Nations Unies

CRC/C/81/D/13/2017

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

17 juin 2019

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’enfant

Décision adoptée par le Comité des droits de l’enfant en vertu du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 13/2017 * , **

Communication présentée par :

J. S. H. R.

Au nom de :

L. H. L. et A. H. L.

État partie :

Espagne

Date de la requête :

20 septembre 2016

Date de la présente décision :

15 mai 2019

Objet :

Déplacement d’enfants de la Suisse en Espagne sans le consentement du père ; droit d’entretenir des relations personnelles et des contacts directs avec le père

Questions de procédure :

Abus du droit de présenter des communications ; absence de consentement des enfants

Article(s) de la Convention :

2, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 16, 18, 19, 27 et 35

  Article(s) du Protocole facultatif

5 (par. 2) et 7 (al. c) et f))

1.1L’auteur de la communication est J. S. H. R., de nationalité espagnole, né le 14 avril 1969. Il présente la communication au nom de sa fille, L. H. L., née le 21 octobre 2000, et de son fils, A. H. L., né le 7 août 2003, l’un et l’autre de nationalité espagnole. L’auteur affirme que ses enfants sont victimes de violations des articles 2, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 16, 18, 19, 27 et 35 de la Convention. Il n’est pas représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Conformément à l’article 6 du Protocole facultatif, en date du 28 mars 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, a demandé à l’État partie de faire le nécessaire pour déterminer d’urgence l’endroit où se trouvaient les enfants L. H. L. et A. H. L. et d’en informer le Comité.

1.3Le 19 octobre 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, a décidé de ne pas accéder à la demande de l’État partie, qui souhaitait que la question de la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En 2004, l’auteur, son épouse (aujourd’hui ex-épouse) et leurs deux enfants, L. H. L. et A. H. L., venant d’Espagne, se sont installés en Suisse. L. avait alors 3 ans et A. 7 ans.

2.2En octobre 2008, l’auteur et son épouse se sont séparés de fait et ont présenté au juge de paix de la ville d’Uster (Suisse) une convention de séparation établissant la garde partagée. L’auteur a quitté la maison où il vivait avec sa famille et, afin de pouvoir continuer à voir ses enfants, il s’est installé dans un appartement situé non loin du logement où les enfants étaient restés avec leur mère.

2.3Le 11 juin 2009, le juge aux affaires familiales d’Uster a rendu un jugement prononçant la séparation des époux. Il ordonnait l’exercice commun de l’autorité parentale et donnait à la mère la garde complète des enfants, avec un droit de visite étendu pour le père (un week-end sur deux, tous les mercredis et la moitié des vacances scolaires) ; le père devait verser une pension alimentaire de 3 500 francs suisses par mois.

2.4Le 26 avril 2010 le tribunal de première instance d’Uster a rejeté la demande de garde déposée par le père et a ramené à 2 500 francs suisses le montant de la pension alimentaire, étant donné que l’auteur se trouvait sans emploi. Le tribunal a également précisé que la mère devait rester en Suisse avec les enfants jusqu’à ce que le jugement final de divorce et la décision sur l’exercice de l’autorité parentale soient rendus.

2.5Le 11 octobre 2010, l’auteur et son épouse ont déposé en Suisse une demande conjointe de divorce ; ils étaient convoqués pour l’audience de jugement fixée au 13 décembre 2010. Le 3 décembre l’épouse a informé le tribunal suisse qu’elle avait changé d’avis et ne voulait plus divorcer. Par conséquent, le juge de première instance d’Uster a rejeté la demande conjointe de divorce, le 8 décembre 2010.

2.6En date du 2 décembre 2010, l’épouse de l’auteur a déposé au tribunal de Saragosse (Espagne) une demande de divorce contentieux.

2.7Le 4 décembre 2010, sans aviser l’auteur, l’épouse est partie en Espagne et a emmené les deux enfants, sans le consentement de l’auteur. L. avait alors 10 ans et A. en avait 7. Par courrier électronique en date du 6 décembre 2010, l’épouse a fait savoir à l’auteur qu’elle ne retournerait pas en Suisse, qu’elle voulait refaire sa vie en Espagne et qu’elle souhaitait maintenir les liens entre les enfants et leur père. Elle soulignait en particulier : « Je n’ai pas enlevé mes enfants, légalement j’ai la garde et je peux décider où ils vont vivre. D’autant plus que c’est ce qu’ils souhaitent. ». L’auteur affirme que ce courriel démontre que son épouse avait prémédité l’enlèvement des enfants.

2.8En date du 7 décembre 2010 l’auteur a adressé à l’autorité centrale de Suisse une demande de retour pour ses deux enfants mineurs, en application de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, demande qui a été transférée à l’autorité centrale de l’Espagne.

2.9Le 19 juillet 2011 le tribunal de première instance aux affaires familiales no 6 de Saragosse a déclaré illicite le déplacement des enfants de Suisse en Espagne et a ordonné leur retour en Suisse, conformément à la Convention de La Haye. L’épouse de l’auteur a fait appel de cette décision. Le 11 octobre 2011, la deuxième section de l’Audiencia Provincial de Saragosse a accueilli l’appel. Le tribunal a établi que le déplacement des deux enfants était licite car, pour qu’il soit illicite selon les dispositions de l’article 3 de la Convention de La Haye, il fallait qu’il ait eu lieu en violation du droit de garde ; or en l’espèce la mère avait la garde des enfants, indépendamment du fait que l’autorité parentale était partagée. L’Audiencia Provincial ajoutait que les enfants auraient exprimé leur désir de ne pas retourner en Suisse et qu’elle interprétait la décision du tribunal d’Uster demandant à la mère de ne pas quitter la Suisse (voir par. 2.4) comme ayant un caractère volontaire et non obligatoire puisque c’était la mère qui avait la garde complète des enfants. La décision aboutissait au rejet de la demande de retour des enfants en Suisse.

2.10Parallèlement, l’épouse a déposé, en date du 23 juillet 2011, une plainte contre l’auteur pour atteintes sur mineurs (brimades). Le 13 mars 2012 le juge d’instruction a rejeté la plainte, la considérant dénuée de fondement pour défaut de preuves.

2.11Le 23 novembre 2011, l’auteur a formé auprès du Tribunal constitutionnel espagnol un recours en amparo contre la décision rendue le 11 octobre 2011 par l’Audiencia Provincial de Saragosse rejetant sa demande de retour des enfants en Suisse. En 2013 le Tribunal constitutionnel a décidé de ne pas faire droit à l’amparo. L’auteur affirme que cette décision ne lui a pas été notifiée et qu’il n’en a été informé qu’en janvier 2016, par téléphone.

2.12Le 8 mai 2012, le tribunal de première instance no 3 de l’Escurial (Espagne) a ordonné le partage de l’autorité parentale, confié la garde complète à la mère et garanti un droit de visite pour le père (un week-end sur deux, la moitié des vacances scolaires et quinze minutes par jour de conversation par téléphone ou par Skype). Il a également fixé une pension alimentaire de 1 500 euros par mois et ordonné que les parents préviennent le tribunal de tout changement de domicile.

2.13L’auteur a demandé 10 fois au tribunal de première instance no 3 de l’Escurial de faire exécuter la décision judiciaire du 8 mai 2012 en ce qui concernait son droit de visite. Dans ses demandes, l’auteur signalait que la mère lui avait interdit plusieurs fois de voir ses enfants les week-ends qui avaient été convenus, l’avait empêché de les prendre en vacances à certaines dates pendant les fêtes de Noël et les vacances scolaires, et l’avait également empêché de parler au téléphone avec ses enfants, disant que ceux-ci ne voulaient pas parler à leur père ni le voir. L’auteur affirme qu’il n’a reçu aucune réponse du tribunal à ses demandes tendant à faire respecter le droit de visite.

2.14En date du 6 novembre 2012, l’auteur, se fondant sur les propos de ses enfants, a déposé une plainte pénale contre le compagnon de sa femme pour atteintes sur mineurs.

2.15Le 11 septembre 2013, le tribunal de première instance no 3 de l’Escurial a rendu un jugement déclarant dissous le mariage par divorce contentieux. Il a décidé le partage de l’autorité parentale, confié la garde complète à la mère, organisé le régime de visites et fixé une pension alimentaire à la charge de l’auteur de 1 400 euros par mois.

2.16En septembre 2013, l’auteur a quitté la Suisse pour s’installer en Ukraine, où son frère vivait avec sa famille. En 2014 il a trouvé un travail à Kiev et s’est remarié.

2.17L’auteur affirme qu’il n’a pas vu ses enfants depuis janvier 2015, n’a eu aucun contact avec eux et ne sait pas où ils se trouvent.

2.18Le 8 septembre 2016, le tribunal de l’Escurial a demandé que la mère lui fasse savoir l’adresse du domicile des enfants et lui envoie des rapports sur leur condition psychologique et leurs résultats scolaires.

2.19En décembre 2016, l’auteur a demandé au tribunal de l’Escurial de lui permettre de passer les vacances de Noël avec ses enfants à Kiev et il affirme ne pas avoir reçu de réponse.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a commis des violations des articles 2, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 16, 18, 19, 27 et 35 de la Convention.

3.2L’auteur allègue que, quand elle a refusé d’ordonner le retour de ses enfants en Suisse et déclaré licite leur déplacement en Espagne, la deuxième section de l’Audiencia Provincial de Saragosse « a légitimé l’enlèvement de ses enfants », sans tenir compte de leur intérêt supérieur. D’après lui cette décision a pris en considération uniquement l’intérêt de la mère, qui avait la garde complète des enfants mais à titre provisoire seulement puisque le jugement définitif de divorce n’avait pas encore été rendu. Il ajoute que le déplacement de ses enfants de Suisse en Espagne, le 4 décembre 2010, était illicite et contraire à la décision rendue le 26 avril 2011 par le tribunal de première instance d’Uster (Suisse), qui avait interdit à la mère de quitter la Suisse tant qu’une décision définitive n’aurait pas été rendue sur le divorce et l’autorité parentale.

3.3L’auteur souligne que sa fille avait 3 ans et son fils 7 mois en 2004, quand toute la famille s’était installée en Suisse, et qu’ils en avaient 10 et 7 en 2010, quand leur mère les avait emmenés avec elle en Espagne. Il affirme qu’au bout de six ans de séjour en Suisse, ce pays était le lieu de résidence habituelle de ses enfants, qui y avaient passé leur enfance et y avaient de solides racines, étaient parfaitement intégrés à l’école du quartier et parlaient l’allemand. Il affirme aussi que le déplacement en Espagne a rompu le lien fort et les contacts directs qu’il avait avec ses enfants. L’auteur mentionne en particulier un rapport d’expertise psychologique que lui-même avait demandé et présenté au tribunal de l’Escurial aux fins de la procédure de divorce contentieux, dans lequel il est souligné que la mère a pris la décision de déplacer les enfants en Espagne unilatéralement, sans s’interroger sur l’incidence qu’une telle décision pouvait avoir sur l’avenir des enfants. Dans son rapport d’expertise la spécialiste faisait remarquer que les possibilités de développement étaient meilleures en Suisse, ce dont il n’a été tenu compte à aucun moment.

3.4L’auteur allègue que l’État partie l’a empêché de voir ses enfants et d’avoir des contacts avec eux en ne faisant pas respecter le droit de visite et du fait de l’absence de réponse de la justice à ses demandes réitérées tendant à obtenir du tribunal de l’Escurial qu’il fasse exécuter et respecter la décision judiciaire du 8 mai 2012.

3.5L’auteur allègue que l’État partie ne lui a pas permis de voir ses enfants et d’avoir des contacts avec eux car, depuis janvier 2015, il ne sait pas où ceux-ci se trouvent et il ne les a pas vus depuis près de deux ans.

3.6L’auteur souhaite, étant donné l’inaction des autorités espagnoles, que le Comité demande immédiatement à l’État partie de rechercher ses enfants et de l’informer du lieu où ils se trouvent.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations datées du 24 mai 2017, l’État partie affirme que l’auteur présente « une réalité différente » de celle qui apparaît dans les réponses de plusieurs tribunaux espagnols auxquels une demande d’information a été adressée.

4.2En ce qui concerne les faits, l’État partie fait savoir que la plainte pénale déposée contre le compagnon de la mère (voir par. 2.14) a été classée parce qu’aucune maltraitance d’enfants n’avait été constatée De plus les incidents relatifs à l’exécution du jugement soulevés pour non-respect allégué du droit de visite ont été rejetés. Enfin, en août 2013, l’ancienne épouse de l’auteur a déposé plainte contre la grand-mère paternelle des enfants pour avoir indûment conservé leurs passeports, à la demande de l’auteur, après les vacances d’été qu’ils avaient passées à Zurich cette année-là.

4.3L’État partie fait savoir qu’en septembre 2013 la mère des enfants a déposé une plainte pénale contre l’auteur pour abandon de famille en raison du non-paiement de la pension alimentaire pendant deux ans. Il ajoute que, comme l’auteur ne s’était pas présenté à la convocation, le juge d’instruction no 6 de Saragosse avait ordonné, en date du 9 juillet 2015, qu’il soit recherché et arrêté afin de pouvoir être entendu ; le résultat de la commission rogatoire envoyée à l’Ukraine en avril 2015 à cette fin est en suspens car la traduction en espagnol des documents transmis par l’Ukraine est toujours attendue.

4.4En ce qui concerne les allégations de l’auteur qui prétend que ses enfants ont été enlevés, l’État partie affirme que les autorités espagnoles se sont déjà prononcées sur ce point et qu’en aucun cas les enfants n’ont été enlevés ni séquestrés. Il renvoie à l’ordonnance de non-lieu rendue le 31 mai 2011 en faveur de la mère suite à la plainte pénale déposée par l’auteur pour enlèvement et séquestration de mineurs.

4.5L’État partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable, conformément aux dispositions de l’article 7, alinéas c) et f), du Protocole facultatif et de l’article 20 du règlement intérieur du Comité, parce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications étant donné que l’auteur n’a pas la garde de ses enfants et n’a pas apporté la preuve que ceux-ci consentaient à ce qu’il soumette une communication en leur nom, et de plus parce qu’elle est manifestement dénuée de fondement. Il demande également que la question de la recevabilité soit examinée séparément du fond.

4.6Enfin, l’État partie affirme que le lieu où vivent les enfants n’est pas inconnu puisque, d’après le rapport établi par le juge d’instruction no 6 de Saragosse le 16 mai 2017 au sujet de l’état de la procédure ouverte suite à la plainte pénale déposée contre l’auteur pour abandon de famille, la mère des enfants a bien un domicile connu, à Saragosse.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans ses commentaires, datés des 6, 10 et 19 juin 2017, l’auteur réitère les faits et les allégations exposés dans sa communication initiale et affirme que l’État partie interprète la réalité de façon biaisée. S’il ne s’est pas présenté à la convocation pour faire sa déclaration dans l’action pénale engagée contre lui pour abandon de famille, c’est parce qu’auparavant le juge avait refusé de lui faire parvenir les documents relatifs à l’instruction et aux griefs qui lui étaient faits.

5.2L’auteur objecte que faire valoir que la mère a la garde des enfants pour contester la recevabilité de la communication est un argument « grossier » de la part de l’État partie. Il rappelle qu’il a l’autorité parentale partagée, ce qui lui confère le droit de représenter ses enfants dans quelque affaire que ce soit, sans avoir besoin de leur consentement puisqu’ils ne sont pas majeurs. Il ajoute que l’objet de la communication n’est pas de déterminer qui a la garde des enfants mais d’obtenir une décision sur les violations de la Convention qu’il impute à l’État partie.

5.3L’auteur avance que, comme la mère s’était retirée de la procédure de demande conjointe de divorce engagée en Suisse, le 3 décembre 2010 (voir par. 2.5), les circonstances à prendre en considération sont celles qui prévalaient avant la décision du juge d’Uster (Suisse), en juin 2009. L’auteur maintient que le déplacement de ses enfants de Suisse en Espagne, sans son autorisation, constitue un enlèvement international de mineurs parce qu’à cette époque l’auteur partageait la garde avec la mère puisque cette dernière s’était désistée de la demande conjointe de divorce en Suisse, procédure initiale par laquelle elle avait eu la garde des enfants. Il ajoute que la mère n’a pas informé le tribunal suisse qu’elle avait engagé en Espagne une nouvelle procédure de divorce, contentieux cette fois, ce qui constitue un abus de droit. D’après l’auteur, même si l’on considère que la mère avait la garde des enfants au 4 décembre 2010, conformément à la décision du tribunal d’Uster, elle n’en était pas moins tenue de respecter l’ordre qu’avait donné le tribunal de ne pas quitter la Suisse tant qu’une décision définitive n’aurait pas été rendue sur le divorce, l’autorité parentale et la garde des enfants. L’auteur avance donc que l’ordre de ne pas quitter la Suisse était un élément du droit de garde aux fins de la Convention de La Haye, droit enfreint avec le déplacement illicite de ses enfants le 4 décembre 2010. Il affirme que la deuxième section de l’Audiencia Provincial de Saragosse n’a pas tenu compte de tout cela dans sa décision d’octobre 2011 (voir par. 2.11), négligeant totalement l’intérêt supérieur des deux enfants.

5.4L’auteur affirme qu’il n’a pas pu former recours contre le jugement final de divorce du tribunal de l’Escurial parce que celui-ci avait refusé de lui remettre les enregistrements de l’entretien que la juge avait eu avec sa fille L..

5.5L’auteur note que l’État partie n’apporte aucun document qui prouve que toutes les demandes qu’il avait faites auprès du tribunal de l’Escurial pour obtenir l’exécution du jugement et le respect de ses droits de visite avaient été rejetées (voir par. 4.2). Il ajoute que toutes ses demandes tendant à faire exécuter le jugement avaient « été oubliées ou non résolues » par la justice espagnole.

5.6Au sujet de l’allégation de l’État partie concernant le non-paiement de la pension alimentaire, l’auteur confirme qu’il n’a pas pu verser les mensualités parce qu’il avait des difficultés financières et était sans emploi, ce dont il avait informé les autorités compétentes. Il signale qu’en juin 2016 il a demandé au tribunal de l’Escurial de lui faire connaître les sommes qu’il devait afin de pouvoir faire un versement à la mère parce que sa situation économique était meilleure. Toutefois, le montant de sa dette ne lui a jamais été communiqué.

5.7Enfin, l’auteur affirme que le domicile indiqué par l’État partie n’est pas celui de ses enfants mais celui des parents de son ex-épouse et que ses enfants n’y habitent plus depuis 2010. Il ajoute que le juge d’instruction no 3 de l’Escurial a demandé à la mère, en date du 6 juin 2017, de signaler l’adresse exacte de son domicile.

Observations supplémentaires des parties concernant la recevabilité

6.1Dans des observations supplémentaires datées du 13 juillet 2017, l’État partie réitère ses arguments sur la recevabilité de la communication. Il signale que la mère a adressé au juge d’instruction no 3 de l’Escurial une note, datée du 26 juin 2017, pour indiquer l’adresse de son domicile actuel et de ses enfants (adresse qui est précisément celle qu’il a donnée dans ses premières observations). Ainsi, la justice espagnole sait très bien où se trouvent les enfants de l’auteur, qui ne sont aucunement séquestrés.

6.2L’État partie affirme qu’il n’est pas établi que l’auteur ait fait connaître son domicile actuel au tribunal de Saragosse, qui a lancé un mandat d’arrêt contre lui pour défaut de comparution dans la procédure en recouvrement de la pension alimentaire. Il ajoute que c’est l’auteur qui se trouve en situation de domicile inconnu et cherche à se soustraire à la justice espagnole pour ne pas s’acquitter de son obligation d’aliments.

6.3Dans des commentaires supplémentaires datés du 20 juillet et du 14 août 2017, l’auteur affirme que la justice espagnole est corrompue et « féministe » et tient compte uniquement des intérêts de la femme, en particulier depuis l’adoption de la loi relative aux mesures de protection complète contre la violence à l’égard des femmes. L’auteur en conclut que, dans les cas d’enlèvement possible de mineurs, la justice espagnole sera toujours du côté de la « mère séquestratrice ».

6.4L’auteur cite une ordonnance, datée du 30 juin 2017, par laquelle le procureur informe le juge d’instruction no 6 de Saragosse qu’il s’oppose à la demande de placement en détention provisoire pour l’auteur.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

7.1Dans ses observations du 19 février 2018, l’État partie réitère l’exposé des faits et son argumentation concernant la recevabilité de la communication. Il fait savoir que la commission rogatoire délivrée aux autorités ukrainiennes par le juge d’instruction no 6 de Saragosse pour obtenir la comparution et la déclaration de l’auteur dans la procédure pour abandon de famille n’a pas donné de résultats.

7.2L’État partie objecte que l’exposé des faits de l’auteur ne correspond pas à la réalité, car il passe sous silence ses manquements systématiques à ses obligations de père à l’égard de ses enfants, fixées par jugement. Il ajoute que la plainte de l’auteur est « remplie d’appréciations subjectives et d’attaques contre le Royaume d’Espagne et la politique de protection de la femme en Espagne, qui ternissent de bout en bout sa crédibilité ».

7.3L’État partie dit que l’auteur a tenté de « faire cadrer, de façon aléatoire » ses allégations subjectives avec les dispositions de différents articles de la Convention, sans procéder à une analyse de la violation qu’il dit avoir été commise pour chaque article. L’auteur considère à tort que les organes juridictionnels des États parties peuvent remédier aux désaccords conjugaux qui divisent des parents.

7.4En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie affirme qu’il a respecté les droits et intérêts des enfants L. H. L. et A. H. L., conformément à l’article 2 de la Convention, que ceux-ci coïncident ou non avec l’intérêt de la mère ou du père. Il soutient que l’auteur a pu former tous les recours qui lui étaient ouverts, et qu’il a été débouté par tous les organes juridictionnels saisis, y compris par le Tribunal constitutionnel.

7.5L’État partie affirme qu’il a agi conformément aux obligations que lui impose l’article 4 de la Convention ; quand l’auteur a cessé de verser la pension alimentaire, la mère a demandé l’exécution de l’obligation par la voie civile et par la voie pénale, raison pour laquelle l’auteur est actuellement sous le coup d’un mandat d’arrestation pour non‑paiement de la pension. Ainsi, les organes juridictionnels espagnols se sont chargés de veiller à la protection des droits des enfants de l’auteur.

7.6L’État partie maintient qu’il a respecté les droits et devoirs qu’ont les parents, de façon à garantir l’exercice par les enfants de l’auteur des droits que leur reconnaît la Convention, conformément à l’article 5 de cet instrument. Il affirme que l’impossibilité d’exercer son droit de visite que dénonce le père tient au fait qu’il ne se trouve pas en Espagne, et s’il ne s’y trouve pas c’est pour échapper au mandat d’arrestation lancé contre lui pour le non-paiement de la pension alimentaire. Il ajoute que l’argument de l’auteur selon lequel l’Espagne assure une plus grande protection à la mère révèle la faiblesse de l’argumentaire de la communication.

7.7L’État partie soutient que le développement de L. H. L. et A. H. L. n’a pas été entravé (art. 6 de la Convention), contrairement à l’argument de l’auteur qui affirme que le développement de ses enfants aurait été mieux assuré en Suisse qu’en Espagne. Il ajoute que si, éventuellement, il y avait atteinte au développement des enfants, la cause en serait uniquement le désaccord des parents.

7.8L’État partie souligne que L. H. L. et A. H. L. n’ont pas été privés de leur nationalité ni de leur nom, pas plus que des relations avec les membres de leur famille qui souhaitaient leur rendre visite en Espagne (art. 8 de la Convention). Il maintient que les allégations de l’auteur, qui prétend que la mère prive les enfants de relations avec leur père, qu’elles soient vraies ou fausses, ne doivent pas être l’objet de la communication qui vise l’État partie et non la mère.

7.9L’État partie affirme aussi qu’il n’y a pas eu violation de l’article 9 de la Convention. Les autorités juridictionnelles ont accordé la garde des enfants à la mère et les deux parents ont eu la possibilité de prendre part aux procédures juridictionnelles en Espagne, ce qui a permis d’assurer également le respect du droit des enfants d’entretenir des relations personnelles et des contacts directs avec leurs deux parents. S’il n’en a pas été ainsi, c’est parce que le père ne se trouve pas en Espagne.

7.10L’État partie affirme en outre qu’il a respecté le droit des enfants et leurs parents de quitter le pays, selon les dispositions de l’article 10 de la Convention. Il ajoute que, dans la présente affaire, l’exercice de ces droits dépend exclusivement de la décision de la mère, qui a la garde des enfants et peut décider des voyages qu’ils font à l’étranger. L’État partie ne peut pas imposer le déplacement des enfants pour qu’ils aillent voir leur père, car ce serait s’immiscer dans la sphère familiale. Enfin, l’auteur confond les obligations familiales avec les obligations imposées aux États parties par la Convention.

7.11L’État partie ajoute que les allégations relatives à une violation des articles 11 et 35 de la Convention ne sont rien d’autre qu’un « pamphlet diffamatoire contre l’Espagne » et qu’il n’y a aucune violation de ces deux articles.

7.12L’État partie affirme que L. H. L. et A. H. L. ont été entendus et ont exprimé devant les différents organes juridictionnels leur opinion concernant les décisions relatives au divorce et au droit de garde. De plus, ils ont fait l’objet d’évaluations psychosociales tout au long de la procédure de divorce.

7.13L’État partie affirme qu’il n’y a eu aucune violation des articles 18, 19 et 27 de la Convention. Il ajoute que les autorités judiciaires se sont efforcées de veiller à tout moment à en garantir le respect, par exemple en traitant les demandes de recouvrement de la pension alimentaire due par l’auteur.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

8.1Dans des commentaires en date du 26 février, 2 mars, 11 avril, 17 mai, 15 juin et 2 août 2018, l’auteur reprend les faits et réitère ses allégations concernant la recevabilité et le fond de la communication. Il objecte que le principal argument de l’État partie, qui avance qu’il a pris la fuite pour se soustraire à la justice espagnole est « une tromperie totale ». En effet la mère savait que l’auteur vivait en Ukraine quand elle a déposé la plainte pénale pour non-paiement de la pensions alimentaire et de plus il avait déjà apporté au tribunal qui avait prononcé le divorce la preuve qu’il était sans emploi, suite à un arrêt de travail pour raison médicale.

8.2L’auteur affirme que son ex-femme bénéficie d’appuis politiques et du soutien de l’église et renouvelle ses accusations de corruption et de prévarication contre la justice espagnole. Il réaffirme également que, quand il a demandé au juge d’instruction saisi de l’affaire le décompte des sommes qu’il devait, les pièces ne lui ont jamais été envoyées, raison pour laquelle il n’a pas présenté sa déclaration. Il ajoute que le 20 août 2015 il a écrit au juge d’instruction pour lui communiquer son adresse en Ukraine.

8.3L’auteur joint une copie de la décision du juge d’instruction no 6 de Saragosse, datée du 15 mai 2018, ordonnant son arrestation et lançant un mandat d’arrêt européen contre lui, vu qu’il habitait désormais à Londres. D’après l’auteur, cette mesure est un exemple des représailles exercées contre lui par les juges espagnols à la suite des plaintes qu’il avait présentées au Conseil général du pouvoir judiciaire. Il précise qu’à cause de ce mandat d’arrêt il a perdu son travail au Royaume-Uni. Le 21 mai 2018, l’auteur a formé un recours contre la décision du juge d’instruction qui avait délivré le mandat d’arrêt européen. Le 27 juillet 2018, l’Audiencia Provincial de Saragosse a rejeté le recours. Pour l’auteur, les juges de l’Audiencia Provincial ont eux aussi agi en représailles.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications.

9.2Le Comité prend note des arguments de l’État partie qui objecte que la communication est irrecevable et constitue un abus du droit de présenter une communication parce que l’auteur n’a pas la garde de ses enfants et n’a pas apporté de preuve montrant que les enfants consentaient à ce qu’il présente la communication en leur nom, conformément à l’article 7, alinéa c), du Protocole facultatif (voir par. 4.5). Le Comité rappelle toutefois que le paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif dispose qu’une communication peut être présentée sans le consentement des intéressés pour autant que son auteur puisse justifier qu’il agit en leur nom sans un tel consentement. Le Comité considère que même s’il n’a pas la garde de ses enfants l’auteur a qualité suffisante pour agir et les représenter sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi en tenant compte de l’intérêt de ses enfants en présentant la communication. En l’espèce, le Comité considère qu’il ne ressort pas des éléments versés au dossier que la soumission par l’auteur de la communication au nom de ses enfants L. H. L. et A. H. L., soit contraire aux intérêts de ceux-ci. Le Comité note en outre les allégations de l’auteur qui souligne qu’il n’a pas de contacts directs avec ses enfants (par. 2.17), ce qui l’aurait, de toute manière, empêché d’obtenir leur consentement. Par conséquent, le Comité estime que la communication est recevable, conformément à l’article 5, paragraphe 2, et à l’article 7, alinéa c), du Protocole facultatif.

9.3En ce qui concerne les griefs de violation de ses propres droits avancés par l’auteur, le Comité considère que la Convention protège les droits des enfants et non ceux des adultes. Il conclut donc que les griefs qui portent sur les droits de l’auteur sont incompatibles avec les dispositions de la Convention et les déclare irrecevables en vertu de l’article 7, alinéa c), du Protocole facultatif.

9.4Enfin, le Comité note l’argument de l’État partie qui objecte que la communication est irrecevable parce qu’elle est manifestement dénuée de fondement, conformément à l’article 7, alinéa f), du Protocole facultatif. Le Comité note qu’en 2009 le tribunal d’Uster (Suisse) a donné la garde des enfants à leur mère en accordant à l’auteur un droit de visite étendu et en demandant à la mère de ne pas quitter la Suisse avec ses enfants ; que le 4 décembre 2010, la mère a déplacé les enfants de Suisse en Espagne sans le consentement de l’auteur, ce qui a conduit celui-ci à demander le retour des enfants en invoquant la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, et que, en date du 19 juillet 2011, le tribunal de première instance aux affaires familiales no 6 de Saragosse a déclaré illicite le déplacement des enfants en Espagne et ordonné leur retour en Suisse. Toutefois, en octobre 2011, la deuxième section de l’Audiencia Provincial de Saragosse, saisie en appel, a jugé que le déplacement des enfants était licite et a infirmé la décision d’ordonner le retour des enfants en Suisse. L’auteur a fait appel auprès du Tribunal constitutionnel, qui l’a débouté. Le Comité note qu’en mai 2012 le tribunal de l’Escurial a donné la garde des enfants à la mère et accordé un droit de visite à l’auteur, lui imposant le versement d’une pension alimentaire ; le tribunal a rendu un jugement de divorce définitif, selon les mêmes modalités, en septembre 2013. Toutefois le Comité prend aussi note des allégations de l’auteur qui affirme qu’il ne pouvait pas exercer son droit de visite du fait de l’inaction de l’État partie et, en particulier parce qu’il n’a jamais obtenu de réponse aux demandes répétées qu’il avait adressées au tribunal de l’Escurial pour que celui-ci fasse exécuter la décision du 8 mai 2012. L’État partie objecte que la raison de cette situation est que l’auteur était à l’étranger, et ce, afin de se soustraire à son obligation de verser une pension alimentaire pour ses enfants.

9.5Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties d’examiner les faits et les preuves ainsi que d’interpréter et d’appliquer la loi, à moins que l’appréciation faite par celles-ci n’ait été manifestement arbitraire ou n’ait représenté un déni de justice. Par conséquent, le Comité doit, non pas se substituer aux autorités nationales pour interpréter la législation et pour apprécier les faits et les preuves, mais établir qu’il n’y a pas eu arbitraire ou déni de justice dans l’appréciation faite par les autorités et s’assurer que l’intérêt supérieur de l’enfant a été une considération primordiale dans cette évaluation. Dans la présente affaire, le Comité note que les griefs de l’auteur concernant la séquestration de ses enfants et le fait qu’il n’avait plus de contacts avec eux ont été examinés en détail par les organes juridictionnels de l’Espagne. Le Comité considère que l’auteur n’a pas montré que l’examen des faits et des preuves par les différentes instances judiciaires ait été manifestement arbitraire ou ait représenté un déni de justice.

9.6Au vu de ce qui précède, le Comité conclut que la communication n’est pas suffisamment étayée et la déclare irrecevable en vertu de l’article 7, alinéa f), du Protocole facultatif.

10.Le Comité des droits de l’enfant décide :

a)Que la communication est irrecevable conformément l’article 7, alinéa f), du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication ainsi qu’à l’État partie pour information.