Nations Unies

CERD/C/SR.2216

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

26 février 2013

Original: français

Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale

Quatre-vingt - deux ième session

Compte rendu analytique de la 2216 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mardi 19 février 2013, à 10 heures

Président: M. Avtonomov

Sommaire

Examen des rapports, observations et renseignements soumis par les États parties en application de l’article 9 de la Convention (suite)

Cinquième à septième rapports périodiques du Kirghizistan (suite)

La séance est ouverte à 10 h 5.

Examen des rapports, observations et renseignements soumis par les États parties en application de l’article 9 de la Convention (suite)

Cinquième à septième rapports périodiques du Kirghizistan (CERD/C/KGZ/5-7 et  CERD/C/KGZ/Q/5-7) (suite)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation kirgh ize reprend place à la table du  Comité.

2.M me Karybaeva (Kirghizistan) dit que le Code pénal kirghize consacre le principe de l’égalité des citoyens mais ne comprend pas de définition de la discrimination raciale conforme à l’article premier de la Convention. Cela dit, le projet de nouvelle constitution, qui était en cours à la veille des événements de 2010, réprime en son article 16 la discrimination fondée sur le sexe, la race, la langue et l’origine ethnique. L’adoption de ce projet a été retardée car des élections présidentielles, législatives et municipales ont dû être organisées à la suite des émeutes de juin 2010. L’incendie de l’université privée dirigée par M. Batirov est survenu en mai 2010 et n’a donc aucun lien avec les troubles qui ont éclaté le mois suivant. Cet établissement a cessé d’accueillir des étudiants car son dirigeant a pris la fuite à l’étranger après les événements et personne n’a repris ses fonctions. L’Université kirghize-ouzbèke de la ville d’Och a été créée en 1994 dans le cadre d’un partenariat entre l’Ouzbékistan et le Kirghizistan, mais l’Ouzbékistan n’en reconnaît plus les diplômes depuis 2010. Cet établissement offre pourtant des cours de littérature et de langue ouzbèkes qui entrent dans le cadre de la politique en faveur de l’enseignement pluriculturel et plurilinguistique que le Ministère de l’enseignement supérieur a adoptée en 2011.

3.Avant le conflit de 2010, il existait une douzaine de médias en langue ouzbèke dans le sud du pays.Les anciens propriétaires de deux d’entre elles, dont Och TV, qui ont quitté le pays, ont été condamnés par contumace.Cette chaîne continue pourtant d’émettre, en langues russe et kirghize.Trois radios en langue ouzbèke ont poursuivi leurs activités, et des journaux continuent d’être publiés dans cette langue. Il n’y a pas de censure dans le pays, mais si les médias sont utilisés à des fins d’incitation à l’intolérance ou à la haine raciale, le parquet peut intervenir en leur adressant un avertissement. Tel a notamment été le cas lorsque la publication d’un article à connotation antisémite a suscité l’émoi dans le pays et a abouti à une plainte de l’ambassade d’Israël. Simple coalition d’organisations non gouvernementales (ONG) ayant vocation à faire respecter l’identité culturelle et les traditions des minorités ethniques et à favoriser leur intégration dans la vie publique, l’Assemblée du peuple du Kirghizistann’a pas pu prévenir le conflit de 2010.Elle n’a ni le mandat ni les ressources pour jouer un tel rôle et n’a jamais ouvertement pris part à des activités politiques. Après le conflit, elle s’est chargée de coordonner l’aide humanitaire. L’adoption d’une loi spéciale pour la protection des minorités pose des problèmes particuliers au Kirghizistan: en 1990, dans le cadre des travaux devant aboutir à la signature de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe, la question a été retirée de l’ordre du jour du Parlement car les responsables des minorités ethniques s’opposaient à l’utilisation du terme «minorités».Une initiative similaire s’est également conclue par un échec dans les années 2000. Le débat est toujours d’actualité et pourrait enfin aboutir.

4.M me Alieva (Kirghizistan) dit que les événements tragiques de juin 2010 ont fait de nombreuses victimes, y compris dans les rangs des organes du Ministère de l’intérieur. Depuis lors, l’accent est mis sur la promotion de la négociation et la prévention précoce des conflits, et la composition des forces de l’ordre et de l’armée tient davantage compte de la diversité ethnique du pays, la représentation insuffisante de l’ethnie ouzbèkeétant un obstacle à l’instauration de la paix.Aucun fonctionnaire ouzbek de souche n’a été licencié des services du Ministère de l’intérieur après le conflit; d’ailleurs, nombreux sont ceux qui ont pris part à la Commission d’enquête auprès de la population ouzbèke établie à la suite des troubles.La plupart des jeunes qui vivent dans le sud du pays optent pour un service autre que le service militaire, ce qui fait que les forces armées sont principalement composées deKirghizes de souche.

5.Comme la moitié seulement des armes utilisées pendant le conflit dans la région de Djalal-Abad a été restituée, une récompense d’un montant élevé est offerte à quiconque en retournera. Dans le même temps, la police tente de repérer d’éventuelles caches d’armes sur l’ensemble de la région. Des femmes ouzbèkes ayant été victimes de viols, de sévices sexuels, voire de meurtres pendant le conflit, le Gouvernement a élaboré, en collaboration avec des ONG et des groupes de femmes, un plan national prévoyant que des enquêtes soient menées en 2013-2014 sur tous les actes de cette nature commis pendant le conflit. Ce plan prévoit aussi d’augmenter le nombre de femmes dans les forces de l’ordre et de prendre les mesures voulues pour mettre en œuvre la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU sur les femmes, la paix et la sécurité.

6.M. Konkoshev (Kirghizistan) dit qu’au cours des troubles de juin 2010, Azimjan Askarovs’est rendu coupable d’incitation à la haine ethnique et a appelé les Ouzbeks de souche à se soulever, à ériger des barricades et à faire le siège de divers bâtiments publics dans la ville de Bazar-Korgon, y retenant même le chef de la milice.Des armes, des munitionsainsi que du matériel de propagande extrémiste ont été retrouvés chez lui, suite à quoi il a été inculpé pour prise d’otage, enlèvement, détention et port illégal d’armes, possession de documentation extrémiste, incitation à la haine et participation à des actions ayant entraîné la mort de membres des forces de l’ordre.Condamné à la perpétuitéen septembre 2011, M. Askarov a fait appel et l’affaire est en instance devant la Cour suprême.M.Askarov a bénéficié des services d’un avocat dès les premiers jours de sa détention et n’ajamais été victime d’actes de torture. Il a eu le droit de recevoir des membres d’ONG et des représentants de la Croix-Rouge en prison. On l’a dit défenseur des droits de l’homme, mais l’enquête n’a pas confirmé cette affirmation. Les décisions prises par les juridictions de première et deuxième instance dans l’affaire concernant M. Askarov ont été confirmées en appel.

7.M me Iskakova (Kirghizistan)dit que tous les pays de la région ont apporté une aide humanitaire après le conflit. S’agissant de la recommandation faite par le Président du Comité au sujet de l’article 14 de la Convention, le Kirghizistan étudiera la possibilité de reconnaître la compétence du Comité pour recevoir des communications. Le Kirghizistan examine la possibilité d’adhérer à la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et à la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. La loi sur la nationalité prévoit que toute personne vivant dans le pays depuis cinq ans peut obtenir la nationalité kirghize. Depuis 2000, 9 000 demandeurs d’asile et 20 000 personnes de souche kirghize revenues dans le pays ont obtenu la nationalité. Concernant les visites de rapporteurs spéciaux, le Rapporteur spécial sur la torture s’est déjà rendu au Kirghizistan et trois titulaires de mandat au titre de procédures spéciales ont adressé une demande de visite aux autorités kirghizes. Le Kirghizistan a démontré son ouverture en confiant à une commission d’enquête le soin d’établir un rapport sur les événements de juin 2010. Toutefois, le Gouvernement n’a pas accepté toutes les conclusions figurant dans le rapport, et le Président de la Commission a lui-même admis que le rapport contenait des incohérences.

8.M me Karybaeva (Kirghizistan) dit que l’institution du Médiateur existe depuis dix ans et que le Comité international de coordination des institutions nationales des droits de l’homme lui a octroyé le statut d’accréditation B. Le Médiateur visite des lieux de détention. La Commission d’enquête parlementaire temporaire chargée de faire la lumière sur les événements de juin 2010, mise en place en janvier 2011, a cessé ses travaux en mai 2011. Le gouvernement provisoire a accordé des indemnités pouvant aller jusqu’à 1 million de soms (25 000 dollars des États-Unis) aux personnes touchées par le conflit. En outre, des mesures ont été prises pour reconstruire des logements. S’agissant des institutions traditionnelles chargées de rétablir la confiance et la paix, le tribunal des anciens (Aqsaqal) a joué un rôle important en lançant des appels à la paix et au calme. Les Roms apparaissent dans le recensement de 2009 en tant que Tadjiks. Ils sont principalement installés dans une région qui a été épargnée par les conflits.

9.M. Lahiri juge difficile de comprendre quelles ont été les causes précises des violences de juin 2010. Pour que de tels événements ne se reproduisent pas, la diversité culturelle et ethnique doit être considérée comme un facteur d’unité et non comme un outil de manipulation politique.

10.M. de Gouttesdemande quand la Cour suprême rendra sa décision au sujet de M. Askarov. Il encourage le Gouvernement à mettre en place une institution nationale des droits de l’homme dotée du statut A conformément aux Principes de Paris.

11.M me Karybaeva(Kirghizistan) dit que des efforts sont déployés pour que des conflits ne se reproduisent pas à l’avenir. Concernant le Médiateur, son statut est défini par la Constitution et par la loi sur le Médiateur. La transition vers un statut A serait une bonne chose, mais cette question dépend de la volonté des citoyens.

12.M. Konkoshev (Kirghizistan) dit que la Cour suprême a confirmé le 20 décembre 2011 les décisions prises par les tribunaux de première et deuxième instance dans l’affaire concernant M. Askarov. Ce dernier a le droit de demander une révision de l’affaire.

13.M. Murillo Mart ín ez demande des précisions sur le rôle joué par la communauté internationale lors du conflit. Il aimerait connaître la composition de la Commission internationale indépendante d’enquête et demande comment ses conclusions ont été accueillies. Il demande si des organisations internationales ont assuré le suivi de la situation après le conflit.

14.M. Amir demande si les 31 affaires de terrorisme mentionnées au paragraphe 72 du rapport à l’examen ont été jugées sur la base des résolutions du Conseil de sécurité concernant la lutte contre le terrorisme ou sur la base du droit pénal national. Il souhaite savoir s’il existe des mouvements salafistes au Kirghizistan et, dans l’affirmative, quel est leur rôle au sein de la communauté musulmane et de l’État.

15.M me Kary baeva(Kirghizistan) dit que lorsque le conflit a éclaté, les procédures de coopération internationale ont pris beaucoup trop de temps et que lorsque les choses se sont stabilisées, aucune aide internationale n’avait encore été apportée au Kirghizistan. Néanmoins, après le conflit, des pays donateurs ont fourni une assistance humanitaire et une aide à la reconstruction sans précédent. La Commission internationale indépendante d’enquête, constituée à la demande du Gouvernement, était composée d’experts des droits de l’homme. Son rapport a été publié avec un commentaire du Gouvernement pour chaque paragraphe. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ont été chargés du suivi de la situation après le conflit. Mme Karybaeva dit que la menace terroriste s’est aggravée depuis 2011 et qu’une cellule antiterroriste a été créée au sein du Conseil national de la sécurité pour y faire face. Le Kirghizistan appuie les mesures préconisées par le Conseil de sécurité de l’ONU et des organisations régionales pour lutter contre le terrorisme et encourage pour sa part la diffusion des valeurs de tolérance et de respect mutuel.

16.M. Diaconu (Rapporteur pour le Kirghizistan) est très préoccupé par la fermeture de l’Université de Djalal-Abad suite à la condamnation de son fondateur, aux termes d’un procès que de nombreuses ONG ont jugé inéquitable. D’une manière générale, l’État partie devrait revoir toutes les condamnations prononcées contre des personnes ayant participé aux émeutes de 2010 car les procédures semblent avoir été entachées d’irrégularités, la majorité des victimes et des coupables étant d’origine ouzbèke. Le Rapporteur demande à la délégation kirghize d’indiquer si les auteurs de violences sur le journaliste Azimjan Askarov durant sa détention ont été jugés et sanctionnés. Prenant note de la volonté de l’État partie d’assurer l’unité politique du pays en y associant étroitement la population, il considère que cet objectif ne pourra pas être atteint si les droits des minorités ne sont pas respectés et si les minorités n’ont pas un fort sentiment d’appartenance à la République kirghize. Le Rapporteur demande à la délégation de commenter l’information selon laquelle tous les élèves scolarisés dans l’État partie passeront leurs examens en kirghize, y compris dans les établissements qui dispensaient ou dispensent encore un enseignement en ouzbek. L’État partie doit modifier sa politique ethnique et assurer la protection effective des droits des minorités en garantissant leur participation aux affaires publiques et leur représentation au sein de la police et du personnel judiciaire.

17.M. Vá zquez demande pour quelles raisons les membres des minorités ethniques ne veulent pas être désignés comme tels dans l’État partie et s’il est vrai qu’ils ne peuvent pas appartenir aux forces de police et de sécurité parce qu’ils n’ont pas effectué de service militaire actif. Il souhaite savoir quels sont les recours à la disposition des victimes d’erreurs judiciaires, en particulier des personnes condamnées pour leur participation aux émeutes de 2010. L’expert relève que les informations fournies par l’État partie et les ONG au sujet de M. Askarov sont extrêmement contradictoires et que, selon de nombreuses sources, ce dernier a été soumis à la torture, de fausses preuves ont été recueillies contre lui et son procès a été très fortement politisé. Il serait intéressant de savoir pourquoi la vidéo présentée par M. Askarov pour sa défense a été jugée irrecevable.

18.M. Konkoshev (Kirghizistan) dit que M. Askarov a été frappé par son codétenu et qu’en l’absence de plainte, l’agresseur n’a pas été poursuivi. Les témoignages vidéo soumis par le journaliste n’ont pas été admis comme éléments de preuve à décharge parce que les quatre personnes qui figuraient sur les enregistrements ont refusé de confirmer leurs dires par écrit.

19.M me Karybaeva (Kirghizistan) explique que les critères d’entrée dans les forces de police et de sécurité du Ministère de l’intérieur ont été récemment modifiés et élargis aux personnes attestant d’un service militaire alternatif. Des dispositions ont également été prises pour veiller à ce que les effectifs de police comptent au moins 10 % de membres de minorités ethniques. Mme Karybaeva s’engage à évoquer la question de la suppression des examens scolaires en ouzbek auprès des plus hautes instances de son pays afin d’envisager une abrogation de cette décision. Elle reconnaît que le Médiateur devrait jouer un rôle accru en matière de protection des droits des minorités et que le système d’administration de la justice devrait être réformé.

20.M. Diaconu (Rapporteur pour le Kirghizistan) se félicite du dialogue fructueux avec la délégation de l’État partie et espère que les assurances données oralement par celle-ci trouveront une application concrète très prochainement. Il encourage l’État partie à adopter une réglementation protégeant les droits des minorités, notamment dans les domaines de l’enseignement et de la participation aux affaires publiques et aux organes de l’État. Le Rapporteur souligne l’importance de la justice de transition et recommande vivement aux autorités kirghizes de rouvrir toutes les affaires liées aux émeutes de 2010 afin de rétablir la confiance de la population dans le système judiciaire. Des réformes sont certes nécessaires en ce qui concerne la justice et la police mais les autorités devraient aussi s’employer à éliminer les inégalités économiques et sociales entre les régions et les différents groupes de population pour éviter que les problèmes socioéconomiques que rencontre l’État partie constituent une source d’animosité entre Kirghizes et minorités ethniques.

21.M me Iskakova (Kirghizistan) assure le Comité que la délégation lui transmettra ultérieurement les informations qu’elle n’a pas été en mesure de fournir en séance. Elle se dit très surprise de constater que M. Kadirjan Batirov, fondateur de l’Université de Djalal‑Abad, a assisté à la séance aux côtés d’ONG alors qu’il a été condamné par la justice kirghize pour crime et assassinat et fait l’objet d’un mandat d’arrêt international. Elle dit avoir appelé l’attention du Président du Comité sur cette situation à l’issue de la précédente séance et souhaite qu’il en soit fait mention dans le compte rendu analytique de la séance.

La séance est levée à 13 heures.