NATIONS

UNIES

CERD

Convention internationale

sur l'élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.

GÉNÉRALE

CERD/C/SR.1546

24 février 2003

Original : FRANÇAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante et unième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1546e SÉANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,le mardi 20 août 2002, à 15 heures

Président : M. DIACONU

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (suite)

Septième à quatorzième rapports périodiques du Mali

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (suite)

Projet de recommandation générale concernant la discrimination fondée sur l’ascendance (suite)

_______________

Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l’une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également incorporées à un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d’édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques du Comité seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la session.

La séance est ouverte à 15 h 10.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 4 de l’ordre du jour) (suite)

Septième à quatorzième rapports périodiques du Mali (CERD/C/407/Add.2; HRI/CORE/1/Add.87)

Sur l’invitation du Président, la délégation malienne prend place à la table du Comité.

M. COULIBALY (Mali), présentant le rapport de son pays, réaffirme tout d’abord l’engagement pris par le Gouvernement de la République malien de ne ménager aucun effort pour exécuter ses obligations découlant de la Convention, à laquelle le Mali est devenu partie le 16 juillet 1974, et s’excuse auprès du Comité pour le retard accumulé par son pays dans la présentation de ses rapports périodiques depuis 1987. Il signale que de nouveaux éléments sont intervenus depuis la publication du rapport à l’examen, notamment les toutes récentes élections présidentielles et législatives.

Comme indiqué dans le chapitre I (Données socioéconomiques) de la première partie du rapport, l’économie malienne est dominée par le secteur agricole, qui occupe 83 % de la population active, la société malienne est constituée à 50,50 % de femmes et à 46,1 % de jeunes de moins de 15 ans, 27 % de la population vivent en milieu urbain, le taux d’analphabétisme est de 84,5 % et le taux de scolarisation de 57 %. La situation sociale a amené le Gouvernement à s’engager dans un programme national de lutte contre la pauvreté (1998). Grâce à l’augmentation des ressources nécessaires à sa mise en œuvre, on constate une amélioration du taux de satisfaction des besoins sociaux et des conditions sanitaires et une meilleure prise en compte de la problématique de la pauvreté, du chômage et du sous-emploi des jeunes, de l’exode rural et de la scolarisation. Le Gouvernement malien s’est néanmoins fixé des actions prioritaires, à savoir le désengagement de l’État, le renforcement du secteur privé, la formation des jeunes et le soutien à l’organisation des producteurs pauvres, sans parler du renforcement des capacités des collectivités décentralisées dans la coordination des actions des intervenants locaux dans la lutte contre la pauvreté.

En ce qui concerne le cadre juridique général, qui fait l’objet du chapitre II de la première partie, M. Coulibaly rappelle que différents régimes se sont succédés au Mali et que la Constitution de 1992 distingue nettement les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Il précise dans ce contexte que l’Assemblée nationale, qui représente le pouvoir législatif, veille au respect des droits de l’homme dans les textes soumis à son adoption. Quant au pouvoir judiciaire, il est totalement indépendant et les autorités ayant compétence en matière de droits de l’homme sont le Médiateur de la République et la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

La deuxième partie du rapport traite du cadre juridique d’application des articles 2 à 7 de la Convention. L’article 2 de la Constitution du Mali, qui stipule que «tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs» et que «toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, le sexe, la religion et l’opinion politique est prohibée», est conforté par l’article 58 du Code pénal. En outre, les articles 9, 10 et 12 de la Constitution, qui offrent des garanties contre la torture, la persécution, les traitements inhumains et les arrestations arbitraires et les articles 29 à 32 et 242 du Code pénal relatifs aux crimes contre l’humanité, au génocide, aux crimes de guerre et à la traite renforcent également ces dispositions.

En référence à l’article 3 de la Convention, M. Coulibaly fait remarquer que le Mali a toujours condamné la ségrégation raciale et l’apartheid. À propos de l’article 4 de la Convention, il signale que ses dispositions sont prises en compte dans les articles 58 et 179 du Code pénal. Il attire l’attention des membres du Comité sur le fait que la question du nord du Mali, qui a connu deux rébellions touaregs ayant conduit par moment à une remise en cause de l’unité nationale est à présent réglée et que l’«Autorité pour le développement intégré du nord Mali» (ADIN) est désormais en charge de la situation. S’agissant de l’article 5 de la Convention, il indique qu’au Mali, toutes les personnes, qu’elles soient maliennes ou étrangères, sont, sauf dispositions légales contraires, égales devant la loi et ont droit, sans distinction aucune, à une égale protection de la loi. Ainsi, toute personne qui s’estime lésée par une mesure prise au nom de l’État peut contester celle‑ci devant les tribunaux de l’ordre judiciaire ou administratif. En un mot, l’État malien ne bénéficie d’aucune immunité pour les cas d’atteinte aux droits de l’homme. La législation malienne relative à la protection des divers droits civils et politiques est exposée aux paragraphes 60 à 102 du rapport. M. Coulibaly tient à souligner que la Constitution malienne pose en son article 4 le principe de la liberté d’opinion et d’expression. Le Mali a également initié depuis 1994 l’«Espace d’interpellation démocratique», qui constitue non seulement une illustration de l’exercice effectif de la liberté d’expression mais permet aussi d’informer le 10 décembre de chaque année l’opinion nationale et internationale de la situation des droits de l’homme dans le pays.

En ce qui concerne les droits économiques, sociaux et culturels, traités aux paragraphes 103 à 137 du rapport, la législation malienne consacre le droit au travail, le droit syndical et le droit de grève, le droit au logement, le droit à la santé, aux soins médicaux, à la sécurité sociale et aux services sociaux, le droit à l’éducation et le droit à la formation professionnelle, le droit de prendre part, dans des conditions d’égalité, aux activités culturelles et sportives et le droit d’accès à tous les lieux et services destinés à l’usage public.

À propos de l’article 6 de la Convention, M. Coulibaly indique qu’au Mali, les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques sont garantis par la Cour constitutionnelle. La Commission nationale consultative des droits de l’homme est chargée de promouvoir et de vulgariser les droits de l’homme dans le pays et d’attirer également l’attention du Gouvernement sur toutes décisions ou actions susceptibles de promouvoir ou de protéger les droits de l’homme. Les ONG et autres associations de défense des droits de l’homme jouent pour leur part un rôle dynamique dans la diffusion de ces droits. En outre, le Gouvernement a élaboé un programme décennal de développement de la justice pour remédier aux dysfonctionnements prononcés du système de justice.

S’agissant de l’article 7 de la Convention, M. Coulibaly dit que le taux brut de scolarisation est de 57,8 % et est nettement plus élevé en milieu urbain qu’en milieu rural, et que les garçons sont plus scolarisés que les filles. Le Gouvernement a mis en place un programme décennal en matière d’éducation et d’enseignement dont les objectifs sont exposés au paragraphe 150 du rapport, il s’est doté d’une politique en matière de diffusion des informations dans les langues nationales et il s’attache à faire connaître le patrimoine culturel et artistique des différentes ethnies et régions du pays.

Enfin, M. Coulibaly tient à rassurer le Comité au sujet de la pratique du «sinangouya» (cousinage à plaisanteries), évoqué au paragraphe 156 du rapport. Cette institution qui permet aux ethnies, aux races ou aux communautés de se tourner en dérision mutuellement par des plaisanteries de tous les jours constitue un élément important de l’unité nationale au Mali. Le sinangouya a fait ses preuves en contribuant à favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre groupes raciaux et entre nations de l’Afrique de l’Ouest. Il ne risque aucunement d’être utilisé comme facteur d’exploitation ou de discrimination.

En conclusion, M. Coulibaly réitère l’attachement du Gouvernement de la République du Mali aux travaux du Comité et formule le vœu que les observations et suggestions que le Comité aura formulées à l’issue de la session aident son pays à réaliser des progrès substantiels dans l’application de la Convention.

M. de GOUTTES (Rapporteur pour le pays) se félicite de la reprise du dialogue entre le Comité et le Mali, après une interruption d’une quinzaine d’années, reprise d’autant plus appréciée que le pays est souvent cité comme l’un des États africains ayant réalisé le plus d’avancées démocratiques en dépit de sa pauvreté.

M. de Gouttes constate tout d’abord que, conformément aux principes directeurs du Comité, le Gouvernement malien a bien distingué les deux parties que doit contenir tout rapport périodique, à savoir une partie générale, exposant le contexte institutionnel, politique, social, économique et ethnique du pays et une partie spéciale concernant la mise en œuvre des articles 2 à 7 de la Convention. De plus, le rapport apporte des réponses sur plusieurs des points qui avaient retenu l’attention du Comité en 1994, notamment la composition ethnique de la population et la situation des groupes ethniques ou raciaux au Mali, la situation des réfugiés ayant quitté le Mali pour la Mauritanie, l’Algérie ou le Burkina‑Faso et l’évolution des institutions, de la législation et de la situation en matière de droits de l’homme.

En ce qui concerne la composition de la population, il ressort du paragraphe 37 du rapport que le Mali est un véritable confluent ethnique, une mosaïque de peuples et une zone de contact entre plusieurs civilisations, de sorte que la notion de minorité ethnique est très relative. Toutefois, à la lumière des discussions qui ont eu lieu lors de la réunion thématique des 8 et 9 août 2002 consacrée à la discrimination fondée sur l’ascendance, M. de Gouttes rappelle qu’il a été fait état de la survivance de phénomènes comparables à celui des «castes» dans cette région de l’Afrique, notamment au Sénégal, et demande à la délégation malienne de faire part au Comité de ses commentaires sur ces informations et d’indiquer si des phénomènes semblables se retrouvent au Mali et si le Gouvernement malien a, le cas échéant, pris des mesures pour réduire de telles pratiques sociales discriminatoires. En référence à la situation dans le nord du Mali, traitée aux paragraphes 38 à 41 du rapport, M. de Gouttes note que la paix est aujourd’hui revenue dans la région depuis la signature du Pacte national (11 avril 1992) entre le Gouvernement malien et les mouvements et fronts unifiés de l’«Azawad» et que l’«Autorité pour le développement intégré du nord Mali» (ADIN) est désormais chargée de parachever la mise en œuvre du Pacte national.

Pour ce qui est du cadre juridique et institutionnel général, M. de Gouttes constate avec satisfaction, d’une part, que le rapport fournit des informations très intéressantes sur l’évolution politique récente de l’État partie, sur l’organisation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, et sur les autorités compétentes en matière de droits de l’homme et, d’autre part, que le Mali a réussi à bâtir en dix ans une démocratie constitutionnelle apaisée. Divers organes judiciaires et administratifs garants des droits de l’homme ont été créés et le rôle des ONG et des associations de protection des droits de l’homme s’est considérablement accru. Il serait utile à cet égard que la délégation fournisse des informations plus complètes sur le bilan d’activités du Médiateur de la République et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Les élections présidentielles d’avril‑mai 2002 auxquelles l’ensemble des partis politiques d’opposition a pu participer ont prouvé que la vie politique malienne avait atteint sa maturité. M. de Gouttes relève également la création de la journée de l’«espace d’interpellation démocratique» (EID), qu’il considère comme une expérience unique, extrêmement intéressante et qui mériterait d’être instituée dans de nombreux pays. En effet, ce forum, qui se tient depuis 1993 le 10 décembre de chaque année à Bamako, permet aux citoyens, aux représentants de la société civile et aux organisations de défense des droits de l’homme, de questionner les membres du Gouvernement sur la situation des droits de l’homme au Mali.

S’agissant du contexte économique et social général du Mali, il est reconnu avec franchise dans le rapport que l’une des questions lancinantes, depuis l’accession du Mali à l’indépendance, est celle du développement, cet État faisant partie des pays les moins avancés. Aux problèmes de l’accès des divers groupes ethniques au développement et de la répartition des richesses entres ces différents groupes, déjà relevés par le comité en 1986 et 1994, se sont ajoutés plusieurs autres problèmes énumérés aux paragraphes 9, 42 et suivants du rapport. Le Comité attache donc le plus grand intérêt au programme national de lutte contre la pauvreté lancé en 1998 par le Gouvernement malien. Il serait utile que la délégation malienne en expose en détail le contenu et dresse un premier bilan de cette expérience.

La deuxième partie du rapport relative à l’application des articles 2 à 7 de la Convention contient, de l’avis de M. de Gouttes, des informations très intéressantes, même si certaines d’entre elles ne relèvent pas directement de la Convention, mais plutôt des deux pactes internationaux relatifs respectivement, aux droits civils et politiques, et aux droits économiques, sociaux et culturels. Ainsi, le rapport expose de manière complète les textes constitutionnels et législatifs maliens qui consacrent le droit à l’égalité et interdisent toutes les formes de discrimination, notamment l’article 2 de la Constitution et les articles 58 et 179 du Code pénal. M. de Gouttes estime que ces dispositions sont de nature à répondre aux exigences de l’article 4 de la Convention, même s’il n’existe pas d’incrimination spécifique de la diffusion d’idées racistes, ni de circonstance aggravante générale visant toutes les infractions motivées par des considérations raciales.

À propos de l’article 43 de la loi du 7 juillet 2000, cité au paragraphe 75, qui interdit la constitution et l’organisation de partis politiques sur une base ethnique, religieuse, linguistique, régionaliste, sexiste ou professionnelle, il rappelle que le Comité avait en 1994 attiré l’attention du Gouvernement malien sur le fait que le régionalisme n’était pas nécessairement une manifestation de racisme et d’ethnocentrisme et que le droit de chaque groupe ethnique à une expression propre pouvait être un facteur important de consolidation de l’unité nationale. Il souhaiterait que la délégation malienne expose son point de vue sur la question. Cela dit, M. de Gouttes regrette que le rapport ne fournisse pas d’indication sur l’application pratique des textes cités, ce qui est essentiel pour évaluer l’efficacité du dispositif de lutte contre la discrimination raciale ou ethnique. Il conviendrait par conséquent que des informations plus complètes soient données à ce sujet, d’ores et déjà par la délégation ou dans le rapport périodique suivant.

S’agissant de l’application de l’article 5 de la Convention, M. de Gouttes souligne que ce n’est pas tant l’énumération des dispositions protégeant les différents droits civils, politiques, économiques, sociaux ou culturels qui intéresse le Comité que des informations sur les discriminations qui peuvent subsister dans la jouissance de ces droits par certains groupes de la société et les mesures prises pour y remédier. Le quinzième rapport périodique devrait, à son avis, mettre davantage l’accent sur cet aspect. Il conviendrait également que le Gouvernement malien fournisse des informations complémentaires sur les effets des mesures qui ont été prises pour améliorer le sort des «talibé» (élèves des écoles coraniques) et des «garibous» (mendiants), sur la teneur du plan d’action national destiné à lutter contre le trafic des enfants à des fins d’exploitation par le travail ainsi que contre certains abus de l’adoption internationale, sur la façon dont le Gouvernement entend agir pour réduire les phénomènes subsistants de «castes» et sur les résultats enregistrés par le Ministère chargé de la promotion de la femme et de la famille. M. de Gouttes se demande notamment si le Gouvernement a réussi à réduire les pratiques traditionnelles d’excision des femmes, encore très répandues en milieu rural.

En ce qui concerne l’application de l’article 6 de la Convention, force est de constater que le rapport ne fournit pas de renseignements sur l’existence de plaintes, de poursuites ou de jugements pour des actes de discrimination raciale. Étant donné que cette absence de plaintes et de poursuites n’est pas nécessairement une donnée positive, M. de Gouttes invite l’État partie, à fournir dans son rapport suivant, des renseignements sur les procédures judiciaires intentées en relation avec des infractions raciales, soit sous la forme de statistiques judiciaires générales, soit en citant quelques exemples ou cas significatifs.

Concernant l’application de l’article 7 de la Convention, M. de Gouttes note que le rapport fait état, avec franchise, d’indicateurs de discriminations socioculturelles dont souffrent les populations rurales par rapport aux populations urbaines, notamment en matière de scolarisation et d’alphabétisation. Il demande à la délégation malienne de bien vouloir indiquer quels ont été les efforts accomplis au cours des dernières années par le Gouvernement malien pour remédier à ces disparités. Le Comité souhaiterait également recevoir de plus amples informations sur l’introduction nouvelle de l’enseignement des droits de l’homme dans la formation des magistrats, des auxiliaires de justice et des fonctionnaires des ministères de la défense et de la sécurité avec, si possible, un premier bilan éventuel de cette mesure. Le Comité prend note par ailleurs avec satisfaction des efforts faits pour diffuser des informations en langues nationales et pour promouvoir ces langues nationales, ainsi que des informations contenues dans le rapport relatives à la liberté de la presse au Mali et à la multiplication des organes de presse depuis l’avènement de la démocratie. Il serait intéressant, à cet égard, de savoir quels ont été les commentaires de la presse malienne sur la Conférence mondiale de Durban contre le racisme, et aussi sur les attentats du 11 septembre 2001 et les politiques de lutte contre le terrorisme qui ont été mises en œuvre à la suite de ces événements.

À propos de la coutume originale du «sinangouya», qui, à première vue, contribue par l’humour et la plaisanterie, à combattre les préjugés raciaux ou ethnicistes et à pacifier les rapports sociaux, M. de Gouttes se demande toutefois si, compte tenu des préjugés de castes qui subsistent ça et là et des stéréotypes sociaux véhiculant encore l’idée de castes supérieures et de castes inférieures, voire d’ethnies supérieures et d’ethnies inférieures, cette coutume ne risque pas d’avoir aussi des effets pervers, de susciter des dérapages, de stigmatiser certaines groupes et d’entretenir dans les mentalités certains préjugés de type raciste.

Pour terminer, M. de Gouttes demande à l’État partie quelles mesures a prises – ou envisage de prendre – le Gouvernement malien pour faire mieux connaître au public le texte de la Convention, ainsi que les conclusions et recommandations du Comité, si les organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme ont été consultées lors de l’élaboration du rapport périodique ou y ont été associées, si le Mali envisage de faire la déclaration facultative prévue à l’article 14 de la Convention et comment le Gouvernement malien entend mettre en œuvre le Programme d’action adopté par la Conférence mondiale de Durban contre le racisme.

M. THIAM regrette que le rapport du Mali ne soit pas conforme aux Principes directeurs du Comité concernant la forme et la teneur des rapports et ne soit pas à la mesure des nombreux efforts déployés par le Gouvernement malien pour lutter contre la discrimination raciale. Il suggère qu’à l’avenir, le Gouvernement malien sollicite l’aide du Comité pour la rédaction de ses rapports.

M. Thiam demande ensuite quelle place occupe la Convention dans le système juridique malien, et notamment si ce dernier consacre la primauté du droit international sur le droit interne en cas de conflit entre les textes, et s’il est possible d’invoquer directement la Convention devant les tribunaux. Il aimerait également avoir un complément d’information sur les activités entreprises par le Médiateur de la République, qui comme de nombreuses autres questions, ne sont pas suffisamment détaillées dans le rapport. Se référant au paragraphe 75 du rapport, M. Thiam demande quelles raisons ont poussé le Mali à interdire la constitution ou l’organisation de partis sur une base ethnique (loi du 7 juillet 2000). Le législateur craignait‑il que cela fragilise le climat politique malien?

M. Thiam souhaiterait également obtenir de plus amples renseignements sur le «sinangouya», pratique qui semble être un facteur d’unité nationale en contribuant à l’élimination des barrières entre les différentes ethnies, races et communautés. Enfin, il demande par quel moyen les autorités maliennes diffusent les principes de la Convention auprès des citoyens; il croit en effet savoir que dans la tradition malienne, il existe d’autres moyens que les médias pour transmettre l’information au sein de la population, notamment les griots, dont le rôle en la matière est incontestable.

M. VALENCIA RODRIGUEZ rappelle tout d’abord que le Mali est l’un des pays les plus pauvres du monde, ce qui explique qu’il ait des difficultés à mettre en œuvre la Convention. Malgré cela, l’État partie devrait faire tout son possible pour améliorer la situation et les organismes internationaux compétents devraient lui fournir l’aide nécessaire à cet égard.

D’après M. Valencia Rodriguez, les objectifs du programme national de lutte contre la pauvreté mentionnés aux paragraphes 8 et 9 du rapport revêtent une grande importance, mais une attention particulière devrait être accordée à la satisfaction des besoins sociaux essentiels de la population. Il souhaiterait savoir par ailleurs si tous les groupes ethniques énumérés au paragraphe 37 du rapport sont représentés au sein du pouvoir législatif et du Gouvernement, conformément au principe de souveraineté populaire mentionné au paragraphe 20. Il demande également de plus amples informations sur le fonctionnement de l’institution du Médiateur de la République et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme; ces deux organes peuvent‑ils être saisis d’affaires de discrimination raciale et l’ont‑ils déjà été? Étant donné qu’il est dit au paragraphe 38 du rapport que le Mali a connu entre 1960 et 1964 les deux rébellions touaregs s’expliquant par l’état de sous‑développement général du pays, il conviendrait que l’État partie indique quelles mesures le Gouvernement a prises pour faire face à cette situation – en d’autres termes – pour améliorer le sort des Touaregs.

Notant que l’article 58 du Code pénal malien cité au paragraphe 32 du rapport ne répond qu’en partie aux obligations énoncées à l’alinéa a de l’article 4 de la Convention et que l’article 179 du Code pénal réprime les comportements racistes à l’occasion des manifestations culturelles et sportives uniquement. M. Valencia Rodriguez estime que des informations plus complètes devraient être fournies à ce sujet, s’agissant en particulier des mesures prises pour appliquer les dispositions de l’alinéa b de l’article 4. Il se dit aussi préoccupé par la situation des enfants talibé et garibou décrite aux paragraphes 49 et 50 et met l’accent sur la nécessité, pour le Gouvernement, d’accorder une attention particulière à cette question.

Selon le paragraphe 58 du rapport, le fait qu’environ 4 millions de Maliens vivent à l’extérieur du pays, peut s’expliquer par «une forte tradition de conquête». M. Valencia Rodriguez invite la délégation à expliquer le sens de cette expression. D’autre part, tout en se félicitant de la création de l’Agence nationale d’investissement des collectivités territoriales, M. Valencia Rodriguez demande de plus amples informations sur le fonctionnement de cette entité, et notamment sur l’allocation des ressources en vue de promouvoir le développement des groupes minoritaires.

Se référant aux paragraphes 104 et suivants sur le droit au travail, M. Valencia Rodriguez souhaiterait que la délégation fournisse davantage de données statistiques sur la représentation de membres de groupes minoritaires sur le marché du travail, et notamment sur les principaux secteurs d’activité dans lesquels ils travaillent. Il demande aussi si la politique adoptée dans le cadre de la Stratégie nationale du logement a eu des effets positifs sur la situation des groupes marginalisés. D’autre part, la situation dans les domaines de la santé et de l’éducation restant préoccupante, il recommande au Gouvernement de continuer à accorder à ces problèmes une attention prioritaire.

Enfin, M. Valencia Rodriguez demande un complément d’information sur la mise en œuvre de l’article 6 de la Convention, notamment en ce qui concerne les recours judiciaires que les victimes potentielles d’actes de discrimination peuvent exercer pour obtenir réparation.

M. AMIR dit que toutes les questions qu’il aurait pu soulever au sujet du rapport du Mali ont déjà été posées par les experts qui l’ont précédé. Il importe toutefois de ne pas perdre de vue, dans l’optique de l’application de la Convention, la situation géographique du pays composé en grande partie d’espaces désertiques et sa faible densité démographique, qui avoisine 8 habitants au km2, au niveau national et 4 000 habitants au km2 dans la capitale, Bamako, ainsi que sa sous‑urbanisation. Tous ces éléments peuvent constituer un obstacle à la mise en œuvre efficace des dispositions de la Convention, et donc à la lutte contre la discrimination, ne serait‑ce qu’en raison des difficultés de communication de l’information requise.

M. HERNDL rappelle qu’en vertu de l’article 4, les États parties s’engagent à la fois à déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous actes de violence et à déclarer illégales et à interdire les organisations ainsi que les activités de propagande organisée (…) qui incitent à la discrimination raciale. À cet égard, il semble que l’article 179 du Code pénal ne réponde pas entièrement à ces obligations.

Par ailleurs, M. Herndl fait remarquer que les dispositions de la loi du 7 juillet, qui interdisent aux partis politiques de se constituer et s’organiser sur une base ethnique, religieuse, linguistique, régionaliste, sexiste ou professionnelle, constituent une atteinte à la liberté d’association. M. Herndl souligne le paradoxe qui veut qu’en l’état actuel des choses, la liberté d’association soit mise à mal tandis qu’aucune disposition n’interdit les actes racistes et la propagation d’idées racistes.

Enfin, M. Herndl demande pour quelles raisons le Gouvernement malien n’a pas encore ratifié l’amendement à l’article 8 de la Convention et s’il envisage de le faire dans un avenir proche.

M. ABOUL‑NASR, vivement préoccupé par le sort que connaissent de nombreux enfants victimes de la traite, demande quelles sont les grandes lignes de l’accord de coopération signé le 1er septembre 2000 avec la République de la Côte d’Ivoire, qui fixe les modalités de rapatriement et d’insertion de ces enfants. Il demande en outre ce qu’il faut entendre par «insertion» et si les 500 enfants qui ont pu être rapatriés au Mali en 1999‑2000 ont réintégré leur milieu familial.

Au paragraphe 104 du rapport il est fait mention non seulement du droit au travail mais aussi du fait que le «travail est un devoir pour tous». M. Aboul‑Nasr se demande si la notion de «devoir» ne rejoint pas la notion de «travail forcé» contre laquelle se bat l’OIT. Il demande à la délégation de donner son opinion sur la question.

Enfin, M. Aboul‑Nasr voudrait savoir quelle est l’ampleur de la pandémie de sida au Mali et si les organismes internationaux compétents font suffisamment pour aider le pays à lutter contre ce fléau.

Le PRÉSIDENT dit que la délégation malienne sera invitée à répondre aux questions des membres du Comité à la séance suivante.

La séance est suspendue à 16 h 25; elle est reprise à 16 h 40.

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (suite)

Projet de recommandation générale concernant la discrimination fondée sur l’ascendance (CERD/C/61/Misc.29) (document distribué en séance, en anglais seulement) (suite)

Le PRÉSIDENT invite les membres du Comité à poursuivre l’examen paragraphe par paragraphe du dispositif du projet de recommandation générale.

Measures of a general nature (Mesures d’ordre général)

Paragraphe 1

M. RECHETOV propose de remplacer, à la sixième ligne du texte anglais, le terme «residence» par «education».

Le paragraphe 1, ainsi modifié, est adopté.

Paragraphes 2 à 9

Les paragraphes 2 à 9 sont adoptés.

Paragraphe 10

Après un échange de vues auquel participent M. THORNBERRY, M. RESHETOV, M. THIAM, M. YUTZIS, M. LINDGREN ALVES et M. SICILIANOS, il est décidé de fusionner les paragraphes 10 et 11 en un seul paragraphe qui se lirait comme suit : «To conduct periodic surveys on the reality of descent-based discrimination, and to provide disaggregated information in their reports to the Committee on the geographical distribution and economic and social conditions of such descent-based communities, including a gender perspective.» (Réaliser des enquêtes périodiques sur la discrimination fondée sur l’ascendance et fournir des données ventilées dans leurs rapports au Comité concernant la répartition géographique et la situation socioéconomique des communautés victimes de discrimination fondée sur l’ascendance, y compris des données sexospécifiques).

Le paragraphe 10, ainsi modifié, est adopté.

Paragraphe 11

Le paragraphe 11 est supprimé.

Multiple discrimination against women members of descent-based communities (Discrimination multiple à l’égard des femmes membres des communautés visées)

Paragraphes 12 à 14

Les paragraphes 12 à 14 sont adoptés.

Segregation (Ségrégation)

Paragraphe 15

Après un échange de vues auquel participent M. YUTZIS, M. AMIR, M. THORNBERRY et m. de Gouttes, il est décidé de remplacer, à la fin du paragraphe, les termes «may result» (peuvent découler) par «resulting» (qui découlent).

Le paragraphe 15, ainsi modifié, est adopté.

Paragraphe 16

Le paragraphe 16 est adopté.

Paragraphe 17

Après un échange de vues auquel participent M. THORNBERRY, M. THIAM, M. BOSSUYT et le PRÉSIDENT, il est decidé de reformuler le paragraphe comme suit : «To secure to everyone the right of access on an equal and non-discriminatory basis to any place or service intended for use by the general public.» (Garantir à chacun le droit d’accès, sur un pied d’égalité et sans discrimination, à tous lieux ou services destinés à l’usage public.)

Le paragraphe 17, ainsi modifié, est adopté.

Paragraphe 18

M. THIAM, appuyé par M. THORNBERRY, propose de supprimer les termes «to members of affected communities» (aux membres des communautés visées) après le terme «accessible» (accessibles) et de remplacer «other» (les autres) par «all» (tous les) avant «members of society» (membres de la société) à la fin du paragraphe.

Le paragraphe 18, ainsi modifié, est adopté.

Hate speech, including speech disseminated through the Internet (Propos incitant à la haine, notamment ceux diffusés via l’Internet)

M. YUTZIS, appuyé par M. KJAERUM et M. THORNBERRY, dit qu’il faudrait modifier ce sous-titre afin qu’il soit clair que des propos incitant à la haine ne sont pas diffusés uniquement via l’Internet mais aussi par les médias. Il propose le libellé suivant : «Dissemination of hate speech, including the use of mass media and the Internet» (Diffusion de propos incitant à la haine, notamment via les médias et l’Internet).

Le PRĖSIDENT dit que s’il n’y a pas d’objection, il considérera que le Comité accepte cette proposition.

Il en est ainsi décidé.

Paragraphes 19 à 21

Les paragraphes 19 à 21 sont adoptés.

Administration of Justice (Administration de la justice)

Paragraphes 22 à 27

Les paragraphes 22 à 27 sont adoptés.

Civil and Political Rights (Droits civils et politiques)

Paragraphes 28 à 33

Les paragraphes 28 à 33 sont adoptés.

Paragraphe 34

M. SHAHI, appuyé par M. THIAM, dit que le paragraphe 34 n’est pas pertinent en l’espèce, personne, en effet, n’ayant jamais contesté le droit à la citoyenneté aux communautés concernées, et qu’il vaut mieux le supprimer.

Le paragraphe 34 est supprimé.

Economic, social and cultural rights (Droits économiques, sociaux et culturels)

Paragraphe 35

M. THIAM, appuyé par M. THORNBERRY, propose de remplacer les termes «to benefit members of descent-based communities» (en faveur des membres des communautés victimes d’une discrimination fondée sur l’ascendance) par «on an equal and non discriminatory basis» (fondés sur l’égalité et la non‑discrimination).

Le paragraphe 35, ainsi modifié, est adopté.

Paragraphe 36

M. YUTZIS, appuyé par M. LINDGREN et M. de GOUTTES, estime que ces communautés victimes d’une discrimination fondée sur l’ascendance ne sont pas seulement marginalisées au plan social mais sont bien souvent aussi exclues de la société. Il propose donc d’ajouter, à la fin du paragraphe, après «social marginalization», les mots «or exclusion» (ou leur exclusion).

Le paragraphe 36, ainsi modifié, est adopté.

Paragraphe 37

M. BOSSUYT juge tautologique le terme «international» dans l’expression «international intergovernemental organizations» (organisations intergouvernementales internationales) et propose de le supprimer.

Le paragraphe 37, ainsi modifié, est adopté.

Paragraphes 38 à 44

Les paragraphes 38 à 44 sont adoptés.

Paragraphe 45

M. THIAM tient à préciser que le problème n’est pas d’éliminer la pratique du «manual scavenging» (collecte manuelle des ordures) mais d’éliminer les conditions dégradantes, voire inhumaines, qui sont attachées à une tâche bien souvent réservée à certaines catégories d’individus, des personnes indignes d’effectuer un autre travail.

M. YUTZIS souscrit à l’observation de M. Thiam : ce n’est pas la pratique de la collecte manuelle des ordures en tant que telle qui est dégradante mais les conditions dans lesquelles elle s’effectue. Il propose donc de modifier le paragraphe 45 comme suit : «To take resolute action to eliminate the inhuman and degrading conditions of manual scavenging» (Prendre des mesures résolues afin d’éliminer les conditions inhumaines et dégradantes de la collecte manuelle d’ordures).

M. THORNBERRY tient à ce qu’il soit précisé que les activités de collecte manuelle d’ordures ne sont pas toutes effectuées dans des conditions dégradantes et inhumaines. Il propose donc de reformuler la phrase ainsi : «To take resolute action to eliminate the inhuman and degrading conditions attached to certain forms of manual scavenging insofar as they are connected to descend-based discrimination» (Prendre des mesures résolues afin d’éliminer les conditions inhumaines et dégradantes attachées à certaines formes de collecte manuelle d’ordures dans la mesure où elles sont liées à une discrimination fondée sur l’ascendance).

M. de GOUTTES estime qu’il ne s’agit pas d’éliminer le caractère dégradant de l’activité en question, mais les discriminations attachées à l’appartenance à une caste dans l’accomplissement des activités dégradantes qu’impliquent la collecte manuelle des ordures et la servitude pour dettes.

Le PRÉSIDENT indique que, faute de temps, le Comité reprendra l’examen de ce paragraphe à une séance ultérieure.

La séance est levée à 18 heures.

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