Nations Unies

CERD/C/SR.1980

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

4 mars 2010

Original: français

Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale

Soixante- seiz ième session

Compte rendu analytique de la 1980 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le vendredi 19 février 2010, à 10 heures

Président: M. Kemal

Sommaire

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention

Huitième à treizième rapports périodiques du Cambodge (suite)

La séance est ouverte à 10 h 15.

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention (point 6 de l ’ ordre du jour) (suite)

Huitième à treizième rapports périodiques du Cambodge (suite) (CERD/C/KHM/8-13; HRI/CORE/1/Add.94; CERD/C/KHM/Q/8-13; CERD/C/KHM/Q/8-13/Add.1)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation cambodgienne reprend place à la table du Comité.

2.M. Suon (Cambodge), rappelant que le Cambodge a dû se reconstruire en partant de zéro, en s’efforçant de surmonter les séquelles profondes laissées par son passé tragique, dit que d’importantes mesures ont été prises au cours de la décennie écoulée afin de rétablir et d’asseoir l’état de droit dans le pays. Un nombre considérable de textes de loi a été adopté, dont le Code civil, le Code pénal et le Code de procédure pénale. Le Gouvernement cambodgien a mis sur pied l’Académie royale des tribunaux, structure chargée de renforcer les capacités des juges et des procureurs, et poursuit l’application de son programme de réforme du système législatif et judiciaire, qui a notamment pour objectif de mettre à jour les lois en vigueur, d’instituer des systèmes de règlement extrajudiciaire des conflits, en particulier pour les litiges fonciers portant sur des terres où vivent des autochtones. Le Gouvernement cambodgien a pris des mesures pour faire connaître ces nouvelles lois non seulement en les publiant au Journal officiel, mais aussi en les diffusant auprès des ministères et des administrations publiques et dans les médias.

3.Le système judiciaire cambodgien comprend deux degrés de juridiction: les tribunaux de première instance provinciaux et municipaux et le tribunal militaire, d’une part, et la Cour d’appel et la Cour suprême, d’autre part. En outre, le Gouvernement cambodgien a lancé un projet pilote dans le cadre duquel des centres de services juridiques ont été créés dans quelques districts, dont certains comptant des minorités autochtones. Afin de décharger les tribunaux, les membres des conseils locaux de certaines zones rurales ont reçu une formation au règlement extrajudiciaire des litiges et sont désormais habilités à trancher des conflits mineurs tels que les litiges fonciers qui, depuis la reprise économique du pays, ont fortement augmenté.

4.Les chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens pour la poursuite des crimes commis pendant la période du Kampuchéa démocratique ont été créées en 2003 en vertu d’un accord conclu entre le Gouvernement cambodgien et l’Organisation des Nations Unies. La gestation de cette juridiction ayant été longue et complexe, elle n’a commencé à mener ses activités qu’en 2007. Les chambres extraordinaires contribueront non seulement à lutter contre l’impunité et à guérir les plaies du passé, mais aussi à renforcer l’efficacité du système judiciaire interne. D’après des informations récentes, la première affaire dont elles ont été saisies, le dossier 001, a été jugée. L’instruction du dossier 002 a été entamée au début de 2010 et deux autres dossiers concernant cinq nouveaux suspects ont été soumis aux juges d’instruction par le procureur international.

5.Tous les Khmers Kroms sont reconnus en tant que citoyens cambodgiens sans discrimination aucune. D’après les statistiques, le pays compte 82 000 Khmers Kroms et 15 associations ou organisations légalement déclarées. Celles-ci mènent leurs activités sans restriction d’aucune sorte et peuvent notamment participer à la vie politique. La délégation cambodgienne reconnaît que des problèmes subsistent en matière de délivrance de cartes d’identité aux membres de cette minorité, mais souligne que cela s’explique parce que les Khmers Kroms qui vivent dans des zones éloignées des centres urbains ne savent souvent pas quelles sont les formalités à remplir. Pour obtenir une carte d’identité cambodgienne, l’un des documents ci-après doit être présenté: une attestation de domicile au Cambodge, un certificat de naissance khmer, un livret de famille khmer, une décision de justice, un décret royal ou tout autre document attestant qu’au moins l’un des parents est khmer. Les étrangers peuvent obtenir la nationalité cambodgienne soit par le mariage soit, s’ils ne sont pas mariés à un Cambodgien, en vertu d’une disposition de la Constitution prévoyant que les étrangers qui ont apporté une contribution particulière à la vie économique, politique ou culturelle du pays peuvent obtenir la naturalisation à titre honorifique. Des responsables d’organisations non gouvernementales (ONG) étrangères actives de longue date dans le pays ont reçu la nationalité cambodgienne en remerciement de leur engagement.

6.Comme il est indiqué dans le rapport (CERD/C/KHM/8-13, par. 27 et 28) et les réponses écrites à la question 5 (CERD/C/KHM/Q/8-13/Add.1), trois institutions sont habilitées à recevoir des plaintes se rapportant à des violations des droits de l’homme et à mener des enquêtes à leur sujet: la Commission chargée des droits de l’homme et de la réception des plaintes du Sénat, la Commission chargée des droits de l’homme et de la réception des plaintes de l’Assemblée nationale et la Commission cambodgienne des droits de l’homme. En 2009, la première a reçu 24 plaintes, dont 6 pour non-exécution des décisions d’un tribunal et 16 contre des autorités locales. Sept affaires sont en cours de règlement amiable entre les parties. Pendant le premier semestre de 2009, la deuxième de ces institutions a reçu 126 plaintes, dont 87 portaient sur des litiges fonciers. En 2007, la troisième a reçu 810 plaintes, dont 625 sont en cours d’examen et 171 font l’objet d’une enquête, et envoyé 89 lettres d’intervention qui ont débouché sur le règlement de sept litiges. Enfin, M. Suon indique que le Conseil des ministres a approuvé un projet de loi sur la lutte contre la corruption, qui a été transmis au Parlement pour adoption, et que le Cambodge a signé la Convention des Nations Unies contre la corruption.

7.M. Ke Sovann (Cambodge) dit que les concessions foncières ayant pour objectif l’exploitation de ressources naturelles sont octroyées au terme d’une procédure stricte: le projet, accompagné de l’étude d’impact sur l’environnement le concernant, est tout d’abord soumis au Gouvernement par l’entremise du conseil pour le développement, lequel est composé de représentants de tous les ministères concernés, dont le Ministère du développement rural. Ensuite, les effets négatifs potentiels du projet sont examinés scrupuleusement, en consultation avec les autorités locales et des représentants des communautés autochtones. En vertu de la politique de développement en faveur des minorités autochtones adoptée le 24 avril 2009, les peuples autochtones ont accès aux ressources naturelles et peuvent en tirer des moyens de subsistance en les cultivant et en les exploitant de manière durable. Toutefois, conformément à la Constitution, toutes les ressources naturelles, dont les forêts, comprises dans le territoire national appartiennent à l’État. Celui-ci peut donc octroyer une licence d’exploitation à des tiers et demander, au nom de l’intérêt national, que des peuples autochtones quittent les terres sur lesquelles se trouvent ces ressources. En pareil cas, il doit mettre à leur disposition d’autres terres en vue de leur réinstallation, les dédommager et, surtout, recueillir leur consentement, sans lequel les communautés concernées ne peuvent pas être déplacées. À cette fin, les conseils locaux, qui comptent des représentants des minorités autochtones concernées, sont consultés. Ainsi, toute décision des pouvoirs publics concernant l’octroi d’une concession d’exploitation et le déplacement des minorités vivant dans les zones en question est précédée d’un processus transparent d’examen et de consultation.

8.Le décret relatif à l’enregistrement des terres communales autochtones adopté le 24 avril 2009 offre une base juridique solide garantissant l’accès des minorités autochtones à la propriété foncière collective, la protection des terres autochtones et l’accès de ces minorités aux ressources naturelles. Il prévoit que le Ministère de l’intérieur, le Ministère du développement rural et le Ministère de l’aménagement du territoire et de la planification urbaine ainsi que les autorités locales ne doivent ménager aucun effort pour faciliter l’accès des communautés autochtones à la propriété foncière collective.

9.La Constitution est la loi suprême du Royaume du Cambodge, avec laquelle tous les textes juridiques de rang inférieur, y compris les sous-décrets, doivent être compatibles. La législation nationale est fondée sur le droit romain ainsi que la common law.

10.Après les élections de 1993, le Cambodge, qui s’était tourné vers la démocratie et l’économie de marché, a bénéficié d’une aide juridique de la communauté internationale soucieuse de voir régner l’état de droit dans le pays. Des décrets et sous-décrets sont venus compléter le dispositif normatif du pays. Ils présentent l’avantage d’être à la fois beaucoup plus détaillés que les lois et plus faciles à modifier et, contrairement aux lois, qui nécessitent un examen parlementaire, d’être adoptés sur simple aval du Premier Ministre. Les commissions des droits de l’homme du Sénat et de l’Assemblée nationale et d’un comité des droits de l’homme du Gouvernement sont une garantie d’équilibre des pouvoirs et contre-pouvoirs.

11.M. Theng (Cambodge) affirme que les dispositions de la Convention comptent parmi les normes qui ont inspiré la loi sur l’éducation, adoptée en 2007, et le slogan «L’éducation pour tous, tous pour l’éducation». Conformément à l’article 23 de ce texte, l’éducation civique, l’éducation à la paix, l’éducation au développement durable et l’éducation au respect des autres cultures et des valeurs traditionnelles sont des éléments centraux des programmes scolaires. L’État s’attache tout particulièrement à garantir l’égalité des chances des autochtones dans le domaine de l’éducation et finance, dans l’objectif de leur donner accès à l’enseignement secondaire et supérieur, la construction d’internats, des bourses, la formation d’enseignants dans les régions déficitaires, des programmes d’enseignement bilingue et la publication de manuels scolaires bilingues. Parallèlement, sont mis en place des mécanismes d’éducation informelle axée sur l’alphabétisation et l’acquisition de compétences utiles pour la vie quotidienne ou pour trouver un travail. Les formations professionnelles destinées aux femmes et au secteur agricole sont particulièrement développées. Des activités de formation des formateurs sont organisées dans les communautés autochtones afin de créer un corps suffisant de formateurs parlant les langues autochtones.

12.M. Sokhan(Cambodge) indique que le Gouvernement a fait de l’atténuation de la pauvreté la première de ses priorités et a défini les objectifs ci-après: premièrement, assurer une croissance économique durable; deuxièmement, répartir équitablement les fruits de cette croissance; troisièmement, utiliser et gérer durablement les ressources naturelles. Les peuples autochtones sont considérés comme des nationaux indépendamment de leurs cultures et traditions. Force est de reconnaître toutefois qu’ils ont tout particulièrement souffert du régime de Pol-Pot et que leur dépendance à l’égard des sous-produits forestiers et des ressources naturelles de par leur mode de vie traditionnel basé sur l’agriculture itinérante et la chasse les rend vulnérables. Leur niveau de vie est donc plus bas que celui des Khmers, raison pour laquelle deux grandes politiques ont été adoptées à l’effet de développer les zones peuplées d’autochtones et de protéger leurs droits et leur identité: la politique de développement des communautés autochtones et la politique pour l’enregistrement et le droit à l’utilisation des terres des peuples autochtones − à l’appui desquelles des sous-décrets et des circulaires ont aussi été adoptés. L’ensemble de ces politiques et du cadre juridique correspondant a été établi avec la participation et les contributions de représentants des peuples autochtones et a fait l’objet d’un important travail de diffusion à tous les niveaux de l’État.

13.D’un point de vue technique, il n’existe légalement que deux types de terrains qui peuvent être considérés comme des propriétés collectives: les propriétés des monastères et les terres collectives des communautés autochtones, à condition que ces communautés soient reconnues en tant que communautés ou associations répondant à certains critères. Le travail d’enregistrement des communautés répondant à ces critères suit son cours avec la coopération de l’Agence danoise de développement international (DANIDA) et de l’Organisation international du Travail (OIT). Au total, neuf communautés autochtones seront probablement enregistrées officiellement en 2010, y compris les trois communautés visées par le projet pilote d’octroi de titres de propriété mené à bien avec l’appui financier de l’Agence allemande de coopération technique (GTZ).

14.En attendant, des mesures de protection provisoires ont été mises en place pour les zones dans lesquelles vivent des communautés autochtones qui n’ont pas encore été enregistrées. Il s’agit d’ordonnances interdisant tout achat ou vente de terres dans les zones concernées. En l’absence de critères clairs, les confirmations des communautés autochtones n’ont jusqu’ici été que des confirmations officieuses. Certaines ONG craignent que des communautés autochtones ne perdent leurs terres et leurs sources de revenu. Mais de l’avis des autorités, ces organisations n’ont pas pris en considération le droit fondamental des autochtones, qui sont aussi des nationaux cambodgiens, de vouloir vivre en communauté selon les traditions ou de façon indépendante, et elles oublient qu’il existe des opportunistes qui profitent de leur statut de membre d’une minorité autochtone pour accumuler des terres à des fins commerciales ou politiques, dans le but de ralentir le processus de développement mené par l’État. Ces difficultés imposent de procéder à un examen prudent et minutieux avant d’octroyer à une terre le statut de terre collective autochtone. Les allégations d’expropriation d’autochtones sans indemnisation sont sans fondement. Tout projet, particulièrement municipal, risquant de remettre en cause le droit de propriété de personnes autochtones, que ce soit collectivement ou individuellement, fait nécessairement l’objet d’études d’impact et de négociations libres avec la communauté concernée. Le Gouvernement a fait pression pour que soit réévaluée toute concession octroyée au titre du programme de concessions foncières à visée économique qui n’a pas été soumise aux évaluations obligatoires d’impact social et environnemental. En 2007, sept contrats de concession avaient ainsi été définitivement annulés.

15.En conclusion, le Gouvernement ne ménage aucun effort pour garantir les droits des peuples autochtones sur leurs terres tout en favorisant le développement des zones dans lesquelles ils vivent, dans le but de leur garantir un meilleur niveau de vie, de leur éviter d’être instrumentalisés par des opportunistes et de leur permettre de vivre pacifiquement et solidairement avec la société dans son ensemble. Malgré ces efforts, des atteintes inévitables à leurs droits peuvent subsister en raison de l’inefficacité des autorités à différents niveaux et de malentendus. C’est pourquoi les autorités cambodgiennes ont toujours besoin de la coopération des organisations de la société civile qui travaillent en toute bonne foi à rendre compte des lacunes qu’elles peuvent observer.

16.M. Suon (Cambodge) réaffirme que son pays est déterminé à mettre sur pied une institution indépendante des droits de l’homme qui soit conforme aux Principes de Paris. Le Gouvernement a donné son accord de principe depuis plus de deux ans mais y travaille encore, en collaboration avec des ONG.

17.Répondant aux questions posées sur les sous-décrets, M. Suon précise que la Constitution est la loi suprême du Cambodge, supérieure aux autres lois adoptées par le Parlement et aux sous-décrets, adoptés plus souplement et rapidement au niveau ministériel et, enfin, aux ordonnances.

18.M. Suon ne considère pas comme discriminatoire que le bouddhisme soit la religion de l’État. Dans une société de tolérance, mais où 90 % de la population pratique le bouddhisme, c’est le simple reflet de la réalité et même un facteur d’harmonie et de cohésion sociale, au même titre que la devise nationale: «Nation, Religion, Roi». De la même manière que diverses langues peuvent être parlées dans un pays ayant une langue officielle, les Cambodgiens peuvent pratiquer librement d’autres religions que celle de l’État.

19. M. Ke Sovann (Cambodge) ajoute que les postes de professeur d’université sont ouverts à tous, sans condition de religion. En vertu de l’article 496 du Code pénal, l’incitation à la haine raciale est passible d’un à trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 2 à 6 millions de riel.

20.M. Theng (Cambodge) dit que tout est mis en œuvre pour améliorer la représentation des minorités au sein du corps enseignant dans les écoles publiques et pour recruter des enseignants dans les zones rurales et reculées afin de fournir des services d’éducation de qualité aux groupes minoritaires et autochtones. Des enseignants autochtones sont donc souvent recrutés dans les écoles publiques. En outre, le Ministère de la santé et des sports a mis en place un programme d’éducation nationale intitulé «Éducation pour tous, tous pour l’éducation», destiné à scolariser gratuitement tous les enfants, quelle que soit leur origine, dans tout le pays.

21.M. Sun Suon (Cambodge) indique que le Cambodge organise chaque année une Journée nationale des peuples autochtones conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En vue de renforcer l’harmonie au sein de la société cambodgienne, le Gouvernement a pris des mesures, notamment administratives, visant à promouvoir une meilleure compréhension entre les membres du Parlement et l’ensemble de la société cambodgienne. De nombreuses organisations travaillent avec les groupes minoritaires dans le domaine de la culture, et le Ministère du développement rural dispose d’une unité chargée d’assurer une meilleure compréhension des difficultés des groupes minoritaires, qui coopère avec ces groupes lorsque des problèmes se posent.

22.Le nouveau Code pénal contient des dispositions relatives à la prévention de la discrimination et aux procédures d’enregistrement des terres. Plusieurs décrets et règlements traitent de cette question, et la société civile et les organisations internationales sont très actives dans ce domaine. Le Gouvernement encourage la coopération avec les organisations internationales qui s’intéressent aux minorités linguistiques et culturelles et aux questions de développement.

23.Le sous-décret no 224, qui traite des procédures d’identification des réfugiés, a été adopté en 2009 suite à une demande du bureau national du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), avec lequel le Gouvernement collabore étroitement. En outre, le Cambodge est signataire de la Convention relative au statut des réfugiés, de 1961, et s’efforce d’appliquer un accord tripartite conclu en 2005 entre le Cambodge, le Viet Nam et le HCR concernant les tribus montagnardes vietnamiennes vivant sur les hauts plateaux. Entre 2004 et 2009, le Cambodge a accueilli 1 830 membres des communautés montagnardes et a assuré leur protection, avec l’appui du HCR. D’après les données du Ministère de l’intérieur, 902 réfugiés vivant au sein des communautés montagnardes se sont réinstallés dans d’autres pays et 400 d’entre eux sont retournés dans leur pays d’origine, en majorité sur une base volontaire.

24.M. Amir constate que les mesures décrites dans le rapport de l’État partie constituent le début d’un processus d’intégration dans le droit interne des principes figurant dans les conventions internationales relatives aux droits de l’homme qu’il a ratifiées. Il se félicite de ce que le peuple cambodgien ait repris confiance après les événements historiques très difficiles qu’il a dû traverser. Relevant que la délégation a affirmé que le moment était venu de tourner la page sur ces événements, il préconiserait plutôt de continuer à mener une réflexion sur la nature des crimes qui ont eu lieu, qui aborderait également le principe de la juridiction universelle compétente pour juger les crimes de génocide et de guerre. La juridiction envisagée selon ce principe aurait une compétence judiciaire extraterritoriale et ignorerait la souveraineté des États pour ce type de crimes. Elle ne tiendrait pas compte des accords bilatéraux, des notions de nationalité, de qualité et d’immunité des auteurs de ces crimes et exclurait toute possibilité d’amnistie. L’extradition ne pourrait être refusée que vers les pays où le prévenu risquerait d’être soumis à la peine de mort. Le principe veut qu’il ne puisse y avoir forclusion de ce type de crimes. Enfin, les témoins d’actes de génocide qui garderaient le silence pourraient être poursuivis devant la Cour pénale internationale.

25.M. Amir se demande si l’on peut tourner la page sur le sort de criminels de guerre ayant commis un génocide contre tout un peuple. Le peuple cambodgien est capable, avec une certaine grandeur d’âme, de regarder les auteurs de ces crimes avec humanité, mais cela ne saurait dispenser les personnes chargées de poursuivre les crimes imprescriptibles commis contre tout un peuple de faire appliquer la justice. Le Gouvernement cambodgien a pris graduellement des mesures appropriées, soutenues par une réelle volonté politique. À cet égard, M. Amir souhaite savoir si des mesures ont aussi été prises pour apporter un soutien aux enfants qui ont subi ces malheurs et si les victimes ayant besoin d’un accompagnement psychologique bénéficient d’un traitement.

26.Le Président fait remarquer que les génocides sur lesquels le Comité s’est penché précédemment avaient été commis contre des minorités. Le Cambodge présente le rare cas d’un génocide commis par des individus contre leur propre peuple.

27.M. Thornberry constate que les Khmers Kroms ont le droit d’obtenir la citoyenneté cambodgienne mais que, dans la pratique, il leur est difficile de l’obtenir car certaines conditions leur sont imposées. À cet égard, il lui semble que ce n’est pas la loi mais son application qui soulève un problème.

28.M. Thornberry demande si les chiffres de l’enregistrement des terres autochtones fournis par l’État partie portent sur un enregistrement à titre de collectivité ou d’entité juridique, en d’autres termes si les autochtones doivent être enregistrés légalement en tant qu’entité juridique pour pouvoir obtenir un titre foncier légal, comme la loi sur les terres semble l’indiquer. Il aimerait savoir dans quelle mesure le fait que le statut d’entité juridique est octroyé aux autochtones par le Ministère de l’intérieur est compatible avec le principe de l’autodétermination des peuples autochtones énoncé dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

29.Constatant que de nombreux États décident de préserver leurs ressources naturelles, notamment les forêts, en les intégrant dans le domaine de l’État, M. Thornberry rappelle que lorsque des conséquences sur les communautés autochtones sont prévisibles, des consultations préalables doivent avoir lieu et que des procédures doivent être appliquées afin d’assurer la participation des populations aux bénéfices des activités d’exploitation et de les indemniser pour les préjudices qui en résultent.

30.En ce qui concerne les concessions octroyées à des entreprises multinationales pour l’exploitation des ressources naturelles et les conséquences que cela peut avoir sur les populations autochtones, M. Thornberry souhaite savoir s’il existe une possibilité de réévaluation de certaines concessions ayant déjà été octroyées, au motif qu’elles ne seraient pas compatibles avec les normes internationales ou avec le droit interne du Cambodge. À cet égard, il rappelle que, dans son rapport de 2007, le Représentant spécial du Secrétaire général pour les droits de l’homme au Cambodge s’est dit préoccupé par les lacunes de l’application des sous-décrets relatifs aux concessions de terres, les conditions préalables à l’octroi de concessions n’ayant pas été respectées. M. Thornberry demande si certaines des situations ayant causé des conflits avec les groupes autochtones pourraient être examinées à nouveau.

31.M. de Gouttes estime que le fonctionnement des chambres extraordinaires chargées de juger les crimes contre l’humanité commis durant le régime de Pol Pot est un bon exemple de consensus entre la communauté internationale et les autorités nationales, puisqu’il s’agit d’une juridiction mixte. Par ailleurs, il estime que la constitution des juridictions pénales internationales constitue une avancée immense pour la lutte contre l’impunité. Cela étant, il souhaite savoir si cette juridiction recueille un consensus au sein même de la population cambodgienne et demande des précisions concernant les cinq procédures engagées par le Procureur dont il a été fait mention.

32.M. de Gouttes se félicite des mesures prises pour consolider l’état de droit, le système judiciaire et la lutte contre la corruption, ainsi que de la mise en œuvre des mesures relatives aux terres autochtones, en particulier l’application du sous-décret sur la procédure d’enregistrement de ces terres. Constatant que les Khmers Kroms sont reconnus comme des citoyens cambodgiens mais qu’il leur est demandé de présenter un acte de naissance au Cambodge pour procéder à leur régularisation, ce qui semble leur poser des difficultés, il demande à la délégation de fournir au Comité de plus amples renseignements sur ces difficultés.

33.M. Prosper (Rapporteur pour le Cambodge) voudrait savoir pour quelles raisons les autorités ont refusé de délivrer des papiers d’identité à 19 Khmers Kroms depuis janvier 2010. Il voudrait savoir si ce refus a un quelconque lien avec leur situation au regard du statut de résident permanent, si en matière d’identité, de séjour et d’enregistrement des naissances les décisions sont administrées par le Gouvernement du Cambodge, et si en l’espèce un décret royal ne pourrait pas être promulgué pour régler définitivement la question.

34.M. Prosper fait ensuite observer qu’il serait bon que le Gouvernement cambodgien fasse adopter une loi sur l’éducation qui instaurerait l’enseignement bilingue, permettant ainsi aux populations autochtones des zones reculées d’avoir les mêmes droits que le reste de la population en la matière.

35.M. Sun Suon (Cambodge) dit que le Cambodge a fait preuve de sa volonté de poursuivre les auteurs des crimes commis sous le régime des Khmers rouges en créant, en collaboration avec l’Organisation des Nations Unies, des chambres extraordinaires à cet effet au sein des tribunaux cambodgiens. Il espère que le chapitre le plus sombre de l’histoire du pays sera ainsi refermé et que le Cambodge pourra aller de l’avant. Le Gouvernement royal du Cambodge reconnaît la nature du crime perpétré sous le régime de Pol Pot, est conscient de la nécessité de lutter contre l’impunité et de prononcer des sanctions contre les auteurs des atrocités, mais est très attaché à préserver la paix sur son territoire, à offrir à la nouvelle génération l’espoir d’une vie meilleure et d’un avenir prospère et à garantir le processus démocratique: il ne s’agit pas d’oublier mais de pardonner. Vu les souffrances que le peuple cambodgien a endurées par le passé, la possibilité de réfléchir au meilleur moyen de préserver au mieux les droits de l’homme au Cambodge dans le cadre du dialogue avec les organes conventionnels de l’ONU est une chance inespérée.

36.La question des titres fonciers est réellement difficile à régler du fait que les terres avaient toutes été nationalisées sous le régime de Pol Pot et que personne ne voulait y travailler après l’effondrement du régime sachant qu’elles étaient minées. Ce n’est qu’avec l’instauration de l’économie de marché et l’essor économique qu’elles ont commencé à attirer les investisseurs privés, qui ont d’ailleurs construit de luxueuses stations balnéaires sur certaines terres anciennement sinistrées. Le Cambodge bénéficie de l’aide de la communauté internationale et d’autres institutions financières internationales comme la Banque mondiale pour régler la question des titres fonciers. Plusieurs États participent à cette aide: le Japon et la France pour ce qui est de la lutte contre la corruption, de l’instauration de bonnes pratiques en matière de gouvernance et de la rédaction des codes civil et pénal; les États-Unis d’Amérique et l’Australie pour les questions relatives à la traite des êtres humains et aux réfugiés, entre autres.

37.Le Cambodge ne ménage aucun effort pour instaurer un régime démocratique et tente de renforcer ses capacités en la matière, ainsi que dans le domaine des droits de l’homme. Il est désormais conscient de la nécessité de respecter l’environnement et s’est donné comme objectif prioritaire de répondre aux préoccupations des citoyens. Il jouit du soutien du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) dans le cadre de projets visant à promouvoir le développement économique des zones rurales tout en préservant les droits fondamentaux des populations rurales et autochtones.

38.M. Ke Sovann (Cambodge) dit que les entreprises qui souhaitent obtenir une concession foncière doivent prendre certains engagements, notamment celui de veiller à ce que leur projet économique ne soit nuisible ni à l’environnement ni aux intérêts des peuples autochtones, et s’engager à créer des emplois pour les locaux.

39.Pour ce qui est des Khmers rouges, M. Ke Sovann dit que le peuple souhaite effectivement que toute la justice soit faite sur les exactions commises par le passé, mais fait observer qu’à l’époque des faits, le peuple cambodgien et de nombreux officiels comme lui imploraient en vain la communauté internationale de lui venir en aide, alors que toutes les grandes puissances savaient à l’époque exactement ce qui se passait au Cambodge.

40.De nombreux citoyens cambodgiens ayant fui le régime de Pol Pot sont aujourd’hui titulaires d’un deuxième passeport, souvent délivré par la France ou les États-Unis d’Amérique, situation qui fera l’objet d’une loi. Pour des raisons historiques, la question des Khmers Kroms est beaucoup plus complexe et pose davantage de problèmes; elle devra donc être examinée en collaboration avec les autorités du Viet Nam.

41.Le Président dit que le Comité est conscient que la communauté internationale ne s’est en effet guère mobilisée face à la plupart des génocides du XXe siècle. C’est la raison pour laquelle le Comité n’a pas manqué d’appeler l’attention de la communauté internationale sur ce point pour éviter une telle inaction dans le futur.

42.M. Prosper (Rapporteur pour le Cambodge) se félicite du dialogue cordial et amical qui s’est instauré entre le Comité et la délégation cambodgienne. Il est effectivement important pour le Gouvernement cambodgien de faire triompher la justice tout en œuvrant pour la paix. Le succès de ce processus dépendra désormais de la mesure dans laquelle le Cambodge parviendra à faire respecter l’état de droit et les normes internationales auxquelles il a adhéré.

43.M. Prosper indique que le Comité pourra, dans ses observations finales, noter avec satisfaction qu’en dépit d’un contexte difficile le Cambodge est parvenu à instaurer l’état de droit et la démocratie et à se reconstruire en une trentaine d’années, entre autres parce qu’il a accepté de collaborer avec la communauté internationale, l’ONU et les organisations financières internationales. Le Comité invitera certainement le Gouvernement cambodgien à garantir l’indépendance de la justice, à combattre la corruption et à appliquer uniformément les règles de droit relatives à l’asile et au statut de réfugié à tous les groupes de population. Il l’invitera en outre à inscrire une définition de la discrimination dans son Code pénal et à faire connaître à la population non seulement les actes à proscrire de ses comportements, mais aussi les garanties auxquelles elle a droit. Il pourra en outre l’encourager à améliorer son système de collecte de données de manière à se faire une idée plus précise des droits de chacun dans les domaines économique, social ou foncier; à veiller à ce que les lois relatives à la propriété foncière soient mieux appliquées et, partant, à ce que les propriétaires terriens soient protégés comme il se doit; à se pencher sur la question de l’octroi de la nationalité cambodgienne aux Khmers Kroms − statut qui leur permettrait de jouir des mêmes droits que le reste de la population en matière de santé, d’éducation et de logement entre autres − et, enfin, à allouer des ressources accrues aux couches les plus démunies de la population. Le Comité pourra se dire préoccupé par la non-application de la loi visant à protéger les populations autochtones contre toute extorsion de leurs terres. Il pourra également inviter l’État partie à faire tout ce qui est en son pouvoir pour établir la vérité sur les actes commis sur son territoire sous le régime des Khmers rouges.

La séance est levée à 12 h 55.