Nations Unies

CERD/C/SR.2214

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

21 février 2013

Original: Français

Comité pour l ’ éliminati on de la discrimination raciale

Quatre-vingt-deuxième session

Compte rendu analytique de la 2214 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le lundi 18 février 2013, à 10 heures

Président: M. Avtonomov

Sommaire

Réunion informelle avec des représentants d’organisations non gouvernementales

Renseignements concernant les cinquième à s eptième rapports périodiques du  Kirghizistan

Renseignements concernant les dix-huitième à vingtième rapports périodiques de la Nouvelle-Zélande

La séance est ouverte à 10 h 20.

Réunion informelle avec des représentants d’organisations non gouvernementales (ONG)

Renseignements concernant les cinquième à septième rapports périodiques du Kirghizistan (CERD/C/KGZ/5-7)

1.M me Alisheva (Institute for Regional Studies) dit que le Kirghizistan, où les minorités ethniques représentent 28 % de la population, connaît de graves tensions interethniques depuis le changement de régime politique survenu en 2009 et la série de conflits qui ont éclaté ces dernières années au niveau local. Cette situation a donné lieu à de violents heurts entre Ouzbeks et Kirghizes dans le sud du pays en juin 2010. Les médias ont fait preuve d’un nationalisme exacerbé pendant les conflits, ce qui a aggravé les tensions interethniques. D’une manière générale, les stéréotypes raciaux demeurent assez fréquents dans les médias et les discours politiques. L’État partie n’a pas donné effet à la recommandation formulée par le Comité en 2007 tendant à aligner la législation nationale sur la Convention en y faisant figurer une définition de la discrimination raciale conforme à celle énoncée à l’article premier de la Convention non plus qu’à celle lui demandant de faire figurer dans les programmes et les manuels des établissements d’enseignement primaire et secondaire des informations sur l’histoire et la culture des différents groupes nationaux ou ethniques qui vivent sur le territoire kirghize.

2.M.  Kabak (Open Viewpoint) dit que les Ouzbeks de souche accusés de troubles à l’ordre public durant les émeutes de 2010 n’ont pas bénéficié d’une procédure régulière. Le Comité pourrait demander à l’État partie pourquoi ce sont les membres des minorités ethniques qui ont fait majoritairement l’objet de poursuites alors qu’ils ont été les principales victimes des émeutes. La législation kirghize ne contient toujours pas de définition de la discrimination raciale et aucune loi n’incrimine l’incitation à la haine raciale ni n’érige la motivation raciale en circonstance aggravante.

3.M me Khomidove (Center for Multicultural and Multilingual Education) dit que les affrontements de 2010 entre Kirghizes et Ouzbeks ont considérablement détérioré les relations interethniques dans l’État partie et entraîné le déplacement de plus de 75 000 personnes. D’après plusieurs ONG locales, de nombreuses exactions, y compris des violences sexuelles, ont été commises contre des femmes appartenant à des minorités. Ces faits restent souvent impunis car les victimes refusent de porter plainte de peur d’être davantage stigmatisées et ostracisées. Les femmes d’origine ouzbèke qui travaillent sur les marchés font fréquemment l’objet de harcèlement et d’intimidation et nombre d’entre elles sont contraintes de se réfugier en Fédération de Russie.

4.M me Utesheva (Youth Human Rights Group) dit que les élèves d’origine ouzbèke ont encore moins la possibilité qu’auparavant de suivre un enseignement dans leur langue maternelle car celui-ci est désormais à la charge financière des parents et le nombre d’établissements scolaires dispensant un enseignement en ouzbek a singulièrement diminué (228 en 2010 contre 91 en 2013).

5.M me Gzitsenko (Spravedlivost − Organisation pour l’équité) dit que le droit à l’information des minorités ethniques qui vivent dans le sud du pays n’est plus respecté depuis que les principales chaînes de télévision qui diffusaient des programmes en ouzbek ont cessé d’émettre. La quasi-disparition des Ouzbeks de l’espace médiatique est un obstacle de plus à la réconciliation entre les communautés kirghize et ouzbèke. Le Comité pourrait demander à l’État partie de déployer tous les efforts nécessaires pour apaiser les tensions entre ces deux communautés et protéger les droits des minorités.

6.M.  Tillakhodzaev (Institute of Alisher Navoy) dit que l’État partie mène une politique délibérée de discrimination à l’égard de la minorité ethnique ouzbèke dans le domaine de l’éducation. En janvier 2013, le Ministère de l’éducation et des sciences a annoncé la suppression de tous les examens scolaires en ouzbek. En septembre 2012, sept établissements scolaires qui assuraient un enseignement dans cette langue ont décidé que tous les cours seraient désormais assurés dans la langue nationale, violant ainsi les dispositions de l’article 10 de la Constitution kirghize qui garantit aux membres de toutes les ethnies composant le peuple du Kirghizistan le droit à la préservation de leur langue maternelle et à la création des conditions nécessaires à l’étude et au développement de leur langue. Nombre d’ONG ont fait état de cas de détention arbitraire, de torture et de persécution contre des minorités ethniques. Le Comité pourrait demander à l’État partie d’expliquer pourquoi 74 % des victimes des événements de 2010 et 94 % des personnes condamnées pour y avoir participé sont d’origine ouzbèke.

7.M me Thomasen (Open society and justice initiative) cite le cas emblématique d’Azimjan Askarov, journaliste et militant des droits de l’homme qui a été arrêté pour avoir enquêté sur les violations des droits de l’homme commises durant les émeutes de 2010, qui a été battu et insulté par la police et qui a été condamné à l’issue d’un procès inéquitable. Le Comité pourrait demander au Gouvernement kirghize de rendre justice aux victimes des conflits de 2010 et de lutter contre l’impunité.

8.M.  Diaconu, prenant note du climat délétère qui règne dans l’État partie à l’égard des minorités, demande aux ONG d’indiquer quelles mesures permettraient, à leur sens, de modifier les attitudes et les comportements de la population à l’égard des minorités et comment le Comité pourrait contribuer à un tel changement. Il souhaite savoir s’il existe dans l’État partie des associations de défense des familles interethniques.

9.M. Murillo Martí nez demande quel rôle a joué la communauté internationale après les émeutes de 2010.

10.M me Crickley demande aux ONG d’indiquer quelles recommandations le Comité devrait, selon elles, adresser au Gouvernement kirghize concernant la situation des femmes appartenant à des minorités et de donner des informations plus précises sur l’intégration des minorités dans le système éducatif kirghize.

11.M. de  Gouttess’enquiert de la composition de l’Assemblée du peuple et des assemblées locales, notamment du nombre de Kirghizes et d’Ouzbeks qui y siègent. Il demande quelles mesures ont été adoptées pour remédier aux dysfonctionnements judiciaires évoqués par l’État partie dans son rapport.

12.M.  Saidou demande s’il existe des critères qui empêchent les minorités d’accéder à la fonction publique, et si le Médiateur est connu des minorités au Kirghizistan.

13.M.  Vázqueznote que le Gouvernement a entériné le rapport établi par la Commission internationale d’enquête indépendante suite aux émeutes de 2010, mais qu’il n’a pas mis en œuvre les recommandations qui y figurent et que le Président de la Commission a désormais l’interdiction d’entrer sur le territoire kirghize. Il souhaite connaître l’opinion des ONG à ce sujet.

14.M me Alisheva (Institute for Regional Studies) dit que depuis 2010, le Département chargé de la politique ethnique, rattaché au Cabinet du Président de la République, s’est efforcé d’apaiser les tensions ethniques. Le Comité pourrait de nouveau recommander au Kirghizistan de mettre sa législation en conformité avec la Convention, à commencer par la définition de discrimination. Il pourrait aussi recommander au Gouvernement d’octroyer des aides aux minorités pour leur permettre d’apprendre la langue nationale et de prévoir des quotas pour les intégrer dans la fonction publique.

15.M. K abak (Open Viewpoint) dit que le Comité pourrait recommander le financement de programmes d’apprentissage de la langue nationale. Il précise que les sanctions à l’encontre du Président de la Commission d’enquête internationale indépendante ont été prises par le Parlement, sans intervention des pouvoirs judiciaires.

16.M.  Tillakhodzaev (Institute of Alisher NAVOY) dit que les minorités ethniques sont suffisamment représentées dans les partis politiques, mais pas au Parlement. Les relations interethniques restent tendues et des émeutes, comme celles de juin 2010, peuvent se reproduire à tout moment.

17.M me Utesheva (Youth Human Rights Group) dit que des chercheurs ont publié des articles sur la richesse qu’apporte la diversité ethnique au pays, mais que ces informations n’ont jamais été relayées par les médias. Le Gouvernement doit reconnaître le problème posé par la discrimination dans le pays. Le Comité devrait recommander au Kirghizistan de se pencher sur les possibilités qui s’offrent aux minorités d’apprendre la langue nationale.

18.M me Khomidove (Center for Multicultural and Multilingual Education) dit que les femmes doivent participer à la vie publique non seulement au Parlement mais aussi dans les zones rurales. Le Gouvernement doit élaborer des projets spécifiques visant à apaiser les tensions sociales.

19.M.  Kabak (Open Viewpoint) dit que le Comité pourrait recommander de réexaminer les décisions de justice prises suite aux émeutes de 2010 à la lumière des garanties relatives à un procès équitable. Le Gouvernement devrait mettre en place des quotas pour que les minorités soient mieux représentées au Parlement.

20.M me Thomasen (Open Society Justice Initiative) dit qu’une commission indépendante d’enquête devrait être créée pour mettre en conformité les condamnations prononcées suite aux événements de 2010 avec les garanties d’un procès équitable et les droits de l’homme. Il faudrait également enquêter sur les violations des droits des minorités. Le Comité pourrait encourager le Gouvernement à reconnaître sa compétence s’agissant de recevoir et d’examiner des communications individuelles.

21.M.  Tillakhodzaev (Institute of Alisher NAVOY) dit que seule la création d’une commission chargée de réexaminer toutes les décisions de justice permettrait de rétablir la confiance entre les deux communautés et de faire à nouveau régner la justice.

Renseignements concernant les dix-huitième à vingtième rapports périodiques de la Nouvelle-Zélande (CERD/C/NZL/18-20)

22.M me Whare (Aoteovoa Indigenous Rights Trust) dit que le Gouvernement néo-zélandais a souscrit à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en précisant toutefois qu’elle devait être comprise et interprétée dans le cadre de la législation néo-zélandaise. L’intervenante note avec inquiétude que l’accord de libre-échange entre la Nouvelle-Zélande et 11 pays du Pacifique, dont les négociations se tiennent à huis clos, risque de porter atteinte aux droits des Maoris. Le Gouvernement viole les droits des peuples autochtones en cherchant à privatiser la distribution d’eau potable, en violation du Traité de Waitangi. En outre, il ne respecte pas leurs droits à la consultation préalable et au consentement éclairé. Il a par exemple accordé un permis d’exploitation à la société brésilienne Petrobras sans consulter les Iwis et les autres tribus touchées. L’affaire a été portée devant les tribunaux locaux et la société Petrobras s’est engagée à se retirer. Néanmoins, le Gouvernement continue d’octroyer des permis d’exploitation.

23.M. Vázquezdemande si le Gouvernement néo-zélandais a évoqué des domaines précis dans lesquels la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ne serait pas applicable en Nouvelle-Zélande. Il demande quelles sont les préoccupations des Maoris quant à l’accord de libre-échange. Il souhaite savoir si la société Petrobras a accepté de se retirer parce que le projet n’était pas viable ou parce que les préoccupations des Maoris ont été prises en compte. Il demande quelles mesures sont prises par le Gouvernement pour lutter contre la surreprésentation des Maoris dans le système de justice pénale.

24.M.  Amir demande si, après avoir adhéré à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le Gouvernement a tenté de consulter les Maoris pour mettre en œuvre les dispositions de la Déclaration qu’il considère applicables.

25.M. Murillo  Martínez demande si, à la suite de la Conférence de Durban, l’État partie a accordé des réparations aux communautés maories en matière foncière, et quelles ont été les revendications desdites communautés dans ce domaine.

26.M. de  Gouttes demande à quelle date la Cour suprême doit rendre sa décision dans l’affaire ayant trait à la privatisation progressive de l’eau potable, et de quelle manière l’État partie donne suite aux recommandations du Tribunal de Waitangi.

27.M me Whare (Aotearoa Indigenous Rights Trust) dit que le Gouvernement néo-zélandais n’entend pas modifier le fonctionnement du Tribunal de Waitangi, qu’il juge tout à fait adéquat pour statuer sur les éventuelles violations du Traité de Waitangi. Pour le Gouvernement, ce mécanisme est conforme aux exigences de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le Gouvernement néo-zélandais n’a pas spontanément reconnu de droits fonciers aux Maoris à la suite de la Conférence de Durban mais les membres de cette communauté peuvent saisir le Tribunal de Waitangi pour faire valoir leurs droits, suite à quoi ils peuvent obtenir des réparations, voire recevoir des excuses. Ils peuvent aussi saisir cette instance s’ils estiment que la conclusion de l’accord de libre-échange avec 11 pays du Pacifique a des répercussions négatives sur l’exercice de leurs droits, l’objectif étant d’obtenir des réparations financières ou matérielles. La décision de la Cour suprême dans l’affaire relative à la privatisation de l’accès à l’eau potable pourrait intervenir dans un délai de deux mois, cette instance s’étant réunie fin janvier 2013.

28.Mme Whare estime que si les communautés iwis ne s’étaient pas élevées avec autant de véhémence contre les forages pétroliers en haute mer, la société Petrobras poursuivrait sans doute ses activités d’extraction, avec tous les risques environnementaux que cela comporte dans cette zone d’activité sismique particulièrement intense, qui constitue de surcroît la zone de pêche privilégiée des Iwis. Le Gouvernement a récemment mis en œuvre un programme destiné à réduire le nombre particulièrement élevé de Maoris en détention. Il faut souligner que le Gouvernement refuse de reconnaître l’existence d’une discrimination systémique à l’égard de ce groupe de population, préférant le qualifier de «groupe défavorisé du point de vue socioéconomique».

29.L’accession à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones n’a pas donné lieu à la mise en place de campagnes de sensibilisation de l’opinion publique. Pour obliger le Gouvernement néo-zélandais, qui se targue toujours d’un excellent bilan sur le plan des droits de l’homme sur la scène internationale, à respecter les principes consacrés dans cet instrument, les Maoris n’auront de cesse d’appeler l’attention des organes créés en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme sur cette question. Le Traité de Waitangi ne faisant pas partie intégrante de la législation nationale, les Maoris ne peuvent pas invoquer de loi suprême pour faire valoir leurs droits. En outre, les recommandations du Tribunal de Waitangi ne sont pas contraignantes, étant donné que cette instance fait uniquement office de commission d’enquête. Certaines lois font toutefois référence à cet instrument dans des termes tels que «Tenant compte du Traité de Waitangi» ou encore «Pour donner effet aux dispositions du Traité de Waitangi», ce qui lui confère une certaine valeur juridique.

30.M. Calí  Tzay demande si les Maoris sont représentés au sein du Gouvernement, du Parlement et des partis politiques.

31.M.  Vázquez aimerait quant à lui savoir si les Maoris prennent part à la vie politique locale, et s’ils sont notamment membres du conseil municipal de la ville d’Auckland.

32.M me Whare (Aotearoa Indigenous Rights Trust) dit que les Maoris disposent de trois sièges au Parlement, où ils sont représentés par le Parti maori qui a conclu des accords avec le Parti national au pouvoir. La ville d’Auckland s’est dotée d’une commission permanente maorie, qui a un rôle purement consultatif, mais les Maoris n’ont que très peu de voix au chapitre dans les autres instances locales où aucun siège ne leur est réservé. Rien n’oblige le Parlement à harmoniser les projets de lois avec les dispositions du Traité de Waitangi, pas plus qu’avec celles de la Charte néo-zélandaise des droits de l’homme. Ainsi, une loi peut être adoptée par le Parlement même si le Solicitor-General a jugé que le projet de loi correspondant était de nature discriminatoire. Il faudrait que la révision prévue de la Constitution aboutisse à la création d’un mécanisme visant à établir un équilibre des pouvoirs.

33.Le Président remercie les intervenants pour leurs précieuses interventions.

La séance est levée à 13 heures.