Nations Unies

CERD/C/CHE/CO/10-12

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

27 décembre 2021

Original : français

Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Observations finales concernant le rapport de la Suisse valant dixième à douzième rapports périodiques *

1.Le Comité a examiné le rapport de la Suisse valant dixième à douzième rapports périodiques à ses 2839e et 2840e séances, les 16 et 17 novembre 2021. À sa 2856e séance, le 29 novembre 2021, il a adopté les présentes observations finales.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction la cinquième apparition de l’État partie devant le Comité pour la présentation de son rapport valant dixième à douzième rapports périodiques. Il se félicite du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation de l’État partie, et la remercie pour les informations qu’elle lui a fournies lors de l’examen du rapport et pour les renseignements complémentaires qu’elle lui a communiqués après le dialogue.

B.Aspects positifs

3.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme suivants, ou y a adhéré :

a)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, le 24 avril 2017 ;

b)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, le 2 décembre 2016 ;

c)La Convention de 2011 sur les travailleuses et travailleurs domestiques (no 189) de l’Organisation internationale du Travail, le 12 novembre 2014 ;

d)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 15 avril 2014.

4.Le Comité salue en outre les mesures législatives, institutionnelles et politiques ci‑après prises par l’État partie :

a)La modification du 1er octobre 2021, par l’acte FF 2021 2325, apportée à la loi fédérale sur des mesures de promotion civile de la paix et de renforcement des droits de l’homme, concernant la création d’une institution nationale des droits de l’homme ;

b)La modification du 30 septembre 2016, par l’acte RO 2018 531, de la loi sur la nationalité suisse, concernant la naturalisation facilitée des étrangers de la troisième génération, depuis le 15 février 2018 ;

c)L’adoption de l’Agenda Intégration Suisse en 2018, devant favoriser l’intégration des personnes réfugiées et des personnes admises à titre provisoire ;

d)La modification du 15 novembre 2017, par l’acte RO20176545, de l’ordonnance 2 sur l’asile relative au financement, qui abolit la taxe spéciale de 10 % sur le revenu pour les demandeurs d’asile et les personnes admises à titre provisoire dès le 1er janvier 2018 ;

e)La mise en œuvre par la République et canton de Genève de l’opération Papyrus entre 2017 et 2018, dans le but de régulariser les migrants sans papiers ;

f)L’initiative politique, prise par les autorités cantonales et municipales de Genève, de dialogue et de consultation avec les personnes africaines et d’ascendance africaine à la suite des événements du mouvement Black Lives Matter.

C.Préoccupations et recommandations

Application de la Convention en droit interne

5.Le Comité regrette qu’en dépit de la recommandation incluse dans ses précédentes observations finales, l’État partie n’ait pas adopté une législation à l’échelon fédéral qui contienne une définition de la discrimination raciale, directe et indirecte, pleinement conforme à l’article premier de la Convention. À la lumière de l’augmentation du nombre d’incidents de discrimination raciale dans l’État partie et de la rareté des actions en justice à cet égard, le Comité est vivement préoccupé par l’absence d’une législation interdisant clairement la discrimination raciale et par le manque de recours suffisants et accessibles pour les victimes, notamment dans le droit civil et administratif, et dans les domaines de l’éducation, de l’emploi et du logement. En outre, le Comité est de nouveau préoccupé par le fait que le Code pénal ne dispose pas spécifiquement que la motivation raciste constitue une circonstance aggravante (art. 1er, 2, 4 et 6).

6. Le Comité réitère sa recommandation à l ’ État partie :

a) D ’ incorporer dans sa législation une définition claire et complète de la discrimination raciale directe et indirecte, qui couvre tous les domaines de la vie privée et publique, et soit pleinement conforme à l ’ article premier de la Convention ;

b) D ’ adopter une disposition à caractère général dans le droit civil et administratif interdisant la discrimination raciale directe et indirecte dans tous les domaines de la vie privée et publique, d ’ offrir des recours utiles et accessibles aux victimes de cette discrimination, y compris dans les domaines de l ’ éducation, de l ’ emploi et du logement, et de veiller à ce qu ’ elles puissent obtenir satisfaction ou réparation pour tout préjudice qu’ elles pourraient subir ;

c) D ’ inclure dans l’article  47 du Code pénal une disposition stipulant expressément que la commission d ’ une infraction avec une motivation raciste constitue une circonstance aggravante , afin de renforcer la clarté et l’applicabilité du cadre législatif en la matière.

Réserves

7.Tout en prenant note des informations fournies par l’État partie concernant l’examen régulier des réserves formulées, le Comité regrette que l’État partie maintienne ses réserves au paragraphe 1 a) de l’article 2 et à l’article 4 de la Convention (art. 2 et 4).

8. Rappelant la recommandation incluse dans ses précédente s observations finales , le Comité encourage l ’ État partie à retirer ses réserves au paragraphe 1 a) de l ’ article 2 et à l ’ article 4 de la Convention.

Institution nationale des droits de l’homme

9.Le Comité salue l’adoption par l’Assemblée fédérale de l’État partie, le 1er octobre 2021, d’une loi concernant la création d’une institution nationale des droits de l’homme. Néanmoins, le Comité regrette que cette institution n’ait pas de mandat pour recevoir et traiter des plaintes individuelles. Il s’inquiète, en outre, des informations selon lesquelles cette institution ne disposera pas de ressources financières adéquates pour s’acquitter efficacement de son mandat (art. 2).

10. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter les mesures nécessaires, en consultation avec la société civile et les autres parties prenantes, pour rendre l ’I nstitution nationale des droits de l ’ homme pleinement conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (Principes de Paris). Il lui recommande également de confier à cette institution le mandat de recevoir et de traiter les plaintes individuelles, y compris les cas de discrimination raciale, et de lui allouer les ressources humaines et financières suffisantes pour lui permettre de s ’ acquitter de ses mandats.

Cadre institutionnel

11.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie concernant le mandat et les activités de la Commission fédérale contre le racisme. Cependant, le Comité est préoccupé par le manque de ressources financières adéquates allouées à cette commission pour s’acquitter efficacement de son mandat et pour mener des activités telles que des campagnes de sensibilisation au niveau national (art. 2).

12. Le Comité réitère sa recommandation à l ’ État partie de doter la Commission fédérale contre le racisme de ressources financières et humaines appropriées pour lui permettre de lutter efficacement et en toute indépendance contre la discrimination raciale, sans préjudice des mesures nécessaires et des ressources adéquates à octroyer à l’Institution nationale des droits de l’homme. Le Comité recommande aussi à l’État partie de veiller à ce que la Commission fédérale contre le racisme et la nouvelle Institution nationale des droits de l’homme collaborent efficacement sur les questions relatives à la discrimination raciale et se renforcent mutuellement.

13.Le Comité note que, dans le cadre des programmes d’intégration cantonaux, tous les cantons ont mis en place des centres de conseil pour les victimes du racisme, qui enregistrent les incidents à caractère raciste et facilitent l’accès à une aide et à des conseils juridiques de base pour les victimes. Néanmoins, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles ces centres disposent de fonds et de ressources humaines limités qui, en outre, varient d’un canton à l’autre, ce qui aurait amené certains d’entre eux à fermer ou à déplacer leurs locaux. De plus, le Comité est préoccupé par le fait que l’absence d’un cadre juridique clair pour lutter contre la discrimination raciale et de recours suffisants et effectifs pour les victimes limite de manière significative l’impact des services de conseil juridique desdits centres (art. 2 et 6).

14. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre des mesures pour garantir la pérennité des ressources financières et humaines pour le développement et le maintien des centres de conseil juridique pour les victimes du racisme dans tous les cantons .

Crimes et discours de haine à caractère raciste

15.Le Comité est très préoccupé par les informations faisant état d’un nombre croissant de discours de haine raciale, en particulier envers les Yéniches, Sintis/Manouches et Roms, les non-ressortissants, y compris les réfugiés et les demandeurs d’asile, les personnes d’ascendance africaine et d’origine asiatique, ainsi que de discours de haine ethnoreligieuse envers les juifs et musulmans, y compris sur Internet et les médias sociaux et de la part de personnalités publiques et de responsables politiques, qui se sont intensifiés pendant la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19). Il s’inquiète du fait que l’enregistrement des crimes à motivation raciste n’est pas uniforme et obligatoire, ce qui limite un suivi efficace des infractions racistes dans l’État partie (art. 4).

16. Rappelant ses recommandations générales n o 7 (1985), n o 8 (1990), n o 15 (1993), n o 30 (2004), n o 31 (2005) et n o 35 (2013), le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De prendre des mesures pour prévenir, condamner et combattre les discours de haine raciale tenus à l ’ égard des groupes les plus exposés à la discrimination raciale , y compris sur Internet et les médias sociaux, et de la part de personnalités publiques et de responsables politiques, et de veiller à ce que tous les cas signalés de discours de haine raciale fassent l ’ objet d ’ enquêtes efficaces et, le cas échéant, de poursuites et de sanctions ;

b) D ’ intensifier ses efforts pour enrayer la prolifération des discours de haine raciale sur Internet et les médias sociaux, en étroite coopération avec les fournisseurs d ’ accès à Internet, les plateformes de réseaux sociaux et les populations les plus concernées par les discours de haine raciale  ;

c) De mener des campagnes de sensibilisation de la population visant , d ’ une part , à faire disparaître les préjugés et la désinformation concernant les Yéniches , les Sintis /Manouches, les Roms, les non-ressortissants, ainsi que les personnes d ’ ascendance africaine , musulmanes, juives et d ’ origine asiatique, et , d ’ autre part , à promouvoir le respect de la diversité et l ’ élimination de la discrimination raciale ;

d) De prendre des mesures pour garantir un enregistrement uniforme et obligatoire par la police des infractions à motivation raciste , et d’établir un système de collecte des données sur la catégorie d’infractions, le type de motivation, les données démographiques des victimes et de l’agresseur, et les circonstances de l’infraction relatives au lieu et au temps, afin de pouvoir établir une politique préventive efficace.

Violences policières à caractère raciste

17.Le Comité est préoccupé par les allégations de décès par suite d’une intervention de la police, en particulier à l’encontre de personnes d’ascendance africaine, ainsi que de violence et de mauvais traitements infligés par des policiers à des non-ressortissants, à des Yéniches, Sintis/Manouches et Roms, et à des personnes d’ascendance africaine. Il s’inquiète en outre des informations selon lesquelles très peu de cantons sont dotés d’organes indépendants compétents pour le traitement de plaintes sur les violences policières. Il est également inquiet de ce que les cas dans lesquels les poursuites ont donné lieu à des décisions de justice en faveur du requérant restent peu nombreux et que les victimes sont confrontées à plusieurs obstacles pour accéder à la justice, tels que le manque d’informations et les coûts financiers prohibitifs des procédures (art. 2, 4 et 6).

18. Rappelant sa recommandation générale n o 31 ( 2005), le Comité recommande à l ’ État partie de prendre des mesures pour garantir que des enquêtes promptes, complètes et impartiales sont menées sur tous les cas d ’ incidents à caractère raciste infligés par des policiers ou impliquant des policiers, de s ’ assurer que les responsables éventuels de ces actes sont poursuivis et sanctionnés de manière appropriée, et d ’ offrir , le cas échéant, une réparation adéquate aux victimes ou à leur famille. Le Comité réitère vivement sa recommandation à l’État partie de créer dans tous les cantons un mécanisme indépendant , hors de la police et du ministère public, chargé de recevoir et d ’ instruire des plaintes concernant des fautes commises par des policiers , en particulier les comportements abusifs à motivation raciste. Il lui recommande aussi de prendre des mesures pour faciliter l’accès à la justice des victimes, y compris en fournissant des informations sur les mécanismes de plainte et en réduisant le coût des procédures.

Profilage racial

19.Le Comité réitère sa préoccupation concernant la persistance du profilage racial par la police et l’absence d’une loi l’interdisant de manière explicite. Le Comité s’inquiète, en outre, des informations selon lesquelles l’État partie ne collecte pas suffisamment de données statistiques sur le profilage racial. Tout en prenant note des informations fournies par l’État partie sur l’intégration de certains aspects de la discrimination raciale dans la formation des agents de police, le Comité est néanmoins préoccupé par les informations selon lesquelles cette formation est insuffisante pour prévenir de manière effective le racisme et le profilage racial de la part des agents de police (art. 2, 4 et 5).

20. Rappelant sa recommandation générale n o 36 (2020), le Comité prie instamment l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour lutter efficacement contre toute pratique des forces de l ’ ordre qui reposerait sur le profilage racial et y mettre fin, notamment :

a) D ’ inclure dans sa législation une interdiction explicite du profilage racial en tenant compte de la recommandation générale n o 36 et de prendre des mesures opérationnelles, telles que la mise en place de formulaires précisant les raisons du contrôle ou de toute autre opération policière , et d ’ informer les victimes sur les recours disponibles ;

b) D ’ élaborer un plan d ’ action contre le profilage racial, en consultation avec les populations les plus susceptibles d ’en être victimes, visant à le prévenir et à le combattre de manière efficace, en y incluant des actions relatives :

i) Au renforcement de l a formation initiale et continue des policiers et des forces d ’ ordre sur la question du racisme et du profilage racial  ;

ii) Au suivi aux niveaux cantonal et fédéral de la mise en œuvre des mesures opérationnelles contre le profilage racial et des audits périodiques, avec le concours d ’ experts indépendants, pour mettre à jour les lacunes dans les politiques et pratiques internes ;

iii) À l a mise en place d ’ un système indépendant de traitement des plaintes liées au profilage racial ;

iv) À l a collecte des données ventilées sur le profilage racial, à publier régulièrement et à faire figurer dans son prochain rapport périodique.

21.Le Comité s’interroge sur le projet de loi qui introduit des amendements à la loi fédérale sur l’utilisation de profils d’ADN dans les procédures pénales et sur l’identification de personnes inconnues ou disparues, permettant à la police d’analyser l’ADN de la scène de crime pour les caractéristiques externes (phénotypage de l’ADN), ce qui pourrait comporter un risque de profilage, de discrimination et de stigmatisation de personnes en fonction de la race, de la couleur, de l’ascendance, ou de l’origine ethnique ou nationale (art. 2, 4 et 5).

22. Rappelant sa recommandation générale n o 36 (2020), le Comité prie instamment l ’ État partie de considérer , dans l ’ évaluation du projet de loi mentionné, les risque s éventuels de profilage, de discrimination et de stigmatisation de personnes sur la base de la race, de l’ascendance, de la couleur ou de l’origine ethnique ou nationale qu e comportent les analyses de l ’ ADN. Il recommande aussi à l’État partie d ’ assurer une évaluation inclusive et approfondie de ces amendements en consultation avec la société civile, y compris des personnes appartenant à des groupes minoritaires, à toutes les étapes du processus législatif. En outre, le Comité recommande à l’État partie d e confier à un mécanisme indépendant la surveill ance de la mise en œuvre de cette législation une fois adoptée afin qu’elle soit conforme aux obligations de l ’ État partie en matière de droits de l ’ homme.

Yéniches, Sintis/Manouches et Roms

23.Tout en notant les informations fournies par l’État partie sur les mesures prises pour garantir les droits des minorités nationales, le Comité reste préoccupé par les obstacles que rencontrent les Yéniches, Sintis/Manouches et Roms, en particulier :

a)Le nombre insuffisant d’aires de séjour et de transit, le fait que de nombreuses aires ne disposent pas d’infrastructures adéquates, notamment l’accès à l’eau potable et à l’électricité, et le fait que les Roms non suisses ont souvent l’interdiction d’utiliser ces aires ;

b)Les effets discriminatoires de lois et de politiques de neutralité apparente sur les droits des personnes appartenant à ces communautés, y compris dans les domaines des activités commerciales itinérantes, du stationnement des caravanes et des activités menées pour surmonter des situations inhumaines et précaires ;

c)L’impact négatif de la pandémie de COVID-19 dans la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels de ces communautés ;

d)Les informations selon lesquelles le plan d’action sur l’amélioration des conditions de vie nomade et la promotion de la culture des Yéniches, des Sintis/Manouches et des Roms n’a pas été suivi par une mise en œuvre adéquate, ainsi que les préjugés et la discrimination qui persistent contre toutes les personnes de ces communautés, y compris celles qui ont un mode de vie sédentaire ;

e)La criminalisation générale et les allégations de mauvais traitements envers les Roms qui recourent à la mendicité (art. 5).

24. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) D ’ augmenter le nombre d ’ aires de séjour et de transit pour les Yéniches , Sint i s /Manouches et Roms nomades, d ’ améliorer l ’ infrastructure des aires existantes et d ’autoriser leur utilisation par les Roms non suisses ;

b) De s ’ assurer que les lois et politiques d’apparence neutre n ’ ont pas d ’ effet discriminatoire sur les Yéniches , Sint i s /Manouches et Roms ;

c) De développer et de mettre en œuvre, à tous les niveaux de pouvoir, des stratégies spécifiques pour atténuer les effets socioéconomiques de la pandémie de COVID-19 sur ces communautés, en garantissant leur participation dans l ’ élaboration, la mise en œuvre et le suivi desdites stratégies ;

d) De mettre en place un mécanisme de suivi efficace du p lan d ’ action sur l ’ amélioration des conditions de vie nomade et la promotion de la culture des Yéniches , des Sintis /Manouches et des Roms, de fournir des ressources adéquates pour sa mise en œuvre , et d’assurer la participation des Yéniches , des Sintis /Manouches et des Rom s dans toutes les procédures pertinentes de prises de décision s  ;

e) De réviser et de modifier si nécessaire les lois qui criminalisent la mendicité, et de prendre d’autres mesures appropriées.

Situation des non-ressortissants, notamment des migrants, des réfugiés, des demandeurs d’asile et des apatrides

25.Tout en prenant note des renseignements fournis par l’État partie sur les mesures prises pour garantir les droits des non-ressortissants, le Comité est préoccupé par :

a)Les informations selon lesquelles des membres du personnel chargé de la sécurité dans les centres fédéraux pour requérants d’asile auraient commis des actes de violence contre des demandeurs d’asile, y compris des enfants, et l’absence de mécanismes de plainte et d’enquête efficaces et impartiaux ;

b)Le fait que les dispositions de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration de 2019 qui établissent le droit des victimes de violence conjugale de demeurer en Suisse ne s’appliquent dans la pratique qu’à partir d’un seuil suffisamment grave ou lorsqu’il existe un caractère systématique de la violence subie, ce qui décourage les victimes étrangères de violence conjugale de porter plainte, par peur de perdre leur permis de séjour, et les laisse sans protection réelle et efficace, contrairement aux victimes de nationalité suisse ;

c)Les restrictions à la liberté de circulation des personnes ayant obtenu l’admission provisoire (permis F), limitant la possibilité de changer de canton de domicile et de voyager à l’étranger, et des demandeurs d’asile vivant dans les centres fédéraux pour requérants d’asile, qui sont soumis à des couvre-feux très stricts ;

d)Les informations selon lesquelles, malgré les dispositions légales établissant le droit à un enseignement de base gratuit pour tous les enfants vivant dans l’État partie, en pratique, les enfants migrants non accompagnés se verraient refuser l’inscription à l’école sans fondement légal ;

e)Les informations selon lesquelles les ressortissants de pays situés en dehors de l’Union européenne ne demandent pas d’aide sociale, car leur permis de séjour peut leur être retiré et ils risquent d’être expulsés, situation qui s’est aggravée pendant la pandémie de COVID-19 ;

f)Le fait que les enfants apatrides nés dans l’État partie n’ont pas la possibilité d’acquérir la nationalité suisse à la naissance et que l’acquisition de cette nationalité ultérieurement n’est pas garantie.

26. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De renforcer les mesures de prévention des actes de violence contre les personnes résidant dans les centres fédéraux pour requérants d ’ asile et de s’assurer de leur mise en œuvre effective , d ’ établir des mécanismes de plainte et d ’ enquête efficaces et impartiaux, de sanctionner les responsables de ces actes et d ’ offrir une réparation adéquate aux victimes ;

b) De veiller à ce que le personnel des agences de sécurité privées affecté dans les centres fédéraux pour requérants d’asile ne recoure pas à la violence et qu’il soit sous le contrôle effectif de l’État partie, afin de prévenir tout acte de violence, de lutter contre de tels agissements de la part du personnel des agences de sécurité privées et de ne pas éluder sa responsabilité quant à la protection des personnes sous sa garde ;

c) De veiller à ce que les victimes de violences conjugales puissent demeurer sur le territoire de l ’ État partie , en vertu de l ’ art icle  50 de la l oi fédérale sur les étrang ers et l ’ intégration , sans avoir à surmonter des obstacles de procédure excessifs qui, en pratique, les laisse raie nt sans protection réelle et effective  ;

d) De garantir le droit à la libre circulation des personnes admises sur le territoire de l ’ État partie à titre provisoire et des personnes résidant dans les centres fédéraux pour requérants d ’ asile , en levant les restrictions disproportionnées dont elles font l’objet ;

e) De renforcer les mesures visant à garantir l’accès à l’éducation de base à tous les enfants migrants non accompagnés sans discrimination ;

f) De veiller à ce que les ressortissants de pays situés en dehors de l ’ Union européenne puissent avoir acc ès à l ’ aide sociale sans discrimination du fait de leur nationalité ou origine ;

g) De prévoir que tous les enfants nés apatrides dans l ’ État partie aient la possibilité d ’ acquérir la nationalité suisse à la naissance , et de faciliter l ’ accès à la nationalité suisse à tous les autres enfants nés en Suisse, quel que soit leur statut de résidence.

Éducation et formation à la lutte contre la discrimination raciale

27.Tout en prenant note des mesures adoptées par l’État partie visant à sensibiliser le public à la discrimination raciale, le Comité constate avec préoccupation que, selon les données de l’Office fédéral de la statistique de 2020,un tiers de la population suisse est susceptible d’être dérangé par la présence de personnes perçues comme « différentes ». Les données reflètent aussi des attitudes et des stéréotypes négatifs envers les personnes étrangères, les personnes au mode de vie itinérant et les personnes musulmanes, juives et d’ascendance africaine. Le Comité est aussi préoccupé par le fait qu’il n’y a pas de formation centralisée pour le personnel de la justice sur la discrimination raciale et que les formations offertes sont facultatives.

28. Le Comité recommande à l ’ État partie d’accroître ses efforts pour sensibiliser l ’ opi nion publique à l’importance de la tolérance et de la lutte contre la discrimination raciale, les préjugés et les stéréotypes raciaux, et de promouvoir une politique active d’ouverture des institutions à une population diversifiée, notamment aux personnes exposées à la discrimination raciale. Le Comité réitère sa recommandation à l’État partie de sensibiliser le personnel de la justice aux normes internationales interdisant la discrimination raciale, y compris en établissant des cours de formation obligatoire à cet égard.

D.Autres recommandations

Ratification d’autres instruments

29. Compte tenu du caractère indivisible de tous les droits de l’homme, le Comité encourage l’État partie à envisager de ratifier les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, en particulier ceux dont les dispositions intéressent directement les communautés qui peuvent faire l’objet de discrimination raciale, comme la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Le Comité encourage l ’ État partie à adhérer à la Convention sur la réduction des cas d ’ apatridie.

Suite donnée à la Déclaration et au Programme d’action de Durban

30. À la lumière de sa recommandation générale n o  33 (2009) concernant le suivi de la Conférence d’examen de Durban, le Comité recommande à l’État partie de donner effet à la Déclaration et au Programme d’action de Durban, adoptés en septembre 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, en tenant compte du document final de la Conférence d’examen de Durban, tenue à Genève en avril 2009, quand il applique la Convention. Le Comité demande à l’État partie d’inclure dans son prochain rapport périodique des renseignements précis sur les plans d’action qu’il aura adoptés et les autres mesures qu’il aura prises pour mettre en œuvre la Déclaration et le Programme d’action de Durban au niveau national.

Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine

31. À la lumière de la résolution 68/237 de l ’ Assemblée générale proclamant la Décennie internationale des personnes d ’ ascendance africaine pour 2015-2024 et de la résolution 69/16 sur le programme d ’ activités de la Décennie, le Comité recommande à l ’ État partie d ’ élaborer et de mettre en œuvre un programme adapté de mesures et de politiques en collaboration avec des organisations et des personnes d ’ ascendance africaine. Le Comité demande à l ’ État partie d ’ inclure dans son prochain rapport périodique des renseignements précis sur les mesures concrètes qu ’ il aura adoptées dans ce cadre, compte tenu de sa recommandation générale n o  34 (2011) sur la discrimination raciale envers les personnes d ’ ascendance africaine.

Consultations avec la société civile

32. Le Comité recommande à l ’ État partie de poursuivre et d ’ élargir le dialogue avec les organisations de la société civile qui travaillent dans le domaine de la protection des droits de l ’ homme, en particulier celles qui luttent contre la discrimination raciale , dans le cadre de l ’ élaboration du prochain rapport périodique et du suivi des présentes observations finales.

Diffusion d’information

33. Le Comité recommande à l’État partie de mettre ses rapports à la disposition du public dès leur soumission et de diffuser également les observations finales du Comité qui s’y rapportent auprès de tous les organes de l ’ État chargés de la mise en œuvre de la Convention, y compris les cantons et les communes, ainsi que de les publier sur le site Web du Département fédéral des affaires étrangères dans les langues officielles et les autres langues couramment utilisées, selon qu’il conviendra.

Document de base commun

34. Le Comité encourage l’État partie à mettre à jour son document de base commun , qui date de 2017, conformément aux directives harmonisées pour l’établissement de rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier celles concernant le document de base commun, adoptées à la cinquième réunion intercomités des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme tenue en juin 2006 . À la lumière de la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, le Comité demande instamment à l’État partie de respecter la limite de 42  400  mots fixée pour ce document .

Suite donnée aux présentes observations finales

35. Conformément au paragraphe 1 de l ’ article 9 de la Convention et à l ’ article 65 de son règlement intérieur, le Comité demande à l ’ État partie de fournir, dans un délai d ’ un an à compter de l ’ adoption des présentes observations finales, des renseignements sur la suite qu ’ il aura donnée aux recommandations figurant dans les paragraphes  16  a) et b) (crimes et discours de haine à caractère raciste) , 20  b) (profilage racial) et 26  a), d) et e) (situation des non-ressortissants) ci-dessus .

Paragraphes d’importance particulière

36. Le Comité souhaite appeler l’attention de l’État partie sur l’importance particulière des recommandations figurant dans les paragraphes 6 (application de la Convention en droit interne) , 10 (Institution nationale des droits de l’homme) et 18 (violences policières à caractère raciste) ci-dessus , et lui demande de faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements détaillés sur les mesures concrètes qu’il aura prises pour y donner suite.

Élaboration du prochain rapport périodique

37. Le Comité recommande à l’État partie de soumettre son rapport valant treiz ième à seiz ième rapports périodiques d ’ ici au 29  décembre 2025 , en tenant compte des directives pour l ’ établissement du document se rapportant spécifiquement à la Convention adoptées par le Comité à sa soixante et onzième session et en traitant de tous les points soulevés dans les présentes observations finales. À la lumière de la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, le Comité demande instamment à l’État partie de respecter la limite de 21  200  mots fixée pour les rapports périodiques.