Nations Unies

CERD/C/SR.1904

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

12 janvier 2010

Français

Original: anglais

Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale

Soixante- quatorzième session

Compte rendu analytique de la 1904 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le lundi 16 février 2009, à 15 heures

Président e: Mme Dah

Sommaire

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention

Dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques de la Tunisie

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties en application de l’article 9 de la Convention (point 5 de l’ordre du jour)

Dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques de la Tunisie (CERD/C/TUN/19; CERD/C/62/CO/10; CERD/C/TUN/Q/19/Add.1)

1.Sur l ’ invitation de la Présidente, les membres de la délégation tunisienne prennent place à la table du Comité.

2.M. Jemal (Tunisie) dit que son pays apprécie les efforts déployés par le Comité pour lutter contre la discrimination raciale et que le Gouvernement tunisien est déterminé à continuer de coopérer de manière constructive avec les mécanismes créés par les Nations Unies pour améliorer la protection des droits de l’homme en Tunisie. Il indique que les dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques de son pays donnent un aperçu des efforts qu’il a déployés pour lutter contre toutes les formes de discrimination raciale dans le cadre du processus de réforme engagé pour favoriser l’avènement d’une société moderne, égalitaire et inclusive.

3.M. Jemal souligne que la ratification par la Tunisie de la quasi-totalité des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, la mise en œuvre de l’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les multiples réformes introduites dans les domaines de la justice et de la primauté du droit traduisent sa volonté d’assurer à ses concitoyens une vie harmonieuse. Il précise que l’objectif des lois adoptées dans ce domaine n’est pas seulement d’interdire la discrimination mais aussi de contribuer au changement des mentalités.

4. Les différentes migrations qui ont marqué l’histoire tunisienne ont fabriqué une identité tunisienne plurielle et contribué à l’interpénétration de langues, de cultures et de visions du monde différentes. L’enseignement de l’histoire reflète la nature interculturelle évolutive de l’identité tunisienne; du reste, plusieurs universités tunisiennes disposent de départements où sont enseignées les langues et les civilisations préislamiques. Le brassage des cultures qui s’est produit en Tunisie a contribué à l’émergence d’une société ouverte sur la reconnaissance de l’autre.

5. L’identité nationale et le sentiment d’appartenance à une communauté tunisienne fondée sur un esprit de solidarité séculaire ont été renforcés grâce à la mise en place de programmes sociaux et à la création de mécanismes de lutte contre la pauvreté. En outre, les valeurs de solidarité et de tolérance sont consacrées par la Constitution.

6.Toutes ces considérations expliquent pourquoi, en Tunisie, les questions relatives aux peuples autochtones, aux minorités ethniques et aux sectes religieuses n’existent pratiquement pas. Les Berbères, le peuple autochtone originel tunisien, ne forment pas une minorité revendiquant une reconnaissance spécifique mais sont pleinement intégrés dans le tissu social tunisien, de même que les citoyens tunisiens non musulmans, la communauté juive et la communauté des chrétiens. Il n’existe donc pas, en Tunisie, de «groupe ethnique» dont la situation nécessiterait l’adoption de mesures spécifiques pour garantir l’exercice de ses droits et libertés fondamentales. En tout état de cause, la Constitution tunisienne proclame l’égalité de tous les citoyens devant la loi et prévoit que les partis politiques sont tenus de bannir toutes les formes de discrimination.

7.Évoquant les efforts déployés par son pays au niveau législatif pour protéger les enfants contre le fanatisme en leur inculquant les valeurs de la tolérance à un âge précoce, M. Jamal cite, notamment, le Code de la protection de l’enfant et la loi d’orientation no2002-80 du 23 juillet 2002 relative à l’éducation et à l’enseignement scolaire. Cette loi prévoit que l’enseignement est un droit fondamental garanti à tous les Tunisiens qui doit affermir le sentiment d’appartenance à une civilisation dont les dimensions sont maghrébine, arabe, islamique, africaine et méditerranéenne, et ancrer dans les esprits les valeurs de solidarité, de tolérance et de modération.

8.Des efforts ont été déployés pour sensibiliser les jeunes aux risques de l’endoctrinement terroriste, notamment par le biais de plusieurs forums et groupes de discussions tenus au cours de l’année 2008, qui a été proclamée Année de dialogue avec les jeunes. Ces forums de dialogue ont permis de synthétiser les idées des jeunes dans le Pacte national de la jeunesse. Dans celui-ci, les jeunes ont notamment exprimé leur refus de l’extrémisme, du fanatisme et du terrorisme et leur attachement aux valeurs de paix et de solidarité.

9.M. Jamal indique que de multiples mesures de restructuration et de libéralisation de l’économie ont également été engagées afin de favoriser la croissance économique et que des politiques sociales justes ont été mises en œuvre pour assurer une redistribution équitable des dividendes de la croissance. La Tunisie est, d’ailleurs, sur le point de réaliser les objectifs du Millénaire pour le développement d’ici à 2015.

10.M. Jamal ajoute qu’en dépit des avancées considérables effectuées, la Tunisie demeure confrontée à des défis majeurs, notamment au risque de repli identitaire, aux appels à la confrontation des religions et des cultures et à des campagnes médiatiques d’incitation à la haine qui tentent, parfois, de justifier l’extrémisme et le terrorisme. Le terrorisme est malheureusement une réalité à laquelle sont confrontés les pays de la région, comme l’ont tristement démontré l’attentat suicide contre une synagogue de Djerba en 2002 et les attentats terroristes commis dans la banlieue de Tunis en 2006 et en 2007.

11. M. Jamal conclut en soulignant que la communauté internationale tout entière doit, d’urgence, apporter un soutien aux efforts déployés pour répondre aux problèmes de droits de l’homme et faire taire les chantres des discours de haine et d’appels à la confrontation.

12.M. C hagraoui (Tunisie), passant en revue les principaux sujets évoqués dans les dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques de son pays, résume les réalisations majeures de la Tunisie en matière de non-discrimination dans le domaine des droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels et de la promotion d’une culture de l’altérité. Il évoque, à cet égard, les mesures adoptées pour garantir le droit à un traitement égal devant les tribunaux; le rôle joué par le Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Médiateur administratif et le Coordonnateur général des droits de l’homme pour veiller à ce que tous les Tunisiens puissent exercer des recours extrajudiciaires effectifs en cas de violation des droits de l’homme; ainsi que les dispositions constitutionnelles garantissant à tous les citoyens le droit de participer à la vie politique du pays et le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

13.Le représentant tunisien ajoute que la Tunisie a adopté des mesures pour garantir le droit à l’éducation et à la formation professionnelle, le droit à des conditions équitables et satisfaisantes de travail, à la protection contre le chômage, et à un salaire égal pour un travail égal. Des mesures ont également été prises pour élargir la couverture sociale et accorder une protection sociale aux groupes sociaux les plus vulnérables et des programmes sociaux, tels que le Fonds de solidarité nationale (26/26), ont été mis en œuvre dans les zones les plus défavorisées.

14.M. Chagraoui affirme que la non-discrimination raciale conjuguée à la non-discrimination sexuelle constitue l’un des points forts du projet sociétal tunisien. Dans cette perspective, la Tunisie poursuit l’action engagée en faveur de la promotion des droits de la femme, de la consolidation de l’égalité entre les sexes et de la démarginalisation des femmes, en mettant en place des politiques visant à renforcer le statut juridique et social des femmes et à élargir leur domaine d’action, sans distinction de race, d’origine ethnique ou de religion. En Tunisie, les femmes représentent actuellement 60 % des médecins, 72 % des pharmaciens et 52 % des enseignants.

15.S’agissant de la promotion de la culture de la différence, M. Chagraoui explique que la législation tunisienne interdit toute incitation aux actes de discrimination raciale et que l’incitation caractérisée à la haine raciale et tous les actes d’intolérance ou de violence raciste ont été érigés en délits punissables par la loi. Les partis politiques pluralistes sont tenus de respecter et de défendre les droits de l’homme établis par la Constitution et les instruments internationaux ratifiés par le pays et de rejeter toutes formes de violence, de fanatisme, de racisme et de discrimination. Parallèlement, le système éducatif a pour objectif de préparer les élèves à une vie ne laissant place à aucune forme de discrimination et l’égalité entre les sexes constitue un principe fondamental de la détermination du contenu des programmes scolaires. En application de ce principe, une révision en profondeur de tous les manuels scolaires a été entreprise pour en expurger les images stéréotypées infériorisant la femme.

16.L’interdiction de toute forme de discrimination raciale vise à garantir le plein respect du principe d’égalité sur tout le territoire tunisien pour toutes les personnes qui y résident. La Tunisie a ratifié la quasi-totalité des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme et a adopté un large éventail de mesures pour renforcer la prévention de la discrimination et la protection contre toutes ses manifestations. Ainsi, il a été décidé d’interdire de définir la nationalité selon des critères de race ou de religion et le Code pénal et le Code de la presse sanctionnent désormais l’incitation à la haine raciale et la diffamation fondées sur des critères raciaux ou religieux. Le Gouvernement tunisien est déterminé à poursuivre ses efforts en vue de l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

17.M. Khemakhem (Tunisie), résumant les points saillants des réponses écrites de son pays à la liste des points à traiter, dit que ce document contient, notamment, des statistiques détaillées sur la composition démographique de la population tunisienne, y compris des indicateurs spécifiques sur les différentes langues parlées dans le pays. L’arabe est ainsi lu et écrit par plus de 99 % de la population, le français étant la langue maternelle de moins de 1 % de Tunisiens; l’anglais et d’autres langues sont utilisés de façon encore plus marginale. Un peu moins de 40 000 ressortissants étrangers résident en Tunisie, dont plus de 50 % sont originaires du Maghreb et 10 % d’autres pays arabes; quelque 27 % d’entre eux sont Européens, dont la moitié Français, et environ 9 % originaires d’Afrique subsaharienne.

18. S’agissant du cadre institutionnel tunisien, le Parlement a adopté une loi, datée du 16 juin 2008, qui a harmonisé le mandat du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales avec les Principes de Paris et modifié sensiblement le rôle et les responsabilités du Comité, sa composition et ses méthodes de travail, et renforcé son indépendance et son pluralisme. Le Comité a reçu et traité 4 166 plaintes et doléances au cours des cinq années précédentes et rendu une décision dans 60 à 86 % d’entre elles chaque année.

19. Le Comité supérieur a établi deux commissions d’enquête. La première, mise en place en 1991, a enquêté sur des allégations de mauvais traitements dans plusieurs établissements pénitentiaires et recommandé la sanction des coupables, la création de mécanismes de suivi pour assurer la mise en œuvre des conventions pertinentes et l’engagement de poursuites dans certains cas spécifiques. La seconde commission, créée en 2002, a enquêté sur les conditions d’incarcération dans neuf prisons et un centre de réinsertion. Un train de mesures a été adopté dans la foulée de la publication du rapport de cette seconde commission et il a été décidé, notamment, de réexaminer la procédure de recours à la détention provisoire afin qu’elle ne s’applique plus que dans des cas exceptionnels et d’améliorer l’hygiène et les soins de santé en milieu carcéral.

20. S’agissant de la mise en œuvre de la Convention, M. Khemakhem rappelle que la Tunisie a explicitement réaffirmé la primauté des traités internationaux approuvés et ratifiés par le Gouvernement tunisien sur les lois nationales. La Tunisie, qui a ratifié la quasi-totalité des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, examine actuellement la possibilité de faire la déclaration prévue à l’article 14 de la Convention.

21.S’agissant de la mise en œuvre de l’article 2 de la Convention, M. Khemakhem souligne que le Pacte national, adopté en 1988, définit le peuple tunisien comme ayant une identité arabe et islamique. Cette définition ne porte cependant pas préjudice à l’identité des Berbères non arabes, attendu que la Tunisie a reconnu que, géographiquement, les Berbères étaient africains et, de ce fait, ethniquement et culturellement liés aux autres pays du continent. Bien que la Constitution stipule que la Tunisie est une république dont la langue est l’arabe et la religion l’islam, cela n’exclut pas le patrimoine arabe et islamique antérieur du pays, qui remonte à la préhistoire, ou les liens de la Tunisie avec les religions chrétienne et juive, dont la synagogue de Djerba est un témoignage éloquent. L’identité arabo-islamique de la Tunisie intègre donc son passé libyen, berbère, punique et romain et n’est en aucun cas irrespectueuse des religions pratiquées dans le pays à des époques diverses. L’identité tunisienne est caractérisée par un esprit d’ouverture.

22.Répondant aux allégations de certaines organisations de défense des droits des Berbères, M. Khemakhem souligne que les différents peuples qui ont vécu sur le territoire tunisien ont une culture commune et parlent des langues semblables, même si elles ne sont pas identiques. Ces tribus, d’origines ethniques différentes, se perçoivent comme les branches d’un même arbre qui ont subi l’influence des civilisations punique, romaine et arabe. Il est donc tout à fait possible que des Tunisiens musulmans parlent le berbère, une langue dont le vocabulaire contient une part importante de mots et d’expressions d’origine arabe et coranique. Mais, même s’il existe des Tunisiens arabophones et des Tunisiens berbérophones, ethniquement, tous les Tunisiens ont les mêmes racines. Bien que la diversité linguistique reflète l’histoire et l’expérience du pays, on ne peut pas parler d’une race arabe et d’une race berbère en Tunisie.

23. La Tunisie est déterminée à mettre en œuvre les recommandations figurant dans la Déclaration et le Plan d’action de Durban. La Constitution tunisienne a mis en exergue l’attachement du pays aux valeurs humaines qui constituent le patrimoine commun des peuples attachés à la dignité humaine, à la justice et à la liberté. D’ailleurs, le racisme, parce qu’il constitue une négation totale des principes de dignité, de justice et de liberté, est condamné par la Constitution tunisienne.

24.S’agissant de la mise en œuvre de l’article 4 de la Convention et du point de savoir si les organisations incitant à la discrimination raciale sont interdites en Tunisie, le représentant tunisien indique que bien que la loi du 7 novembre 1959 n’interdise pas expressément les organisations incitant à la discrimination raciale, l’article 2 de cette même loi prévoit qu’elles doivent se conformer aux bonnes mœurs, et donc qu’elles sont tenues de bannir le racisme et la xénophobie. La Tunisie ne dispose pas de loi spécifique interdisant la discrimination raciale et l’incitation à la haine raciale mais ces délits sont pleinement réprimés et interdits par le Code pénal, le Code de la protection de l’enfant, les lois réglementant les activités sportives et la protection des données personnelles et le Code de la presse.

25.S’agissant de la mise en œuvre de l’article 5 de la Convention, M. Khemakhem souligne qu’en vertu de l’article 8 de la Constitution tunisienne, tous les citoyens, sans exception, jouissent du droit à la liberté d’association et peuvent saisir la justice pour réclamer la protection de ce droit. Par conséquent, l’allégation selon laquelle les Amazighs n’auraient pas le droit de créer des associations à caractère social ou culturel est sans fondement; bien au contraire, la création de ce type d’associations a été encouragée et leur nombre ne cesse de progresser. M. Khemakhem explique, par ailleurs, que les services d’état civil ne disposent pas d’informations sur le nombre de prénoms berbères enregistrés pour la simple raison que la notion de distinction entre prénoms berbères et prénoms non berbères n’existe pas en Tunisie. Il précise qu’il serait très difficile de différencier les noms selon leur origine exacte et de savoir avec précision si tel ou tel prénom est berbère ou non car, historiquement, les prénoms tunisiens sont d’origines géographiques et culturelles diverses.

26.S’agissant de la question de savoir si des mesures ont été prises pour l’enseignement ou la préservation de la langue berbère, M. Khemakhem explique qu’il n’y a pas de «question berbère» en Tunisie et que le pays est homogène sur les plans linguistique, religieux et culturel. La population tunisienne est majoritairement arabophone et les différentes civilisations qui ont vécu dans le pays ont créé les conditions d’un brassage culturel des plus enrichissants. Cette diversité n’a jamais donné lieu à une quelconque adversité. Les Berbères ne représentent que 1 % de la population tunisienne et ne sont victimes d’aucune forme de discrimination. En outre, le berbère étant une langue purement orale, elle ne se prête pas à un enseignement systématique et structuré. Répondant à la question de savoir s’il existe des institutions et programmes ayant pour but la préservation et la promotion du patrimoine culturel berbère,M. Khemakhem dit que toutes les traditions culturelles sont protégées par le Code tunisien du patrimoine archéologique, historique et des arts traditionnels.

27.S’agissant de l’application de l’article 6 de la Convention et répondant à la question 20 de la liste des points à traiter, par laquelle il est demandé à l’État partie de communiquer des statistiques ventilées par nationalité d’origine, sur le nombre total de demandeurs d’asile, la proportion de demandeurs d’asile ayant reçu le statut de réfugié, et la proportion de demandeurs d’asile frappés d’une décision d’expulsion,M. Khemakhem dit qu’il convient de rappeler que la gestion des demandes d’asile et la détermination du statut de réfugié en Tunisie sont confiées, depuis 1963, au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Le HCR coopère avec les services consulaires du Ministère des affaires étrangères pour toutes les questions relatives à l’asile. En règle générale, les demandeurs d’asile se font délivrer une attestation certifiant leur statut. Une fois le demandeur d’asile reconnu comme «réfugié», il peut, par la suite, demander aux autorités de lui délivrer une carte de séjour. Le refoulement constitue, en droit tunisien, une décision susceptible de recours devant le tribunal administratif.

28.Pour conclure, M. Khemakhem affirme que la Tunisie est résolue à renforcer la démocratie et les droits de l’homme mais qu’il s’agit d’une tâche de longue haleine qui requiert de la patience. Quoi qu’il en soit, la Tunisie ne reculera devant aucune difficulté.

29.M. Avtonomov, rapporteur pour la Tunisie, dit que le rapport périodique détaillé et approfondi soumis par la Tunisie au Comité ainsi que ses réponses écrites et les explications fournies oralement par la délégation tunisienne sont certainement de nature à faciliter le dialogue entre le Comité et les représentants de l’État partie sur les difficultés rencontrées par ce dernier dans la mise en œuvre de certaines dispositions de la Convention. Il salue également la régularité avec laquelle le Gouvernement tunisien a présenté ses rapports périodiques et note que la Tunisie, qui est connue pour son attachement à la promotion des droits de l’homme, est partie à la quasi-totalité des instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme et a remporté des succès importants dans la lutte contre la pauvreté et l’analphabétisme. La Tunisie joue aussi un rôle moteur dans la promotion des droits de l’homme et est particulièrement attachée à la tolérance religieuse.

30.M. Avtonomov salue l’adoption de la loi du 16 juin 2008 qui a harmonisé le mandat du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales avec les Principes de Paris mais regrette que la Tunisie n’ait pas ratifié l’amendement à l’article 8 de la Convention. Il prend note de l’affirmation selon laquelle la Tunisie est depuis toujours le fruit d’un brassage harmonieux de peuples divers et de races différentes. M. Avtonomov se félicite que la délégation tunisienne ait répondu à la question sur les Berbères, compte tenu de la sensibilité que revêt le sujet dans tous les pays du Maghreb.

31.Le rapporteur relève que, selon la délégation tunisienne, le peuple berbère est de la même origine ethnique que le reste de la population même s’il existe, en Tunisie, une population arabophone et une population berbérophone. Mais, étant donné que dans certaines régions du pays, des personnes s’identifient comme berbérophones, elles devraient avoir la possibilité d’utiliser leur langue et de suivre leurs coutumes. Il y a lieu de s’interroger sur la raison pour laquelle des informations plus substantielles n’ont pas été fournies concernant les Berbères, une population qui semble invisible dans les données statistiques. M. Avtonomov demande au Gouvernement tunisien d’envisager d’introduire des programmes scolaires permettant aux personnes qui le souhaitent d’étudier le berbère et les langues amazhigues, qui sont reconnues comme des langues modernes par les pays voisins de la Tunisie. Il demande à la délégation d’indiquer s’il serait possible que le berbère devienne une langue officielle.

32.M. Sicilianos dit que la Tunisie a effectué de nombreux progrès dans les domaines social et économique au cours des deux décennies précédentes, notamment en matière d’élimination de la pauvreté, et adopté des mesures impressionnantes pour lutter contre les effets de la crise financière mondiale. Il accueille avec satisfaction les nombreuses données statistiques figurant dans les réponses écrites de l’État partie à la liste des points à traiter et se félicite des progrès accomplis pour assurer l’égalité entre les hommes et les femmes. La Tunisie est, de ce point de vue, le pays du Maghreb qui a fait le plus d’efforts dans ce domaine.

33.Prenant note des modifications apportées au mandat du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales et se référant à la page 13 des réponses écrites de la Tunisie à la liste des points à traiter (CERD/C/TUN/Q/19/Add.1), où il est indiqué qu’un peu plus de la moitié des membres du Comité supérieur est nommée par le Président de la République, M. Sicilianos souhaite obtenir des précisions sur la manière dont l’indépendance de cette instance est assurée. Il suggère que le Comité supérieur demande à être accrédité auprès du Comité international de coordination des institutions nationales des droits de l’homme.

34.M. Sicilianos relève, par ailleurs, que la délégation tunisienne a fait valoir que la Tunisie a toujours été un pays de métissage caractérisé par la diversité alors que le rapport périodique à l’examen affirme que l’identité tunisienne est arabe et islamique. Il note également que ce même rapport prétend que les Berbères sont particulièrement bien intégrés dans la société tunisienne et qu’ils n’ont pas de griefs à formuler alors que, selon certaines informations communiquées par des organisations non gouvernementales (ONG), les Amazighs seraient victimes d’une négation institutionnelle et constitutionnelle de leurs droits et soumis à un processus d’arabisation, que les régions berbérophones seraient économiquement exclues et que les Berbères subiraient une discrimination dans le domaine éducatif. Étant donné que les coutumes et la langue du peuple berbère diffèrent de celles du reste de la population tunisienne, M. Sicilianos en déduit que les Berbères appartiennent à une communauté ethnique spécifique à laquelle s’appliquent les dispositions de la Convention.

35.M. Sicilianos souhaite obtenir des précisions supplémentaires sur les lois ou les mesures administratives qui ont été adoptées en faveur des réfugiés et des demandeurs d’asile et savoir si le principe de «non-refoulement» est respecté en toutes circonstances. Il demande également à la délégation tunisienne d’indiquer si les demandeurs d’asile sont tenus de présenter un passeport valide à l’appui de leur demande et précise que, si tel est le cas, cette exigence est contraire à la Convention relative au statut des réfugiés car elle est de nature à empêcher de nombreuses personnes de déposer une demande d’asile.

36.M. Sicilianos souhaite également obtenir des explications approfondies au sujet de la réponse à la question 12 de la liste des points à traiter, en particulier à la lumière des dispositions de l’article 4 de la Convention. Il juge qu’il est en effet difficile de comprendre pourquoi les actes d’incitation à la haine ou au fanatisme racial ou religieux, quels que soient les moyens utilisés, sont soumis au même régime que les infractions qualifiées de terroristes.

37.M. de Gouttes se félicite des progrès réalisés par l’État partie, évoqués en détail dans le rapport périodique à l’examen, notamment pour ce qui est de l’amélioration de la qualité de l’enseignement public, des efforts de lutte contre l’analphabétisme, de la promotion des droits des femmes, et du rejet de toute forme d’extrémisme culturel ou religieux.

38.M. de Gouttes dit avoir du mal à croire que «le phénomène de discrimination raciale n’existe pas en principe en Tunisie», comme cela est indiqué au paragraphe 4 du rapport à l’examen. Il rappelle à cet égard que le Comité considère qu’aucun pays n’est à l’abri de la discrimination raciale.

39.M. de Gouttes ajoute que plusieurs sources d’information font état d’une discrimination à l’encontre des Berbères et souhaite connaître les mesures prises par le Gouvernement tunisien pour garantir le droit effectif de créer des associations en vue de la promotion et de la préservation de la langue, de la culture et des arts berbères, intégrer l’apprentissage du berbère dans les programmes d’enseignement et de formation, et utiliser la langue berbère dans les relations avec les administrations publiques.

40.M. de Gouttes dit en outre ne pas comprendre pourquoi les actes de discrimination raciale, comme ceux commis dans les domaines de l’emploi, du logement ou des droits sociaux, sont traités, en Tunisie, de la même manière que l’infraction qualifiée de terroriste et demande à la délégation d’expliquer de manière plus approfondie les dispositions légales relatives à cette question qui sont reproduites au paragraphe 79 du rapport périodique à l’examen.

41.M. de Gouttes souhaite également obtenir des informations plus détaillées sur les condamnations rendues dans le cadre des plaintes formées pour actes de discrimination raciale et des précisions sur la nature des cas d’abus d’autorité transmis à la justice, dont il est question au paragraphe 101 du rapport. Il demande en particulier à la délégation tunisienne d’indiquer quelles affaires portaient spécifiquement sur des actes de discrimination ethnique ou raciale.

42.Des informations supplémentaires sur les activités du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales et celles du Médiateur seraient également souhaitables, et plus particulièrement sur les plaintes pour discrimination raciale ou ethnique dont ces instances ont été saisies. M. de Gouttes souhaite, en outre, savoir si l’harmonisation du mandat du Comité supérieur avec les Principes de Paris a été officiellement entérinée.

43.M. de Gouttes demande par ailleurs à la délégation tunisienne d’indiquer si la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale fait partie des instruments internationaux évoqués dans le livre publié par le Ministère de l’enseignement supérieur intitulé «Enseignement des droits de l’homme dans les universités − Textes choisis» et si le programme des religions comparées proposé par l’Université d’Ezzitouna existe dans d’autres universités. Si tel n’est pas le cas, il demande instamment à l’État partie de veiller à ce que ce type de programmes soit proposé par d’autres universités tunisiennes.

44.M. Diaconu souhaite savoir si l’intégration sociale et économique du peuple berbère a pu se traduire par son assimilation culturelle et linguistique. Dans l’affirmative, il recommande à l’État partie de prendre des mesures pour remédier à cette situation, par exemple en proposant un enseignement bilingue dans les établissements primaires des régions où vivent majoritairement des Berbères. Il demande également à la délégation tunisienne d’expliquer pourquoi la Tunisie est le seul pays de la région à ne pas avoir reconnu les droits du peuple berbère.

45.M. Diaconu aimerait également obtenir des précisions sur les zones les plus défavorisées évoquées par la délégation tunisienne et, plus particulièrement, sur les mesures prises afin d’encourager le développement social et économique de celles-ci.

46.Des précisions sur la manière dont sont traités les migrants d’Afrique subsaharienne par l’État partie et le statut qui leur est accordé à leur arrivée sur le sol tunisien seraient également utiles.

47.M. L indgren A lves demande à la délégation tunisienne d’indiquer si les Berbères ont le droit de donner un prénom exclusivement berbère à leurs enfants. Il s’interroge sur le point de savoir si le fait d’affirmer que la société tunisienne est à la fois multiculturelle et homogène n’est pas quelque peu contradictoire et demande si l’enseignement sur le «Siècle des Lumières» et d’autres fondements de la pensée occidentale fait partie des programmes scolaires et universitaires tunisiens.

48.M. T hornberry souhaite obtenir des précisions au sujet du référentiel identitaire tunisien fondé sur des sources plurielles et en particulier sur le point de savoir si celui-ci reflète une réalité sociale ou bien la position idéologique de l’État. Il aimerait également savoir si, de l’avis de la délégation, la Tunisie a atteint le niveau idoine où l’auto-identification des groupes ethniques correspond en tous points à la description faite par l’État partie de la société tunisienne.

49. M. Thornberry souligne, par ailleurs, que le fait de revendiquer une identité nationale monolithique ou l’absence d’une quelconque forme de discrimination raciale est relativement rare de nos jours. Il demande à la délégation tunisienne d’apporter des éclaircissements sur le paragraphe 23 du rapport périodique à l’examen qui affirme «qu’aucun organisme ou institution public ou privé ne se livre, en Tunisie, à des actes de discrimination ou de ségrégation raciale contre des personnes ou des groupes de personnes».

50. M. Thornberry se demande, en outre, pour quelle raison la notion de «tribu» n’a plus cours dans l’État partie. Il doute, par ailleurs, que la disposition du Code de la presse relative à «la diffamation», mentionnée au paragraphe 82 du rapport, soit conforme aux dispositions de l’article 4 a) de la Convention.

51. M. E womsan se félicite que l’État partie ait fait du métissage et de la diversité culturelle le fondement d’une société unie, exempte de discrimination raciale. Il attire cependant l’attention de la délégation tunisienne sur le risque associé à une promotion rigide de la notion d’identité tunisienne unique, qui pourrait aboutir à une négation de la diversité et faire obstacle au changement. Une telle approche peut constituer, en soi, une source de conflits et servir de prétexte pour légitimer la discrimination raciale. M. Ewomsan se demande comment la Tunisie peut se prévaloir d’un esprit d’ouverture et d’une grande diversité culturelle et, dans le même temps, promouvoir une identité tunisienne commune.

52. M. K emal, convaincu que la plupart des immigrés clandestins vivant en Tunisie transitent par le pays dans le but d’immigrer, in fine, dans les pays européens, demande à la délégation tunisienne de fournir des données statistiques sur le nombre d’immigrés clandestins vivant en Tunisie et leur situation. Compte tenu du fait que la clandestinité rend ces personnes vulnérables, des informations sur la manière dont elles sont traitées par les autorités, notamment en cas d’arrestation, seraient très utiles. M. Kemal souhaite également obtenir des renseignements sur les demandeurs d’asile et notamment savoir si, même si, selon l’État partie, seules 22 personnes sont officiellement reconnues en tant que réfugiées, les demandeurs d’asile sans papiers ne sont pas en réalité plus nombreux que l’on ne le croit. Des informations complémentaires sur ce point seraient bienvenues.

53. M. Kemal s’étonne de l’affirmation selon laquelle la langue berbère serait purement orale et n’aurait ni alphabet ni littérature écrite et demande des éclaircissements sur ce point. Estimant que le fait d’accueillir plus de touristes que n’importe quel autre pays d’Afrique constitue effectivement un bon indicateur de la tolérance dont fait montre la société tunisienne, il souhaite savoir combien, en vertu des statistiques les plus récentes, la Tunisie a accueilli de touristes étrangers.

54. M. Kemal juge difficile de croire que la discrimination raciale n’existe pas en Tunisie. Il explique que la plupart des pays islamiques ont tendance à considérer que la discrimination raciale n’existe pas sur leur territoire du fait que le Coran l’interdit et ne fait aucune différence entre les fidèles, par exemple lors de la prière dans les mosquées. Or, la discrimination existe bel et bien dans les sociétés islamiques, pour des raisons qui sont, notamment, liées au tribalisme, à l’appartenance ethnique, et à la langue. M. Kemal souligne que bien qu’en principe le fait d’être fier de l’identité de son pays ou de l’identité du Maghreb soit louable, cet argument ne devrait pas être invoqué en tant que preuve de supériorité. Il aimerait entendre le point de vue de la délégation tunisienne sur ce point.

55. Estimant que la baisse de la natalité peut être un indicateur positif de développement accru, M. Kemal souligne néanmoins qu’un taux de natalité trop faible peut aussi poser problème à long terme. Il se félicite des efforts déployés par la Tunisie pour garantir l’égalité des femmes. Enfin, relevant avec satisfaction qu’un individu a été poursuivi pour avoir diffusé des idées racistes et distribué des tracts appelant à la confrontation avec les juifs, M. Kemal souligne l’importance de protéger les droits de toutes les personnes.

56. M. H uang Yong ’ an regrette que les réponses écrites de l’État partie à la liste des points à traiter n’aient pas été traduites en anglais. Se félicitant des efforts remarquables déployés par la Tunisie pour promouvoir les droits de l’homme, venir en aide aux groupes vulnérables et éliminer la discrimination raciale, il se dit surpris par l’assertion de caractère très général selon laquelle la discrimination raciale n’existe pas en Tunisie. Il fait valoir que la discrimination raciale existe dans tous les pays et qu’étant encore un pays en développement, la Tunisie continue de rencontrer des obstacles en la matière. Des exemples sur la manière dont la Tunisie œuvre en faveur de l’intégration des différents groupes raciaux tout en préservant sa diversité culturelle seraient fort utiles.

57. M. L ahiri dit que malgré la richesse des informations fournies par l’État partie concernant ses efforts pour promouvoir l’égalité, assurer l’homogénéité de la société tunisienne et encourager l’absence de discrimination raciale, il est difficile de croire que personne, en Tunisie, n’ait été victime d’un traitement différencié ou discriminatoire. Afin de permettre aux membres du Comité de mieux comprendre comment la société tunisienne moderne s’est formée, il serait utile de disposer de données ventilées sur les différents groupes ethniques du pays et d’une description succincte de la manière dont le métissage des différentes civilisations antiques s’est produit et dont les liens se sont tissés entre la Tunisie et les autres pays du Maghreb, ainsi que des caractéristiques qui les différencient. Estimant que les questions relatives à l’ethnicité et à l’altérité sont toujours d’actualité dans le pays, M. Lahiri se demande comment la Tunisie peut être véritablement une société uniforme.

58. Rappelant que les indicateurs économiques permettent souvent d’identifier des inégalités entre différents groupes de population, l’expert souhaite obtenir des données ventilées par groupes sociaux. Il déplore, à cet égard, qu’il soit difficile pour les membres du Comité d’avoir un aperçu de la situation ou de déterminer dans quelle mesure les différences entre les groupes sociaux résultent d’une discrimination commise à leur encontre, dans le passé ou de nos jours, dans les pays européens où les informations statistiques ne sont pas recueillies et compilées selon des critères ethniques.

59. M. Lahiri juge impressionnant le cadre juridique tunisien de lutte contre la discrimination raciale mais estime que des obstacles demeurent en matière de mise en œuvre de la législation y relative. Il cite à cet égard des informations faisant état d’actes de torture, d’abus de pouvoir et de discrimination contre la population berbère et note que bien que le niveau d’instruction des femmes tunisiennes soit globalement élevé, celles-ci demeurent sous-représentées dans les entreprises, les professions libérales et au Gouvernement. Il demande par conséquent à la délégation tunisienne de clarifier le sens de l’affirmation selon laquelle le problème de discrimination raciale ne se pose pas, tout simplement et en principe, en Tunisie.

60. M. A mir dit que la Tunisie peut s’enorgueillir de ses liens avec des civilisations telles que les Phéniciens, qui ont eu une influence profonde sur les pays de cette région. Ultérieurement, la Tunisie et ses voisins, comme du reste de nombreux autres pays, ont été affectés par des phénomènes tels que le racisme, le colonialisme et l’esclavage. Même si ces pays ont eu à souffrir de ces fléaux, cela ne veut pas automatiquement dire qu’ils ne connaissent pas eux-mêmes des pratiques liées à la discrimination.

61. Le défi consiste à savoir comment l’on peut gérer la diversité et promouvoir le développement tout en prévenant la discrimination. L’Algérie, par exemple, un pays beaucoup plus vaste que la Tunisie et qui compte des groupes ethniques disséminés dans tout le pays, est confrontée à une situation différente des pays de plus petite taille mais plus peuplés, comme le Liban ou la Tunisie, par exemple. Au Liban, les conflits ethniques ont eu des conséquences graves. La Tunisie, pour sa part, a choisi d’encourager l’unité et l’identité nationales fondées sur la promotion du développement économique et humain pour tous, sans discrimination, afin de préserver sa stabilité. M. Amir attire toutefois l’attention de la délégation tunisienne sur le fait que la discrimination est inhérente à l’être humain et que la Tunisie, qui a atteint l’objectif d’un progrès et d’une unité partagés, devrait se sentir suffisamment forte pour faire face et remédier aux vestiges de la discrimination au sein de la société tunisienne, notamment à l’égard des minorités.

La séance est levée à 18 heures.