Nations Unies

CERD/C/SR.2080

Convention internationale surl’élimination de toutes les formesde discrimination raciale

Distr. générale

5 avril 2011

Original: français

Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Soixante-dix-huitième session

Compte rendu analytique de la 2080e séance

Tenue au Palais des Nations, à Genève, le lundi 7 mars 2011, à 10 heures

Président: M. Kemal

Puis:M. Calí Tzay (Vice-Président)

Sommaire

Débat thématique sur la discrimination raciale à l’encontre des personnes d’ascendance africaine

Les personnes d’ascendance africaine et les mécanismes internationaux des droits de l’homme: difficultés et accomplissements

Histoire et effets de la traite transatlantique des esclaves sur les personnes d’ascendance africaine

Dialogue interactif

La séance est ouverte à 10 h 10.

Débat thématique sur la discrimination raciale à l’encontre des personnes d’ascendance africaine

1.Le Président rappelle que le régime d’apartheid en Afrique du Sud a été l’un des facteurs qui ont incité la communauté internationale à élaborer la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et à créer le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale il y a une quarantaine d’années. Malheureusement, la chute du régime d’apartheid n’a pas abouti à une société multiraciale à l’échelon mondial, et même s’il n’est désormais plus possible de se livrer impunément à une discrimination flagrante à l’égard d’autres personnes du fait de leur race, la discrimination raciale sévit encore partout dans le monde. La plupart du temps, elle se manifeste de façon insidieuse, par exemple dans les stades de sport, les restaurants et d’autres lieux publics. Depuis des temps immémoriaux, les personnes d’ascendance africaine sont victimes de discrimination raciale dans de nombreux domaines tels que l’emploi, le logement et la santé. Le temps est donc venu pour le Comité d’honorer la contribution des personnes d’ascendance africaine au développement des sociétés dans lesquelles elles vivent. L’arrivée d’un homme d’ascendance africaine, Barack Obama, à la tête de la première puissance mondiale laisse augurer d’un monde où la discrimination raciale sera reléguée aux manuels d’histoire. Le Président souhaite faire sien le slogan de campagne utilisé par Barack Obama, le célèbre «Yes, we can», pour réaffirmer la détermination du Comité et de ses partenaires à éliminer toutes les formes de discrimination raciale.

2.Mme Pillay (Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme) a l’honneur d’ouvrir le débat thématique sur la discrimination raciale à l’égard des personnes d’ascendance africaine. Elle rappelle que, par sa résolution 64/169, l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé l’année 2011 Année internationale des personnes d’ascendance africaine en vue de renforcer les mesures nationales et les activités de coopération régionale et internationale en faveur des personnes d’ascendance africaine qui visent à leur garantir le plein exercice des droits économiques, culturels, sociaux, civils et politiques, à assurer leur participation et leur intégration à la société sous tous ses aspects et à promouvoir une meilleure connaissance et un plus grand respect de la diversité de leur patrimoine et de leur culture.

3.En organisant le débat thématique en cours, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale contribue au succès de l’Année internationale qui, de l’avis de la Haut-Commissaire, devrait surtout permettre de reconnaître le rôle joué par les personnes d’ascendance africaine dans le développement mondial et dans l’épanouissement des sociétés dans lesquelles elles vivent; de remédier aux injustices et aux actes discriminatoires commis par le passé et d’élaborer des stratégies visant à garantir l’égalité des droits et à éliminer la discrimination dont les personnes d’ascendance africaine sont victimes. Force est de constater que les personnes d’ascendance africaine continuent de souffrir du racisme, de la pauvreté et de l’exclusion dans de nombreux pays. Elles éprouvent encore des difficultés à réaliser leurs droits fondamentaux, notamment leurs droits à une éducation et à une formation de qualité, à des soins de santé, ainsi qu’à un emploi. La situation des femmes, des enfants et des migrants d’ascendance africaine est encore plus préoccupante.

4.La Haut-Commissaire rappelle que les participants à la Conférence de Durban ont souligné la nécessité de faire participer pleinement les personnes d’ascendance africaine à la vie politique, économique et sociale, et de faciliter leur pleine participation à tous les niveaux de la prise de décisions. Il incombe à tous les États Membres de mettre en œuvre les recommandations formulées à Durban et de respecter les dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme afin de réaliser des progrès concrets dans la lutte contre la discrimination raciale. La Haut-Commissaire exhorte tous les États parties, les experts et les membres de la société civile à participer activement au débat thématique et à proposer des solutions qui auront des effets positifs et concrets sur les personnes d’ascendance africaine dans le monde entier. Pour conclure, elle rappelle que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) organisera également toute une série d’activités concertées pour célébrer l’Année internationale des personnes d’ascendance africaine.

5.M. Murillo Martínez (Modérateur) dit que le débat thématique aura notamment pour objet de mieux appréhender les causes et les conséquences de la discrimination raciale à l’égard des personnes d’ascendance africaine par le biais d’un échange d’informations et de l’analyse des progrès réalisés et des difficultés rencontrées dans la lutte contre la discrimination raciale. Il invite les représentants d’États parties, d’organes de l’Organisation des Nations Unies et d’institutions spécialisées, ainsi que d’institutions nationales des droits de l’homme et d’organisations non gouvernementales (ONG) à faire part de leurs vues sur la discrimination raciale à l’égard des personnes d’ascendance africaine. Le débat thématique prendra la forme d’un dialogue interactif à la suite d’exposés d’une dizaine de minutes présentés par des spécialistes qui porteront sur les thèmes suivants: les personnes d’ascendance africaine et les mécanismes internationaux des droits de l’homme: difficultés et accomplissements; l’histoire du commerce transatlantique des esclaves et ses effets sur les personnes d’ascendance africaine; la situation économique des personnes d’ascendance africaine et les questions relatives à leur intégration sociale; les femmes d’ascendance africaine; les migrants d’ascendance africaine récemment arrivés d’Afrique. Le modérateur évoque un certain nombre de questions sur lesquelles les participants souhaiteront peut-être se pencher, parmi lesquelles figurent les suivantes: «Qui sont les descendants de la diaspora africaine?»; «Peut-on parler de discrimination structurelle à l’égard des personnes d’ascendance africaine?»; «Quelles sont les causes et les conséquences de la discrimination raciale à l’égard des personnes d’ascendance africaine?»; «Quel est le lien entre le racisme et la pauvreté?».

Les personnes d’ascendance africaine et les mécanismes internationaux des droits de l’homme: difficultés et accomplissements

6.M. Thornberry dit que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale s’est toujours intéressé à la question des personnes d’ascendance africaine mais que c’est la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, tenue à Durban en 2001, qui a permis d’appeler plus particulièrement l’attention de la communauté internationale sur ce groupe de personnes victimes de racisme et de discrimination. La Déclaration et le Programme d’action de Durban comprennent une section qui se rapporte expressément aux Africains et personnes d’ascendance africaine. Donnant suite aux recommandations formulées à Durban, le Comité a adopté en 2002 la recommandation générale no 29 concernant la discrimination fondée sur l’ascendance (par. 1 de l’article premier de la Convention). S’il y est fait mention des personnes d’ascendance africaine, le Comité y visait surtout le problème des castes et des systèmes analogues reposant sur la transmission d’un statut héréditaire. Sachant que les personnes d’ascendance africaine contribuent grandement au développement et à l’épanouissement des sociétés dans lesquelles elles vivent, le Comité a voulu leur consacrer un débat thématique spécifique qui devrait aboutir à l’élaboration d’une nouvelle recommandation générale. Les participants au débat souhaiteront peut-être formuler des propositions sur les points à aborder dans la recommandation générale. Pour sa part, M. Thornberry pense que le Comité devrait notamment recenser tous les domaines dans lesquels les personnes d’ascendance africaine subissent des discriminations (santé, emploi, logement, éducation, inégalités structurelles, profilage racial, discours de haine, etc.) et demander aux États parties de prêter une plus grande attention à ces personnes, en recueillant systématiquement des données statistiques à leur sujet.

7.MmeNajcevska (Présidente du Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine) dit que le racisme est encore vivant et que l’une des formes les plus résistantes sous lesquelles il se manifeste est la discrimination à l’égard des personnes d’ascendance africaine. Ce type très spécifique de discrimination a des racines profondes et se retrouve dans les systèmes politiques et contextes géographiques les plus divers. Mme Najcevska se propose d’examiner le double rôle particulier qu’ont à jouer les mécanismes de protection des droits de l’homme chargés de combattre le racisme aux plans national et international dans le domaine de la lutte contre la discrimination à l’égard des personnes d’ascendance africaine.

8.Les mécanismes internationaux de défense des droits de l’homme ont été et restent parmi les moyens les plus efficaces de combattre la discrimination raciale. Toutefois, bien que leur action ait contribué à améliorer concrètement la situation des personnes d’ascendance africaine, plusieurs questions devraient être prises en considération afin de progresser dans cette voie. Tout d’abord, la ratification par les États des instruments internationaux et les réformes législatives menées au plan national se sont pas suivies d’effets tangibles et ne donnent pas de résultats mesurables. Ensuite, l’efficacité des mécanismes internationaux dépend dans une large mesure de la reconnaissance des personnes d’ascendance africaine, laquelle passe par quatre étapes: premièrement, les personnes d’ascendance africaine doivent se définir comme telles et être prêtes à s’exprimer en tant que groupe; deuxièmement, elles doivent être reconnues en tant que groupe par les États dans lesquels elles vivent; troisièmement, leurs besoins spécifiques et leurs conditions de vie, qui varient d’un pays à l’autre, doivent être prises en considération; quatrièmement, les formes particulières de discrimination dont elles font l’objet doivent être reconnues.

9.La tendance dominante consistant à axer la législation interdisant la discrimination sur les individus a montré ses limites pour ce qui est de la répression des actes de discrimination raciale. En conséquence, beaucoup d’infractions de ce type restent impunies, les victimes ayant des réticences à faire valoir leurs droits devant les tribunaux. En outre, les affaires individuelles n’ont pas suffisamment de poids pour influer sur les politiques et modifier les comportements discriminatoires. Mme Najcevska est convaincue qu’il faudrait abandonner cette conception réactive de la lutte contre la discrimination − c’est-à-dire fondée sur les plaintes individuelles − et adopter, aux plans national et international, une démarche globale qui anticipe les événements.

10.De nouvelles formes de discrimination et de ségrégation sont apparues, dont l’un des principaux traits saillants est l’invisibilité des personnes d’ascendance africaine. Cette invisibilité est due à l’insuffisance des données statistiques sur les personnes d’ascendance africaine, notamment dans les pays européens, où ces personnes ne sont pas recensées dans une catégorie à part dans les statistiques nationales. En conséquence, même si elles sont plus nombreuses que d’autres minorités ethniques dans certains pays de cette région, elles n’ont pas de statistiques sur lesquelles elles pourraient s’appuyer pour justifier une demande de mesures spéciales.

11.Alors que la plupart des États ont ratifié les instruments internationaux protégeant les droits des minorités ethniques et que plusieurs mécanismes internationaux ont été mis en place pour combattre la discrimination fondée sur l’appartenance à un groupe ethnique ou à une minorité, les personnes d’ascendance africaine continuent de subir régulièrement des violations de leurs droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels du fait de leur invisibilité en tant que minorité. Or, conformément aux instruments internationaux protégeant les droits des minorités ethniques et des peuples autochtones, ces personnes peuvent se définir comme une minorité ethnique dans les États dans lesquels elles vivent et, partant, revendiquer certains droits dont celui de bénéficier de mesures spéciales. C’est pour cette raison même que certains États refusent de les reconnaître en tant que minorité ou peuple autochtone. En conséquence, ce sont généralement les peuples autochtones qui bénéficient des mesures d’action positive tandis que les personnes d’ascendance africaine demeurent exclues du champ d’application des lois pertinentes. Force est toutefois de reconnaître que l’auto-identification de ce groupe en tant que minorité ethnique pose problème à maints égards et continue de susciter des controverses, certains estimant que les droits réclamés par la plupart des personnes d’ascendance africaine sont un mélange de normes internationales protégeant les droits des minorités et de normes relatives aux droits des peuples autochtones.

12.L’invisibilité des personnes d’ascendance africaine a aussi pour cause l’absence d’instrument portant spécifiquement sur la protection des droits fondamentaux de ce groupe. L’élaboration d’un tel instrument devrait figurer parmi les travaux futurs à mener dans ce domaine.

13.En conclusion, Mme Najcevska dit qu’elle fait partie des tenants de l’action positive. Même si les mesures volontaristes ne sont pas du tout appliquées de manière cohérente, même à l’heure actuelle, elles ont donné des résultats encourageants en ce qui concerne l’accès à l’éducation, au logement, à la santé et à la culture et la participation aux processus de décision. En conséquence, il faudrait adopter une approche systématique en matière de promotion et d’application des mesures volontaristes et les mécanismes internationaux de défense des droits de l’homme devraient jouer un rôle moteur à cet égard. À l’avenir, ceux‑ci devraient prendre des mesures spécifiques pour éliminer les inégalités particulières que subissent les personnes d’ascendance africaine et mettre au point des outils spéciaux permettant de lutter efficacement contre le mode spécifique de discrimination structurelle auquel ce groupe est confronté.

14.MmeMcDougall (Experte indépendante sur les questions relatives aux minorités), rappelant les événements importants qui ont jalonné l’histoire de la lutte contre la discrimination raciale dans le cadre de l’ONU en particulier l’action de personnalités d’ascendance africaine qui ont milité pour l’inclusion dans la Charte de protections relatives aux droits de l’homme fondamentaux, souligne notamment que la troisième Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, tenue en 2001 à Durban, a eu un impact exceptionnel provoquant une prise de conscience des problèmes spécifiques que connaissent les personnes d’ascendance africaine. La Déclaration et le Programme d’action adoptés à l’issue de la Conférence de Durban sont un document unique en son genre car il comprend un ensemble particulièrement complet de recommandations tendant à changer la situation des personnes d’ascendance africaine. En outre, le processus de la Conférence de Durban a donné une nouvelle impulsion aux divers groupes de la diaspora africaine à l’échelle mondiale en leur permettant de se réunir et en renforçant leurs capacités d’action.

15.Depuis 2005, année de la création de son mandat, l’Experte indépendante s’est attachée à étudier de façon plus approfondie la situation des minorités d’ascendance africaine vivant dans les diverses régions du monde. Durant ses visites dans différents pays, elle a pu examiner de près des questions liées à l’exclusion des personnes d’ascendance africaine, en particulier en France, au Guyana, en Colombie, au Canada et en République dominicaine. Dans ce dernier pays, elle a constaté conjointement avec le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, l’existence d’un racisme intériorisé au fil des siècles, les personnes de couleur à peau claire exerçant une forme de discrimination et d’oppression actives à l’égard de celles qui ont la peau foncée.

16.La création récente d’un nouveau mécanisme, le Forum sur les questions relatives aux minorités, a permis de mieux comprendre la situation des personnes d’ascendance africaine dans un plus grand nombre de pays et régions du monde en ce qui concerne le droit à l’éducation et le droit de prendre part pleinement à la vie politique et économique, questions qui méritent la plus grande attention. Des personnes d’ascendance africaine ont eu une influence majeure dans les débats et sur les recommandations du Forum. Pour cette raison, les recommandations formulées à l’issue des trois premières sessions du Forum (A/HRC/10/11/Add.1; A/HRC/13/25 et A/HRC/16/46) devraient être reflétées dans les documents du Comité.

17.L’un des problèmes auxquels les personnes d’ascendance africaine sont confrontées est la méconnaissance de la diversité qui prévaut à l’intérieur de ce groupe. En effet, la diaspora africaine est extrêmement hétérogène et les besoins et les attentes des diverses communautés varient considérablement puisque leur origine, leur langue, leur culture, les motifs pour lesquels elles ont quitté l’Afrique sont très différents. On estime que le nombre de personnes d’ascendance africaine vivant en Europe se situe actuellement entre 7 et 9 millions de personnes. Leur présence dans la région est le résultat de facteurs aussi divers que les migrations volontaires ou forcées, dont la traite transatlantique des esclaves, les conséquences de la colonisation et l’implantation de bases militaires américaines en Europe. Certains sont des réfugiés ou des demandeurs d’asile, des étudiants ou des personnes établies dans la région pour des raisons professionnelles. Les pays qui comptent le plus grand nombre de personnes d’ascendance africaine sont la France, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et les Pays-Bas. Dans l’hémisphère occidental, on estime qu’un tiers de la population est d’ascendance africaine. Les communautés les plus nombreuses se trouvent au Brésil, en Colombie, aux États-Unis d’Amérique et dans les Caraïbes où les personnes d’ascendance africaine sont majoritaires. Il faut donc garder à l’esprit la diversité de ces situations et examiner la situation particulière et la visibilité de chaque communauté afin d’être à même de promouvoir et protéger ses droits.

18.En ce sens, la collecte de données démographiques désagrégées selon l’appartenance à une minorité continue d’avoir une importance vitale. Certains pays tels que la France refusent de reconnaître officiellement toute minorité quelle qu’elle soit; d’autres n’ont pas les moyens de faire les recensements dont ils tireraient des données ventilées et d’autres encore, comme le Canada, ont à leur disposition des moyens perfectionnés mais désagrègent les données d’une manière qui cache plus qu’elle ne révèle la situation dans le pays. En effet, ce pays met dans une seule catégorie intitulée «minorités visibles» des groupes aussi divers que les descendants d’esclaves arrivés au XIXe siècle des États-Unis d’Amérique, les migrants originaires des Caraïbes, les migrants économiques et les réfugiés, les immigrants diplômés venus d’Afrique ainsi que les immigrants provenant d’Asie. Il faudrait donc qu’une réflexion approfondie soit engagée sur la manière d’établir des données ventilées en tenant compte du droit à l’auto-identification.

19.Toutefois, malgré leur diversité, les personnes d’ascendance africaine ont un point commun: le fait qu’elles subissent partout les mêmes préjugés fondés sur leur couleur de peau et leur origine, indifféremment de leur nationalité, leur sexe, leur âge ou leur niveau d’instruction, problème particulièrement aigu en Europe. D’après le document final issu d’une réunion récente de parlementaires européens d’ascendance africaine, les Noirs vivant en Europe seraient de plus en plus souvent victimes d’agressions racistes et de la pratique du profilage racial. Selon l’enquête de l’Union européenne sur les minorités et la discrimination (EU-MIDIS) réalisée en 2009 dans les 27 États membres de l’Union, les Noirs sont parmi les plus touchés par la discrimination dans l’emploi et par la police. D’après les rapports pour 2007 et 2008 de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, les minorités raciales et ethniques subissent des discriminations de façon disproportionnée dans l’accès au logement, à l’éducation, aux soins de santé et à l’emploi et en matière de participation à la vie politique. En outre, ils sont représentés de manière disproportionnée dans le système de justice pénale.

20.Il existe souvent des disparités importantes entre les normes internationales et nationales et leur application concrète car bien que de plus en plus de pays aient adopté des lois interdisant la discrimination raciale, celles-ci restent généralement lettre morte. De plus, la plupart de ces lois ne s’appliquent qu’au secteur public, ce qui donne l’impression que les États ne veulent pas s’attaquer aux actes de discrimination qui se produisent dans la société civile. Lorsque les peines prévues pour réprimer la discrimination raciale ne sont énoncées que dans les lois pénales, elles sont particulièrement inefficaces.

21.Tandis que des formes odieuses de discrimination flagrante réapparaissent, d’autres types de discrimination se sont institutionnalisés et intégrés de façon systémique au fonctionnement de la plupart des organismes publics et privés. Ces formes de discrimination se cachent dans des lois en apparence neutres, des règlements administratifs, des normes culturelles basées sur la méritocratie et des méthodes de contrôle universitaires occultant la discrimination intentionnelle qui empêchent toute évolution. À l’occasion de ses visites de pays, l’Experte indépendante a constaté un sentiment de frustration et de mécontentement grandissant chez les intéressés car ceux-ci s’efforcent de respecter les règles du jeu de la société qui continue de les exclure, notamment dans l’accès à l’emploi.

22.Enfin, l’Experte indépendante félicite le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’adoption de sa recommandation générale no 32 sur la signification et la portée des mesures spéciales dans la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et l’engage à s’y référer systématiquement lors de l’examen des rapports des États parties et à insister pour que les mesures volontaristes soient évaluées uniquement en fonction de leurs résultats.

23.M. Murillo Martínez (Modérateur) dit que les axes de réflexion présentés par Mme McDougall, en particulier pour ce qui a trait à la discrimination institutionnelle, sont extrêmement utiles et aideront certainement les orateurs suivants à structurer leur intervention.

Histoire et effets de la traite transatlantique des esclaves sur les personnes d’ascendance africaine

24.M. Moussa Iye (Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel de l’UNESCO) salue, au nom de l’UNESCO, l’initiative des Nations Unies de déclarer 2011 Année internationale des personnes d’ascendance africaine et espère que celle-ci sera l’occasion non seulement de poursuivre le bilan des actions entreprises pour assurer la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action adoptés à l’issue de la Conférence de Durban de 2001 mais aussi de stimuler la réflexion sur les nouvelles approches susceptibles de permettre aux personnes d’ascendance africaine de jouir de tous leurs droits.

25.Rendant compte des conclusions des travaux effectués par l’UNESCO dans le cadre du programme phare intitulé «La Route de l’esclave», M. Moussa Iye souligne que les populations d’ascendance africaine sont les survivantes d’un triple déni: d’humanité, d’identité et de souveraineté/citoyenneté. Plus que toutes les autres communautés humaines, ces populations ont été et continuent d’être victimes de la stigmatisation la plus primaire mais la plus efficace et durable qui soit, à savoir celle basée sur le taux de mélanine qui détermine la couleur de la peau. De ce fait, les personnes d’ascendance africaine sont ainsi continuellement sommées de se définir par rapport à une échelle de couleurs et de valeurs établie par d’autres. Ce regard scrutateur les a conduites à s’emprisonner dans l’imaginaire des autres et dans une recherche éperdue d’une reconnaissance.

26.Cette douloureuse quête d’identité et de dignité a eu de graves effets sur les intéressés à tous les niveaux mais a également développé chez beaucoup d’entre eux une force de création et de résilience exceptionnelle qui leur a permis de survivre aux entreprises de déshumanisation à grande échelle que furent l’esclavage et la colonisation.

27.M. Moussa Iye dit que les travaux menés par l’UNESCO dans ce domaine ont démontré le lien de causalité qui existe entre, d’une part, la montée en puissance et l’enrichissement de l’Europe et des Amériques générés par la traite des esclaves africains et plus tard le pillage des ressources de leur pays et, d’autre part, la déstructuration de l’Afrique et la pauvreté des personnes d’ascendance africaine. De même, il existe un lien de causalité entre le racisme et la discrimination raciale dont ces personnes sont victimes et les discours de justification de l’esclavage et de la colonisation développés au fil des ans.

28.Pour mieux lutter contre le racisme et la discrimination, il est crucial de réanalyser la traite négrière et l’esclavage pour comprendre la généalogie qui les lie aux préjugés développés pour justifier ce crime contre l’humanité. La tragédie de la traite négrière et de l’esclavage et leurs conséquences permettent aussi de mieux comprendre ce que certains appellent «le péché originel de l’humanisme des droits de l’homme». En effet, il est utile de rappeler que c’est au moment même où les philosophies des Lumières se construisaient dans les pays européens que se sont élaborés les monstrueux «Codes noirs» et les théories de la suprématie de la race blanche qui ont permis de justifier moralement, intellectuellement, et/ou juridiquement ce crime contre l’humanité.

29.Par conséquent, avant d’être un objet de recherche, la question de la traite négrière et de l’esclavage doit être posée d’abord et avant tout comme une question éthique et morale. Il s’agit en effet de prendre la mesure de la barbarie que les sociétés ont été et sont capables de générer et de l’intolérable contradiction entre la proclamation de grands principes humanistes et l’assujettissement à un système socioéconomique reposant sur la déshumanisation des personnes. L’étude des effets de la traite négrière et de l’esclavage permet de mieux nous faire comprendre la fracture éthique et morale des sociétés contemporaines.

30.M. Moussa Iye dit qu’il convient aussi de tenir compte du fait que l’entreprise de réification utilisée pour transformer les Africains asservis en outils de production a des retentissements jusque dans les problématiques contemporaines. La politique de conditionnement pernicieuse, dont la pire forme est la théorie sur l’infériorité congénitale des Noirs justifiant leur statut d’esclave, est encore visible de nos jours. Certains incidents racistes en témoignent, telles les imitations simiesques de supporters blancs dans les stades de football européens accueillant des équipes composées de joueurs noirs, reproduisent, inconsciemment, la théorie de l’animalité du Noir qui a justifié l’esclavage.

31.Un autre aspect éthique de la traite négrière et de l’esclavage qui mérite d’être signalé concerne la compréhension de certaines situations contemporaines. L’état de développement actuel de l’Afrique ne peut, par exemple, s’expliquer sans une référence à la déstructuration profonde des sociétés africaines et à la saignée humaine, intellectuelle et culturelle dont l’Afrique a fait l’objet de manière systématique et durable pendant les siècles de la traite transsaharienne, transatlantique et trans-indo-océanique.

32.On ne peut pas non plus comprendre l’exclusion et la pauvreté dont sont victimes certaines populations d’ascendance africaine dans les Amériques, aux Caraïbes, dans l’océan Indien et ailleurs si l’on ne tient pas compte du système d’inégalité et d’exploitation hérité de l’esclavage qui s’est poursuivi bien après l’abolition de ce système.

33.L’UNESCO espère que l’Année 2011 sera l’occasion de remonter aux sources pour mieux comprendre la situation des personnes d’ascendance africaine et de réfléchir à de nouvelles voies pour répondre à leurs besoins et lutter contre les formes modernes de racisme. Il est urgent d’agir car, comme l’écrivain martiniquais Aimé Césaire l’a affirmé, «Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde.».

Dialogue interactif

34.M. Calí Tzay prend la présidence.

35.M. Murillo Martínez (Modérateur) dit que la lecture partielle de l’histoire a abouti à la méconnaissance ou à l’oubli du rôle joué par le processus d’esclavage dans l’accumulation du capital et des richesses dans les pays participant au commerce triangulaire. L’ancien Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, a affirmé lors de la Conférence de Durban, que l’on pourrait identifier «les familles» d’États ayant bénéficié de la traite et tirant encore partie de nos jours de ces avantages économiques. Le débat thématique sur les personnes d’ascendance africaine doit donc se pencher sur la question de l’histoire de l’esclavage en termes dynamiques mais aussi sur la question de la réparation et des effets psychiques de la traite négrière sur les esclaves et leurs descendants.

36.M. Riedel (Comité des droits économiques, sociaux et culturels) félicite le Comité d’avoir pris l’initiative d’organiser un débat thématique sur la discrimination raciale à l’égard des personnes d’ascendance africaineet d’ouvrir ainsi la voie à une analyse approfondie du sujet. Nombre d’organes conventionnels abordent cette question, dans le cadre de leur mandat, sous un angle ou un autre, mais le Comité dont il est membre est le premier et le seul à en avoir fait une analyse transversale. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a ainsi traité de la discrimination dont font l’objet des personnes d’ascendance africaine dans les domaines de l’accès à la santé, au logement, à l’éducation et au marché de l’emploi. Il est disposé à coopérer pleinement avec le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale afin que la question de la discrimination à l’encontre des personnes d’ascendance africaine soit traitée à un niveau plus global au sein du système des Nations Unies. Le racisme prend des formes multiples et systématiques et il doit nécessairement être tenu compte de la discrimination cachée et des victimes dites «invisibles» du racisme pour élaborer de nouveaux moyens de rompre ce cercle vicieux.

37.M. Estebes Morales (Vice-Ministre des affaires étrangères du Guatemala) dit que son pays, qui a été coauteur de la résolution 64/169 de l’Assemblée générale proclamant 2011 Année internationale des personnes d’ascendance africaine, accorde une grande importance à la lutte contre le racisme et la discrimination visant les personnes d’ascendance africaine qui souffrent encore de marginalisation au sein de toutes les sociétés. L’Année 2011 fournira une occasion précieuse d’améliorer leur qualité de vie et de remédier à la discrimination structurelle dont elles sont victimes dans l’accès aux soins de santé, à l’éducation, au logement et à la justice. Le Guatemala espère que les conclusions du dialogue interactif organisé par le Comité dans le cadre du débat thématique en cours figureront dans une recommandation générale du Comité.

38.M. Rodriguez Hoyer (Brésil) dit que le Brésil est le deuxième pays du monde par la taille de sa population d’ascendance africaine, soit plus d’un Brésilien sur deux, et qu’un nombre de plus en plus élevé de Brésiliens revendiquent cette ascendance. L’Année internationale des personnes d’ascendance africaine est non seulement propice à des célébrations mais aussi au souvenir: elle offre l’occasion de rendre hommage aux millions d’Africains qui ont été forcés à quitter leur continent. Pour tirer les enseignements des erreurs du passé et éviter qu’elles ne se reproduisent, les États doivent garantir, de facto comme de jure, le droit de chacun à l’alimentation, à un logement et à un travail décents, ainsi que l’accès à un enseignement de qualité, à la santé et à la culture.

39.Le Brésil s’enorgueillit du caractère multiracial, multiculturel, multiethnique et multireligieux de sa population qui reflète la diversité de la société brésilienne. Pourtant, le racisme et les préjugés ont fait de nombreux laissés-pour-compte sur le plan économique et social et la diversité cache des grandes inégalités sociales.

40.La prise de conscience de ces inégalités sociales et la volonté de les combattre constituent l’une des victoires du mouvement noir. Ce n’est que lorsqu’il aura réussi à les éliminer que le Brésil deviendra un État juste, démocratique et égalitaire. À cette fin, il ne ménage aucun effort pour favoriser l’intégration raciale et sociale et a adopté à la fois de grandes politiques sociales et des politiques sectorielles comportant des mesures volontaristes. L’adoption en 2010 de la loi sur l’égalité raciale a marqué à cet égard une démonstration éclatante de la détermination de l’État à garantir l’égalité des chances aux personnes d’ascendance africaine et à promouvoir la tolérance. Cette loi peut être invoquée devant les tribunaux nationaux et prévoit tout un éventail de mesures, y compris correctrices, touchant diverses questions telles que la parité, la santé, l’éducation, la culture, la religion, les communautés quilomba, le sport, les loisirs, l’accès à la terre, le renforcement des capacités, la cybercriminalité ou encore le logement, et doit être appliquée tant dans le secteur privé que dans le secteur public.

41.Au Brésil comme dans de nombreux pays du monde, la pauvreté et l’exclusion touchent de manière disproportionnée les personnes d’ascendance africaine. Tant que cette situation persistera, les engagements pris à la Conférence de Durban en 2001 ainsi qu’à la Conférence d’examen tenue à Genève en 2009 resteront de lointains objectifs et la mission confiée par la communauté internationale n’aura pas été accomplie.

42.MmeCrickley dit que le racisme touche de nombreux groupes de population différents, dont la couleur de la peau est le seul dénominateur commun. Elle fait observer qu’en Europe, les Noirs s’identifient souvent comme des «Européens noirs» et non comme des personnes d’ascendance africaine. Elle estime que dans le cadre de la rédaction d’une recommandation générale sur la discrimination à l’égard des personnes d’ascendance africaine, le Comité devra établir une distinction entre les personnes d’ascendance africaine et les personnes ayant des origines africaines, et tenir compte de toutes les catégories de personnes concernées, y compris celles qui ont fait partie des grands flux migratoires des vingt années précédentes à l’échelle de la planète, les demandeurs d’asile, les travailleurs migrants, les personnes d’ascendance africaine venues en Europe à partir des Caraïbes ou de l’Amérique du Sud. D’après une étude menée en Europe, le racisme y touche davantage les personnes originaires d’Afrique subsaharienne que d’Afrique du Nord, d’où l’importance de bien faire la distinction entre ces groupes de population et de ne pas perdre de vue, lors de la rédaction de la recommandation générale, le sort des membres les plus vulnérables des minorités, notamment les femmes.

43.M. Avtonomov dit que la traite des êtres humains n’explique pas à elle seule le racisme puisque les pays qui n’y ont pas participé − comme la Norvège, la Suède ou la Finlande − n’en sont pas pour autant exempts. Il souligne l’importance de rester toujours vigilant en matière de lutte contre les préjugés et la discrimination, faute de quoi ces phénomènes refont surface, voire redoublent d’intensité. Il en veut pour preuve le cas de la Russie, solidaire de l’Afrique dans les années 60 et 70, qui a par la suite été confrontée à une recrudescence de ces fléaux dans les années 90. M. Avtonomov fait sienne l’idée de Mme Crickley d’élargir la recommandation générale à toutes les personnes d’ascendance africaine, indépendamment de leur origine, de leur histoire personnelle, de la raison de leur présence dans un pays ou un autre.

44.M. de Gouttes, rappelant qu’il est l’un des auteurs de la recommandation générale no 31 sur la discrimination raciale dans l’administration et le fonctionnement du système de justice pénale (2005), dit que le Comité devra garder à l’esprit, lors de l’élaboration de la recommandation générale, trois indicateurs majeurs de la discrimination raciale dont les personnes d’ascendance africaine sont fréquemment victimes: premièrement, le profilage racial, qui se traduit par des interpellations, des contrôles d’identité, des fouilles et le placement en garde à vue intempestifs par les membres des forces de l’ordre; deuxièmement, le faible pourcentage de plaintes déposées par les personnes d’ascendance africaine victimes de discrimination, qui ont des difficultés d’accès à la justice, méconnaissent leurs droits et manquent de confiance aux autorités de police et de justice; troisièmement, le pourcentage élevé des personnes d’ascendance africaine dans les prisons et les centres de rétention.

45.M. Diaconu dit que dans le cadre de son dialogue avec les États parties, le Comité devra aborder la question de la discrimination structurelle dont sont victimes les personnes d’ascendance africaine dans les domaines de l’emploi, de l’éducation, du logement, de la participation à la vie publique, ainsi que celle des mesures spéciales prises pour combattre le racisme institutionnel. Le Comité devra désormais, outre la question de l’ascendance sociale qui a abouti au système des castes dont il s’est toujours préoccupé, réfléchir à la discrimination liée à l’ascendance africaine.

46.M. Saidou, rappelant que les pires atrocités de l’histoire de l’humanité ont été commises contre les personnes d’ascendance africaine, pense qu’en matière de discrimination, il faut en effet toujours faire preuve de la plus grande vigilance. Faisant référence aux propos antisémites tenus récemment en France par un styliste de renom et à l’émoi que cet événement a suscité au sein de la population, M. Saidou regrette que l’image de l’homme noir soit quant à elle ternie dans les médias et souhaiterait que les personnes d’ascendance africaine occupent une place similaire dans l’inconscient collectif. Le Comité pourrait peut-être, dans le cadre de son dialogue avec les États parties, demander à ces derniers de transposer dans leur droit positif la recommandation générale no 31, que les personnes d’ascendance africaine pourraient par la suite invoquer devant les tribunaux nationaux.

47.M. Ewomsan pose la question de savoir si pour lutter contre le racisme institutionnel, il ne vaudrait pas mieux combattre l’«afro-pessimisme» à l’origine selon lui de la discrimination dont sont victimes les personnes d’ascendance africaine et de la perception que l’Occident a de l’Afrique et de sa culture, d’autant plus que les nouvelles technologies de l’information ont abouti à une homogénéisation de la culture à l’échelle planétaire qui va à l’encontre de la promotion de la diversité et de la compréhension entre les peuples.

48.M. Lahiri estime que le fait de vouloir inclure toutes les personnes d’ascendance africaine sans exception, à savoir toute personne ayant un ADN africain, dans la recommandation générale pourrait être contre-productif. En effet, les États parties pourraient décider de supprimer toutes leurs mesures palliatives de peur d’oublier un groupe de population donné et d’être accusés de l’exclure délibérément. C’est ainsi qu’en temps de crise, ils pourraient mettre en œuvre une stratégie de réduction de la pauvreté non ciblée qui viserait les personnes d’ascendance africaine, lesquelles sont généralement pauvres. Il propose donc de consacrer la recommandation générale aux 140 millions et 90 millions de personnes d’ascendance africaine vivant respectivement en Amérique du Sud et en Amérique du Nord, dont les ancêtres ont été victimes de l’esclavage.

49.M. Micek (Human Rights Advocates) rappelle que le droit de prendre part aux affaires publiques est un droit fondamental, qui permet de veiller à ce que les droits des minorités soient protégés et à ce que les citoyens se fassent entendre. Cela dit, dans de nombreux pays, les membres des minorités sont exclus de la vie politique, sans que personne s’en émeuve. Ainsi, aux États-Unis d’Amérique, où les auteurs d’infractions sont privés du droit de vote dans certains États; ce qui entraîne que 13 % des hommes noirs ne peuvent pas y voter et, partant, se faire représenter.

50.En Colombie, les communautés d’ascendance africaine sont en butte à des problèmes écologiques qui menacent leur mode de vie traditionnel, mais elles ne peuvent pas faire entendre leur voix malgré l’appui des militants des droits de l’homme, eux-mêmes parfois malmenés.

51.M. Micek se félicite de ce que dans certaines régions du monde, le droit de vote des auteurs d’infractions ait été garanti par une décision de justice; il fait notamment référence à la Cour européenne des droits de l’homme et au Tribunal constitutionnel de l’Afrique du Sud qui ont rendu des jugements dans ce sens. L’organisation Human Rights Advocates espère que les États prendront conscience de la discrimination de fait dont sont victimes les membres des minorités et accepteront de recourir à des mesures correctrices, dont des quotas, et de faire respecter le principe de la représentation proportionnelle. Elle aimerait savoir quelles mesures supplémentaires le Comité entend proposer aux États membres, au cours de l’Année internationale des personnes d’ascendance africaine, pour garantir la représentation adéquate, et dans des conditions d’égalité, des membres des minorités sur la scène politique.

52.MmeBiekman (Type International), s’exprimant au nom de 21 organisations de femmes noires, de migrantes et de réfugiées et d’organisations de jeunes, dit être très déçue par le peu d’entrain dont fait preuve le Gouvernement néerlandais au sujet de la célébration de l’Année internationale des personnes d’ascendance africaine et de la commémoration du dixième anniversaire de la Déclaration de Durban. Le Gouvernement néerlandais a fait valoir que plutôt que de célébrer les journées, décennies et autres manifestations en faveur d’une cause précise proposées par l’ONU, il préférait veiller au respect et à l’application aux Pays-Bas des dispositions du droit international ayant trait à la lutte contre la discrimination raciale. Mme Biekman déplore en outre que le Gouvernement néerlandais ait exprimé sa volonté de supprimer les politiques d’intégration en faveur de certains groupes ethniques et n’ait pas élaboré depuis 2001 de plan national d’action pour donner suite à la Déclaration et au Programme d’action de Durban. Manifestement, le Gouvernement néerlandais s’intéresse davantage à combattre l’homophobie et l’antisémitisme − qui font l’objet de politiques spécifiques − qu’à lutter contre le racisme dont sont victimes les personnes d’ascendance africaine.

53.M. Quesada (Global Rights) dit que l’absence de données ventilées sur les personnes d’ascendance africaine dans certains pays d’Amérique latine en dit déjà long sur le manque de volonté politique des gouvernements concernés.

54.M. Quesada dit que les pays d’Amérique latine n’ont reconnu l’existence d’une discrimination structurelle à l’encontre des personnes d’ascendance africaine sur leurs territoires respectifs que depuis cinq ans. Cette reconnaissance constitue un premier pas et devra être suivie de mesures visant à combattre ce fléau. Le Comité devrait donc recommander aux États parties de garder à l’esprit les groupes d’ascendance africaine lors de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques publiques destinées à combattre la discrimination raciale, ainsi que lors de leur évaluation.

55.Enfin, M. Quesada voudrait savoir de quelle manière le Comité pense pouvoir améliorer sa coopération avec les mécanismes régionaux de protection des droits de l’homme, comme la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

La séance est levée à 13 h 5.