NATIONS UNIES

CERD

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr.GÉNÉRALE

CERD/C/CHE/CO/623 septembre 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATIONDE LA DISCRIMINATION RACIALESoixante‑treizième session28 juillet‑15 août 2008

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE  9 DE LA CONVENTION

Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

SUISSE

1.Le Comité a examiné les quatrième, cinquième et sixième rapports périodiques de la Suisse, présentés en un seul document (CERD/C/CHE/6), à ses 1892e et 1893e séances (CERD/C/SR.1892 et 1893), tenues les 8et 11 août 2008. À sa 1999e séance (CERC/C/SR.1999), tenue le 14 août 2008, il a adopté les observations finales suivantes.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport de l’État partie, qui est conforme aux lignes directrices en matière de présentation de rapport, ainsi que ses réponses écrites. En outre, il a apprécié les réponses détaillées et complètes apportées oralement par la délégation à ses questions ainsi que le dialogue ouvert et constructif qu’il a pu établir avec la délégation.

B. Aspects positifs

3.Le Comité note avec satisfaction qu’en 2003 l’État partie a fait la déclaration facultative prévue à l’article 14 de la Convention.

4.Le Comité se félicite de la création du Fonds de projets contre le racisme et en faveur des droits humains et du Service de lutte contre le racisme.

5.Le Comité prend note avec satisfaction de l’introduction en 2007 d’un examen fédéral obligatoire pour les candidats à des postes dans la police, qui porte notamment sur des matières comme l’éthique et les droits de l’homme.

6.Le Comité prend note du renforcement de la jurisprudence de la Cour suprême fédérale concernant l’article 261 bis du Code pénal, qui permet de lutter plus efficacement contre les propos et les comportements racistes au moyen de sanctions pénales.

C. Sujets de préoccupation et recommandations

7.Le Comité prend note avec regret de l’absence de progrès tangible dans la lutte contre les attitudes racistes et xénophobes envers certaines minorités, dont les Noirs, les musulmans, les gens du voyage, les immigrés et les demandeurs d’asile. Il est particulièrement préoccupé par l’hostilité qui résulte de l’image négative qu’a une partie de la population des étrangers et de certaines minorités, qui a conduit au lancement d’initiatives populaires remettant en cause le principe de non‑discrimination. Le Comité regrette qu’au cours de la période couverte par le rapport l’interdiction de la discrimination raciale ait dû être défendue contre des attaques répétées dans l’arène politique et notamment contre des demandes visant à l’abolir ou à la restreindre (art. 7).

Le Comité engage instamment l’ É tat partie à redoubler d’efforts dans ses campagnes d’éducation et de sensibilisation pour combattre les préjugés envers les minorités ethniques et pour promouvoir le dialogue interethnique et la tolérance dans la société, en particulier au niveau des cantons et des communes. L’ É tat partie devrait envisager de mettre en œuvre les recommandations formulées par le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme , de discrimination raciale, de xénophobie et de l ’ intolérance qui y est associée à la suite de sa visite en Suisse en  2006, ainsi que les recommandations faites par le G roupe de travail sur l’E xamen périodique universel en  2008.

8.Tout en prenant note que, selon l’État partie, le système fédéral ne constitue pas un obstacle à l’application de la Convention sur le territoire et que le système suisse est doté de mécanismes suffisants, le Comité reste préoccupé par le fait que l’application de la Convention n’est pas uniforme et que les lois, politiques et décisions des cantons et des communes pourraient être contraires aux obligations de l’État partie en vertu de la Convention.

Le Comité insiste une nouvelle fois sur la responsabilité du Gouvernement fédéral en ce qui concerne l’application de la Convention. L’ É tat partie est invité à jouer un rôle actif et à conduire les autorités des cantons et des communes à appliquer pleinement la Conven tion conformément au paragraphe  1 de l’ article  54 de la Constitution fédérale. La Confédération devrait utiliser et renforcer tous les mécanismes existants pour surveiller l’application des dispositions de la Convention, y compris en formulant des prescriptions claires en matière de droits de l’homme à l’intention des cantons et des communes.

9.Tout en notant que la Convention fait partie intégrante du système juridique suisse et que certaines de ses dispositions peuvent être invoquées directement devant les tribunaux suisses, le Comité reste préoccupé par l’absence de politiques et de textes civils et administratifs globaux visant à prévenir et à combattre la discrimination raciale dans tous les domaines et par le fait que seulement 10 cantons sur 26 ont adopté des lois antidiscrimination (art. 2, par. 1 d)).

Le Comité invite l’ É tat partie à adopter un plan d’action national et une législation à tous les niveaux du G ouvernement pour lutter contre la discrimination raciale, la xénophobie et d’autres formes d’intolérance. L’ É tat partie devrait consacrer des ressources financières suffisantes à la mise en œuvre de la Convention et veiller à ce que le plan soit intégré à d ’ autres mécanismes d ’ application des droits de l ’ homme en Suisse.

10.Le Comité regrette qu’à ce jour aucune institution nationale indépendante des droits de l’homme, conformément aux Principes de Paris (résolution 48/134 de l’Assemblée générale), n’ait été établie en Suisse. Il salue l’engagement pris par l’État partie devant le Conseil des droits de l’homme de continuer à envisager la création d’une telle institution. Le Comité note que la Commission fédérale contre le racisme (CFR), chargée de prévenir la discrimination raciale et de promouvoir le dialogue interethnique, n’est pas dotée de fonds suffisants.

Le Comité invite une fois de plus l’ É tat partie à établir une institution des droits de l’ homme indépendante dotée de ressources suffisantes et d’un personnel adéquat, conformément aux Principes de Paris. Le Comité recommande une nouvelle fois à l’ É tat partie de donner davantage de moyens à la Commission fédérale contre le racisme et lui recommande également d’entretenir un dialogue plus régulier avec la CFR.

11.Tout en prenant note de l’article 8 de la Constitution fédérale, qui interdit explicitement la discrimination, ainsi que des différentes dispositions législatives nationales applicables aux cas de discrimination raciale, le Comité note avec préoccupation que la législation interne de l’État partie ne contient pas de définition de la discrimination raciale qui soit conforme à la définition donnée à l’article premier de la Convention.

Le Comité recommande à l’ É tat partie d’envisager d’adopter une définition claire et complète de la discrimination raciale, qu’elle soit direc te ou indirecte, qui couvre tou s les domaines du droit et de la vie publique et soit pleinement conforme au paragraphe 1 de l’article premier de la Convention.

12.Tout en saluant les informations fournies par le canton de Vaud sur les efforts qu’il entreprend pour appliquer la Convention, le Comité prend note du manque d’informations relatives aux activités entreprises par les autres cantons pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale (art. 2).

L’ É tat partie est invité à faire figurer dans son prochain rapport des renseignements détaillés et à jour sur les activités menées et les mesures prises par les cantons dans le domaine de la discrimination raciale.

13.Le Comité note que l’État partie a l’intention de maintenir sa réserve à l’article 2 de la Convention. Il note également avec préoccupation que le droit de se marier et de fonder une famille n’est pas suffisamment protégé en ce qui concerne les étrangers qui ne viennent pas d’États de l’Union européenne (art. 2).

Le Comité invite l’ É tat partie à envisager de retirer sa réserve au par agraphe 1  a) de l’ article  2 de la Convention et l’encourage à veiller à ce que les politiques et les lois relatives à l’immigration n’établissent pas, intentionnellement ou non, de discrimination.

14.Tout en prenant note des explications fournies par la délégation concernant les exigences de la sécurité nationale, le Comité est préoccupé par l’utilisation du profilage racial, notamment dans les aéroports. Le Comité est également préoccupé par l’absence de statistiques relatives au profilage racial au niveau cantonal (art. 2).

Le Comité recommande à l’ É tat partie de revoir les mesures de sécurité nationale existantes et de veiller à ce que des personnes ne soient pas ciblées au motif de leur race ou de leur appartenance ethnique. À cet égard, le Comité invite l’ É tat partie à prendre en compte sa Recommandation générale n o XXXI (2005) concernant la discrimination raciale dans l ’ administration et le fonctionnement du système de justice pénale . Le Comité prie également l’ É tat partie de collecter des informations sur le profilage racial au niveau cantonal.

15.Le Comité prend note avec préoccupation des raisons avancées par l’État partie pour maintenir sa réserve à l’article 4 de la Convention concernant l’interdiction de l’incitation à la haine. Tout en tenant compte de l’importance conférée par la Constitution fédérale à la liberté d’expression et de réunion, le Comité rappelle que la liberté d’expression et de réunion n’est pas absolue et que la création d’organisations qui incitent au racisme et à la discrimination raciale ou les encouragent et les activités desdites organisations doivent être interdites. À cet égard, le Comité est particulièrement préoccupé par le rôle que jouent certains partis et associations politiques dans la montée du racisme et de la xénophobie dans l’État partie (art. 4).

Compte tenu du caractère obligatoire de l’article 4 de la Convention, le Comité invite l’État partie à envisager de retirer sa réserve à l’article 4 et lui recommande de promulguer une loi déclarant illégale et interdisant toute organisation qui incite au r acisme et à la discrimination raciale ou qui les encourage . Dans ce contexte, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur sa R ecommandation générale n o XV (1993) concernant l’article 4 de la Convention.

16.Le Comité note avec préoccupation que des allégations de plus en plus nombreuses font état d’un recours excessif à la force de la part de la police sur le territoire de l’État partie, en particulier à l’encontre des Noirs (art. 4 a) et c)).

Le Comité invite instamment l’État partie à prendre des mesures énergiques pour éliminer toutes les pratiques relevant de la discrimination raciale et toutes les formes de recours excessif à la force de la part de la police, et notamment à: a)  créer un mécanisme indépendant chargé d’enquêter sur les plaintes concernant les actes des agents de la force publique; b) engager des procédures disciplinaires et pénales contre les responsables présumés, en veillant à ce que les sanctions imposées soient proportionnelles à la gravité de l’infraction , et veiller à ce que les victimes obtiennent réparation ; c) poursuivre ses efforts pour donner aux membres de la police une formation appropriée, y compris en coopération avec la Commission fédérale contre le racisme; d) envisager de recruter des membres des minorités dans la police; e) envisager de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

17.Le Comité note avec préoccupation que la législation de l’État partie sur les étrangers et les demandeurs d’asile ne garantit pas forcément à ces derniers l’égalité de droits conformément à la Convention. Par exemple, en vertu de la loi sur les étrangers entrée en vigueur le 1er janvier 2008, les demandeurs d’asile déboutés sont exclus du système de protection sociale, ce qui entraîne marginalisation et vulnérabilité (art. 5 b)).

Le Comité invite instamment l’État partie à prendre des mesures efficaces et appropriées pour garantir les droits des étrangers et des demandeurs d’asile en vertu de la Convention. Il invite l’État partie à aligner sa législation interne relative aux étrangers et aux demandeurs d’asile sur la Convention et à tenir compte des recommandations formulées à ce sujet par les différents organes et organisations traitant des questions de discrimination raciale.

18.Tout en saluant la nouvelle législation sur la naturalisation, qui devrait entrer en vigueur en 2009, le Comité reste préoccupé par le fait que les cantons et les communes pourraient imposer des conditions plus sévères que la Confédération en matière de naturalisation et porter atteinte au droit à la vie privée, ainsi que par le fait que, faute de définition des critères d’intégration dans le cadre du processus de naturalisation, les assemblées municipales pourraient adopter des normes et décisions divergentes (art. 5 d) iii)).

Le Comité encourage l’État partie à adopter des normes en matière d’intégration aux fins du processus de naturalisation, conformément à la Convention, et à prendre toutes les mesures efficaces et pertinentes nécessaires pour veiller à ce que , dans l’ensemble du territoire de l’État partie, les demandes de naturalisation ne soient pas rejeté e s p our des motifs discriminatoires .

19.Tout en notant avec satisfaction que les gens du voyage/les Yéniches sont reconnus par l’État partie comme une minorité culturelle nationale au titre de la Convention‑cadre pour la protection des minorités nationales, le Comité reste préoccupé par le fait que les gens du voyage, dont les Yéniches, les Sintis et les Roms, sont encore défavorisés à plusieurs titres et font l’objet de diverses formes de discrimination, en particulier dans les domaines du logement et de l’éducation. Il prend note avec préoccupation de l’absence de mesures susceptibles de protéger leur langue et leur culture ainsi que de la persistance de stéréotypes raciaux à leur encontre (art. 2 et 5).

Le Comité recommande une nouvelle fois à l’État partie de redoubler d’efforts pour améliorer la situation des gens du voyage, en particulier en ce qui concerne l’exercice de leur droit au logement, de leur droit à l’éducation et de leurs droits culturels. L’État partie devrait adopter une politique nationale de coordination visant à protéger les droits des gens du voyage.

20.Le Comité encourage l’État partie à envisager de ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

21.Le Comité recommande à l’État partie, lorsqu’il applique dans son ordre juridique interne les dispositions de la Convention, en particulier celles des articles 2 à 7, de tenir compte des passages pertinents de la Déclaration et du Programme d’action de Durban, adoptés en septembre 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée (A/CONF.189/12, chap. I). Il l’invite aussi instamment à inclure dans son prochain rapport périodique des renseignements spécifiques sur les plans d’action adoptés et les autres mesures prises pour mettre en œuvre la Déclaration et le Programme d’action de Durban au niveau national.

22.Le Comité recommande à l’État partie de ratifier la modification du paragraphe 6 de l’article 8 de la Convention, adoptée le 15 janvier 1992 à la quatorzième réunion des États parties à la Convention et approuvée par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/111. À cet égard, il appelle l’attention de l’État partie sur la résolution 61/148 de l’Assemblée générale, dans laquelle celle‑ci a demandé instamment aux États parties de hâter leurs procédures internes de ratification de la modification et d’informer par écrit le Secrétaire général dans les meilleurs délais de leur acceptation de cette modification.

23.Le Comité recommande que les rapports de l’État partie soient rendus accessibles au public dès leur publication et que les observations du Comité concernant ces rapports soient diffusées de la même manière dans les langues officielles et nationales.

24.Le Comité recommande à l’État partie de consulter largement les organisations de la société civile qui œuvrent à la protection des droits de l’homme et, en particulier, luttent contre la discrimination raciale, dans le cadre de l’élaboration de son prochain rapport périodique.

25.Le Comité invite l’État partie à mettre à jour son document de base conformément aux prescriptions des directives harmonisées concernant l’établissement des rapports destinés aux organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier celles qui portent sur le document de base, telles qu’adoptées par la cinquième réunion intercomités des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, tenue en juin 2006 (voir HRI/GEN/2/Rev.4).

26.Conformément au paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention et à l’article 65 de son règlement intérieur modifié, le Comité prie l’État partie de lui fournir des informations, dans un délai d’un an à compter de l’adoption des présentes conclusions, sur la suite donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 9, 10, 14 et 18 ci‑dessus.

27.Le Comité recommande à l’État partie de présenter ses septième et huitième rapports périodiques en un seul document, attendu le 14 novembre 2010, qui tienne compte des directives spécifiques relatives aux documents destinés au Comité, telles qu’adoptées à sa soixante et onzième session (CERD/C/2007/1), et traite tous les points soulevés dans les présentes observations finales.

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