ont été consultés dans le cadre d’un référendum.

18.M. Saidou s’inquiète de la recrudescence des actes racistes et xénophobes dans l’État partie. Il souligne que les dernières déclarations de personnalités politiques françaises donnent l’impression que le pouvoir politique maltraite le droit en France. Il note avec préoccupation qu’un certain nombre de recommandations formulées par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) et par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ne sont pas suivies d’effet, surtout en ce qui concerne la discrimination. Il demande si la création du poste de défenseur des droits ne va pas empiéter sur les activités de la HALDE et de la CNCDH, et si le Comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme a été mis sur pied. Il demande comment la France entend traduire dans la pratique la décision adoptée par le Conseil constitutionnel en mai 2010 d’aligner les pensions des anciens combattants originaires de ses ex-colonies africaines sur celles des anciens combattants de nationalité française.

19.M. Saidou demande pourquoi des Français appartenant à des minorités sont obligés de se munir de carnets de circulation pour circuler sur le territoire, sachant que la liberté de circulation est garantie par la Constitution en France. Il demande aussi quel est le niveau de jouissance des droits à la santé et à l’éducation dans les départements et territoires d’outre-mer par rapport à la situation en métropole. Enfin, il voudrait savoir si la France est partie à l’initiative sur la transparence dans les industries extractives en vertu de laquelle la gestion des richesses et ressources naturelles au profit des citoyens d’un pays relève de la compétence des gouvernements souverains, qui s’en chargent dans l’intérêt de leur développement national.

19.M. Amir, rappelant les principes énoncés dans la Constitution française en matière d’égalité de tous les citoyens devant la loi, se demande si les mesures prises dernièrement par les autorités françaises en matière de sécurité sont légales et constitutionnelles. Évoquant les récentes déclarations de M. Nicolas Sarkozy à l’encontre des Roms et des gens du voyage, il se demande comment l’État partie peut légalement envisager d’expulser des personnes originaires, pour la plupart, de Roumanie et de Hongrie, c’est-à-dire d’États membres de l’Union européenne. Il est extrêmement choqué d’apprendre qu’en 2010, la France établit des distinctions entre les Français et les Français d’origine étrangère, comme si certains étaient des citoyens de première zone et d’autres de seconde.

20.L’expert se demande également s’il n’est pas temps que la France présente ses excuses à l’Algérie pour les 45 000 hommes qui se sont battus pour la libération de la France et ont été exécutés à leur retour dans leur pays.

21.M me Dah se félicite que la délégation française compte plus de femmes que d’hommes et accueille avec satisfaction la présentation brève mais instructive du Rapporteur pour la France.

22.Mme Dah dit qu’il est difficile de parler de la France car elle est à la fois trop connue et trop mal reconnue, notamment du fait qu’elle s’est sensiblement écartée des jalons du passé. Comme tous les Français, les membres du Comité s’interrogent sur ce qu’est le devenir de la France.

23.Plus spécifiquement, Mme Dah souhaite connaître la suite donnée aux recommandations figurant dans les paragraphes 23 et 24 des observations finales antérieures du Comité concernant la France (CERD/C/FRA/CO/16), à savoir à celle concernant la promotion de l’enseignement des langues de groupes ethniques − notamment l’arabe, l’amazigh ou le kurde − et à celle relative au règlement définitif de la question des pensions des anciens combattants de nationalité étrangère dans le respect du principe de l’égalité de traitement.

24.S’agissant de l’outre-mer, Mme Dah remarque le caractère très général des paragraphes 126 à 164 du rapport à l’examen qui traitent de cette question et rappelle que la France a l’obligation, en tant qu’État partie à la Convention, de faire rapport au Comité sur la situation qui prévaut dans les territoires placés sous sa juridiction. Elle prend note du fait que l’année 2009 a été marquée par des émeutes dans les territoires d’outre-mer français qui ont dépassé le cadre des revendications sociales initiales et ont acquis une connotation ethnique dans tous les territoires d’outre-mer français. À l’évidence, la France a mal à sa pluralité et a ses principes.

25.L’experte constate que la Constitution française distingue les départements et régions d’outre-mer (art. 73 de la Constitution), les collectivités d’outre-mer (art. 74) et la Nouvelle-Calédonie (titre XIII de la Constitution), qui constituent une catégorie particulière. Elle constate également que deux statuts coexistent dans ces territoires, le statut civil de droit commun, régi par les dispositions du Code civil, et le statut personnel de droit local ou coutumier. Or, la notion de droits coutumiers renvoie aux peuples autochtones, que la France ne reconnaît pas, non plus que les minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, au motif que «les principes constitutionnels d’égalité entre les citoyens et d’unicité du peuple français excluent la reconnaissance des droits collectifs conférés à un groupe sur un fondement communautaire» (CERD/C/FRA/17-19, par. 132). Cela n’a cependant pas empêché la France de respecter les principes relatifs aux peuples autochtones dans certains de ses territoires, et tout particulièrement en Nouvelle-Calédonie.

26.S’agissant des droits fonciers en Nouvelle-Calédonie, Mme Dah prend note de l’effort accru déployé par les autorités françaises à la suite de l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998, en matière de redistribution des terres aux Kanaks, à la fois pour reconnaître leurs droits à la terre et réparer les injustices passées. Elle déplore que cette question ne soit nullement abordée dans le rapport à l’examen, alors qu’elle sera essentielle et incontournable pour la gestion de la politique régionale et territoriale future de la France. Tout en se félicitant que le Gouvernement français ait finalement pris la décision de se doter d’un plan national d’action de lutte contre le racisme et les discriminations, conformément à la Déclaration et au Programme d’action de la Conférence de lutte contre le racisme de Durban, Mme Dah souhaite savoir si ce nouveau mécanisme contiendra un volet relatif aux droits des peuples autochtones.

27. M me Dah prend la présidence.

28.M. Ewomsamsalue les mesures prises par les autorités françaises pour assurer le bon fonctionnement de l’administration de la justice et se félicite notamment de la création de pôles antidiscrimination au sein de chaque tribunal de grande instance (ibid., par. 172), de la mise en place de réseaux locaux de lutte contre les discriminations, animés par les parquets, aux fins notamment de faire émerger les situations de discrimination, et de la création de deux outils statistiques permettant à l’autorité judiciaire de mesurer et d’évaluer les effets de sa politique pénale en matière de lutte contre les discriminations raciales (ibid., par. 32).

29.Toutefois, le membre du Comité doit constater que les résultats de la politique française en matière de lutte contre le racisme et les discriminations raciales ne sont pas à la mesure des efforts consentis. La persistance d’un racisme latent et la recrudescence notable du racisme et de la xénophobie en France en sont les signes les plus évidents.

30.M. Ewomsam relève avec étonnement que le rapport périodique de la France indique que le pays s’est engagé à respecter la Déclaration de Durban (ibid., par. 53) adoptée lors de la Conférence mondiale des Nations Unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui s’est tenue en Afrique du Sud en août 2001 et se félicite que l’État partie ait, en conséquence, décidé de se doter d’un plan national de lutte contre le racisme, même s’il juge déconcertant le retard de la France en la matière.

31.M. Ewomsam déplore que la politique sécuritaire de la France soit marquée par la stigmatisation de l’immigration comme cause de tous les maux et considère que le discours de M. Nicolas Sarkozy qui suggérait, fin juillet 2010, à Grenoble de déchoir de la nationalité française toute personne d’origine étrangère portant atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police est non seulement discriminatoire contre les Français d’origine étrangère mais constitue en outre une incitation à la haine. L’adhésion de la majorité de la population française à ce discours, comme l’a montré un récent sondage, est particulièrement grave et inquiétante. Alors que la Constitution française ne reconnaît pas l’existence de minorités ethniques, on ne peut que s’étonner que des communautés ethniques entières soient stigmatisées en raison du comportement délictuel d’un seul de leurs membres.

32.M. Diaconu dit que la France dispose d’un cadre législatif et institutionnel qui lui permet de prévenir et d’agir efficacement contre la discrimination et de maintenir l’ordre public. Le nombre d’actes racistes a, semble-t-il, diminué en 2007 mais, alors même que la situation s’est visiblement dégradée du point de vue de l’entente interethnique dans le pays, l’on ne dispose d’aucune statistique à ce sujet pour 2009.

33.S’agissant de la situation des Roms, M. Diaconu juge particulièrement inquiétant que des comportements isolés conduisent les autorités françaises à prendre des mesures politiques qui échappent au cadre légal et constitutionnel du pays, stigmatisent des communautés tout entières et attisent ainsi les préjugés à leur encontre.

34.L’expert considère également que certaines lois française sont clairement discriminatoires, comme la loi du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixes (ibid., par. 98) qui impose des titres de circulation aux personnes circulant en France plus de six mois par an, sans domicile ni résidence fixes et limite les droits des gens du voyage concernant l’inscription sur les listes électorales et, donc leur droit de vote. Pourquoi de telles lois subsistent-elles et quelle est leur place dans le système juridique français compte tenu du principe de l’égalité de tous devant la loi?

35.S’agissant de la Nouvelle-Calédonie, M. Diaconu souhaite savoir si des plaintes fondées sur l’article 15 de la Convention, relatif au droit de pétition des habitants de territoires sous tutelle ou non autonomes, ont été déposées en Nouvelle-Calédonie.

36.Notant que les enquêtes menées par la France pour évaluer la composition ethnique de la population ne peuvent reposer sur l’origine ethnique ou la race des personnes interrogées mais peuvent en revanche se fonder sur leur nationalité antérieure, M. Diaconu se demande s’il ne serait pas plus simple de s’intéresser à la langue parlée par les sondés plutôt qu’à leur nationalité d’origine. Il juge également surprenant, voire contradictoire, qu’un État ne reconnaisse pas de minorités ethniques mais admette que certains peuples autochtones vivant dans ses territoires aient des droits. Il rappelle à cet égard que tant le Comité des droits de l’enfant que le Comité des droits de l’homme ont plusieurs fois recommandé à la France de reconnaître les minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, afin de respecter pleinement les dispositions de l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui dispose que «Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue.».

37.S’agissant de la mise en œuvre de l’article 3 de la Convention, M. Diaconu note que le rapport à l’examen se contente d’évoquer les conséquences de l’apartheid et ne traite pas de la ségrégation raciale. Il souhaite savoir si des cas de ségrégation raciale ont été signalés en France et, dans l’affirmative, si des mesures ont été prises ou sont envisagées pour y remédier.

38.M. Huang Yong’an déplore que malgré la création du Ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, les immigrants et les travailleurs migrants − en particulier ceux originaires d’Afrique et d’Asie − continuent de subir des discriminations. Il voudrait savoir quelles mesures ont été prises pour améliorer les conditions de vie et les droits fondamentaux de ces personnes, et notamment celles des quelque 20 000 Chinois qui ont manifesté le 20 juin 2010 à Paris pour dénoncer leurs mauvaises conditions de vie et l’insécurité qui est leur lot quotidien.

39.M. Huang Yong’an rappelle en outre le harcèlement dont ont été victimes les Chinois lors du passage de la flamme olympique à Paris, et indique que ces événements, qui ont été retransmis dans les médias chinois, ont terni l’image de la France dans ce pays.

40.M. Lindgren Alves voudrait savoir de quelle façon les nomades de France s’identifient eux-mêmes et s’ils souhaitent être appelés «Gens du voyage», «Gitans», «Roms» ou «Tsiganes» et s’ils ont une langue qui leur est propre ou parlent uniquement le français.

41.Faisant référence à la loi Besson mentionnée au paragraphe 101 du rapport à l’examen et notamment à la nouvelle forme d’habitat proposée, M. Lindgren Alves demande comment il est possible de concilier l’idée de nomadisme avec celle «d’ancrage» sur des terrains dits familiaux, autrement dit, le nomadisme et le sédentarisme.

42.Enfin, M. Lindgren Alves aimerait connaître les effets de la loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics depuis son entrée en vigueur en 2004.

43.M. Murillo Martínez, se référant aux paragraphes 11 et 12 du rapport à l’examen, demande à la délégation française un complément d’information sur les travaux du Comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution chargé d’étudier si les droits fondamentaux reconnus par la Constitution doivent être complétés par des principes nouveaux et le cas échéant, dans quelle mesure, et notamment si ces travaux ont abouti en pratique à un élargissement des droits des groupes minoritaires et à l’adoption de mesures correctives visant à améliorer le sort de ces derniers.

44.M. Murillo Martínez apprécierait en outre que la délégation française expose les origines des violences urbaines de 2005, qui semblent traduire un malaise profond au sein de la société française, et dont les médias, y compris internationaux, se sont faits l’écho. Il voudrait savoir si des mesures adaptées ont été prises pour que ces faits ne se reproduisent pas.

45.Enfin, se félicitant de l’adoption d’un plan national d’action contre le racisme et toutes les formes de discrimination, M. Murillo Martínez aimerait savoir quelles manifestations l’État partie envisage d’organiser dans le cadre de l’Année internationale des personnes handicapées.

46.M. Lahiri estime que la France, qui refuse catégoriquement d’instaurer une différence de traitement entre ses citoyens en fonction de leur origine ethnique, voire de dénombrer les personnes issues des différents groupes de population, devrait peut-être revoir sa position sur ce sujet. Il précise que tenir des statistiques démographiques ventilées par origine ethnique, langue ou religion permet de repérer les situations discriminatoires et d’adopter des mesures adéquates et ciblées. Il ajoute que le Comité n’a de cesse de rappeler aux États parties que le refus de reconnaître l’existence de discriminations en s’abstenant d’en mesurer l’ampleur n’a pas pour effet de faire disparaître ces discriminations, et que l’égalité de traitement dans des situations d’inégalité constitue en tant que telle une discrimination.

47.M. Kut voudrait savoir si la recrudescence des propos racistes dans le débat politique français est perçue dans l’État partie comme un problème grave, et si les autorités envisagent de prendre des dispositions pour y remédier.

48.M. Kut se demande comment la loi en cours de préparation concernant la déchéance de la nationalité française pourrait être constitutionnelle et compatible avec les principes fondateurs de la République française, et ce que signifie le terme «français d’origine étrangère».

49.M. Peter apprécierait que la délégation française indique quelles mesures le Gouvernement français a prises pour combattre le racisme dans le sport, et notamment dans le football.

50.Faisant référence à la loi no 228 du 15 mars 2004 interdisant le port d’insignes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse au sein des écoles, collèges et lycées publics, et au projet de loi tendant à interdire le port du voile intégral, qui sera examiné par l’Assemblée nationale à l’automne 2010, M. Peter se demande quelle sera la prochaine interdiction imposée par la France. Il appelle l’attention de la délégation française sur le fait que de telles mesures peuvent être interprétées comme des attaques répétées et systématiques contre les Musulmans de France, qui représentent 10 % de la population.

51.M. Thornberry voudrait savoir si les enfants roms et les enfants des gens du voyage sont victimes de comportements hostiles dans le système scolaire et note, en le déplorant, que le discours politique s’est durci en France à l’égard des membres de la communauté rom.

52.M. Thornberry indique ensuite que la légalité de l’interdiction du port du voile intégral devrait être examinée à la lumière de la Convention en ce qu’elle peut constituer une discrimination indirecte si elle touche de manière disproportionnée un groupe ethnique particulier. Il souhaiterait ensuite savoir si la loi de 2004 sur le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics a eu, depuis son entrée en vigueur en 2004, des effets sur le taux de scolarisation dans l’enseignement public et privé certains enfants de leur droit à l’éducation.

53.Enfin, M. Thornberry dit qu’il ne faudrait pas que le débat sur la laïcité et les valeurs républicaines détourne l’attention sur des théories philosophiques au détriment de l’intérêt qui doit être porté à la réalité sociale et à la situation des droits de l’homme dans le pays.

54.M. Prosper (Rapporteur pour la France) récapitule les grandes questions auxquelles la délégation française devra répondre à la séance suivante.

La séance est levée à 18 heures.