Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale
Quatre-vingt - troisième session
Compte rendu analytique de la 2249 e séance
Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mercredi 21 août 2013, à 15 heures
Président (e): M. Avtonomov
Sommaire
Examen des rapports, observations et renseignements fournis par les États parties en application de l’article 9 de la Convention
Seizième à vingtième rapports périodiques de la Jamaïque
La séance est ouverte à 15 h 5.
Examen des rapports, observations et renseignements fournis par les États parties en application de l’article 9 de la Convention
Seizième à vingtième rapports périodiques de la Jamaïque (CERD/C/JAM/16-20; CERD/C/JAM/Q/16-20; HRI/CORE/1/Add.82)
Sur l ’ invitation du Président, la délégation jamaï caine prend place à la table du Comité.
M. McCook (Jamaïque) dit que la société jamaïcaine est pluriraciale mais que la population est composée à plus de 90 % de personnes d’ascendance africaine. Le racisme n’existe pas en Jamaïque même s’il a fallu surmonter les effets néfastes de l’esclavage sur la société, la couleur de peau jouant encore parfois un rôle déterminant dans l’ascension sociale. Il n’en reste pas moins que tous les groupes raciaux sont traités sur un pied d’égalité par la loi et que chacun jouit de tous les droits garantis par la Constitution. Plusieurs instances ont été établies pour protéger les droits fondamentaux des groupes économiquement défavorisés et des personnes les plus vulnérables, telles que le Bureau du Défenseur public, la Commission indépendante d’enquête, l’Agence pour le développement de l’enfant et le Bureau du Défenseur des enfants, dont M. McCook détaille le mandat. La Commission indépendante d’enquête n’a été saisie d’aucune affaire de discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique. L’absence de plaintes n’est pas due à la méconnaissance des mécanismes de protection des droits de l’homme ou à de quelconques difficultés d’accès à ces derniers ou aux tribunaux puisque plusieurs campagnes nationales d’information ont été organisées à cet effet. Les organisations de la société civile jouent également un rôle de sensibilisation et de mobilisation très efficace. Pour renforcer son action dans le domaine de la protection et de la promotion des droits de l’homme, le Ministère de la justice a décidé de créer une unité des droits de l’homme. La liberté de circulation des nationaux est facilitée par la loi relative à la Communauté des Caraïbes (CARICOM) et la loi de la CARICOM (relative à la liberté de circulation de la main‑d’œuvre qualifiée) permet aux ressortissants de la Communauté de jouir d’une totale liberté de circulation. Les autres non-ressortissants, dont les travailleurs migrants et les victimes de la traite, jouissent des droits garantis par la Charte des libertés et droits fondamentaux et ont accès aux services sociaux au même titre que les nationaux. Ils peuvent également saisir les tribunaux s’ils considèrent que leurs droits ont été bafoués.
M. Amir (Rapporteur pour la Jamaïque) dit que la forte émigration a contribué à l’appauvrissement démographique de l’État partie, ce qui a eu une incidence négative sur le développement socioéconomique. Le pays a, malgré tout, effectué d’importants progrès en matière de droits des réfugiés, d’accès à la santé, d’enregistrement des naissances et de lutte contre la traite des personnes. La Charte des libertés et droits fondamentaux, adoptée en 2010, contient une disposition spécifique contre la discrimination fondée sur la race mais le Rapporteur estime qu’elle ne répond pas pleinement aux exigences de l’article 4 de la Convention puisque la diffusion d’idées fondées sur la haine raciale n’est pas érigée en infraction et que les organisations qui incitent à la discrimination raciale ne sont pas interdites. L’État partie devrait donc modifier ce texte normatif afin d’assurer sa conformité avec la Convention.
Le Rapporteur aimerait recevoir des informations sur la situation des minorités dans le pays, telles que les Irlandais, les Indiens, les Chinois, les Syriens et les Libanais. Il aimerait également savoir si les quelque 20 000 ressortissants latino-américains résidant en Jamaïque sont considérés comme des non-ressortissants et quels sont leurs droits en matière d’accès à la justice et de non-discrimination. Il est préoccupé par les informations qui font état d’une multiplication des crimes visant des femmes et des enfants, et dont le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et le Comité des droits de l’homme se sont amplement fait l’écho. Il demande quelles mesures prend la Jamaïque pour remédier à cette situation. Le Rapporteur aimerait en savoir plus sur le Programme de renouveau communautaire, dont il est question au paragraphe 17 du rapport, et notamment sur les actions menées dans ce cadre pour lutter contre la violence dans les communautés. Quelles autres initiatives le Gouvernement a-t-il adoptées pour réduire les violences faites aux femmes dans les communautés et traduire en justice les responsables?
M. Murillo Martínez aimerait recevoir des informations plus détaillées sur la politique culturelle de l’État partie, en particulier sur les mesures de promotion de la diversité culturelle. Il demande si en Jamaïque, la couleur de la peau, et en particulier la clarté de celle-ci, a une incidence sur l’ascension sociale et la participation aux instances politiques et législatives nationales. Il aimerait en savoir plus sur le Fonds de l’héritage national jamaïcain, notamment sur ses réalisations et son fonctionnement.
M. Vázquez souhaite savoir sur quels éléments précis de l’article 4 de la Convention porte la réserve de la Jamaïque et quelles mesures elle entend prendre pour ériger en infractions tous les actes visés par ledit article. Il invite la délégation à indiquer quels articles de la Constitution jamaïcaine pourraient entrer en conflit avec la Convention et à fournir des exemples de jugements dans lesquels la Constitution est invoquée.
M. Diaconu , notant que le paragraphe 4 du rapport ne comporte pas de statistiques sur les Marrons et les Rastafaris, demande si ces groupes sont considérés comme faisant partie de la population d’ascendance africaine. La délégation voudra donner des renseignements détaillés sur ces deux groupes, en précisant notamment combien de personnes ils comptent respectivement et s’ils vivent dans des zones distinctes. La discrimination raciale est certes interdite par la Charte des libertés et des droits fondamentaux mais tous les motifs énoncés dans la définition figurant à l’article premier de la Convention n’y sont pas mentionnés et il n’existe pas encore de loi relative à l’élimination de la discrimination raciale reprenant la teneur de cette définition. De plus, aucune loi d’incorporation n’a été adoptée pour donner effet à l’article 4 de la Convention. Or, la Jamaïque étant un État dualiste, l’adoption d’une telle loi est indispensable pour que cet article puisse être appliqué. La délégation voudra donc bien indiquer si l’État partie envisage de prendre des mesures législatives pour combler ces lacunes.
Notant que 91,6 % de la population est d’ascendance africaine et que 6,2 % de la population est métisse, M. Diaconu ne voit pas bien en quoi la couleur de peau est un facteur déterminant dans l’ascension sociale comme indiqué au paragraphe 5 du rapport. Des éclaircissements seraient bienvenus sur ce point. Il constate que la Charte des libertés et des droits fondamentaux interdit les atteintes commises par des particuliers au droit de ne pas être victime de discrimination raciale «dans un nombre limité de circonstances» (par. 10), etsouhaiterait des explications sur cette expression. Il demande si le port désormais autorisé de tresses par les enfants rastafaris à l’école primaire et secondaire ne risque pas de les exposer à des brimades de leurs camarades. Notant qu’à l’école, le patoisn’est pas utilisé comme langue d’enseignement, sauf dans le cadre des activités culturelles, il voudrait savoir si cette langue n’est pas menacée de disparition. Se référant aux renseignements fournis au paragraphe 116 du rapport, M. Diaconu demande si la Commission de la radiotélévision pourrait interdire la diffusion de chansons à contenu raciste. Il voudrait savoir si le Gouvernement entend prendre des mesures pour pallier l’absence de mécanisme chargé de délivrer des documents d’identité aux réfugiés et aux demandeurs d’asile, situation qui prive ces personnes de la possibilité d’exercer leurs droits économiques et sociaux. S’agissant des Marrons, il note que, dans ses observations finales publiées en juin 2013 (E/C.12/JAM/CO/3-4, par. 31), le Comité des droits économiques, sociaux et culturels s’était dit préoccupé par le fait que les besoins des Marrons en infrastructures étaient négligés par l’État partie, qu’il n’existait pas d’enseignement de type scolaire dans cette communauté au-delà de l’enseignement de base et que le taux de chômage y était élevé, ce qui appelle des éclaircissements de la délégation.
M. Kemal demande si des personnes d’ascendance indienne, chinoise, européenne ou moyen-orientale quittent l’État partie, car cela serait le signe qu’elles ne s’y sentent pas acceptées. Des allégations d’exécutions extrajudiciaires ayant été portées à la connaissance du Comité, il souhaiterait savoir si ces actes avaient des motivations racistes et visaient certains groupes raciaux ou ethniques en particulier.
M me Dah demande quel est le sens du terme «métis» dans l’État partie et si les Rastafaris sont considérés comme un groupe religieux ou comme une minorité ethnique. Elle aimerait savoir si d’autres dispositions que celles citées au paragraphe 13 du rapport justifient le maintien par l’État partie de sa réserve à l’article 4 de la Convention. En ce qui concerne les réfugiés et les demandeurs d’asile, elle aimerait savoir combien de réfugiés sont recensés dans le pays et si les rapatriements de réfugiés haïtiens, suspendus en raison du tremblement de terre, ont repris. Elle prie la délégation d’indiquer quand une loi sur l’asile pourra être adoptée dans l’État partie. Étant donné que la Jamaïque se trouve dans un contexte géoéconomique qui favorise la libre circulation des personnes, il serait intéressant d’avoir des informations sur les activités que mènent les autorités au sein de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) pour endiguer le phénomène de la traite et trouver une solution durable à ce problème.
Des renseignements sur la place des femmes dans la vie publique seraient bienvenus. La délégation voudra bien indiquer si le quota de 30 % fixé pour la représentation des femmes au Sénat a été atteint et si des campagnes de sensibilisation ont été menées pour montrer en quoi il est nécessaire d’associer les femmes à la conduite des affaires publiques et pour préparer les femmes à assumer de telles responsabilités. Saluant les initiatives louables prises dans le domaine de la santé (par. 48 à 52 du rapport), Mme Dah voudrait savoir comment ces mesures sont appliquées dans les zones reculées du pays et combien de personnes en ont bénéficié. L’État partie envisage-t-il d’instaurer une couverture médicale universelle? Enfin, la délégation est invitée à décrire la façon dont l’histoire nationale est enseignée aux enfants à l’école, en particulier la question de l’esclavage.
M. Ewomsan demande si des stéréotypes subsistent dans l’État partie en raison de son histoire et si on y décèle une forme de discrimination structurelle. Il demande si le fait que la couleur de peau soit un obstacle à l’ascension sociale ne contribue pas à banaliser la discrimination raciale.
M. de Gouttes demande si le rapport relatif au recensement de 2011 a été publié. Si tel est le cas, la délégation voudra bien donner des informations actualisées sur la composition de la population et indiquer si la Commission indépendante chargée de recevoir des plaintes déposées contre les membres des services de sécurité de l’État et d’ouvrir des enquêtes sur ces affaires a déjà été saisie de requêtes depuis sa création en 2010.
M. Lindgren Alves invite la délégation à citer des exemples illustrant la façon dont l’État partie lutte contre le crime organisé et à indiquer si, en tant que membre du Groupe des pays d’Amérique latine et des Caraïbes (GRULAC), la Jamaïque a conclu des accords de coopération culturelle avec des pays d’Amérique latine.
M me January-Bardill demande comment l’État partie préserve l’harmonie sociale et prévient les manifestations de racisme en l’absence de loi ou de politique institutionnelle qui vise à protéger certains groupes raciaux. Elle invite la délégation à expliquer comment l’État partie veille à ce que les populations défavorisées aient accès aux ressources et aux richesses, notamment aux prêts bancaires, et à préciser qui maîtrise l’économie dans le pays. Elle aimerait aussi savoir s’il existe une commission indépendante de contrôle des élections qui garantit la tenue d’élections libres et régulières.
M. Thornberry demande si la réserve émise par la Jamaïque à l’égard de la Convention, qui prévoit notamment que «[…] la ratification de la Convention par la Jamaïque n’emporte pas l’acceptation d’obligations dépassant les limites fixées par sa Constitution […]» a toujours lieu d’être et si, en cas de conflit entre la législation nationale et le droit international, la Convention prime le droit interne. Il demande l’avis de la délégation sur la pertinence actuelle des motifs interdits de discrimination qui sont énoncés dans la Charte des libertés et droits fondamentaux, notamment la référence aux Marrons ou à la discrimination fondée sur le lieu d’origine. Il demande un complément d’information sur les mesures prises par l’État partie contre la ségrégation dans l’emploi et le logement. Enfin, il aimerait savoir si la Jamaïque estime avoir tiré des enseignements positifs de son expérience particulière en matière de relations entre communautés.
M. Saidou, notant qu’en vertu de l’article 19 de la Charte des libertés et droits fondamentaux, quiconque s’estime victime de discrimination peut saisir directement la Cour suprême,demande si le cas s’est déjà présenté. Il aimerait également savoir si les forces de l’ordre et les responsables de l’application des lois reçoivent une formation aux droits de l’homme. Enfin, il souhaiterait en savoir plus sur l’origine du patois jamaïcain et sur le nombre de personnes qui le parlent.
M. Calí Tzay, rappelant que jusqu’au début des années 1980, une vingtainedefamilles seulement détenaient l’essentiel des richesses du pays, demande si c’est toujours le cas de nos jours. Il aimerait également avoir des précisions sur la part de 0,1 % de la population dite «de race non précisée», dont il est question au paragraphe 4 du rapport. Il demande si des plaintes pour actes de racisme ont été déposées contre la police et si l’État partie s’emploie à lutter contre la délinquance, notamment la violence sexuelle, qui touche particulièrement les femmes et les enfants. Enfin, la délégation voudra bien préciser si l’école est gratuite pour les étrangers et les clandestins et pas uniquement pour les ressortissants.
Le Président, s’exprimant en tant que membre, demandel’avis de la délégation sur la ratification de l’amendement à l’article 8 de la Convention, qui permet d’assurer un financement plus prévisible et continu des activités du Comité.
M. McCook (Jamaïque)dit que son pays a été profondément marqué par les stigmates de son passé et que la Convention a été l’un des premiers instruments internationaux ratifiés après la décolonisation dans les années 1960. La Jamaïque reste déterminée à lutter contre toutes les formes de discrimination et à n’exclure aucun groupe de population du processus démocratique et de l’accès aux richesses, en créant des conditions propices à la participation de tous, dans des conditions d’égalité, et en donnant sa chance à chacun, quelle que soit sa condition sociale. Le pays est conscient qu’il faudrait améliorer les dispositifs et méthodes de collecte de statistiques afin de disposer d’outils plus précis pour élaborer des politiques plus ciblées. La question de l’identification et du recensement de divers groupes ethniques est assez délicate, vu que la composition ethnique du pays est le résultat d’un brassage de populations, principalement originaires du continent africain, et que les intéressés ont eux‑mêmes souvent du mal à décrire leur origine ethnique. La Jamaïque a tourné la page de son passé tourmenté et douloureux, mais elle n’oublie pas ses racines, c’est pourquoi l’histoire du pays, et particulièrement celle de la traite transatlantique, est enseignée dès l’école primaire. Des mécanismes visant à assurer la tenue régulière d’élections ont été mis en place. La Jamaïque croit fermement que le respect et la dignité de chacun sont essentiels à l’harmonie sociale et elle a fait de la lutte contre l’exclusion une de ses priorités.
M me Dah note avec intérêt que le pays a su conserver ses racines africaines et que la Jamaïque, qui jouit d’un rayonnement mondial grâce à sa production musicale de qualité, présente des similitudes étonnantes avec la culture de transmission orale caractéristique de l’Afrique de l’Ouest, où les griots sont dépositaires de l’histoire et des traditions, véhiculées par les chansons et la musique. Elle attend avec intérêt d’en apprendre plus sur ce pays à la prochaine séance.
La séance est levée à 18 heures.