NATIONS

UNIES

CERD

Convention internationale

sur l’élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.GÉNÉRALE

CERD/C/SR.166619 janvier 2005

Original: FRANÇAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante‑cinquième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 1666e SÉANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,le mardi 17 août 2004, à 15 heures

Président: M. YUTZIS

SOMMAIRE

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (suite)

Échange de vues avec le Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant

La séance est ouverte à 15 h 5.

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (point 2 de l’ordre du jour) (suite)

Échange de vues avec le Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant

1.Le PRÉSIDENT remercie le Rapporteur spécial sur le logement convenable d’être venu prendre part à un échange de vues avec le Comité sur les points d’intersection entre le droit au logement et le problème de la discrimination et l’invite à prendre la parole.

2.M. KOTHARI (Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant) dit que le mandat qui lui a été confié par la Commission des droits de l’homme en 2000 porte sur le droit au logement en général, y compris tel qu’il est énoncé dans les dispositions pertinentes de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (art. 14, par. 2 h) et de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (art. 3 et 5). Le Rapporteur spécial interprète son mandat au sens large, qui comprend des questions telles que les droits fonciers, l’accès aux services de base, les expulsions forcées et, tout particulièrement, les droits fonciers et successoraux des femmes. Il travaille en collaboration étroite avec les États, la société civile, les organes de suivi de l’application des traités relatifs aux droits de l’homme et les organismes des Nations Unies.

3.Le Rapporteur spécial partage ses activités entre les missions dans les pays, qui ont lieu deux ou trois fois par an, l’établissement de rapports thématiques annuels à la Commission des droits de l’homme, la participation à des manifestations internationales, comme la Conférence mondiale de Durban et les réunions de suivi organisées par la suite en Afrique, et la collaboration avec les organes de suivi de l’application des traités, notamment le Comité des droits économiques, sociaux et culturels et le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Dans ses travaux, le Rapporteur spécial se sert des articles 3 et 5 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, des observations finales du Comité concernant les pays où il est appelé à se rendre en mission, ainsi que des recommandations générales XIX (ségrégation raciale), XXIX (discrimination fondée sur l’ascendance) et XXX (discrimination contre les non-ressortissants) du Comité. À cet égard, il note avec satisfaction que le Comité intègre systématiquement le droit au logement dans ses observations finales destinées aux États parties.

4.Outre les activités décrites précédemment, à la demande de la Commission, le Rapporteur spécial s’est penché en particulier sur la situation des femmes au regard du droit au logement et aux droits fonciers. À cette fin, des consultations régionales ont été organisées afin d’entendre les témoignages des intéressées, qui ont clairement montré qu’elles subissent une discrimination double, voire multiple, notamment lorsqu’elles sont atteintes du VIH/sida ou handicapées. En Asie notamment, les conditions de logement des femmes migrantes, qui se trouvent parfois contraintes de vivre dans des réduits (closets) ou s’entassent un grand nombre de personnes, les rendent tout particulièrement vulnérables à toutes sortes d’abus, dont le viol.

5.Le Rapporteur spécial a identifié quatre phénomènes qui, faute d’être dûment pris en compte, affectent gravement certaines communautés dans leur jouissance du droit au logement. Le premier, l’urbanisation, qui se développe fortement partout dans le monde, a pour conséquence notamment d’intensifier la discrimination à l’égard des communautés locales dans l’accès aux services de base et la participation aux processus décisionnels. Le deuxième, l’expulsion forcée et le déplacement de groupes de population, ne fait l’objet d’aucun contrôle et touche particulièrement les minorités ethniques et les populations autochtones, qui non seulement subissent des violences au moment de l’expulsion, mais aussi sont contraintes de se réinstaller dans des zones dépourvues d’accès aux services de base, aux soins de santé et à l’éducation. Le troisième phénomène, la mondialisation, qui se manifeste notamment par la privatisation des services publics, entraîne une détérioration de la situation des minorités en matière d’accès au logement et aux services de base.

6.Dans le cadre de ses fonctions, M. Kothari s’est rendu à l’île d’Alcantara (Brésil) où vit une communauté composée de descendants d’esclaves africains, les Quilombolas. En prévision de la construction d’une base de lancement sur cette île, ces personnes ont été déplacées et réinstallées dans une zone où elles n’ont pas accès aux services de base. Le Rapporteur spécial aimerait savoir si le Comité estime possible d’appeler l’attention de l’État partie concerné sur la recommandation générale XXIX sur la discrimination fondée sur l’ascendance.

7.Dans le cadre de la préparation du rapport qu’il présentera en 2005 à la Commission des droits de l’homme, qui sera consacré à la question des sans-abri, le Rapporteur spécial s’est intéressé à la situation de familles de la ville de Chicago (États-Unis d’Amérique), qui ont été contraintes de quitter leur logement après la suppression des aides publiques dont elles dépendaient. Les tentatives de relogement de ces familles ont en fait aggravé la situation déjà alarmante des sans‑abri, des études fiables montrant que plus de 80 % de ces familles ont été relogées dans des quartiers très pauvres à forte concentration d’Africains‑Américains. Étant donné que cette aggravation de la situation résulte directement d’une politique des pouvoirs publics, il y a lieu de se demander si l’État partie en question respecte ses obligations au regard de la Convention.

8.Pour conclure, le Rapporteur spécial propose aux membres du Comité de collaborer avec lui dans une série de domaines. Par exemple, lorsqu’il prépare une mission dans un pays, le Comité pourrait lui fournir des informations issues de l’examen du rapport du pays en question, afin de le mettre en mesure d’assurer un suivi plus systématique des observations finales du Comité, une fois sur place. De son côté, le Rapporteur spécial pourrait soumettre au Comité une liste de questions types sur le droit au logement et la discrimination à poser aux États parties lorsqu’il examine leurs rapports.

9.Par ailleurs, il souhaiterait que le Comité l’aide à déterminer comment pourraient s’articuler les dispositions de la Convention, selon lesquelles les États parties sont tenus de prendre immédiatement des mesures pour mettre fin à une situation de discrimination, et le droit au logement. La question se pose en effet de savoir ce que devrait faire un État pour remédier immédiatement à une situation de discrimination dans le domaine du logement.

10.Enfin, le Rapporteur spécial propose au Comité de lui communiquer des informations sur les résultats encourageants de certains de ses travaux, notamment l’expérience menée au Mexique avec les autochtones, afin que le Comité puisse utiliser ces renseignements lors de l’examen des rapports des États parties concernés.

11.M. AMIR dit qu’il conviendrait que le Comité se penche sur les législations nationales des pays susceptibles d’être touchés par des catastrophes naturelles, notamment les tremblements de terre, et de veiller à ce qu’elles prévoient des dispositions sur la sécurité des constructions. En effet, on peut constater qu’en cas de séisme les personnes les plus touchées appartiennent généralement aux catégories les plus défavorisées de la population, car elles vivent dans des logements précaires. Le droit à lui seul ne suffit pas, sans la volonté politique de le mettre en application. Il faudrait donc, à cet égard, que le Rapporteur spécial et les membres du Comité réfléchissent ensemble à l’article 5 de la Convention.

12.M. CALITZAY prie le Rapporteur spécial de citer d’autres exemples positifs de son action concernant les autochtones et de fournir au Comité, s’il en dispose, des informations sur les déplacements massifs d’autochtones dans l’ensemble du continent américain.

13.Sachant qu’au Guatemala des logements continuent d’être construits aux abords de volcans en activité, ce qui les rend extrêmement vulnérables, M. Calitzay suggère au Rapporteur spécial d’examiner la question de la sécurité de ces logements.

14.M. KJAERUM, notant avec satisfaction que M. Khotari utilise les observations finales et les recommandations générales du Comité pour ses travaux, le prie de faire part aux membres du Comité de suggestions susceptibles de les améliorer. Étant donné qu’il y a rarement des informations sur le logement dans les rapports que le Comité reçoit des États parties ainsi que des organisations non gouvernementales, M. Kjaerum saurait gré au Rapporteur spécial d’indiquer au Comité comment il pourrait en obtenir par d’autres voies.

15.En ce qui concerne les articles 3 et 5 de la Convention, les critères permettant de déterminer qu’une violation relève plutôt de la ségrégation que de la discrimination sont difficiles à établir; aussi M. Kjaerum souhaiterait-il connaître l’avis du Rapporteur spécial sur la question, eu égard en particulier au problème épineux de la ségrégation résultant des activités du secteur privé. Enfin, il prend note avec intérêt de la proposition tendant à ce que le Rapporteur spécial communique au Comité une liste de questions types sur le logement, car cela permettrait au Comité d’étudier les rapports de manière encore plus ciblée.

16.M. PILLAI rappelle que la question de la discrimination en matière de logement mérite la plus grande attention car ce sont généralement les groupes et communautés marginalisés qui n’ont pas accès à un logement convenable ou, pire encore, sont sans abri. Il ajoute que, dans le cadre de l’examen des rapports présentés au Comité par les États parties en vertu de la Convention, le Comité s’attache tout particulièrement à évaluer les politiques, procédures et programmes mis en œuvre par ces derniers pour combattre ces phénomènes, mais qu’il lui manque souvent des informations pertinentes permettant de déterminer dans quelle mesure la population jouit librement du droit au logement. Une collaboration avec le Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant serait du plus grand intérêt en ce qu’elle permettrait au Comité de se fonder sur des données concrètes pour élaborer ses recommandations. Enfin, M. Pillai accueille favorablement la proposition du Rapporteur spécial de fournir au Comité une liste de questions types concernant le droit au logement, qui pourront être posées aux délégations des États parties à l’occasion de l’examen des rapports.

17.M. ABOUL-NASR demande au Rapporteur spécial s’il lui serait possible de communiquer au Comité les conclusions de ses missions dans les pays, grâce auxquelles le Comité pourrait se faire une idée plus précise de la mise en œuvre des différents droits énoncés dans la Convention.

18.M. SHAHI souligne qu’il importe que les États veillent à faire respecter le droit au logement, dont découle la jouissance d’autres droits tels que le droit à l’éducation ou le droit aux soins de santé de base. Il voudrait savoir si le Rapporteur spécial dispose de données statistiques précises permettant de déterminer l’ampleur du phénomène des sans-abri dans le monde et s’il peut indiquer quelles sont les répercussions de la mondialisation sur la jouissance ou non du droit au logement.

19.M. AVTONOMOV rappelle que ce sont la plupart du temps les couches les plus pauvres de la population et les minorités ethniques qui sont privées du droit fondamental à un logement suffisant, et regrette que les mesures prises par les gouvernements en matière de logement ne bénéficient pas en général aux personnes particulièrement démunies, vivant dans des conditions extrêmement précaires, telles que les Quilombolas du Brésil.

20.M. VALENCIA RODRIGUEZ, soulignant que le droit à la propriété est un droit fondamental, demande au Rapporteur spécial s’il a observé, dans l’exercice de ce droit, des différences liées aux systèmes juridiques en vigueur dans les pays, notamment en ce qui concerne l’expropriation − qui est souvent accompagnée d’une discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique − et l’indemnisation des personnes concernées.

21.M. de GOUTTES dit qu’il ne faut pas négliger les informations fournies dans les communications individuelles adressées au Comité, dont plusieurs ont déjà révélé des violations du droit au logement pour des motifs manifestement liés à l’origine ethnique ou à la race des personnes lésées. Il appelle l’attention sur le fait que ces discriminations sont souvent commises par des agences immobilières privées, ce qui pose la question de savoir comment l’État peut intervenir pour prévenir et sanctionner de telles infractions.

22.M. THORNBERRY dit que la recommandation générale XXIX concernant la discrimination fondée sur l’ascendance, adoptée par le Comité en 2002, traite principalement du système des castes, mais que selon lui les descendants d’esclaves, tels que les Quilombolas du Brésil, entrent également dans le champ d’application de cette recommandation.

23.M. Thornberry met en garde contre toute confusion entre la ségrégation institutionnalisée, qui vise parfois des groupes de population donnés au sein d’une société, et le choix que font parfois certaines communautés, comme les nouveaux immigrants dans un pays, de se regrouper et de vivre en autarcie. En conséquence, les politiques antiségrégationnistes ne peuvent pas décemment être imposées à ces groupes contre leur gré.

24.M. KOTHARI (Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant) dit qu’il y a dans le monde 600 millions de personnes dans les villes et 1 milliard de personnes dans les campagnes vivant dans des logements précaires, et 100 millions de sans-abri, les femmes et les enfants étant à cet égard les plus vulnérables. Cette situation est, selon le Rapporteur spécial, principalement due au manque d’intérêt de la communauté internationale pour cette question, même si son mandat traduit une volonté certaine de l’ONU de s’attaquer à ce problème.

25.M. Kothari dit qu’il serait particulièrement utile que le Comité élabore une recommandation générale sur la question de la discrimination en matière de logement, qui non seulement concrétiserait la réflexion entreprise par le Comité sur cette question depuis de nombreuses années, mais encore guiderait les États et les commissions nationales des droits de l’homme en la matière.

26.M. Khotari dit ensuite que le fait que des communautés d’immigrants choisissent de vivre repliées sur elles‑mêmes, en marge de la société, n’est pas en soi un problème dès lors qu’elles jouissent des droits fondamentaux tels que l’éducation ou la sécurité, ce qui n’est pas généralement le cas des Roms en Europe. Il est donc absolument indispensable que les États adoptent une approche fondée sur la non-discrimination en toutes circonstances et veillent à ce que toutes les personnes résidant sur leur territoire aient accès aux services de base, quel que soit le mode de vie qu’elles ont choisi.

27.Le Rapporteur spécial confirme que ce sont en général les personnes les plus vulnérables ayant construit elles-mêmes leur logement qui se trouvent sans abri à la suite des catastrophes naturelles, et estime qu’il est urgent que des normes de construction soient établies pour éviter que les populations les plus vulnérables se retrouvent dans des conditions de vie précaires.

28.Le Rapporteur spécial se félicite de ce que les membres du Comité ont accueilli avec satisfaction sa proposition de fournir au Comité une liste de questions types relatives au logement, qu’ils pourront utiliser dans le cadre de l’examen des rapports des États parties, et s’engage à communiquer prochainement ce document au Comité. Par ailleurs, il estime qu’il serait peut-être judicieux qu’il saisisse le Comité de certaines affaires de discrimination portées à sa connaissance dans le cadre de ses missions dans les pays. Il recommande en outre au Comité de travailler étroitement et régulièrement avec l’ONU-Habitat et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, pour toutes les questions relatives au logement.

29.M. Khotari a observé dans le cadre de son mandat qu’il est rare que les personnes qui perdent leur logement obtiennent réparation, puisque c’est la plupart du temps les conflits qui sont à l’origine de cette situation. Il dit que c’est une question qui mérite d’être approfondie.

30.Enfin, évoquant sur la discrimination dont certaines communautés au Kenya sont victimes en raison de leur lignée, le Rapporteur spécial pense qu’il serait très utile de définir les diverses formes de discrimination fondées sur l’ascendance − dont la discrimination en matière de logement − en vue d’élaborer de nouvelles normes en la matière.

31.Le PRÉSIDENT se félicite de l’échange de vues fructueux qui a eu lieu entre les membres du Comité et le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur le logement convenable, et envisage avec intérêt la possibilité d’approfondir la collaboration avec lui. Il préconise que le Comité élabore une recommandation générale sur la question du logement et de la discrimination.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 16 h 10.

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