Nations Unies

CAT/C/72/D/805/2017

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

20 janvier 2022

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 805/2017 * , **

Communication présentée par :A. L. (représenté par un conseil, Bruno Vinay, puis Emmanuel Daoud et Adélaïde Jacquin)

Victime(s) présumée(s) :Le requérant

État partie :Maroc

Date de la requête :5 janvier 2017 (date de la lettre initiale)

Références :Décision prise en application de l’article 115 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 17 février 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:12 novembre 2021

Objet :Torture

Question(s) de procédure :Épuisement des voies de recours internes ; irrecevabilité pour absence de justification

Question(s) de fond :Néant

Articles de la Convention :1er, 12, 13, 14, 15 et 16

1.Le requérant est A. L., de nationalité française, né le 28 avril 1968. Il est actuellement détenu en France à la suite d’un transfert depuis le Maroc, où il a été arrêté en lien avec sa participation alléguée à une affaire de terrorisme en France. Il invoque une violation des articles 1er, 12, 13, 14, 15 et 16 de la Convention par l’État partie, en raison des actes de torture et des mauvais traitements qu’il aurait subis au cours de son arrestation et de son incarcération au Maroc. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention le 19 octobre 2006. Le requérant est représenté par un conseil, initialement Bruno Vinay, puis Emmanuel Daoud et Adélaïde Jacquin.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le 21 juillet 2014, le requérant s’est rendu sur le territoire marocain en provenance de la Tunisie afin d’y rendre visite à un ami. Le 26 juillet 2014, aux alentours de 15 heures, le requérant s’est fait arrêter au port de Tanger, dans le bus le ramenant en Espagne, par cinq policiers en civil. Ces derniers l’ont conduit dans un commissariat de Tanger, où il lui a été demandé de confirmer qu’il avait bien été condamné en France pour une affaire de terrorisme en lien avec la Bosnie. Les policiers lui ont ensuite demandé ce qu’il était venu faire au Maroc et le nom des personnes qu’il avait vues au cours de son séjour. En raison de son refus de coopérer, le requérant a subi de nombreux sévices, dont des décharges électriques sur les parties génitales et des menaces de sodomie avec visionnage d’une vidéo. Il a été accusé d’être parti en République arabe syrienne et d’être partisan d’un groupe terroriste. Le requérant a ensuite été conduit, dans la nuit du 26 au 27 juillet 2014, au commissariat de Maarif, rattaché à la Brigade nationale de la police judiciaire à Casablanca.

2.2Durant ce trajet, le requérant a subi de nombreuses violences tant verbales que physiques, telles que des gifles et des coups de poing. Les deux policiers qui l’encadraient ont été les plus violents physiquement. Il a été interrogé pendant six jours au commissariat de Maarif. Les interrogatoires se déroulaient généralement de nuit, entre 22 heures et 4 heures du matin. Sept policiers en civil étaient présents lors des interrogatoires, ainsi qu’un commissaire de grande taille qui les supervisait.

2.3Le 27 juillet 2014, à 1 h 30 du matin, le requérant a été placé en garde à vue. Le même jour, la Brigade nationale de la police judiciaire l’a informé de son droit de s’entretenir avec un avocat. Selon le procès-verbal de notification, le requérant a confié la question de la désignation d’un avocat pour assurer sa défense au consulat général de France au Maroc. Le 28 juillet 2014, le requérant a été auditionné par la Brigade, qui l’a informé de l’objet de sa détention, de ses droits procéduraux et des possibilités de se taire, de prendre contact avec un membre de sa famille, de désigner un avocat et de prendre contact avec celui-ci, et de bénéficier de l’aide juridictionnelle. La Brigade l’a auditionné pour la deuxième fois le 30 juillet 2014.

2.4Au bout de six jours d’interrogatoire, le 31 juillet 2014, le requérant a été présenté devant le juge d’instruction. Il a immédiatement dénoncé les tortures subies, sans que le juge les consigne sur le procès-verbal d’interrogatoire. Malgré son témoignage, le juge d’instruction n’a pas diligenté d’enquête ni ordonné d’expertise médicale, estimant que le requérant n’avait aucune trace apparente de torture sur le corps. Le juge d’instruction n’a donc pas saisi le Procureur du Roi de la plainte du requérant, en méconnaissance des articles 39 et 49 du Code de procédure pénale. Le même jour, la garde à vue du requérant a été prolongée pour une durée supplémentaire de quatre-vingt-seize heures, en une seule fois, par autorisation du Procureur général du Roi près la cour d’appel de Rabat.

2.5Le 1er août 2014, les policiers ont annoncé au requérant que sa garde à vue était levée et qu’il pourrait rentrer en France. On lui a demandé de signer deux documents en arabe qu’il ne comprenait pas, ne lisant pas l’arabe, mais qu’on lui a présenté comme étant des procès‑verbaux nécessaires à sa libération. Le requérant les a signés, comprenant plus tard qu’il s’agissait en réalité des deux procès-verbaux d’audition ayant scellé sa condamnation.

2.6Un procès-verbal d’interrogatoire préliminaire daté du 1er août 2014 mentionne que le juge d’instruction a informé le requérant des faits dont il était accusé. Dans un procès‑verbal d’interrogatoire détaillé daté du 16 octobre 2014, le juge d’instruction a consigné qu’après avoir informé le requérant du délai qui lui était accordé pour notifier sa défense en date du 24 septembre 2014, celui-ci avait refusé de révéler la raison de son refus de notifier celle-ci en ajoutant qu’il était resté en prison depuis le 1er août 2014 et qu’il ne pouvait plus attendre davantage. Le juge d’instruction a désigné un avocat commis d’office dans le cadre de l’aide juridictionnelle. Le requérant a indiqué au juge d’instruction qu’il ne parlait pas la langue arabe et sollicitait donc les services d’un interprète, mais le juge lui a signalé qu’il avait déjà livré ses déclarations en arabe, que ce soit pendant l’enquête préliminaire ou devant le juge d’instruction, lors de l’instruction de première instance en présence de son avocate, dans le cadre de l’aide juridictionnelle. Après que le requérant eut refusé de répondre, un avocat au barreau de Rabat s’est chargé de l’interprétation de l’arabe vers le français et vice-versa.

2.7Le 8 octobre 2014, l’épouse du requérant a porté plainte « à l’attention du doyen des juges » pour dénoncer « l’enlèvement et l’arrestation abusive » du requérant, qui a été « insulté de sale algérien » et à qui on a dit « d’avouer, sinon le commissaire lui ferait une grosse affaire ». Dans cette plainte, l’épouse du requérant précise également que l’avocat du requérant s’était déplacé au Maroc, où il avait été reçu par les autorités et, en consultant le dossier d’instruction, avait constaté que ne s’y trouvait aucun élément à l’appui de l’arrestation du requérant.

2.8Lors de son audience devant la chambre criminelle de première instance de la cour d’appel de Rabat, le requérant, qui était assisté par son avocat, a demandé l’annulation des procès-verbaux de garde à vue. Cette demande a été rejetée, et le requérant a été condamné le 22 janvier 2015 à une peine d’emprisonnement de cinq ans. Par ailleurs, la cour a jugé que la durée légale de garde à vue avait été respectée. Le requérant a interjeté appel en faisant valoir, entre autres, que le rédacteur du procès-verbal l’avait trahi, qu’il avait signé contre son gré, ne maîtrisant pas la langue arabe, et qu’au cours des six jours d’enquête, il avait été interrogé en langue française. Le 3 juin 2015, la cour d’appel de Rabat a confirmé le premier jugement, mais a réduit la peine à deux ans d’emprisonnement en tenant compte de circonstances atténuantes, avec mesure d’expulsion du territoire national. Le requérant n’a pas formé de pourvoi en cassation contre cet arrêt, qui est donc devenu définitif.

2.9Le 9 janvier 2015, le requérant a soumis une plainte au Comité. Immédiatement après son enregistrement, en mai 2015, il a fait l’objet de pressions de divers représentants des autorités marocaines, y compris pénitentiaires, qui lui ont « conseillé » de retirer sa plainte. À cette époque, le requérant était en attente d’une décision en appel. Le directeur de la prison, les surveillants et les codétenus lui ont tous indiqué que sa condamnation serait beaucoup plus sévère s’il maintenait sa plainte devant le Comité. Les pressions s’intensifiant, tout comme la menace de ne pas voir sa demande de transfert en France acceptée, le requérant a retiré sa plainte devant le Comité le 17 septembre 2015.

2.10Le 29 juin 2016, les autorités marocaines ont accédé à la demande de transfert du requérant. Transféré en France le même jour, il a été placé en garde à vue. Le 19 juillet 2016, il a eu son interrogatoire de première comparution devant le tribunal de grande instance de Paris, pour association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme. Le requérant a déclaré qu’il avait été torturé au Maroc et qu’on lui avait fait signer des papiers en arabe, ce qu’il a réitéré lors de son interrogatoire du 13 septembre 2016. Le 13 septembre 2018, le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris a renvoyé l’affaire devant le tribunal correctionnel. Lors d’une audience tenue les 6 et 7 mars 2019, le tribunal correctionnel a condamné le requérant pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme en récidive. L’appel du requérant est en cours.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant soutient que l’État partie a violé ses droits au titre des articles 1er et 16 de la Convention en lui infligeant des tortures et des mauvais traitements au cours de ses interrogatoires, entre le 26 et le 31 juillet 2014.

3.2Le requérant allègue également une violation des articles 12 et 13 de la Convention, en ce que le juge d’instruction et le Procureur ont refusé de diligenter une enquête concernant les allégations de torture formulées à plusieurs reprises, ainsi que les pressions subies pour retirer sa plainte enregistrée en 2015 auprès du Comité.

3.3Enfin, le requérant se dit victime d’une violation de ses droits au titre de l’article 14 de la Convention dans la mesure où, à défaut d’ouvrir une enquête sur les allégations de torture, les autorités judiciaires lui ont dénié le droit d’obtenir réparation pour le préjudice subi, incluant son droit d’accès à la justice, à une indemnisation, à une prise en charge médicale, y compris psychologique, et à des garanties de non-répétition des actes de torture.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 9 juin 2017, l’État partie a contesté la recevabilité de la requête. Il précise que le requérant a été arrêté le 26 juillet 2014 par la police car il était impliqué dans des activités terroristes, notamment de recrutement et d’envoi de volontaires en faveur du Jabhat el-Nosra (rebaptisé Fatah el-Cham). Il s’est avéré que le requérant avait des liens très étroits avec un nombre d’entités terroristes, particulièrement au Pakistan, en République arabe syrienne et en Libye. Le 1er août 2014, la Brigade nationale de la police judiciaire a présenté le requérant devant le juge d’instruction près l’annexe de la cour d’appel de Rabat, qui a décidé de son placement sous mandat de dépôt à la prison de Salé 2, pour constitution d’une bande criminelle en vue de préparer et de commettre des actes terroristes dans le cadre d’un projet collectif visant l’atteinte grave à l’ordre public. Le 14 novembre 2014, le requérant a été transféré à la prison centrale de Kenitra.

4.2Concernant l’allégation d’illégalité de sa privation de liberté, l’État partie souligne que le requérant a été placé en garde à vue pendant cinq jours, huit heures et trente minutes. Ayant commencé le 27 juillet 2014 à 1 h 30, sa garde à vue, d’une durée initiale de quatre‑vingt-seize heures, a été prorogée une seule fois, sur autorisation écrite du parquet général, et a pris fin le 1er août 2014 à 10 heures, au moment de sa présentation devant le Procureur général du Roi près la cour d’appel de Rabat, en vue des poursuites pour participation à une association de malfaiteurs visant à préparer et à commettre des actes terroristes dans le cadre d’un projet collectif ayant pour but de porter atteinte grave à l’ordre public par l’intimidation, la terreur ou la violence.

4.3L’État partie explique qu’à l’issue de son arrestation, le requérant s’est fait notifier, notamment, le motif de son arrestation ainsi que son droit de garder le silence, d’être assisté par un avocat et d’informer sa famille. Son interpellation a été notifiée aux autorités consulaires françaises et algériennes, et le requérant a choisi de laisser le consulat général de France au Maroc se charger de la désignation d’un avocat.

4.4Concernant les actes de torture dont le requérant aurait fait l’objet, l’État partie précise que ces allégations s’avèrent contradictoires dans la mesure où elles ne figuraient nullement dans la première plainte déposée par le requérant devant le Comité. Dans ce contexte, il est à signaler que ni le requérant ni son conseil n’ont soulevé d’allégations de torture ou de mauvais traitements devant le Procureur général du Roi et le juge d’instruction, et que ces derniers n’avaient rien observé de particulier ressemblant à des traces ou marques de torture ou de mauvais traitement lors de la comparution du requérant devant eux. De même, ni le requérant ni son avocat n’ont soulevé lesdites allégations devant la cour lors du procès.

4.5Par ailleurs, le désistement du requérant, justifié par de prétendues pressions exercées sur lui lors de sa détention à la prison centrale de Kenitra au titre de l’exécution de sa condamnation à deux ans d’emprisonnement, est la preuve des manœuvres dilatoires orchestrées par le requérant et son conseil, tendant vainement à jeter le discrédit sur l’intervention des services de police marocains ayant permis d’intercepter le requérant alors qu’il cherchait à utiliser le Maroc comme pays de transit dans ses pérégrinations entre différents foyers de tension et lieux de recrutement de combattants pour le compte de groupes terroristes actifs en Afghanistan, en Bosnie, en République arabe syrienne et en Libye.

4.6Concernant l’allégation selon laquelle le requérant aurait signé des documents en arabe − langue qu’il ne comprendrait pas − pour apprendre par la suite qu’il s’agissait de procès-verbaux d’audition ayant « scellé sa condamnation », selon ses dires, l’État partie affirme que, contrairement à ces assertions, le requérant avait signé les procès‑verbaux d’audition au même titre que les mentions se rapportant à sa garde à vue, à l’information de sa famille et à la communication de son arrestation aux consulats de France et d’Algérie à Rabat. Cette signature était intervenue après qu’il lui avait été fait lecture de la teneur de ses déclarations, en langue arabe, langue qu’il comprend au vu non seulement de ses origines algériennes, mais également de ses fréquents séjours dans des pays arabes − déclarations que le requérant avait confirmées en apposant, volontairement, sa signature en bas des procès‑verbaux.

4.7Pour ce qui est des allégations du requérant relatives aux pressions dont il aurait fait l’objet en vue du retrait de sa première plainte introduite auprès du Comité, l’État partie note que le requérant − à l’instar de tous les autres détenus dans les établissements pénitentiaires marocains − bénéficiait de tous les mécanismes mis à sa disposition par la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion en matière de dépôt de plaintes. En effet, plusieurs voies s’offrent aux détenus pour qu’ils puissent déposer plainte, comme le droit de présenter leurs doléances verbalement ou par écrit au Directeur de l’établissement, au Délégué général à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion, aux autorités judiciaires ou à la commission provinciale de contrôle. Ils peuvent saisir également la Chambre des représentants, le Conseil national des droits de l’homme, le Médiateur et les organisations non gouvernementales. De plus, des boîtes aux lettres sont installées dans les prisons, à la portée des détenus et de leur famille, pour leur permettre de plus facilement porter plainte directement auprès du Délégué général ou d’une autre instance, sans passer par l’administration de la prison.

4.8L’État partie fait valoir que le requérant − lequel connaissait bien ces différents mécanismes qu’il a utilisés à plusieurs reprises pour diverses doléances − aurait pu s’adresser au Délégué général à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion, au Procureur général du Roi, au Président du Conseil national des droits de l’homme et au consulat général de France au Maroc. Cependant, il n’a jamais fait référence à une quelconque pression ou intimidation. Dans ce contexte, l’État partie se demande pour quelles raisons le requérant a dû attendre près de dix mois après son départ du Maroc pour porter ce genre d’accusations.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 18 mai 2020, le requérant a fait valoir que les observations de l’État partie étaient une suite d’affirmations péremptoires, qui ne reposaient sur aucun élément concret. Quant à sa privation illégale de liberté, il précise que depuis son arrestation et jusqu’à sa présentation devant la Brigade nationale de la police judiciaire − et son placement en garde à vue −, il a été emmené par des policiers dans un lieu tenu secret et torturé pendant près de dix heures. Il a donc été détenu arbitrairement pendant ce laps de temps. En outre, alors qu’il avait indiqué vouloir être assisté durant ses auditions, le requérant sera entendu sans avocat.

5.2Pour ce qui est de ses allégations de torture, le requérant considère que le fait qu’il n’a pas fait état de ces éléments dans sa première plainte déposée devant le Comité est sans effet sur la véracité des faits rapportés. Il souligne que de nombreuses instances nationales et internationales rappellent qu’il est très complexe d’apporter la preuve de faits de torture. Par ailleurs, le requérant a rapporté ces propos de façon très précise dans le cadre de la procédure française, et plus précisément, dans un courrier transmis au magistrat instructeur rédigé à la maison d’arrêt de Villepinte le 17 octobre 2016. Les déclarations du requérant, précises et circonstanciées, établissent que celui-ci a été victime d’actes de torture consistant en des décharges électriques sur ses parties génitales, ainsi qu’en des menaces de viol. Ses déclarations doivent être considérées comme des preuves évidentes des actes de torture qu’il a subis et ne sauraient être remises en cause. Au surplus, la crédibilité de ses déclarations est attestée et confirmée par l’ensemble des rapports des organisations internationales portant sur l’usage généralisé de la torture au Maroc dans le cadre des procédures pénales.

5.3Ensuite, le requérant invoque les nombreuses irrégularités de la procédure : a) il a été interpellé aux alentours de 13 heures, mais a été placé en garde à vue seulement à 1 h 30 le lendemain matin ; b) même s’il a confié la question de la désignation d’un avocat au consulat général de France au Maroc, il n’a bénéficié d’un avocat ni lors de sa première audition de garde à vue ni lors de la deuxième ; et c) lorsqu’il a été présenté à un magistrat instructeur et alors assisté d’un avocat, le requérant est revenu sur ses précédentes déclarations et a soutenu tout au long de la procédure que ses aveux lui avaient été extorqués par la torture, propos qui ont été exploités dans le cadre de la procédure, ce qui est contraire à l’article 15 de la Convention. Les arrêts de condamnation rendus par les juridictions marocaines étaient ainsi uniquement fondés sur les déclarations et propos que le requérant avait tenus en l’absence d’un avocat.

5.4Pour le requérant, l’affirmation de l’État partie quant à sa compréhension de l’arabe est sans incidence sur les faits dont il a été victime. En outre, pour ce qui est des différents mécanismes de plainte évoqués par l’État partie avec la mention que le requérant les connaissait bien et les avait utilisés, le requérant note qu’aucun de ces éléments n’est corroboré par un document ou une quelconque preuve.

5.5Enfin, le requérant dénonce le fait que les faits jugés incriminants dans le cadre de la procédure marocaine sont à nouveau identifiés comme des éléments à charge dans le cadre de la procédure française.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité doit déterminer si celle-ci est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie conteste le fait que le requérant a épuisé toutes les voies de recours internes disponibles, signalant que ni le requérant ni son conseil n’ont soulevé les allégations de torture ou de mauvais traitements devant le Procureur, devant le juge d’instruction ou devant la cour, lors du procès. Il note également les arguments du requérant sur : a) la complexité de la preuve pour les faits de torture ; b) le fait qu’il a invoqué les tortures au cours de son procès en France ; c) le fait que ses déclarations doivent être considérées comme des preuves évidentes des actes de torture qu’il a subis ; et d) le fait que des rapports d’organisations internationales attestent l’usage généralisé de la torture au Maroc dans le cadre des procédures pénales. Enfin, le Comité note que le requérant n’a pas formé de pourvoi en cassation contre l’arrêt du 3 juin 2015 de la cour d’appel de Rabat.

6.3Le Comité observe que le requérant n’affirme pas avoir soulevé ses allégations de torture devant les autorités de l’État partie. Même si le requérant affirme qu’il n’a pas toujours été assisté par un conseil au stade préliminaire de la procédure, le Comité note qu’il a bien été assisté par un conseil pendant la procédure devant les tribunaux internes. Pourtant, les jugements en première instance et en appel ne font aucune mention des allégations de torture ou de mauvais traitements soulevées par le requérant ou son conseil. Enfin, le Comité note que le requérant ne soutient pas avoir présenté des signes évidents de torture devant les autorités de l’État partie, ce qui aurait déclenché leur obligation de procéder immédiatement à une enquête impartiale, en application de l’article 12 de la Convention. Pour ce qui est des autres allégations de défaut de procédure, le Comité note que le requérant n’a pas introduit de pourvoi en cassation contre son jugement en appel et n’explique pas non plus les raisons pour lesquelles il ne l’a pas fait. De ce fait, le Comité conclut, en application de l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, que la communication est irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et à l’État partie.