Nations Unies

CERD/C/SR.1914

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

18 janvier 2010

FrançaisOriginal: anglais

Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Soixante- quatorzième session

Compte rendu analytique de la 1914 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le lundi 23 février 2009, à 15 heures

Président e: Mme Dah

Sommaire

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention (suite)

Rapport initial et deuxième et troisième rapports périodiques de la Turquie

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention (suite)

Rapport initial et deuxième et troisième rapports périodiques de la Turquie (CERD/C/TUR/3).

1.Sur l’invitation de la Présidente, la délégation turque prend place à la table du Comité.

2.M. G öğǘş(Turquie), résumant et approfondissant les réponses écrites de son pays à la liste des points à traiter, dit que la Turquie a engagé depuis 2001 un vaste et énergique processus de réforme pour renforcer la promotion et la protection des droits de l’homme. L’objectif de la première phase de celui-ci était d’harmoniser le cadre juridique national avec les principes et normes internationales, tandis que celui de la seconde est de mettre en œuvre le nouveau cadre juridique.

3. Au cours de la première phase, la Constitution a été modifiée trois fois et huit trains de mesures d’harmonisation ont été adoptés en moins de trois ans. Grâce à l’amendement de l’article 90 de la Constitution, en 2004, les instruments internationaux relatifs aux droits et libertés fondamentales ratifiés par la Turquie priment désormais sur la législation interne. Les modifications constitutionnelles ont été renforcées avec l’adoption de lois visant à affermir la démocratie, à promouvoir le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à consolider l’état de droit et l’indépendance de la magistrature. Les réformes introduites dans le domaine des droits de l’homme ont été largement saluées et soutenues par la communauté internationale.

4. La volonté du Gouvernement turc de poursuivre le processus de réforme engagé est confirmée par les éléments suivants: la promulgation rapide des projets de loi approuvés par le Parlement et la soumission de nouveaux textes au Parlement; l’accélération du processus de ratification des conventions internationales relatives aux droits de l’homme signées par la Turquie; l’établissement du poste de médiateur; et la création d’une institution nationale indépendante des droits de l’homme. La Turquie coopère étroitement et de manière constructive avec les organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et examine attentivement tous les rapports et recommandations des organisations intergouvernementales et non gouvernementales afin de leur accorder l’attention voulue dans le processus de réforme.

5. Dans le cadre de la seconde phase du processus de réforme, les fonctionnaires du Gouvernement chargés d’appliquer la nouvelle législation ont notamment suivi une formation à cette fin. Les programmes de formation dispensés aux policiers, aux magistrats et aux procureurs sur les questions relatives aux droits de l’homme ont permis d’amorcer un changement d’attitude et il a donc été décidé d’en faire bénéficier les étudiants, les organisations de la société civile et le grand public.

6. La Turquie a mis en place des mécanismes nationaux de contrôle et consulté des représentants de la société civile afin de veiller à la pleine application de la nouvelle législation. Un régime solide des droits de l’homme est encouragé par la sensibilisation de toutes les couches de la société et l’émergence d’une culture de respect des droits de l’homme a été favorisée par le biais de programmes bilatéraux et de projets menés en coopération avec le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. La Turquie a adhéré à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale en 2002.

7. La Turquie adhère pleinement au principe selon lequel tous les êtres humains naissent égaux en dignité et en droits. Toute doctrine ou pratique fondée sur la supériorité raciale est juridiquement et moralement inacceptable. Bien que des progrès tangibles aient été accomplis vers l’élimination des formes institutionnalisées de discrimination raciale, la communauté internationale est confrontée à une nouvelle montée des préjugés, de l’exclusion et des violences racistes. La Turquie, qui est résolument engagée dans la lutte contre le racisme et contre la discrimination raciale telle que définie dans la Convention, a incorporé des dispositions solides et efficaces dans sa législation sur l’interdiction de la discrimination raciale.

8. Le système constitutionnel de la Turquie est fondé sur le principe de l’égalité de tous les individus devant la loi, sans distinction de langue, de race, de couleur, de sexe, d’opinions politiques, de croyances philosophiques, de religion ou d’appartenance à une secte, ou autre distinction fondée sur des considérations similaires. Nul privilège ne peut être accordé à une personne, une famille, un groupe ou une classe. En Turquie, tous les individus sont égaux devant la loi, jouissent des mêmes droits et ont les mêmes obligations. Les actes de discrimination sont interdits et réprimés par la loi. La Constitution confère au pouvoir judiciaire une grande latitude dans l’appréciation des violations du principe d’égalité.

9. Tout citoyen turc est considéré comme un élément constitutif de l’identité et de la culture nationales. La notion de citoyenneté est définie à l’article 66 de la Constitution, sans considération d’appartenance à un groupe ethnique, linguistique ou religieux. L’origine raciale ou ethnique d’un citoyen n’entre pas en ligne de compte en l’espèce, étant donné que l’identité nationale est définie en fonction des liens territoriaux et non pas des liens de sang.

10. La nation turque n’est pas une juxtaposition de communautés ou de groupes mais est composée de citoyens égaux devant la loi. En conséquence, il n’y a pas en Turquie de recensements officiels ou de collectes de données portant sur les caractéristiques ethniques ou linguistiques de la population. De même, les droits et libertés fondamentaux consacrés dans la Constitution n’engendrent pas de distinction entre les citoyens turcs et les étrangers. Les droits et libertés fondamentaux des étrangers ne peuvent être limités que par la loi, conformément au droit international. Les droits sociaux de base sont également garantis par la Constitution à tous les individus, quelle que soit leur nationalité, et le principe d’égalité est inscrit dans plusieurs lois régissant des domaines particuliers de la vie politique, sociale et économique. Toute manifestation de discrimination est interdite et sanctionnée par la loi.

11. En 1990, la Turquie a reconnu la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme et, bien qu’elle soit le pays visé par le plus grand nombre d’arrêts, aucune condamnation pour violation de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme n’a été prononcée contre la Turquie par la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires de discrimination raciale dont elle a été saisie.

12. Le nouveau Code pénal, entré en vigueur le 1er juin 2005, contient plusieurs dispositions qui criminalisent le génocide et les crimes contre l’humanité, lesquels comprennent les actes commis contre les membres d’un groupe racial, conformément aux instruments internationaux. Le Code pénal prévoit que l’exercice du droit à la liberté d’expression peut être restreint pour prévenir l’incitation à l’hostilité ou à la haine sociale, raciale, religieuse ou régionale. Tout acte visant, concrètement, à porter atteinte à la sécurité nationale, est érigé en infraction pénale. Tout jugement de condamnation d’une infraction de cette nature doit être dûment motivé. Les discours et les opinions qui constituent un «danger évident et imminent» pour l’ordre public peuvent être prohibés. Quelque 8 500 magistrats et procureurs ont reçu une formation au cours des années antérieures pour veiller à la mise en application intégrale du nouveau Code pénal.

13. Attendu que toute doctrine ou pratique fondée sur la supériorité raciale est juridiquement et moralement inacceptable, la création d’associations proclamant la suprématie d’une race particulière est interdite. Les personnes qui créent une association interdite par la loi ou les dirigeants d’une association qui exerce des activités en contradiction avec la loi sont passibles d’un emprisonnement minimum d’un à trois ans et d’une amende. Dans ce cas, l’association en question est dissoute.

14. Le Code civil dispose que si les objectifs d’une association ne sont pas compatibles avec la loi et la moralité publique, le juge peut en ordonner la dissolution. Lorsqu’un parti politique ou une association ou organisation est créé ou exerce ses activités sur la base d’idées ou de doctrines prônant la supériorité d’une race ou d’une origine ethnique particulière, ou tente de justifier ou de promouvoir la haine raciale ou la discrimination raciale, les autorités prennent les mesures qui s’imposent en conformité avec les dispositions des lois pertinentes.

15. En vertu du système constitutionnel turc, le terme «minorité» s’applique uniquement aux groupes de personnes définis et reconnus en tant que minorités conformément aux instruments multilatéraux ou bilatéraux auxquels la Turquie est partie. Par conséquent, en Turquie, les droits des minorités sont régis par le Traité de paix signé en 1923 à Lausanne. Conformément à cet instrument, les citoyens turcs appartenant à une minorité non musulmane relèvent de la définition des «minorités». Dans la législation turque, on trouve uniquement l’expression «minorité non musulmane». Les citoyens turcs appartenant à une minorité non musulmane jouissent des mêmes droits et libertés que le reste de la population et les exercent dans les mêmes conditions. En outre, ils bénéficient du statut de minorité en vertu des dispositions du Traité de Lausanne. Le Gouvernement turc ne recueille pas et n’utilise par conséquent pas de données sur les caractéristiques ethniques de la population ou sur la situation socioéconomique des membres des différents groupes ethniques vivant sur le territoire national.

16. S’agissant du droit à l’éducation, tous les enfants de nationalité turque jouissent de droits égaux en matière d’éducation, quels que soient leur sexe, leur religion, leur origine raciale ou ethnique ou leur langue. Aucun segment de la société turque n’est victime de pratiques discriminatoires en matière d’accès à l’éducation. Les problèmes qui se posent dans ce domaine sont dus aux difficultés économiques auxquelles la Turquie est confrontée en tant que pays en développement.

17. Le terme «minorité» n’est pas utilisé en opposition aux citoyens turcs musulmans. Tous les citoyens turcs, qu’ils soient membres d’une minorité non musulmane ou d’origine kurde, ont accès au système d’éducation nationale unifié. Les ressortissants turcs appartenant aux minorités non musulmanes, y compris les minorités arménienne, grecque et juive, ont leurs propres établissements d’enseignement primaire et secondaire où les cours sont dispensés dans leur langue maternelle. Toutes les matières, à l’exception du turc et de la culture turque, y sont enseignées dans la langue des élèves. Les programmes dispensés dans les écoles des minorités comprennent des cours sur les questions linguistiques et culturelles.

18. L’article 42 de la Constitution prévoit que nulle autre langue que le turc ne peut être enseigné aux citoyens turcs en tant que langue maternelle dans tous les établissements de formation ou d’enseignement et que les dispositions des traités internationaux doivent être respectées. En vertu de plusieurs décisions adoptées par le Conseil des ministres, l’allemand, le français, l’anglais, l’espagnol, l’italien, le russe, le japonais, le chinois et le néerlandais peuvent être enseignés dans les établissements scolaires turcs et l’arabe et l’hébreu dans les établissements d’enseignement public. Depuis 2002, l’enseignement privé des différents dialectes et langues traditionnellement utilisés par les citoyens turcs dans leur vie quotidienne est autorisé. Suite au décret de 2003 du Ministère de l’éducation relatif à l’enseignement des différents dialectes et langues traditionnellement utilisés par les citoyens turcs dans leur vie quotidienne, plusieurs cours privés dispensant un enseignement de ces langues et dialectes ont vu le jour; ils ont cependant dû fermer en raison d’un manque d’intérêt et d’effectifs.

19. La diffusion d’émissions radiotélévisées dans les différents dialectes et langues traditionnellement utilisés par les citoyens turcs est autorisée depuis l’amendement de la loi sur la radiodiffusion. En outre, le Conseil supérieur de la radio et de la télévision a adopté, en 2004, un arrêté sur la diffusion d’émissions radiophonique et télévisée de chaînes publiques et privées, dans ces divers dialectes et langues. Les émissions radiotélévisées en bosniaque, en kurmandji, en zaza, en circassien et en arabe sont diffusées pendant une durée maximale de soixante minutes par jour. Afin de faciliter davantage la radiodiffusion dans les langues et dialectes autres que le turc, la loi sur la radio et la télévision a été modifiée en juin 2008 et, à compter du 1er janvier 2009, une nouvelle chaîne publique de télévision, TRT-6 commencera à diffuser des programmes en kurde, en kurmandji et en zaza puis en sorani. La diffusion de programmes en arabe et en persan devrait débuter en 2009. Les négociations se poursuivent au sujet de la modification du cadre juridique en vigueur en vue de permettre au Conseil supérieur de la radio et de la télévision d’autoriser les sociétés privées de radio et de télévision à diffuser des programmes dans d’autres langues que le turc.

20. Les droits de propriété des minorités non musulmanes ont été renforcés ces dernières années. Les lieux de culte non musulmans sont administrés par les associations ou fondations intéressées. Sont titulaires du droit de propriété sur ces lieux les personnes physiques ou morales qui les ont construits. La législation relative aux activités des fondations des communautés non musulmanes a été assouplie de manière à les autoriser à recueillir des dons financiers et matériels, à enregistrer leurs biens et à être représentées au sein du Conseil des fondations.

21.La Turquie, qui est au cœur d’une route migratoire majeure, accueille un nombre sans cesse croissant d’immigrants illégaux qui tentent de traverser son territoire. Compte tenu de l’ampleur du phénomène, le problème ne pourra être résolu que si tous les pays concernés s’y attellent. La fourniture d’abris, de nourriture et de soins médicaux, ainsi que le fardeau que représentent les frais de rapatriement des très nombreux immigrés illégaux, pèsent très lourdement sur les ressources déjà limitées de la Turquie. Près de 700 000 immigrés clandestins ont été appréhendés en Turquie au cours de la période 1995-2007, dont la majorité était originaire de l’Afghanistan, du Pakistan, d’Iraq et de Palestine. Sur les 9 045 demandes d’asile enregistrées en 2009, 3 555 ont été acceptées.

22. Les enfants des réfugiés et des demandeurs d’asile ont les mêmes droits d’accès à l’instruction obligatoire que les enfants des ressortissants turcs et sont tenus de fréquenter les écoles publiques. Les gouverneurs des régions ont l’obligation de veiller à ce que les enfants scolarisables au niveau primaire ou secondaire, dont les parents ont déposé une demande d’asile ou sollicitent le statut de réfugié, soient inscrits dans les établissements publics. Le Ministère de l’intérieur délivre à ces enfants des cartes d’identité spéciales pour leur permettre de suivre une scolarité.

23. Par le passé, la Turquie a effectivement enregistré des retards dans le traitement des affaires d’immigrés illégaux en attente d’expulsion: cela était principalement dû au fait qu’ils ne possédaient pas de papiers d’identité valides et à des problèmes de vérification d’identité. Les personnes qui se trouvent dans cette situation sont placées dans des centres de rétention similaires à ceux établis dans d’autres pays européens.

24. Pour résoudre le problème du grand nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays depuis 1984 en raison du terrorisme, le Gouvernement turc, qui s’attache résolument à éviter toutes pratiques discriminatoires, a pris des mesures pour encourager les familles concernées à revenir dans leur village d’origine par l’entremise du Projet de retour au village et de réadaptation. Ce projet vise également à améliorer la situation économique et sociale des familles qui ne souhaitent pas revenir dans leur localité d’origine et à faciliter leur réadaptation à la vie urbaine. Suite à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Doğan et autres c. Turquie, une loi a été promulguée en 2004 pour indemniser les villageois contraints de quitter leur domicile pour des raisons de sécurité.

25. Comme la Turquie l’a indiqué dans sa réponse à la question 16 de la liste des points à traiter, quelque 97 000 personnes ont bénéficié du mécanisme d’indemnisation créé par les autorités turques en faveur de toutes les personnes dont le village a été évacué pour des raisons de sécurité. En coopération avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Gouvernement turc a également réalisé un projet pour soutenir le développement d’un programme en faveur des déplacés, comme cela est également indiqué dans la réponse de la Turquie à la question 16.

26. La situation des ressortissants turcs d’origine rom s’est améliorée grâce au processus de réforme, comme la Turquie l’a expliqué dans sa réponse à la question 10.

27. Outre les informations fournies en réponse aux questions 5 et 7 de la liste des points à traiter au sujet des programmes réalisés dans le domaine de l’éducation aux droits de l’homme, il convient de préciser que plusieurs sessions de formation exhaustive aux droits de l’homme ont été dispensées aux fonctionnaires de police. Ainsi, plus de 350 000 agents et hauts fonctionnaires de police ont suivi des cours d’éducation aux droits de l’homme entre 2000 et 2007. Les programmes des écoles de police et de gendarmerie ont été révisés conformément aux directives pertinentes du Conseil de l’Europe et remaniés pour mieux sensibiliser les agents des forces de l’ordre à la prévention de la discrimination. La première année de formation des agents de police comprend une formation générale aux questions relatives aux droits de l’homme ainsi que des modules spécifiques sur le statut des minorités.

28. Dans sa réponse à la question 21 de la liste des points à traiter, la Turquie présente des informations détaillées sur les différentes instances nationales chargées de veiller au respect des droits de l’homme. Afin de renforcer les activités qu’elles mènent dans ce domaine, les autorités turques envisagent de créer une institution nationale des droits de l’homme conformément aux Principes de Paris.

29. Enfin, au niveau international, la Turquie a coparrainé le projet de création, sous l’auspice de l’Organisation des Nations Unies, de l’Alliance des civilisations, qui a reçu le soutien d’un grand nombre de pays. Le Groupe des amis de l’Alliance comprend quelque 79 États et 13 organisations internationales. La Turquie, qui accueillera le deuxième Forum de l’Alliance en avril 2009 à Istanbul, œuvre également activement, au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, à la promotion de la tolérance et à l’interdiction de la discrimination.

30. M. T hornberry (Rapporteur pour la Turquie) remercie la Turquie d’avoir communiqué ses réponses écrites à la liste des points à traiter suffisamment tôt pour permettre aux membres du Comité de les étudier avant la présente séance. La Turquie est une société complexe et d’importance qui constitue un pont entre l’Est et l’Ouest et entre le Nord et le Sud. Le Comité prend note du rôle majeur joué par la Turquie dans le cadre de l’Alliance des civilisations.

31.Le Rapporteur rappelle que l’État partie a fait deux déclarations et émis une réserve lors de la ratification de la Convention en 2002 précisant que la Convention ratifiée par lui ne s’appliquerait que sur son territoire. Il rappelle à la délégation turque que même si le Comité n’a pas élaboré de recommandation concernant spécifiquement le champ d’application de la Convention, il s’est plusieurs fois, par le passé, penché sur l’état d’application de la Convention dans des territoires occupés en s’inspirant toujours de l’évolution du droit international. Nonobstant les arguments spécifiques invoqués par la délégation concernant le statut de l’entité de Chypre-Nord, des bases militaires sont toujours implantées à Chypre, dont certaines dans des zones où vivent des communautés non turques. Des informations complémentaires sur les négociations qui se poursuivent au sujet de ce territoire seraient utiles.

32.M. Thornberry note que bien que la Turquie ait ratifié la plupart des principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme pertinents au regard de la Convention, elle n’a ratifié ni la Convention de l’UNESCO concernant la lutte contre la discrimination dans l’enseignement, ni la Convention n° 107 de l’OIT relative aux populations aborigènes et tribales, ni la Convention n° 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux. Il souhaite savoir si le Gouvernement turc a l’intention de ratifier la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Le Rapporteur note que lorsque la Turquie a ratifié la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole de 1967, elle a déclaré qu’elle ne fournirait une protection qu’aux réfugiés originaires d’Europe, même si un règlement de 1994 prévoit que les demandeurs d’asile non européens peuvent demander un asile temporaire à la Turquie. Il relève que le Gouvernement turc a, semble-t-il, l’intention de lever cette réserve géographique en 2012 mais s’étonne qu’aucun des documents soumis par la Turquie n’en fasse mention. Il souhaiterait en savoir plus sur ce point. L’État partie n’a pas non plus ratifié les instruments européens relatifs aux droits des minorités, notamment la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. La délégation peut-elle confirmer que la Turquie n’a pas encore ratifié le Protocole n° 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe relatif à la discrimination?

33.Comprenant que le Traité de Lausanne de 1923 porte expressément sur les communautés arménienne, grecque et juive, le Rapporteur souhaite savoir pourquoi, puisqu’il n’existe pas de définition du concept de minorité «non musulmane», l’État partie a restreint de la sorte le champ d’application de cet instrument. Il demande également un complément d’information sur les minorités qui relèvent de la définition des minorités au sens du Traité en question et sur celles qui n’en relèvent pas. L’État partie ne reconnaît pas de nombreux groupes minoritaires et n’œuvre pas non plus en faveur d’une telle reconnaissance, d’où ses réserves à l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à l’article 30 de la Convention relative aux droits de l’enfant. Or, selon un principe de droit international clairement établi, l’existence des minorités est une question de fait et non de droit, ce qui confère au terme de «minorité» une signification autonome. Les organes de contrôle internationaux statuent sur la base de cette signification, y compris en l’absence de définition du terme de «minorité» dans la législation des États. Le Rapporteur fait valoir qu’en réalité, ce terme a une signification beaucoup plus large que celle retenue par les auteurs du Traité de paix de Lausanne. La nécessité de respecter ce principe de droit international a été explicitée par le Comité dans ses recommandations générales VIII et XXIV. L’État partie est, d’ailleurs, encouragé à examiner avec attention le paragraphe 3 de cette dernière.

34. Compte tenu des réponses écrites de l’État partie aux questions 1 et 8 de la liste des points à traiter, le Rapporteur demande à la délégation turque d’expliquer pour quelle raison la Constitution turque ne fait aucune mention de l’appartenance ou de l’origine ethnique et d’indiquer les implications concrètes de cette omission.

35. M. Thornberry note en outre que bien que plusieurs communautés, comme les Kurdes, soient numériquement importantes, elles ne sont pas dûment comptabilisées dans les données statistiques nationales. Il est impératif que l’État partie recueille des données statistiques qualitatives ou quantitatives sur les diverses minorités vivant sur son territoire afin d’être en mesure de déterminer si celles-ci sont victimes de discrimination, car ce n’est que lorsqu’un État mesure l’ampleur d’un problème qu’il peut se mobiliser efficacement pour le résoudre. Une manière d’y parvenir consisterait, même si la méthode est imparfaite, à comptabiliser le nombre de personnes qui parlent une langue autre que le turc. À cet égard, le Rapporteur souhaite savoir si la Turquie a cessé de recueillir des données sur les langues parlées dans le pays.

36. Nonobstant l’accent mis par l’État partie sur les principes d’égalité, de non-discrimination et d’unité, M. Thornberry rappelle que le Comité ne considère pas que l’égalité résulte du traitement accordé uniformément à des groupes différents de population indépendamment de la situation spécifique dans laquelle ils se trouvent. La non-discrimination et l’égalité sont des notions qu’il convient de nuancer et, du reste, les programmes en faveur d’une égalité formelle sont rarement suffisants. Le Comité va au-delà de l’égalité de jure et prend en compte des éléments tels que les données sur l’origine ethnique et d’autres questions connexes pour mesurer l’égalité de facto. La Turquie devrait continuer à faire preuve de souplesse dans son application des principes républicains, ainsi qu’elle l’a fait en ajustant les divers «trains de mesures d’harmonisation» (CERD/C/TUR/3, par. 79). Des ajustements dans le domaine de l’appartenance ethnique et de la non-discrimination pourraient jouer un rôle clef dans la modernisation de la Turquie. Ils pourraient, en effet, permettre de résoudre certains problèmes sensibles au lieu de les aggraver.

37.S’agissant de la mise en œuvre de l’article premier de la Convention, le Rapporteur souhaite obtenir des informations complémentaires sur la question des mesures spéciales. Il relève que plusieurs lois turques font référence à la lutte contre la discrimination raciale mais qu’aucune ne contient de définition de la discrimination raciale qui soit conforme à la définition établie à l’article premier de la Convention. Il souhaite également savoir si l’État partie envisage de se doter d’une loi spécifique dans ce domaine.

38. M. Thornberry souhaiterait également recevoir des précisions au sujet de l’impasse dans laquelle se trouvent les autorités à propos de la nomination d’un médiateur.

39. M. Thornberry demande en outre si des mesures autres que celles qui s’appliquent aux infractions au Code du travail ont été prises pour renverser la charge de la preuve dans les affaires de discrimination.

40. M. Thornberry indique en outre que de nombreuses informations font état des problèmes rencontrés par les minorités relevant de la définition de «minorités» au sens du Traité de Lausanne, en particulier pour ce qui a trait à la restitution de leurs biens, à leur représentation et à leur situation économique et souhaite savoir si le Gouvernement turc envisage de prendre des mesures pour améliorer le niveau de protection de ces communautés.

41. S’agissant de la mise en œuvre de l’article 2 de la Convention, le Rapporteur souhaiterait obtenir davantage d’informations sur l’efficacité des dispositions prises pour lutter contre la discrimination et savoir si la Turquie s’est dotée de l’éventail complet des instruments juridiques nécessaires à cette fin. Il demande à la délégation turque d’indiquer si le pays dispose d’une politique globale de lutte contre la discrimination raciale ou si les autorités se contentent d’interventions ponctuelles dans certains domaines. À cet égard, il rappelle qu’en vertu de l’article 2 de la Convention, les États parties sont tenus de prendre des mesures pour modifier les politiques gouvernementales ayant pour effet de créer la discrimination raciale et d’interdire la discrimination raciale pratiquée par des personnes, des groupes ou des organisations.

42. S’agissant de l’application de l’article 3, le Rapporteur prend note de l’opposition déclarée de la Turquie à la ségrégation ou à l’apartheid, mais rappelle que la discrimination raciale peut se manifester dans de nombreux domaines, dans l’accès à la santé ou à l’éducation, par exemple, et renvoie la délégation à la Recommandation générale XIX du Comité qui traite de cette question. Pour ce qui est de la mise en œuvre de l’article 4, le Rapporteur note avec préoccupation que l’article 216 1) du Code pénal turc interdit l’incitation à la haine lorsqu’elle peut constituer un danger évident et imminent pour l’ordre public et se demande comment cette disposition est concrètement interprétée par les tribunaux. Il souhaite également savoir si la notion d’origine ethnique est un élément constitutif du concept de «race» et si les dispositions du Code pénal turc permettent de réprimer efficacement la discrimination commise à l’encontre des membres de minorités régionales et religieuses.

43.Le Rapporteur constate avec regret que le Code pénal de l’État partie ne contient toujours pas de disposition interdisant spécifiquement la discrimination raciale et que la définition de la discrimination raciale est plus restreinte que celle établie par la Convention. Les déclarations racistes semblent être réprimées de façon aléatoire, puisque la loi no 3984 sur la création d’entreprises radiophoniques et télévisuelles et sur leurs émissions interdit l’incitation à la haine raciale mais pas la loi no 5187 sur la presse. Le Rapporteur se demande si les autorités turques poursuivent avec autant de vigueur, sur le fondement de l’article 216 du Code pénal, les émissions radiotélévisées et les déclarations qui portent atteinte aux minorités que les insultes à l’identité turque.

44. En ce qui concerne la mise en œuvre de l’article 5 de la Convention, dont les dispositions sont extrêmement vastes, M. Thornberry n’est pas certain que la Turquie a pris suffisamment de mesures (par exemple dans le domaine de l’apprentissage du turc) pour permettre aux minorités ethniques de s’intégrer pleinement dans la société et de préserver leur culture et leur langue. Il relève que les minorités ont effectivement le droit de gérer des écoles privées mais que celles-ci sont coûteuses et fait valoir que le système d’enseignement public doit proposer des programmes répondant aux besoins culturels et linguistiques des minorités. Il regrette en outre l’absence de données statistiques ventilées sur l’accès à l’éducation, qui auraient pu révéler des disparités, notamment, en matière d’alphabétisation entre différentes régions et différents groupes ethniques.

45. Le Rapporteur est préoccupé par le taux élevé d’abandon scolaire des enfants roms et des filles, en dépit des efforts déployés par l’État partie pour encourager ces dernières à poursuivre une scolarité. Il demande à la délégation de fournir des précisions sur les dispositions du Traité de Lausanne concernant l’accès des minorités au système public d’éducation et sur le montant des ressources allouées aux minorités non musulmanes pour promouvoir l’enseignement de leurs langues. Il souhaite en outre savoir si la loi no 5580 sur les établissements d’enseignement privé s’applique aux enfants des minorités religieuses et si ces derniers peuvent être scolarisés ailleurs que dans les écoles des minorités.

46. S’agissant de la mise en œuvre de l’article 6, M. Thornberry note que l’État partie n’a toujours pas créé de commission pour l’égalité et se demande si les personnes victimes de discrimination raciale disposent de voies de recours internes effectives. À cet égard, il souhaite savoir si les victimes d’actes de discrimination raciale ont accès à l’aide juridictionnelle et si les mécanismes institutionnels de lutte contre la discrimination sont adaptés à l’ampleur du problème. Il convient de saluer les efforts déployés par la Turquie pour appliquer les dispositions de l’article 7 de la Convention, et notamment accroître la sensibilisation aux droits de l’homme, mais l’État partie devrait, en règle générale, mettre plus spécifiquement l’accent sur les dispositions de cet instrument.

47. Enfin, M. Thornberry attire l’attention de la délégation turque sur le fait que les projets de développement urbain ne doivent pas être réalisés au détriment des groupes ethniques et que ces derniers doivent pouvoir participer au processus de décisions qui les concernent, approuver les projets conçus à leur intention et être indemnisés des conséquences adverses qui en découlent. Les normes relatives à l’environnement urbain et au logement, notamment, ne devraient pas faire référence de manière insultante à des groupes spécifiques de population. La notion d’intérêt public ne signifie pas que la majorité peut nier les droits de la minorité.

48. M. A vtonomov, se référant à la déclaration faite par la Turquie lors de la ratification de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale en vertu de laquelle elle n’appliquera les dispositions de la Convention qu’à l’égard des États parties avec lesquels elle a des relations diplomatiques, rappelle que les dispositions de la Convention sont exécutoires et souhaite savoir si la Turquie refuserait de poursuivre les cas de discrimination raciale visant les ressortissants des États avec lesquels elle n’a pas de relations diplomatiques. Il se félicite que la définition donnée dans le dictionnaire du terme «tsigane» ait été expurgée des connotations pouvant être perçues comme ayant un caractère discriminatoire. Attirant l’attention de la délégation turque sur la Recommandation générale XXVII du Comité relative à la discrimination à l’égard des Roms, il souhaite obtenir davantage d’informations sur les politiques menées par la Turquie en faveur des Roms. Il souhaite également recevoir des précisions sur les mesures prises pour permettre aux minorités non musulmanes qui ne relèvent pas de la définition des «minorités» au sens du Traité de Lausanne, par exemple les Kurdes, de préserver leur culture et leur langue et en particulier de protéger leur droit de suivre un enseignement dans leur langue.

49.M. S icilianos dit que, même si des progrès significatifs ont été effectués par la Turquie pour renforcer son cadre juridique de prévention de la discrimination raciale, elle n’en est pas moins tenue d’adopter une législation exhaustive interdisant la discrimination raciale et de déployer davantage d’efforts pour lutter contre la discrimination raciale dans la pratique. Il note, à titre d’exemple, que les institutions des minorités religieuses qui ne relèvent pas du Traité de Lausanne se sont vu refuser l’octroi de la personnalité juridique et que cette situation crée des problèmes pour leurs membres dans les domaines administratifs, du droit à la propriété et de la formation. Selon d’autres informations, le séminaire orthodoxe a dû fermer, ce qui a empêché la désignation d’un nouveau patriarche. La nouvelle loi de 2008 sur les fondations ne résout pas tous les problèmes rencontrés par les minorités religieuses en matière de droits à la propriété. M. Sicilianos souhaite donc obtenir plus d’informations sur cette question ainsi que sur le mandat et les pouvoirs du Conseil des fondations. Rappelant les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme dans des affaires relatives au droit à la propriété, et notamment les arrêts Fener Rum Erkek Lisesi Vakfi c. Turquie (janvier 2007) et Fener Rum Patrikliği (Patriarcat œcuménique) c. Turquie (juillet 2008), il demande à la délégation d’indiquer quand la Turquie appliquera les arrêts précités de la Cour.

50. M. Sicilianos est également préoccupé par les problèmes que rencontrent les minorités non musulmanes dans le domaine du droit à l’éducation, par exemple en matière de formation des enseignants et d’accès aux manuels scolaires. Il est également préoccupé par les informations faisant état de violations des droits de la minorité kurde, et en particulier de la persécution de dirigeants politiques kurdes, de la fermeture d’associations, des restrictions à la liberté d’expression et de l’interdiction des patronymes contenant les lettres q, w ou x, qui n’existent pas en turc. Les meurtres de membres de minorités non musulmanes, comme par exemple le journaliste turc d’origine arménienne, Hrant Dink, et les agressions contre ces minorités, comme celle subie par le journaliste grec Andreas Rompopoulos, se poursuivent. Compte tenu de ces informations, il demande à la délégation turque de donner des précisions sur le mandat et l’autorité du Conseil chargé de l’évaluation des problèmes des minorités.

51. M. Sicilianos estime que le droit des minorités à la liberté d’association n’est pas respecté en Turquie et que leur rôle dans la vie publique est limité. En outre, les partis et les associations de défense des droits des minorités sont souvent dissous. L’article 216 du Code pénal a été souvent invoqué contre ces partis et associations mais aussi contre d’autres défenseurs des droits de l’homme. Il demande à la délégation turque d’indiquer quelles mesures ont été prises par les autorités pour donner effet aux recommandations du Représentant spécial du Secrétaire général sur la situation des défenseurs des droits de l’homme (E/CN.4/2005/101/Add.3).

52. M. Sicilianos souhaite également obtenir davantage d’informations sur la situation de la minorité rom, notamment dans le domaine de l’accès à l’emploi, à l’éducation et au logement, sur le harcèlement dont sont victimes les populations itinérantes, et sur la situation des réfugiés. Il fait valoir la préoccupation que lui inspirent les informations communiquées par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés selon lesquelles la Turquie expulse ou renvoie des personnes bénéficiant du statut de réfugié ou des demandeurs d’asile et rappelle, à cet égard, l’importance du respect du principe de «non-refoulement». En ce qui concerne la déclaration de l’État partie en vertu de laquelle la Turquie n’appliquera les dispositions de la Convention qu’à l’égard des États parties avec lesquels elle a des relations diplomatiques, l’expert s’inquiète du sort des ressortissants du nord de Chypre qui vivent sous occupation militaire turque. Il rappelle que pour le Comité, de même que pour la Cour internationale de Justice, notamment, la Convention est applicable dans les territoires occupés. Il souhaite savoir si l’État partie envisage de revenir sur cette réserve.

53. M. D iaconu dit que, même si la Turquie a accompli certains progrès, davantage doit être fait pour assurer la conformité de la législation nationale avec la Convention et mettre en place les institutions appropriées en vue de la mise en œuvre intégrale des dispositions de la Convention dans la pratique. L’État partie doit adopter une législation interdisant expressément la discrimination raciale, conformément à l’article 2, paragraphe 1) d) de la Convention. L’expert relève que la distinction établie par la Turquie entre les musulmans et les minorités non musulmanes repose sur les dispositions du Traité de Lausanne mais juge cet instrument dépassé. Il rappelle que la Convention traite de la discrimination fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine ethnique et que la Turquie, en tant que partie à cet instrument, est tenue d’adopter une législation interdisant la discrimination fondée sur ces motifs.

54. S’agissant de la mise en œuvre de l’article 4 de la Convention, M. Diaconu se félicite qu’en vertu de la législation turque, il soit interdit aux organisations publiques ou privées de propager ou de promouvoir la discrimination raciale ou d’y inciter mais souligne qu’il importe également d’interdire aux personnes et aux groupes de personnes de commettre des actes de racisme. Il relève que les articles 3 et 122 du Code pénal turc interdisent la discrimination mais estime que pour être efficaces, ces articles doivent être appliqués par les magistrats et les tribunaux et amendés afin que la discrimination fondée sur l’origine nationale et ethnique puisse être également réprimée par la loi. Le champ d’application de l’article 122 devrait être élargi à la discrimination commise dans les domaines culturel et éducatif.

55. M. Diaconu explique que le Comité s’intéresse à la situation de tous les groupes minoritaires, qu’ils soient musulmans ou non musulmans, et regrette l’absence de données statistiques ventilées sur ces groupes. Même si, comme d’autres pays, la Turquie ne recueille pas officiellement de données sur l’origine ethnique des groupes qui vivent sur son territoire, des informations de ce type devraient pouvoir être obtenues dans le cadre des études en sciences sociales, par exemple. Bien que le paragraphe 73 du rapport à l’examen affirme le contraire, le Comité a reçu de nombreuses informations faisant état de discriminations à l’égard des Roms et des membres de la minorité kurde. La Cour européenne des droits de l’homme a rendu de nombreux arrêts à ce sujet et il serait intéressant de connaître les mesures prises par l’État partie pour y donner suite. Il remarque, en outre, que bien que le Parlement et les municipalités comptent des représentants des minorités, l’incitation à la haine raciale, par exemple à la télévision, demeure visiblement impunie dans le pays et souhaite en savoir plus sur ce point. Il souhaite également savoir pour quels motifs la Cour constitutionnelle a jugé que la loi sur le Médiateur était inconstitutionnelle.

56. M. P rosper espère que la Turquie entend poursuivre ses efforts pour se doter d’une législation interdisant la discrimination et actualiser son cadre législatif et constitutionnel relatif aux droits des minorités, qui date de 1923. Il demande à la délégation de fournir des informations sur toutes les réformes pertinentes envisagées par le Gouvernement turc. Une attention particulière devra être accordée aux nouvelles définitions; à cet égard, il aimerait obtenir des précisions sur la signification du terme «non-musulmans» et, compte tenu du fait que ce terme semble reposer davantage sur des considérations religieuses qu’ethniques ou culturelles, savoir s’il s’applique aux Kurdes. M. Prosper souligne qu’une personne peut changer de religion mais pas d’origine ethnique et culturelle et fait valoir que la Turquie doit protéger spécifiquement les droits et les pratiques culturelles des groupes ethniques, afin de garantir leur égalité devant la loi.

57. M. de G outtes se félicite de l’existence dans l’État partie d’une législation pénale de lutte contre la discrimination raciale mais juge insuffisantes les informations sur sa mise en œuvre dans la pratique. Il note, par exemple, qu’aucune statistique n’a été fournie au sujet des plaintes relatives à la discrimination raciale ou de la manière dont elles sont traitées par la justice. L’absence de plaintes n’est pas nécessairement un signe positif et ne signifie pas que la discrimination raciale n’existe pas dans l’État partie. M. de Gouttes salue l’engagement de la Turquie dans l’initiative «Alliance des civilisations» et souhaite connaître les activités réalisées dans ce cadre. Il souhaiterait également recevoir des renseignements complémentaires sur la criminalisation et la répression des «crimes d’honneur».

58. Notant que la collecte de données à caractère personnel, notamment pour des motifs raciaux, constitue un délit sanctionné par le Code pénal, M. de Gouttes demande à la délégation d’indiquer si des poursuites ont déjà été engagées sur le fondement des dispositions pertinentes dudit Code. Il regrette que la Turquie ne procède pas à un recensement officiel ou à la collecte de données sur l’origine ethnique ou la langue parlée par les personnes interrogées. Notant que la liberté de pensée et d’opinion est protégée par l’article 25 de la Constitution, il souhaite connaître le point de vue de l’État partie sur les informations qui font état de restrictions à la liberté d’expression sur des sujets sensibles, tels que l’identité kurde ou le génocide arménien, et sur les poursuites engagées sur le fondement de l’article 301 du Code pénal pour insulte à l’identité turque. Citant le paragraphe 127 du rapport, qui décrit le caractère laïc de la République et indique que la Turquie est attachée à l’héritage de la tolérance religieuse et du pluralisme culturel, l’expert souhaite savoir si les enfants des ressortissants turcs appartenant à des minorités non musulmanes peuvent être scolarisés dans les écoles publiques turques ou s’ils doivent fréquenter les écoles privées des minorités.

59. M. de Gouttes relève que, selon le paragraphe 26 du rapport périodique à l’examen, la Cour européenne des droits de l’homme n’a rendu aucune condamnation pour violation de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme contre la Turquie dans les affaires de discrimination raciale dont elle a été saisie. Or, d’autres sources affirment que la Cour a conclu, dans plusieurs arrêts portant sur la violation des droits de plaignants d’origine kurde en raison de leur origine ethnique, que la Turquie avait enfreint d’autres dispositions de ladite Convention. Il demande à la délégation d’apporter des précisions sur ces affaires.

60. Afin de compléter la réponse de la Turquie à la question 21 de la liste des points à traiter, M. de Gouttes souhaiterait également disposer d’informations supplémentaires sur le nombre et la teneur des plaintes pour discrimination raciale qui ont été examinées par la présidence du Cabinet du Premier Ministre chargée des droits de l’homme, les conseils provinciaux et sous-provinciaux des droits de l’homme et la Commission parlementaire d’enquête sur les droits de l’homme. Il aimerait également savoir pour quels motifs la Cour constitutionnelle a jugé la loi sur le Médiateur inconstitutionnelle, comme l’indique la réponse écrite de la Turquie à la question 23.

61. M. P eter se félicite des mesures positives prises par la Turquie citées par la délégation turque, et notamment de l’amendement de l’article 90 de la Constitution qui prévoit que les dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits et libertés fondamentaux l’emportent sur la législation nationale dans le domaine des droits et libertés fondamentaux, et de la formation aux droits de l’homme qui a été dispensée aux membres de l’appareil judiciaire. Davantage d’informations seraient toutefois nécessaires dans plusieurs domaines; les données sur l’importance numérique des minorités non musulmanes vivant sur le territoire de l’État partie permettraient aux autorités d’évaluer la situation de chacun de ces groupes et de prendre des mesures correctives, le cas échéant. M. Peter estime que la déclaration faite par la Turquie lors de sa ratification de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et du Protocole y relatif selon laquelle les Européens sont considérés comme des réfugiés et les ressortissants des pays non européens comme des immigrants illégaux revient à exercer une discrimination raciale à l’encontre de ces derniers. Il souhaite connaître les raisons de cette réserve géographique et des implications de celle-ci dans la pratique.

62. Relevant que la délégation turque a expliqué au Comité que le problème des personnes déplacées à l’intérieur du pays était lié au terrorisme, M. Peter souhaite obtenir des précisions sur ce que la Turquie entend par «terrorisme» et savoir si les groupes qui luttent pour l’autodétermination tombent sous le coup de cette définition. Il prend note avec intérêt des informations figurant dans les paragraphes 60 et 61 du rapport périodique à l’examen, à savoir que les crimes d’honneur ont été érigés en infractions pénales et qu’une Commission d’enquête sur les causes des crimes d’honneur a été mise en place. Toutefois, compte tenu du fait que les crimes d’honneur sont profondément enracinés dans les mœurs et la culture turques, il y a lieu de se demander si les sanctions prévues par la législation pénale pour réprimer ce type de crimes suffisent à encourager un changement d’attitudes dans ce domaine. Il serait intéressant de connaître les autres types de mesures que la Turquie a prises pour sensibiliser l’opinion à ce problème.

63. M. L indgren A lves relève que la plupart des critiques formulées à l’encontre de la Turquie émanent de membres du Comité ressortissants de pays européens et se demande si cela est dû au fait que la Turquie est candidate à l’adhésion à l’Union européenne. Son pays, le Brésil, ressemble à la Turquie du point de vue de la diversité de sa population, notamment. Il comprend donc que l’État partie affirme que tout citoyen turc est considéré comme faisant partie intégrante de l’identité et de la culture turques ainsi que sa position à l’égard des minorités. Il dit ne pas s’inscrire dans une perspective européenne mais dans une approche d’Alliance des civilisations.

64. M. Lindgren Alves reconnaît que la législation turque est lacunaire dans certains domaines qui préoccupent le Comité mais estime que le rapport périodique à l’examen contient des informations sur un corps de droit important et moderne qui confirme le caractère pleinement démocratique et laïc de l’État partie, qui est doté d’institutions efficaces, ainsi que des informations sur les mesures exceptionnellement énergiques adoptées pour améliorer la condition des femmes. La définition élargie de l’égalité établie par la Constitution turque, qui stipule que «les croyances philosophiques, la religion ou l’appartenance à une secte» ne peuvent constituer des motifs de discrimination mérite d’être saluée. M. Lindgren Alves reconnaît que «l’origine ethnique» n’est pas expressément mentionnée dans cette définition mais considère que cette notion est comprise dans le concept de «race». La définition de la discrimination figurant dans le Code pénal turc est, à son sens, encore plus complète.

65. M. Lindgren Alves demande à la délégation turque de confirmer l’information selon laquelle la Cour constitutionnelle turque a récemment jugé inconstitutionnel un projet de loi voté par le Parlement qui aurait permis aux étudiantes turques de porter le voile à l’université. Si une telle information est avérée, cela atteste de l’indépendance du pouvoir judiciaire turc. Il souhaite également savoir si, dans le cadre des activités qu’elle mène avec la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), la Turquie a essuyé des critiques pour ne pas avoir défini ou reconnu expressément en tant que minorités tous les groupes nationaux vivant sur son territoire.

66. M. A mir partage les vues de M. Lindgren Alves sur la Turquie. Se référant à l’article 5, paragraphe d), alinéa ii) de la Convention, qui consacre le droit civil de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays, il souhaite obtenir des précisions au sujet du tableau annexé aux réponses écrites de l’État partie qui contient des données statistiques ventilées par nationalité sur les immigrés illégaux arrêtés en 2008 et qui indique que 2 192 «immigrés illégaux» d’origine turque se sont trouvés dans cette situation.

67. M. L ahiri se félicite de la réforme constitutionnelle et législative approfondie menée par la Turquie depuis 2001, qu’il considère comme un État laïc moderne. À l’instar d’autres membres du Comité, il fait valoir que le refus de la Turquie de recueillir des données quantitatives ou qualitatives sur les minorités ethniques est incompatible avec les obligations qui lui incombent en vertu de la Convention. Il fait valoir que certains déséquilibres ne peuvent être résolus ou éliminés en l’absence de données sur la composition ethnique de la population et de la situation socioéconomique des membres des différents groupes ethniques vivant dans le pays. À titre d’exemple, il indique que les chiffres relatifs à la population kurde varient entre 4 % du total de la population, selon qu’ils proviennent d’estimations officielles, et 25 %, selon qu’ils émanent des communautés kurdes. Selon des informations communiquées au Comité, les régions du sud-est et de l’est de la Turquie, où les Kurdes sont majoritaires, seraient économiquement marginalisées. M. Lahiri considère que la collecte de données sur l’origine ethnique de la population n’est pas incompatible avec la Constitution turque.

La séance est levée à 18 h 5.