Nations Unies

CRC/C/81/D/22/2017

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

9 juillet 2020

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 10 du Protocole facultatif, concernant la communication no 22/2017 * , **

Communication présentée par :

J.A.B. (représenté par Fundación Raíces)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

12 juin 2017

Date de la présente décision :

31mai 2019

Objet :

Procédure de détermination de l’âge d’un enfant non accompagné

Questions de procédure :

Non-épuisement des recours internes, abus du droit de présenter des communications, irrecevabilitératione personae, défaut de fondement des griefs

Article(s) de la Convention :

2, 3, 6, 8, 12, 18(par. 2), 20(par. 1), 24 et 27

Article(s) du Protocole facultatif :

6

1.1L’auteur de la communication est J. A. B., de nationalité camerounaise, né le 1er décembre 2000. Il se dit victime d’une violation des articles 2, 3, 6, 8, 12, 18 (par. 2), 20 (par. 1), 24 et 27 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Le 13 juin 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur l’article 6 du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie d’adopter des mesures provisoires consistant à surseoir à l’exécution de l’arrêté d’expulsion pris contre l’auteur, placer l’intéressé dans un centre de protection des mineurs et, celui-ci étant malade, de lui prodiguer les soins médicaux requis, en attendant que le Comité ait examiné la communication.

1.3Le 18 décembre 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur paragraphe 5 de l’article 18 du règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, a décidé de ne pas accéder à la demande de l’État partie qui souhaitait que la question de la recevabilité soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

Arrivée en Espagne et démarches entreprises pour obtenir une protection

2.1L’auteur vivait au Cameroun avec son père et ses cinq frères. À 10 ans, il a commencé à vivre dans la rue. N’ayant pas de quoi se nourrir ni de perspectives d’emploi, l’auteur a quitté le Cameroun le 5 mai 2015. Après avoir traversé le Nigéria, le Bénin, le Niger, l’Algérie et le Maroc, il est arrivé à Ceuta (enclave espagnole sur le continent africain), où il a été pris en charge par la Croix-Rouge le 23 avril 2016.

2.2Lorsque l’auteur s’est présenté en tant que mineur non accompagné, on lui a conseillé de dire qu’il était majeur, car les mineurs qui arrivaient à Ceuta se retrouvaient dans une impasse. L’auteur a été emmené au poste de police où, n’étant pas assisté par un interprète, il n’a pas compris ce qui se disait. Il a ensuite été transféré au centre d’accueil temporaire de migrants de Ceuta, où il a pu bénéficier des services d’un avocat et d’un interprète. L’auteur est resté dans ce centre pour adultes pendant cinq mois.

2.3Le 27 septembre 2016, l’auteur a été transféré dans un centre pour adultes géré par l’association Dianova, dans la communauté autonome de Madrid. Les conditions de vie dans ce centre, qui accueillait des migrants, des réfugiés et des toxicomanes, étaient telles que l’auteur s’est enfui. Il a dormi alternativement dans des parcs et des foyers d’accueil pendant les trois mois qui ont suivi.

2.4En octobre 2016, l’auteur a reçu de sa famille son acte de naissance original établi par les autorités camerounaises, qui indiquait qu’il était né le 1er décembre 2000. Muni de ce document, l’auteur s’est rendu à l’ambassade du Cameroun à Madrid le 27 octobre 2016 pour faire une demande de passeport. Le 3 novembre 2016, il a obtenu une carte d’identité consulaire et, le 30 novembre 2016, un certificat d’inscription consulaire.

2.5Le 29 décembre 2016, l’auteur a pris contact avec l’organisation non gouvernementale Fundación Raíces, qui lui a conseillé de faire valoir sa condition de mineur afin d’être dûment protégé par l’État partie. L’auteur a désigné l’organisation pour le représenter auprès des autorités espagnoles et a déclaré qu’il ne se soumettrait pas à des examens médicaux de détermination de l’âge puisqu’il possédait des documents officiels originaux prouvant qu’il était mineur. Il a invoqué les jugements nos 453/2013 du 23 décembre 2013 et 452/2014 du 24 décembre 2014 de la chambre civile du Tribunal suprême espagnol, dans lesquels celle-ci avait estimé que tout immigrant dont le passeport ou une pièce d’identité équivalente confirmait qu’il était mineur ne pouvait pas être considéré comme un étranger sans papiers ni être soumis à des examens complémentaires visant à déterminer son âge, et que l’on ne pouvait réaliser de tels examens sans justification raisonnable lorsque la personne concernée était en possession d’un passeport légalement délivré par les autorités de son pays d’origine et dont la validité n’était pas remise en question. En outre, l’auteur a demandé à être : a) reconnu mineur ; b) transféré dans un centre d’accueil pour mineurs ; c) déclaré en situation d’abandon ; d) placé sous la tutelle des institutions de protection de l’enfance.

2.6Le même jour, Fundación Raíces a informé la police municipale de Madrid de la situation du mineur délaissé. Deux agents du service de la protection de l’enfance de la police municipale d’Hortaleza se sont présentés au siège de l’organisation. Voyant que l’auteur était en situation d’abandon et qu’il était muni de documents d’identité officiels, et compte tenu de ses déclarations susmentionnées, ils l’ont fait transférer au centre de premier accueil pour mineurs d’Hortaleza, à Madrid.

2.7Le 11 janvier 2017, accompagné d’une éducatrice du centre pour mineurs, l’auteur s’est rendu à l’hôpital universitaire La Paz où les examens réalisés ont révélé qu’il était atteint de tuberculose, de schistosomiase (maladie parasitaire rarement mortelle mais très invalidante en raison des poussées de fièvre qu’elle occasionne), de strongyloïdose (infection parasitaire intestinale associée à une mauvaise hygiène et à la précarité socioéconomique, qui peut être à l’origine de traumatismes, de troubles mécaniques et d’une inflammation de la peau, des muqueuses intestinales et des poumons) et de paludisme.

Décision de l’État partie concluant à la majorité de l’auteur

2.8Le 23 janvier 2017, l’auteur a informé Fundación Raíces qu’il avait été cité à comparaître le jour même par le parquet des mineurs de Madrid et qu’il souhaitait que son avocat l’accompagne à l’audience. Le personnel du centre pour mineurs a cependant fait savoir à l’avocat de Fundación Raíces qu’il n’était pas autorisé à accompagner l’auteur. Fundación Raíces a fait parvenir au parquet, par fax : a) une copie des documents d’identité de l’auteur et une note indiquant que, d’après les informations communiquées par l’ambassade du Cameroun, son passeport serait prêt dans les deux semaines à venir ; b) la copie d’une déclaration revendiquant le droit de l’auteur d’être représenté et d’être entendu ; c) une note rappelant la jurisprudence de la chambre civile du Tribunal suprême qui interdit la réalisation d’examen médicaux visant à déterminer l’âge de mineurs non accompagnés munis de papiers d’identité.

2.9Le 23 janvier 2017, l’auteur a comparu sans tuteur ni avocat, alors qu’il avait demandé à être accompagné de son conseil. À l’audience, le parquet a demandé à l’auteur de se soumettre à un examen de détermination de l’âge car son apparence physique ne correspondait pas à l’âge qu’il avait déclaré, en précisant que s’il refusait, il serait considéré comme majeur. L’auteur n’a pas été informé de la nature de l’examen proposé ni de son déroulement, pas plus que du poids qui serait accordé aux résultats ou des conséquences de l’examen pour sa santé et ses droits. Étant donné qu’il était en possession de documents originaux officiels émanant des autorités de son pays d’origine, il a refusé de se soumettre à l’examen.

2.10Le 26 janvier 2017 ont été rendues la décision par laquelle l’auteur a été déclaré majeur ainsi que la décision administrative ordonnant son expulsion du centre de protection des mineurs. L’auteur a été informé de ces décisions le 3 février 2017, quand des fonctionnaires du centre lui ont appris qu’il serait expulsé du centre l’après-midi même.

2.11Dans la décision déclarant que l’auteur est majeur, il est indiqué que l’acte de naissance ne peut pas être pris en considération puisqu’il s’agit d’une photocopie. L’auteur indique que l’original était resté à l’ambassade aux fins de l’établissement de son passeport et que, alors qu’il l’avait informé de la situation et lui avait fourni l’attestation de demande de passeport, en précisant que celui-ci devait lui être délivré quelques semaines plus tard, le parquet a refusé de reporter l’audience. Il est également indiqué dans la décision : que la carte d’identité consulaire n’est pas un document digne de foi car elle a été délivrée à l’intéressé alors que celui-ci se trouvait déjà en Espagne ; que l’apparence physique de l’auteur ne correspond pas à l’âge qu’il a déclaré ; que l’auteur a été considéré et traité comme un adulte depuis son arrivée en Espagne ; que son refus répété de se soumettre à des examens radiologiques et à un examen physique effectué par un médecin légiste tend à démontrer qu’il craint que ces examens ne révèlent son âge véritable. La date de naissance présumée de l’auteur qui est citée dans la décision est le 3 janvier 1998, c’est-à-dire la date figurant dans le dossier de la procédure d’expulsion qui a été engagée contre l’auteur au motif qu’il était entré illégalement sur le territoire espagnol. C’est de fait cette date qui a été retenue comme étant la date de naissance officielle de l’auteur dans la décision administrative ordonnant son expulsion du centre pour mineurs.

2.12Après son expulsion, l’auteur a été placé dans le centre municipal pour les sans-abri Catalina Labouré, où, hébergé avec des adultes, il est resté plusieurs jours, à dormir sur une chaise. Par la suite, il a tour à tour dormi dans la rue, au foyer municipal de San Juan de Dios et occasionnellement chez des particuliers.

2.13En mars 2017, l’ambassade du Cameroun à Madrid a remis son passeport à l’auteur.

2.14Le 5 avril 2017, une décision administrative d’expulsion a été prise contre l’auteur.

Recours internes formés par l’auteur

2.15Le 3 avril 2017, l’auteur a déposé un recours en annulation de la décision excluant sa prise en charge au titre de la protection de l’enfance et a demandé que des mesures de protection soient prises.

2.16Le 19 juin 2017, l’auteur a demandé le réexamen de la décision du parquet le déclarant majeur, rendue le 26 janvier 2017, en présentant son passeport à l’appui de sa demande.

2.17Le 20 juin 2017, l’auteur a également contesté l’arrêté d’expulsion du 5 avril 2017 devant la juridiction contentieuse administrative.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que, comme la validité de ses documents d’identité, originaux officiels délivrés par les autorités de son pays d’origine, n’a pas été reconnue et qu’il refusait de se soumettre à des examens inutiles visant à déterminer son âge, il a été considéré à tort comme majeur et s’est retrouvé abandonné, sans protection de l’État partie, contraint de vivre dans la rue alors qu’il était malade et menacé d’expulsion.

3.2L’auteur fait valoir en outre que les décisions relatives à la détermination de l’âge rendues par le parquet ne sont susceptibles d’aucun recours direct (en application de la décision no 172/2013 du 9 septembre 2013 de la première chambre du Tribunal constitutionnel), et qu’il a épuisé les recours disponibles, qui ne sont pas utiles s’agissant de contester la manière dont son âge a été déterminé.

3.3L’auteur se dit victime d’une violation de l’article 2 de la Convention, la remise en question de la validité des documents originaux officiels émanant de l’ambassade du Cameroun étant selon lui constitutive d’une discrimination. Il ajoute qu’à aucun moment son passeport et son acte de naissance n’ont été considérés comme susceptibles d’avoir été falsifiés ou été contestés pour ce motif, et, qu’en cas de doute, l’État partie aurait dû s’adresser aux autorités camerounaises en Espagne pour faire procéder aux vérifications nécessaires.

3.4L’auteur affirme que l’État partie n’a pas tenu compte du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré par l’article 3 de la Convention. Il soutient qu’en tant que mineur non accompagné, il se trouvait dans une situation de vulnérabilité particulière qui exigeait une application rigoureuse de ce principe à toutes les étapes de la procédure visant à déterminer son âge, mais que ce principe n’a été mentionné dans aucune des décisions rendues. Se référant au paragraphe 31 de l’observation générale no 6 (2005) du Comité relative au traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d’origine, l’auteur affirme que le parquet a enfreint le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant en ne respectant pas la présomption de minorité et en ne lui accordant pas le bénéfice du doute, alors même qu’il détenait des documents d’identité officiels. Il soutient en outre que le parquet ne s’est pas tenu à la jurisprudence du Tribunal suprême en le déclarant majeur parce qu’il avait refusé de se soumettre aux examens médicaux visant à déterminer son âge.

3.5L’auteur se dit en outre victime d’une violation de l’article 3 de la Convention, lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 18, au motif qu’aucun tuteur ne lui a été assigné pour veiller à ses intérêts, alors que la désignation d’un tuteur constitue une garantie de procédure fondamentale pour le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant non accompagné. Il affirme en outre qu’il y a eu violation de l’article 3, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 20, en ce que l’État partie ne l’a pas protégé en dépit de la situation d’abandon et de vulnérabilité extrême dans laquelle il se trouvait du fait qu’il était un mineur non accompagné, migrant et malade. Enfin, l’auteur soutient que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer les dispositions de la législation sur les étrangers et que, lorsqu’un mineur détient des documents d’identité délivrés en bonne et due forme par les autorités de son pays d’origine, l’État partie doit mobiliser son appareil administratif et désigner automatiquement un tuteur.

3.6L’auteur se dit également victime d’une violation de l’article 6 de la Convention car, contraint de vivre dans la rue et de s’en remettre à la charité de particuliers, il n’a pas bénéficié des conditions les plus favorables à sa survie et à son développement.

3.7L’auteur soutient en outre que l’État partie a violé son droit à l’identité, reconnu à l’article 8 de la Convention, étant donné que l’âge constitue un élément fondamental de l’identité et que l’État partie est tenu de ne pas y porter atteinte. Or, l’État partie lui a attribué un âge qu’il n’a pas et une date de naissance qui ne correspond pas à celle indiquée sur ses documents d’identité. L’auteur précise que la propre législation de l’État partie et la jurisprudence du Tribunal suprême établissent que les documents d’identité d’un étranger délivrés par les autorités de son pays d’origine font foi.

3.8L’auteur affirme en outre qu’à aucun moment son droit d’être entendu n’a été respecté et qu’il est donc victime d’une violation de l’article 12 de la Convention, étant donné qu’il n’a pas été autorisé à être accompagné de son avocat à l’audience devant le parquet et qu’il n’a pas eu la possibilité d’être assisté d’un avocat pendant la procédure visant à déterminer son âge.

3.9L’auteur se dit également victime d’une violation de l’article 20 de la Convention en ce que l’État partie ne lui a pas accordé la protection qui lui était due en sa qualité d’enfant privé de milieu familial.

3.10En outre, l’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 24 de la Convention à deux titres. Premièrement, le suivi médical continu et rigoureux que nécessitent les maladies dont il est atteint ne peut pas être assuré, son traitement ayant été interrompu de force lorsqu’il a été expulsé du centre pour mineurs vingt-trois jours après la première consultation médicale. Deuxièmement, plusieurs vaccins ne lui ont pas été administrés parce que l’autorisation d’un représentant légal est requise à cette fin ou parce qu’il doit se faire enregistrer comme résidant à Madrid, ce qu’il ne peut pas faire sans l’autorisation d’un représentant légal. L’auteur précise que les maladies dont il souffre ont été diagnostiquées avant que son âge ait été déterminé, que son état de santé était connu de l’éducatrice du centre pour mineurs et que le rapport médical du 21 avril 2017 préconisait son placement dans un centre d’accueil jusqu’à la fin de son traitement.

3.11Enfin, l’auteur se dit victime d’une violation de l’article 27 de la Convention lu conjointement avec l’article 24. À cet égard, renvoyant au paragraphe 44 de l’observation générale no 6, il affirme qu’il n’a pas pu se développer normalement, non seulement parce qu’il n’a pas eu de tuteur pour l’accompagner vers l’âge adulte mais aussi parce qu’il a été contraint de vivre dans la rue, et ce, alors qu’il était malade.

3.12L’auteur propose, comme mesures de réparation possibles : a) que l’État partie reconnaisse qu’un individu ne peut être présumé majeur au simple motif qu’il refuse de se soumettre à des examens de détermination de l’âge ; b) que les décisions relatives à la détermination de l’âge puissent faire l’objet de recours directs devant les tribunaux ; c) que sa minorité soit reconnue ; d) que le traitement dû à un mineur non accompagné lui soit accordé, que les services de protection de l’enfance le prennent en charge, qu’un tuteur lui soit assigné et que les soins nécessaires au traitement des maladies dont il est atteint lui soient prodigués ; e) que lui soient reconnus tous les droits attachés à sa qualité de mineur, y compris le droit de bénéficier d’une protection de l’État, le droit à un représentant légal et le droit à l’éducation, et qu’un permis de séjour et de travail lui soit accordé, afin qu’il puisse développer pleinement sa personnalité et s’intégrer dans la société ; f) que lui soit reconnu le droit d’être entendu par l’intermédiaire d’une personne ou d’une institution spécialisée dans le droit des mineurs.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

4.1Dans ses observations du 14 août 2017 sur la recevabilité de la communication, l’État partie fait valoir que l’exposé des faits par l’auteur est partial et inexact. Il indique que, le 23 avril 2016, 101 personnes ont pris d’assaut la clôture frontalière de Ceuta et que l’auteur, interpellé par la Garde civile, a été transféré, avec son accord, au centre d’accueil temporaire de migrants. Dans sa demande d’admission, l’auteur a déclaré être né le 3 janvier 1998 (il avait donc 18 ans et 3 mois à son arrivée en Espagne). L’État partie affirme en outre que, l’auteur ayant l’apparence physique d’un adulte, personne au centre d’accueil temporaire ni au centre pour adultes de l’organisation non gouvernementale Dianova n’a eu de doute quant à son âge, et que c’est seulement le 29 décembre 2016 qu’il a déclaré pour la première fois être mineur et qu’il a présenté une simple photocopie d’un acte de naissance établi au Cameroun. L’État partie affirme que, comme l’auteur ne disposait pas de documents biométriques officiels et faisant foi, il a été informé, lors de sa comparution, en présence d’un interprète, des conséquences de son refus de se soumettre à des examens médicaux.

4.2L’État partie précise en outre que Fundación Raíces a demandé le réexamen de la décision par laquelle l’auteur avait été déclaré majeur, en présentant comme élément nouveau le passeport délivré à l’auteur sur la base de son acte de naissance et de ses déclarations. Le 26 juin 2017, le parquet a rejeté la demande de réexamen pour les raisons suivantes : a) l’auteur n’a produit aucun document attestant la véracité des informations relatives à sa filiation et à sa naissance ; b) le passeport a été délivré sur la base de l’acte de naissance produit par l’auteur, document qui n’était pas digne de foi ; c) l’auteur a refusé à plusieurs reprises de se soumettre à des examens médicaux visant à déterminer son âge, ce qui tend à démontrer qu’il craignait que ces examens ne révèlent son âge véritable ; d) lorsqu’un doute raisonnable persiste, le résultat des examens médicaux l’emporte sur les documents présentés par l’intéressé.

4.3L’État partie soutient que la communication est irrecevable ratione personae puisque l’auteur est majeur. Il fait valoir ce qui suit : a) on ne peut croire un seul instant que l’auteur avait 15 ans au moment de son arrivée en Espagne ; b) l’auteur a déclaré être né le 3 janvier 1998 et a demandé à être hébergé dans un centre pour adultes ; c) à aucun moment au cours des cinq mois qu’il a passés au centre d’accueil temporaire de migrants, il n’a dit aux avocats spécialisés du centre qu’il était mineur ; d) il n’a pas non plus fait valoir qu’il était mineur lorsqu’il a été transféré au centre pour adultes de l’association Dianova ; e) ce n’est qu’après avoir appris qu’une procédure administrative d’expulsion avait été engagée contre lui et être entré en contact avec Fundación Raíces que l’auteur a déclaré être mineur ; f) il n’a produit à l’appui de ses dires que la photocopie d’un acte de naissance établi au Cameroun sans données biométriques, dont l’authenticité n’est pas attestée ; g) les documents délivrés ultérieurement à l’auteur ont été établis sur la seule base de la photocopie susmentionnée et n’ont donc pas de valeur probante ; h) le refus de se soumettre à des examens médicaux non invasifs aux fins de détermination de l’âge ne peut être motivé que par la volonté d’empêcher la manifestation de la vérité.

4.4Selon l’État partie, déclarer la communication recevable alors que des preuves objectives attestent que l’auteur est majeur servirait uniquement les intérêts des mafias qui se livrent au trafic de migrants et recommandent à ces derniers de voyager sans papiers et de se prétendre mineurs.

4.5En outre, se fondant sur l’alinéa e) de l’article 7 du Protocole facultatif et sur les articles 20 et 21 du règlement intérieur du Comité au titre du Protocole facultatif, l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable étant donné que tous les recours internes utiles et disponibles doivent être épuisés, ce qui n’est pas le cas. En effet, l’auteur aurait pu : a) demander au parquet de faire procéder à d’autres examens médicaux ; b) conformément à l’article 780 de la loi relative à la procédure civile, demander à la juridiction civile de réexaminer la décision excluant sa prise en charge par les services de la protection de l’enfance ; c) faire appel de l’arrêté d’expulsion devant la juridiction administrative contentieuse ; d) former, devant les tribunaux civils, une demande en matière gracieuse aux fins de la détermination de l’âge, conformément à la loi no 15/2015.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans ses commentaires du 6 novembre 2017, l’auteur réaffirme qu’à son arrivée à Ceuta, il a dit au personnel de la Croix-Rouge qu’il était mineur mais que ses interlocuteurs lui ont conseillé de prétendre le contraire sans quoi il serait bloqué à Ceuta. L’auteur précise que, comme l’a indiqué le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), il est très courant que les mineurs étrangers qui arrivent seuls dans les zones frontalières de Ceuta et Melilla affirment être majeurs pour pouvoir gagner la péninsule ibérique et ne pas se retrouver dans un centre de protection des mineurs de l’une ou l’autre ville autonome, les transferts entre les centres de protection étant impossibles d’une communauté autonome à une autre. L’auteur affirme en outre qu’au moment où il a fait ces déclarations, il n’était pas assisté par un avocat et n’a donc pas bénéficié de toutes les garanties voulues, et que des informations fournies dans un moment de stress ne sauraient être déterminantes.

5.2Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel les documents fournis ne contenaient pas de données biométriques, l’auteur fait valoir que l’absence de données biométriques n’était pas due à un quelconque défaut ou irrégularité des documents en question mais au fait que les documents de ce type ne comportent jamais de telles données. Au vu des documents produits, les autorités compétentes auraient dû au minimum appliquer le principe de présomption de minorité. En outre, étant donné que le seul document biométrique que l’auteur était susceptible de présenter était son passeport et qu’il ne l’avait pas encore reçu de l’ambassade du Cameroun à Madrid au moment de sa comparution, le parquet aurait dû contacter l’ambassade pour vérifier l’information.

5.3Concernant l’affirmation de l’État partie selon laquelle déclarer la communication recevable servirait les intérêts des mafias qui se livrent au trafic de migrants, l’auteur fait valoir qu’une telle affirmation prouve que le contrôle des flux migratoires est plus important pour l’État partie que l’intérêt supérieur de l’enfant.

5.4S’agissant des allégations de l’État partie selon lesquelles la communication serait irrecevable ratione personae, l’auteur maintient que son âge est justement la question de fond de la communication et ne peut donc pas être considéré comme un motif d’irrecevabilité. Il fait observer que : a) le critère subjectif − son apparence physique − sur lequel a été fondée l’estimation de son âge démontre que la procédure de détermination de l’âge en vigueur dans l’État partie n’offre aucune garantie ; b) le fait qu’il a déclaré à un moment donné être majeur ne prouve pas non plus qu’il l’est réellement ; c) le fait que l’État partie doute de la validité des documents qu’il a présentés ne constitue pas un motif suffisant pour considérer qu’il est majeur ; d) son refus de se soumettre à des examens de détermination de l’âge dont les résultats sont controversés ne peut pas non plus être interprété comme une preuve de sa majorité. Pour l’auteur, ce qui précède prouve que la procédure de détermination de l’âge est une procédure dénuée de garanties dans laquelle la présomption de majorité se substitue à la présomption de minorité. À cet égard, il souligne que plusieurs institutions ont fait part de leurs préoccupations concernant l’absence de garanties de la procédure de détermination de l’âge en vigueur en Espagne. Il indique en outre que le Protocole-cadre concernant les procédures applicables aux mineurs étrangers non accompagnés a été contesté devant le Tribunal suprême, au motif qu’il porte atteinte aux droits fondamentaux, plus précisément au droit d’être entendu et au droit d’être assisté par un avocat, deux garanties dont l’auteur a été privé.

5.5En ce qui concerne les recours internes, l’auteur souligne premièrement que sa demande de réexamen de la décision le déclarant majeur n’était pas un recours utile, puisqu’elle a été rejetée par le parquet au motif que son passeport ne constituait pas un document digne de foi à même d’attester la véracité et la validité des données relatives à son identité. Deuxièmement, le recours prévu par l’article 780 de la loi relative à la procédure civile n’est pas un recours utile pour les mineurs non accompagnés qui n’ont ni référent, ni soutien d’aucune sorte, qui ne parlent pas la langue du pays et qui ne sont pas assistés par un conseil. Étant donné sa durée et le fait qu’elle ne déclenche pas automatiquement l’application de mesures de protection, cette procédure ne peut à l’évidence pas être considérée comme un recours utile. Le 3 avril 2017, l’auteur a fait part de son intention de déposer un recours en annulation de la décision l’excluant du système de protection de l’enfance, assorti d’une demande de mesures de protection visant à obtenir son placement dans un centre pour mineurs, recours qu’il a déposé le 25 octobre 2017. Troisièmement, l’auteur affirme que le recours qui peut être exercé pour contester une décision d’expulsion n’est pas un recours utile pour un mineur malade privé de protection et de tuteur, en ce que l’exercice d’un tel recours permettrait uniquement de surseoir à l’expulsion mais ne changerait rien à la situation d’abandon. Cela étant, l’auteur a aussi épuisé cette voie de recours puisqu’il a contesté l’arrêté d’expulsion et demandé la suspension de son exécution ; il a aussi demandé à être réadmis dans le centre de premier accueil pour mineurs d’Hortaleza. Le 25 juillet 2017, le tribunal administratif no 24 de Madrid a accédé en partie à sa demande de mesures de protection en ordonnant la suspension de l’exécution de l’arrêté d’expulsion mais il ne s’est pas prononcé sur sa demande de placement dans un centre d’accueil pour mineurs au motif qu’il n’était pas compétent pour le faire. Quatrièmement, l’auteur indique qu’en d’autres occasions, Fundación Raíces a déposé des demandes en matière gracieuse aux fins de détermination de l’âge, mais que ces demandes ont été rejetées au motif que la voie gracieuse n’était pas appropriée dans ce domaine.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans ses observations du 21 décembre 2017, l’État partie affirme qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré par l’article 3 de la Convention, puisque l’auteur est majeur. Il précise que la présomption de minorité ne s’applique qu’en « cas d’incertitude », pas lorsqu’il est manifeste que la personne est majeure. L’État partie affirme qu’en l’espèce, l’auteur n’étant muni d’aucun document d’identité et ayant l’apparence d’un adulte, les autorités étaient fondées à le considérer comme tel sans qu’il soit nécessaire de procéder à un quelconque examen pour s’en assurer.

6.2L’État partie affirme en outre qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant au regard des articles 18 (par. 2) et 20 (par. 1) de la Convention et fait valoir à cet égard les arguments suivants : a) l’auteur a été pris en charge par les services de santé dès son arrivée sur le territoire espagnol ; b) il a été enregistré et a pu bénéficier gratuitement des services d’un avocat et d’un interprète, aux frais de l’État ; c) l’autorité judiciaire compétente a été immédiatement informée afin que ses droits soient dûment respectés dans le cadre de la procédure liée à sa situation irrégulière ; d) dès que l’auteur a dit être mineur, le parquet a été informé et l’a provisoirement déclaré majeur, décision qui a par la suite été réexaminée à la demande de l’auteur. L’État partie affirme par conséquent que l’on ne saurait considérer que l’auteur a été privé de l’assistance d’un avocat ou abandonné à son sort.

6.3Selon l’État partie, le grief de violation du droit à l’identité garanti par l’article 8 de la Convention n’aurait pas davantage été fondé si l’auteur avait été mineur, puisqu’il a été enregistré sous l’identité qu’il a déclarée lorsqu’il est arrivé illégalement sur le territoire espagnol.

6.4L’État partie affirme également qu’il n’y a pas eu violation du droit de l’auteur d’être entendu, consacré par l’article 12 de la Convention, étant donné que celui-ci a toujours eu la possibilité de s’exprimer et de faire valoir les arguments qu’il jugeait pertinents.

6.5Enfin, l’État partie affirme qu’il n’y a pas eu violation de l’article 20 de la Convention puisque la protection qui y est prévue ne s’applique qu’aux personnes dont la minorité est incontestable. En l’espèce, la protection à laquelle l’auteur affirme avoir droit ne s’applique tout simplement pas.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans ses commentaires du 5 mars 2018, l’auteur affirme qu’il n’est pas tenu d’épuiser tous les recours internes, dans la mesure où ne doivent être épuisés que ceux qui sont accessibles et utiles. Il ajoute que le manque d’accessibilité et d’utilité des recours internes qu’il a déjà évoqué est plus qu’évident. En effet, s’il a obtenu que l’exécution de l’arrêté d’expulsion pris contre lui soit suspendu, sa demande de placement dans un centre pour mineurs n’a quant à elle pas eu de suite. En outre, face à l’inaction de l’État partie, l’auteur a dû renouveler la demande de mesures de protection qu’il avait initialement déposée dans le cadre du recours en annulation de la décision excluant toute prise en charge au titre de la protection de l’enfance. L’auteur fait aussi remarquer que l’État partie n’a toujours pas mis en œuvre les mesures provisoires demandées par le Comité et consistant à le transférer dans un centre de protection des mineurs et que la seule aide dont il bénéficie est celle qu’il reçoit de personnes ou d’organisations qui l’hébergent occasionnellement afin de lui éviter de dormir dans la rue.

7.2L’auteur soutient que l’État partie a violé le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant à plusieurs égards, à savoir : a) en le considérant comme une personne sans papiers alors qu’il avait produit des documents d’identité attestant clairement son âge ; b) en voulant le soumettre à des examens de détermination de l’âge alors qu’il détenait des papiers d’identité ; c) en le considérant comme majeur au seul motif qu’il avait refusé de se soumettre aux examens médicaux susmentionnés ; d) en refusant de réexaminer la décision le déclarant majeur lorsqu’il a présenté son passeport. L’auteur rappelle la préoccupation exprimée par le Comité au sujet du recours généralisé aux examens de détermination de l’âge, y compris dans les cas où les documents d’identité présentés semblent authentiques, et ce, en dépit des différents jugements rendus par le Tribunal suprême qui contestent cette pratique.

7.3Enfin, l’auteur affirme que l’on ne saurait prétendre que le parquet, dans le cadre de la procédure de détermination de l’âge, a adéquatement tenu le rôle qu’aurait dû jouer son avocat. Il y a donc eu violation de son droit à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale dans les décisions prises par les autorités.

Intervention de tiers

8.1Le 3 mai 2018, le Défenseur des droits de la France a soumis en qualité de tiers une intervention portant sur la protection des mineurs non accompagnés et sur la question de la détermination de l’âge. Il souligne que les procédures de détermination de l’âge doivent être assorties de toutes les garanties nécessaires pour assurer le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, étant donné que le résultat de ces procédures conditionne l’accès au système de protection des mineurs.

8.2Le Défenseur des droits indique que la méthode de Greulich et Pyle est inadaptée et inapplicable aux migrants, qui sont en majorité des adolescents venant d’Afrique subsaharienne, d’Asie ou d’Europe de l’Est qui fuient leur pays d’origine, où leur situation socioéconomique est souvent précaire. Plusieurs études démontrent que le développement osseux varie en fonction de l’origine ethnique et de la situation socioéconomique de l’individu, raison pour laquelle la méthode n’est pas adéquate pour déterminer l’âge de personnes non européennes. Cette méthode présente d’importantes marges d’erreur, en particulier chez les individus âgés de 15 à 18 ans. Selon le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, les associations européennes de pédiatres sont catégoriques sur un point : la maturité de la dentition et du squelette ne permet pas de déterminer l’âge exact d’un enfant, mais uniquement d’en donner une estimation, avec une marge d’erreur importante de deux à trois ans. L’interprétation des données peut en outre varier d’un pays à l’autre, voire d’un spécialiste à l’autre. Le Comité a également engagé les États à ne pas utiliser les méthodes de détermination de l’âge osseux.

8.3En outre, une procédure de détermination de l’âge ne devrait être engagée qu’en cas de doute sérieux quant à l’âge d’un individu, qui doit être vérifié sur la base des documents d’identité de l’intéressé, ceux-ci devant être considérés comme authentiques sauf preuve du contraire.

8.4Parmi les recommandations formulées par le Défenseur des droits, celles qui suivent sont plus particulièrement pertinentes en l’espèce : a) la détermination de l’âge doit s’inscrire dans une approche pluridisciplinaire et les examens médicaux ne doivent être réalisés qu’en dernier ressort, lorsqu’il existe des motifs sérieux de douter de l’âge d’un individu ; b) une demande de protection ne peut être rejetée au seul motif que l’intéressé refuse de se soumettre à des examens médicaux.

Commentaires des parties sur l’intervention de tiers

9.Dans ses observations du 6 août 2018, l’État partie indique que la méthode de Greulich et Pyle n’est pas la seule méthode utilisée en Espagne et que les examens médicaux ne sont pratiqués que dans les cas où l’apparence de l’intéressé n’est pas celle d’un enfant. Il concède que le Tribunal suprême a conclu que lorsqu’une personne est munie d’un passeport ou d’un document similaire, il n’y a pas lieu de la soumettre à des examens de détermination de l’âge, sauf s’il existe un motif raisonnable de remettre en question la validité de ces documents ou si ceux-ci ont été déclarés non valables par les autorités compétentes. L’État partie reconnaît donc que si l’intéressé produit un document d’identité biométrique officiel et authentique (passeport ou document similaire) qui atteste son âge, il n’est pas nécessaire de le soumettre à des examens visant à prouver qu’il est mineur pour le considérer comme tel.

10.Dans ses commentaires du 17 août 2018, l’auteur se félicite de l’intervention du Défenseur des droits de la France et indique que son homologue espagnol, le Défenseur du peuple, s’est exprimé dans le même sens. Il souligne que la procédure de détermination de l’âge ne doit être appliquée qu’en cas de doute sérieux quant à l’âge d’un mineur présumé, jamais de manière systématique, et que les déclarations et les documents de l’intéressé doivent être considérés comme authentiques sauf preuve du contraire.

Informations complémentaires communiquées par l’auteur

11.1Le 26 octobre 2018, l’auteur a fait savoir que, le 9 avril 2018, le tribunal administratif no 24 de Madrid avait annulé l’arrêté d’expulsion rendu contre lui au motif qu’il était mineur et conclu que le passeport était bien le sien, les autorités n’ayant recueilli aucun élément susceptible de remettre en cause son authenticité ou la véracité des informations qui y figuraient. Cette décision est devenue définitive le 28 mai 2018. En dépit de ce qui précède, l’État partie a insisté pour que des examens de détermination de l’âge soient réalisés (l’auteur a été convoqué à l’hôpital Gregorio Marañón le 3 juillet 2018 à cette fin) et, le 23 juillet 2018, le parquet de la province de Madrid a décidé de ne pas réexaminer la décision par laquelle l’auteur avait été déclaré majeur.

11.2Le 25 mars 2019, l’auteur a fait savoir que son recours en annulation de la décision l’excluant du système de protection de l’enfance avait été rejeté le 12 novembre 2018. Le tribunal a fait valoir que l’auteur avait déclaré être majeur à son arrivée en Espagne, que tant son apparence physique que son refus de se soumettre à des examens de détermination de l’âge tendaient à démontrer qu’il était majeur, et que le passeport qu’il avait produit ne suffisait pas à attester son âge.

11.3L’auteur souligne que les mesures provisoires demandées par le Comité n’ont pas été mises en œuvre, puisqu’il n’a pas été placé sous la protection d’un tuteur et qu’il continue de survivre grâce à l’aide ponctuelle de particuliers et d’organisations diverses. Il ajoute qu’il ne va pas pouvoir obtenir son certificat professionnel de menuisier, alors qu’il suit des cours depuis décembre 2016, puisqu’il n’a toujours pas de permis de séjour, permis qu’il aurait obtenu s’il avait eu un tuteur.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

12.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications.

12.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable ratione personae étant donné que l’auteur avait manifestement l’apparence d’un adulte et que son refus de se soumettre aux examens médicaux de détermination de l’âge ne pouvait avoir pour but que d’empêcher que son âge véritable soit révélé. Le Comité relève toutefois que rien dans le dossier ne prouve que l’auteur, qui affirme qu’il était mineur au moment des faits, était en réalité adulte. Il fait en particulier remarquer que l’auteur a présenté au parquet le passeport délivré par l’ambassade du Cameroun à Madrid et demandé le réexamen de la décision par laquelle il avait été déclaré majeur, demande que le parquet a rejetée le 26 juin 2017 au seul motif que le passeport avait été établi sur la base d’un acte de naissance dont l’authenticité était sujette à caution. Le Comité rappelle qu’en l’absence d’autre information ou de preuves versées au dossier qui remettraient en cause la validité du passeport officiel délivré par les autorités du pays d’origine de l’auteur, il convient de présumer que ce document est valide. En conséquence, le Comité considère que la communication est compatible ratione personae avec la Convention et la déclare recevable au regard de l’alinéa c) de l’article 7 du Protocole facultatif.

12.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles étant donné que : a) il n’a pas demandé au parquet de faire procéder à d’autres examens médicaux ; b) il n’a pas exercé le recours prévu à l’article 780 de la loi relative à la procédure civile pour contester la décision l’excluant du système de protection de l’enfance ; c) il n’a pas fait appel de l’arrêté d’expulsion devant la juridiction administrative contentieuse ; d) il n’a pas engagé d’action gracieuse devant les tribunaux civils aux fins de détermination de l’âge. Il relève toutefois que : a) des examens médicaux supplémentaires ne seraient pas un recours approprié pour l’auteur compte tenu des décisions du Tribunal suprême de l’État partie interdisant les examens médicaux aux fins de la détermination de l’âge de mineurs munis de documents d’identité (par. 2.5 supra) ; b) un recours devant un tribunal civil contre la décision l’excluant du système de protection de l’enfance n’était pas un recours utile pour l’auteur, mineur non accompagné qui n’avait ni tuteur ni avocat (par. 5.5 supra) ; c) le 20 juin 2017, l’auteur a formé un recours devant la juridiction administrative contentieuse contre l’arrêté d’expulsion, qui a été annulé au motif que le passeport était bien celui du mineur, sans que pour autant cela amène l’État partie à revenir sur sa détermination de l’âge de l’intéressé (par. 11.1 supra) ; d) Fundación Raíces a, en d’autres occasions, déposé des demandes en matière gracieuse aux fins de détermination de l’âge, et ces demandes ont été rejetées au motif que la voie gracieuse n’était pas appropriée dans ce domaine (par. 5.5 supra). En conséquence, le Comité considère que l’alinéa e) de l’article 7 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

12.4Le Comité considère que les griefs que l’auteur tire des articles 6, 18 (par. 2) et 27 de la Convention n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’alinéa f) de l’article 7 du Protocole facultatif.

12.5Le Comité estime en revanche que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il tire des articles 2, 3, 8, 12, 20 (par. 1) et 24 de la Convention. Il déclare donc que cette partie de la communication est recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

13.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 10 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de tous les éléments qui lui ont été soumis par les parties.

13.2Le Comité doit déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur constitue une violation des droits que celui-ci tient de la Convention. L’auteur affirme en particulier qu’il a été victime de discrimination du fait que les documents originaux officiels délivrés par les autorités de son pays d’origine n’ont pas été pris en considération, qu’à aucun moment pendant la procédure de détermination de l’âge il n’a été tenu compte de son intérêt supérieur en tant qu’enfant, que son droit d’être entendu n’a pas été respecté, que son identité n’a pas été respectée et qu’il n’a pas pu recevoir les soins dont il avait besoin parce qu’il avait été exclu du système de protection de l’enfance et qu’il n’avait pas de représentant légal.

13.3Le Comité considère que la détermination de l’âge d’une personne jeune qui affirme être mineure revêt une importance capitale, puisque le résultat de cette procédure permet d’établir si la personne en question pourra ou non prétendre à la protection de l’État en qualité d’enfant. Une autre considération extrêmement importante pour le Comité est que la jouissance des droits consacrés par la Convention est également liée à cette détermination. Il est donc impératif que la procédure de détermination de l’âge soit assortie des garanties nécessaires, et qu’il existe des recours permettant d’en contester les résultats. Par conséquent, le Comité estime que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale tout au long de la procédure de détermination de l’âge.

13.4Le Comité renvoie à l’observation générale conjointe no 4 du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et no 23 du Comité des droits de l’enfant (2017), dans laquelle il est indiqué que les documents d’identité doivent être considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire. De même, on ne peut déclarer une personne majeure au seul motif qu’elle refuse de se soumettre à des examens médicaux.

13.5En l’espèce, le Comité constate ce qui suit : a) aucun des documents d’identité officiels produits par l’auteur n’a été reconnu valable aux fins de la détermination de son âge, qu’il s’agisse des documents qu’il a présentés avant que soit rendue la décision par laquelle il a été déclaré majeur − copie intégrale de son acte de naissance (dont l’original était consultable à l’ambassade du Cameroun à Madrid), carte d’identité consulaire, certificat d’inscription consulaire et récépissé de demande de passeport − ou du passeport biométrique qu’il a présenté à l’appui de sa demande de réexamen de cette décision ; b) l’État partie a en conséquence considéré que l’auteur était un migrant sans papiers et lui a demandé de se soumettre à des examens médicaux ; c) l’auteur ayant refusé de se soumettre à ces examens puisqu’il était en possession de documents originaux officiels attestant son identité, le parquet des mineurs l’a déclaré majeur ; d) l’auteur n’a pas été accompagné d’un tuteur ni d’un représentant pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis.

13.6Le Comité prend note de la conclusion de l’État partie selon laquelle, l’auteur ayant clairement l’apparence d’un adulte, il pouvait être considéré comme tel sans autre vérification. Il rappelle néanmoins son observation générale no 6, dans laquelle il est indiqué que l’évaluation de l’âge ne devrait pas se fonder uniquement sur l’apparence physique de l’individu mais tenir compte aussi de son degré de maturité psychologique, qu’elle doit être menée scientifiquement, dans le souci de la sécurité de l’enfant, de manière adaptée à son statut d’enfant et à son sexe et équitablement, et qu’en cas d’incertitude, le bénéfice du doute doit être accordé à l’intéressé, qu’il convient, si la possibilité existe qu’il s’agisse effectivement d’un mineur, de traiter comme tel.

13.7Le Comité prend note des allégations de l’auteur, non contestées par l’État partie, selon lesquelles il n’a pas été assisté d’un tuteur ou d’un représentant chargé de défendre ses intérêts en sa qualité présumée d’enfant pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis. Le Comité rappelle que les États parties sont tenus d’assurer à tous les jeunes étrangers qui affirment être mineurs l’assistance gratuite d’un représentant légal qualifié possédant les compétences linguistiques nécessaires ou de reconnaître les représentants désignés par les intéressés. Il considère en outre que le fait d’assurer la représentation de ces jeunes pendant la procédure visant à déterminer leur âge constitue une garantie essentielle pour le respect du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et du droit d’être entendu. À l’inverse, le défaut de représentation adéquate peut entraîner une injustice grave.

13.8Le Comité note en outre que l’État partie affirme qu’un mineur non accompagné est considéré comme ayant des papiers dès lors qu’il est muni d’un passeport ou d’un document d’identité biométrique similaire qui atteste son âge. Il fait néanmoins observer qu’en l’espèce, l’auteur a présenté un passeport biométrique mais le parquet en a contesté l’authenticité sans apporter de preuves à cet égard.

13.9À la lumière de tout ce qui précède, le Comité considère que la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui affirmait être un enfant, n’a pas été assortie des garanties nécessaires à la protection des droits que lui confère la Convention. En l’espèce, compte tenu en particulier du fait que des documents d’identité officiels délivrés par les autorités d’un pays souverain n’ont pas été pris en compte, que l’auteur a été déclaré majeur parce qu’il avait refusé de se soumettre à des examens de détermination de l’âge et qu’il n’a pas été autorisé à être accompagné de son représentant pendant la procédure, le Comité estime que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas constitué une considération primordiale dans le cadre de cette procédure, en violation des articles 3 et 12 de la Convention.

13.10En outre, le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles l’État partie a violé les droits consacrés par l’article 8 de la Convention lorsqu’il a modifié des éléments de son identité en lui attribuant une date de naissance qui ne correspondait pas aux informations figurant sur les documents officiels délivrés par les autorités de son pays d’origine, y compris son passeport. Le Comité considère que l’âge et la date de naissance d’un enfant font partie de son identité et que les États parties sont tenus de respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, sans le priver d’aucun des éléments qui la constituent. Il fait observer qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas respecté l’identité de l’auteur en considérant que les documents officiels témoignant de la minorité de l’auteur n’avaient aucune valeur probante, sans avoir examiné leur validité ni vérifié la véracité des informations qu’ils contenaient auprès des autorités du pays d’origine de l’auteur. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a violé l’article 8 de la Convention.

13.11Enfin, le Comité prend note des allégations de l’auteur, non contestées par l’État partie, selon lesquelles l’État partie ne l’a pas protégé en dépit de la situation d’abandon et de vulnérabilité extrême dans laquelle il se trouvait du fait qu’il était un mineur migrant, non accompagné et malade. En outre, il y a une contradiction dans le fait de déclarer l’auteur majeur tout en subordonnant son accès à des traitements médicaux et à certains vaccins à l’autorisation de son représentant légal. Le Comité observe que ce défaut de protection a perduré même après que l’auteur a présenté aux autorités espagnoles des documents d’identité confirmant qu’il était un enfant. Il considère que les éléments qui précèdent font apparaître une violation des articles 20 (par. 1) et 24 de la Convention.

13.12Ayant conclu à l’existence d’une violation des articles 3, 8, 12, 20 (par. 1) et 24 de la Convention, le Comité n’examinera pas séparément le grief de violation de l’article 2 se rapportant aux mêmes faits.

13.13Enfin, le Comité prend note des allégations de l’auteur concernant l’inexécution par l’État partie des mesures provisoires demandées, à savoir que l’auteur soit placé dans un centre de protection des mineurs pendant l’examen de la communication et qu’il reçoive les soins médicaux dont il a besoin. Le Comité considère qu’en ratifiant le Protocole facultatif, les États parties l’ayant ratifié se sont engagés à mettre en œuvre les mesures provisoires demandées en application de l’article 6 du Protocole afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé alors qu’une communication est en cours d’examen, l’objectif étant d’assurer l’efficacité de la procédure de présentation de communications émanant de particuliers. En conséquence, le Comité considère que l’inexécution des mesures provisoires demandées constitue en elle-même une violation de l’article 6 du Protocole facultatif.

13.14Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 5 de l’article 10 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, constate que les faits dont il est saisi sont constitutifs d’une violation des articles 3, 8, 12, 20 (par. 1) et 24 de la Convention et de l’article 6 du Protocole facultatif.

14.En conséquence, l’État partie doit accorder à l’auteur une réparation effective pour les violations subies, y compris lui offrir la possibilité de régulariser sa situation administrative dans l’État partie. Il est en outre tenu de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas, en faisant en sorte que toute procédure visant à déterminer l’âge de personnes non accompagnées susceptibles d’être des enfants soit conforme à la Convention et, en particulier, que les documents produits par ces personnes dans le cadre de ces procédures soient pris en considération, que les intéressés se voient assigner sans délai et gratuitement un représentant qualifié et que les avocats qu’ils ont librement choisis soient reconnus.

15.Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait ou non violation de la Convention et des deux Protocoles facultatifs thématiques s’y rapportant.

16.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. Il demande en outre à l’État partie d’inclure des informations sur ces mesures dans les rapports qu’il présentera au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement.