Nations Unies

CERD/C/SR.2243

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

20 août 2013

Original: français

Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale

Quatre-vingt-troisième session

Compte rendu analytique de la 2243 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le vendredi 16 août 2013, à 15 heures

Président (e): M. Avtonomov

Sommaire

Examen des rapports, observations et renseignements soumis par les États parties en application de l’article 9 de la Convention

Seiz ième à dix-huit ième rapports périodiques du Tchad

La séance est ouverte à 15 h 10.

Examen des rapports, observations et renseignements soumis par les États parties en application de l’article 9 de la Convention

Seizième à dix-huitième rapports périodiques du Tchad (CERD/C/TCD/16-18; CERD/C/ TCD/Q/16-18; HRI/CORE/1/Add.88)

Sur l ’ invitation du Président, la délégation tchadienne prend place à la table du Comité.

M me Kodjiyana (Tchad) indique que son pays a déployé des efforts considérables depuis la présentation du précédent rapport périodique en 2009 afin d’améliorer le cadre juridique et institutionnel de promotion et de protection des droits de l’homme. Convaincu qu’un État de droit vit de la justice et prospère par la justice, le Gouvernement a entrepris de réviser le Code pénal, le Code de procédure pénale et le Code de procédure civile afin qu’ils soient conformes aux engagements internationaux contractés par le pays. Plusieurs textes de loi ont été adoptés ou sont en cours d’adoption. Une ordonnance portant réforme du statut de la magistrature a été promulguée en 2012 et un projet de révision du Code pénal, qui interdit notamment les mariages forcés et précoces, les mutilations génitales féminines et la traite des enfants, a été soumis au Conseil des ministres en 2012; une relecture de ce texte a été effectuée en février 2013 et une dernière consultation régionale doit être organisée avant son adoption par l’Assemblée nationale. Un projet portant création du code des personnes et de la famille est également en cours d’adoption. De manière générale, les autorités législatives, judiciaires et administratives tchadiennes veillent au respect des normes internationales relatives aux droits de l’homme énoncées dans les instruments internationaux, régionaux et nationaux. Les efforts consentis par le Gouvernement depuis 2009 ont permis au pays de connaître une stabilité relative, notamment grâce aux accords de réconciliation et de paix signés par le Gouvernement, les différents mouvements de rébellion et le Soudan. L’accord signé avec le Soudan a permis de sécuriser les frontières communes aux deux pays en y déployant une force mixte de sécurité tchado-soudanaise.

Suite aux élections communales de 2012, les premières depuis l’indépendance du pays, des conseils communaux ont été créés et devraient jouer un rôle majeur dans le processus de décentralisation. Un accord conclu en avril 2013 entre les acteurs de la classe politique − qui comprend plus de 146 partis − a débouché sur la mise en place du Cadre national de dialogue politique, qui a renforcé le processus démocratique en cours. Depuis la présentation du rapport précédent, le Tchad a également ratifié plusieurs instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, dont le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Réélu pour un mandat de cinq ans en 2011, le chef de l’État, M. Idriss Itno, entend promouvoir le développement du monde rural, en mettant particulièrement l’accent sur l’autonomisation des femmes et des jeunes. L’exploitation pétrolière a offert au pays de nouvelles et réelles perspectives de développement. Les recettes ainsi générées ont donné aux autorités les moyens d’investir dans des secteurs prioritaires tels que l’éducation, la santé et les infrastructures routières. Le Gouvernement a également mis en place un plan national de développement stratégique pour 2013-2015, qui a pour objet d’accélérer le développement dans les domaines précités, d’améliorer l’accès à l’eau potable et à une alimentation décente et de moderniser l’agriculture.

M me Dah (Rapporteuse pour le Tchad), notant que le rapport périodique à l’examen a été entériné par le Comité interministériel chargé du suivi des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, établi en 2011, souhaite connaître la composition de cette instance et demande si des organisations non gouvernementales (ONG) et la société civile ont pris part à l’élaboration du rapport. Elle relève que le document de base commun à tous les organes conventionnels date de 1997 et engage l’État partie à actualiser ce document. La délégation est invitée à indiquer si le Tchad considère toujours, suite à la politique de réinstallation des déplacés menée par le Gouvernement, qu’en 2013, 93 % de la population sont sédentaires et 7 % nomades. La délégation a évoqué les répercussions positives du boom pétrolier sur le développement du pays mais il serait intéressant de connaître l’incidence des activités d’extraction pétrolière sur les conditions de vie dans les zones rurales et sur l’atténuation des conflits entre ethnies. La délégation est également invitée à indiquer quand aura lieu le prochain recensement et quand l’analyse des données qui auront été recueillies dans ce cadre sera disponible.

S’agissant de l’article 7 de la Convention, Mme Dah aimerait en savoir plus sur la manière dont l’histoire tchadienne est enseignée dans les écoles et collèges, en particulier pour ce qui a trait aux affrontements interethniques que le pays a connus. Elle demande si un programme d’éducation civique et d’éducation aux droits de l’homme est proposé aux élèves et, dans l’affirmative, à quel degré du système scolaire. Elle rappelle que dans ses observations finales précédentes (CERD/C/TCD/CO/15), le Comité avait demandé au Tchad de lui fournir des informations dans un délai d’un an sur la suite donnée aux recommandations figurant aux paragraphes10, 12 et 18. Il est regrettable que le Gouvernement tchadien n’ait fourni aucune information depuis 2009 et ait choisi d’y répondre dans le rapport périodique à l’examen. L’État partie indique ainsi, au sujet de la mise en œuvre du paragraphe 10 des observations finales, qu’une commission d’enquête a été créée sur les événements survenus au Tchad en janvier-février 2008 et que le Gouvernement a mis en œuvre 12 des 13 recommandations formulées par celle-ci à l’issue de ses travaux. Notant que toutes ces recommandations importantes allaient dans le sens de l’apaisement, Mme Dah demande pourquoi le Gouvernement n’a pas jugé bon de donner effet à la treizième et en quoi celle-ci consistait. Elle note également que le Gouvernement tchadien a déposé plainte contre xpour des crimes de guerre contre l’humanité commis par des éléments armés et leurs complices sur le territoire national en janvier et février 2008 et que la procédure suit son cours. La Rapporteuse souhaite savoir combien de dossiers ont été instruits, combien ont abouti et quelles sanctions la justice a prononcées.

S’agissant du paragraphe 11 des précédentes observations finales, qui portait sur la réforme de la justice, la lutte contre la corruption au sein de la justice et l’indépendance de la justice et des magistrats, Mme Dah note que le Gouvernement a lancé en 2012 une vaste opération de lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite dénommée Opération «Cobra» en vue de démasquer les auteurs d’enrichissement illicite et d’enrayer la corruption, et voudrait savoir comment cette opération s’est déroulée concrètement, combien de personnes soupçonnées de détournement de fonds ont été traduites en justice, combien d’affaires de corruption ont été traitées et si des poursuites ont été engagées contre toutes les personnes concernées, sans distinction de rang ni d’origine ethnique. Pour garantir l’indépendance de la justice et des magistrats, le Gouvernement indique avoir réformé le statut de la magistrature par une ordonnance de 2012, dont l’article 18 dispose que «hormis les cas prévus par la loi et sous réserve des pouvoirs disciplinaires, les magistrats ne peuvent être inquiétés en aucune manière, en raison des actes qu’ils accomplissent dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions». Or, Mme Dah dit que selon certaines sources, en février 2013, une tentative de réforme constitutionnelle visant à remettre en cause le principe d’inamovibilité des magistrats a fait l’objet de recours devant le Conseil constitutionnel, lequel a jugé l’ordonnance en question contraire à l’article 141 de la Constitution qui garantit l’indépendance du pouvoir judiciaire. La délégation est invitée à commenter ces informations. S’agissant de l’accès à la justice, la Rapporteuse note avec satisfaction qu’une direction de l’accès à la justice a été créée au sein du Ministère de la justice afin de fournir l’assistance juridique et judiciaire aux justiciables, mais voudrait savoir si les services fournis concernent aussi les réfugiés et les personnes déplacées. Cette direction organiserait aussi des programmes de formation et Mme Dah demande combien de magistrats ont été formés et quelle place y est accordée à l’enseignement des droits de l’homme.

La Rapporteuse demande quel est l’état d’avancement de l’avant-projet de loi sur les réfugiés, qui est en gestation depuis 2007, et quels obstacles entravent sa finalisation. Relevant que la distinction entre personnes déplacées et populations hôtes a été abolie en 2012, elle voudrait savoir comment les relations entre ces groupes sont gérées au quotidien et si les initiatives visant à favoriser l’intégration des personnes déplacées sont accompagnées de projets de développement conçus à leur intention. En outre, elle souhaiterait des renseignements sur la suite donnée aux recommandations formulées par le Représentant du Secrétaire général pour les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays, M. Kälin, dans son rapport sur sa mission au Tchad (A/HRC/13/21/Add.5) et demande des précisions sur les services de base mis à la disposition de ces personnes, notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la justice. Elle voudrait par ailleurs savoir en quoi le projet de loi interdisant la discrimination fondée sur l’ascendance se distingue du projet de loi relatif à l’interdiction de la discrimination raciale et invite la délégation à engager les autorités compétentes à tenir compte de la Recommandation générale no 29 du Comité concernant la discrimination fondée sur l’ascendance (A/57/18), qui contient une définition utile de cette notion. En outre, elle souhaiterait savoir dans combien de temps le projet de loi relatif à l’interdiction de la discrimination raciale pourra être adopté et quand les travaux visant à mettre le Code pénal et la loi sur l’état civil en conformité avec la Convention parviendront à bonne fin. Elle demande si l’État partie prévoit de se doter d’une loi réprimant les actes visés à l’article 4 de la Convention. Enfin, notant qu’aucune affaire de violation de la Convention n’est citée dans le rapport, la Rapporteuse voudrait savoir si la Médiature de la République et la Commission nationale des droits de l’homme ont déjà été saisies de plaintes pour discrimination raciale.

M. Saidou, relevant que la Constitution interdit les normes coutumières légitimant les inégalités de traitement, demande ce que fait l’État partie pour éviter que, dans le domaine matrimonial et en matière de succession, ces normes continuent d’être appliquées. Il souhaiterait savoir si les membres des forces de l’ordre et des forces armées bénéficient d’une formation aux droits de l’homme et, en particulier, à la Convention, et si la coexistence entre la population locale et les Arabes mahamides, nomades vivant dans une région s’étendant de part et d’autre de la frontière entre le Tchad et le Niger, donne lieu à des tensions comme cela a été le cas au Niger. Enfin, M. Saidou voudrait savoir si des ressources suffisantes ont été allouées à la Commission nationale des droits de l’homme afin de lui donner toutes les chances d’obtenir sa réaccréditation auprès du Comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme.

M. Ewomsan souhaiterait connaître le nom des ONG qui ont participé à l’élaboration du rapport. Relevant avec satisfaction que l’État partie s’est engagé à légiférer afin d’éradiquer certaines coutumes discriminatoires, il voudrait savoir s’il envisage de mener des campagnes de sensibilisation afin de convaincre la population de renoncer à certaines pratiques, dont la «diya» (le prix du sang). Enfin, la délégation voudra bien faire le bilan des forums sur les droits de l’homme qui ont été organisés dans le pays, en indiquant si ces manifestations ont débouché sur des résultats concrets dans le domaine de la lutte contre la discrimination raciale.

M. Diaconu souhaiterait des renseignements détaillés, notamment des statistiques démographiques, sur les peuples nomades dont il est fait mention dans le document de base (HRI/CORE/1/Add.88, par. 7) ainsi que sur les peuples autochtones vivant dans l’État partie, dont la situation avait fait l’objet d’une recommandation dans les observations finales les plus récentes du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (E/C.12/TCD/CO/3, par. 13), en particulier les Peuls. En outre, il invite la délégation à indiquer si la Commission nationale des droits de l’homme est opérationnelle à l’heure actuelle et comment l’État partie parvient à faire coexister le système de justice traditionnelle avec le système judiciaire ordinaire et si les personnes qui ne sont pas satisfaites d’une décision rendue par une juridiction coutumière peuvent former un recours devant un tribunal ordinaire.

M. Murillo Martínez voudrait savoir comment la situation démographique a évolué dans l’État partie depuis la publication du document de base, en 1993, s’agissant en particulier de l’espérance de vie et de la proportion de nomades dans la population, et si le taux d’alphabétisation des femmes a augmenté. Il aimerait en outre savoir si la composition des partis politiques coïncide avec l’appartenance ethnique et si les langues des minorités les plus importantes sont officielles. Enfin, de plus amples informations sur les mutilations génitales féminines seraient bienvenues.

M.  de Gouttes demande si le nouveau projet de loi sur la discrimination raciale et le projet de révision du Code pénal interdisent la diffusion d’idées racistes et l’incitation à la haine raciale, conformément à l’article 4 de la Convention. Rappelant que l’absence de plaintes judiciaires pour discrimination raciale peut être révélatrice de la méfiance de la population à l’égard des autorités ou d’une méconnaissance de la loi, il demande combien de plaintes ont été enregistrées depuis la présentation du dernier rapport périodique, si la Commission nationale des droits de l’homme est habilitée à recevoir ce type de plaintes et si elle est conforme aux Principes de Paris, et si le Comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme lui a accordé le statut A. Il aimerait en outre savoir si tous les membres du personnel judiciaire, et pas uniquement les magistrats, sont sensibilisés au respect des droits de l’homme. Enfin, il s’enquiert des mesures spéciales de protection prises dans le cadre du Plan national d’action en faveur des droits de l’homme (2012-2015) en vue de protéger les groupes les plus vulnérables, en particulier les femmes, les membres de castes et les nomades.

M.  Vázquez demande des précisions sur les mesures prises pour lutter contre la corruption et aimerait un complément d’information sur les mesures prévues dans le projet de révision du Code pénal pour interdire la violence à l’égard des femmes et les mutilations génitales féminines (MGF). Il demande s’il est exact que les enfants de réfugiés soudanais ne reçoivent qu’une déclaration de naissance et non un acte de naissance, contrairement aux enfants réfugiés originaires de la République centrafricaine, et s’enquiert des mesures prises pour régulariser la situation. Il craint que l’article 5 de la Constitution portant interdiction de toute propagande «tendant à porter atteinte à l’unité nationale» soit détourné de sa fonction première et utilisé pour intimider les dissidents, y compris les défenseurs des droits de l’homme, et il aimerait l’avis de la délégation à ce sujet. Selon un rapport d’Amnesty International, le journaliste Jean-Claude Nekim a reçu une amende pour avoir diffusé une pétition de protestation contre la politique gouvernementale à l’égard de l’exploitation des réserves de pétrole du pays, sous prétexte qu’il critiquait le Gouvernement, et des syndicalistes ont été poursuivis pour avoir élaboré cette pétition. Un complément d’information sur cette affaire serait bienvenu. En outre, deux défenseurs des droits de l’homme, Jacqueline Moudeina − Présidente de l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’homme − et Dobian Assingar − Président d’honneur de la Ligue tchadienne des droits de l’homme −, ont subi des représailles et des intimidations en lien avec leurs activités. Il demande quelles mesures l’État partie prend pour faire cesser ces pratiques. Enfin, il croit savoir que la plupart des membres du Gouvernement sont issus de l’ethnie zaghawa, qui est aussi celle du Président, et aimerait des explications à ce sujet.

M. Kemal demande un complément d’information sur le cadre politique et économique du pays, le traitement réservé aux réfugiés et la gestion des tensions dans les zones frontalières avec le Soudan. Il aimerait en outre savoir combien d’enfants soldats ont été démobilisés et combien de lieux de détention illégaux ont été fermés depuis la présentation du dernier rapport périodique. Il demande combien de fois s’est réunie la Commission d’enquête sur les événements de février 2008, combien de membres des forces de l’ordre ont reçu une formation au droit humanitaire en 2011 et combien de personnes ont suivi une formation à l’éducation civique. Il aimerait enfin savoir quelle prise en charge a été offerte aux victimes de viol, combien d’entre elles ont reçu réparation et si les agresseurs ont été punis.

M me Crickley demande quand le projet de loi sur l’interdiction de la discrimination raciale entrera en vigueur. Elle aimerait avoir des précisions sur les mesures qui ont été prises dans le cadre du plan national d’action en faveur des droits de l’homme (2012-2015) en vue de protéger les femmes réfugiées ou déplacées. Elle s’enquiert en outre des mesures adoptées pour lutter contre la discrimination fondée sur l’ascendance et combattre l’exclusion des groupes nomades. Enfin, elle aimerait savoir si le projet de code des personnes et de la famille prévoit des mesures pour réprimer les mutilations génitales féminines et protéger les femmes issues de groupes minoritaires.

M.  Lindgren Alves souhaite en savoir plus sur le système des castes au Tchad, et dit que l’État partie aurait peut-être dû fournir des données ventilées par religion et non pas par ethnie, ce qui aurait permis de mieux appréhender la réalité du pays.

M.  Ewomsan ajoute que des données rendant compte de la composition ethnique sont nécessaires pour mieux comprendre les divisions internes et lutter contre les inégalités qui nuisent à l’unité nationale.

Le Président, s’exprimant en tant que membre du Comité, aimerait des éclaircissements sur la position de l’État partie à l’égard de la ratification de l’amendement à l’article 8 de la Convention. Il demande si l’État partie a l’intention de faire la déclaration prévue à l’article 14 de la Convention, qui reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de personnes qui se plaignent d’être victimes de discrimination. Enfin, il aimerait savoir comment est nommé le Médiateur de la République, quelles sont ses attributions et s’il a été saisi de plaintes pour discrimination raciale.

La séance est levée à 18 heures.