Nations Unies

CRC/C/77/D/10/2017

Convention relative aux droits de l ’ enfant

Distr. générale

26 mars 2018

Original : français

Comité des droits de l ’ enfant

Décision du Comité des droits de l’enfant en vertu du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 10/2017 * , **

Communication p résentée par :

S. C. S.

Au nom de :

B. S. S., C. A. S. et C. M. S.

État partie :

France

Date de la requête :

5 janvier 2017

Date de la présente décision :

25 janvier 2018

Objet :

Expulsion d’une famille avec enfants d’un camp rom

Question ( s ) de procédure :

Incompatibilité ratione temporis

Question ( s ) de fond :

Intérêt supérieur de l’enfant, droit au logement, droit à la santé, droit à l’éducation, traitements cruels, inhumains ou dégradants, discrimination basée sur l’ethnicité

Article(s) de la Convention :

2, 3, 4, 27 (par. 3), 28, 37 a)

Article(s) du Protocole facultatif :

7 g)

1.1L’auteure de la communication est S. C. S., de nationalité roumaine, de l’ethnie rom, née en 1972. Elle présente la communication au nom de ses deux enfants, B. S. S., née le 22 mars 2005, et C. A. S., né le 12 novembre 2009, et de son petit-fils, C. M. S., né le 14 juin 2011. Elle affirme que B. S. S., C. A. S. et C. M. S. sont victimes d’une violation des articles 3, 4, 24, 27 (par. 3), 28 et 37 a), ainsi que de l’article 2, lu conjointement avec les articles 3, 4, 24, 27 (par. 3), 28 et 37 a) de la Convention. L’auteure est représentée par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 7 avril 2016.

1.2Le 16 juin 2017, le Comité, agissant par son groupe de travail des communications, a décidé d’examiner la question de la recevabilité de la communication séparément de celle du fond.

Les faits selon l’auteure

2.1L’auteure et sa famille, qui appartiennent tous à la communauté rom, ont quitté la Roumanie pour se rendre en France à une date indéterminée. Après avoir fait l’objet, le 31 mars 2015, d’une expulsion du camp où ils habitaient, ils se sont installés dans un deuxième campement à Champs-sur-Marne, occupé par d’autres familles roms, sur un terrain appartenant à l’Établissement public d’aménagement de Marne-la-Vallée.

2.2Par un arrêté du 10 avril 2015, le maire de Champs-sur-Marne a mis en demeure les résidents du campement de quitter les lieux dans un délai de quarante-huit heures, faute de quoi ils seraient évacués par la force. L’auteure a formé un référé-liberté devant le tribunal administratif de Melun, par lequel elle a demandé la suspension de l’exécution de l’arrêté du maire et la désignation d’un avocat.

2.3Par ordonnance du 16 avril 2015, ce tribunal a rejeté le recours de l’auteure en considérant que l’arrêté du maire n’était pas « entaché d’une méconnaissance manifeste des conditions de nécessité et de proportionnalité », vu les risques constatés pour la sécurité des résidents du camp. Le tribunal a en outre considéré qu’il n’appartenait pas au juge des référés de désigner un conseil dans le cadre de cette procédure. Le même jour, l’auteure et sa famille, ainsi que d’autres résidents de Champs-sur-Marne, ont été expulsés du camp. L’auteure fait valoir que, bien que les personnes sans abri ont droit à un logement d’urgence, ils furent informés qu’il ne serait pas possible de leur offrir un hébergement. L’auteure et sa famille, ainsi que les autres résidents expulsés du camp, sont restés pendant des heures à attendre à côté de la route, sans obtenir d’information sur leur avenir.

2.4L’auteure a interjeté appel devant le Conseil d’État. Par un arrêt du 7 janvier 2016, le Conseil d’État a rejeté la demande de l’auteure mais a cependant annulé, pour vice de procédure, l’ordonnance du tribunal administratif de Melun.

2.5Le 7 juillet 2016, l’auteure a formé une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui est actuellement pendante. Dans cette requête, l’auteure a allégué être victime d’une stigmatisation et d’un harcèlement basé sur son ethnicité, ainsi que d’une violation de son droit au respect de la vie privée et familiale et de son domicile, et de son droit à un recours efficace.

2.6L’auteure fait valoir que leur expulsion du campement de Champs-sur-Marne a eu des effets négatifs sur l’éducation de B. S. S., C. A. S. et C. M. S. Ainsi, B. S. S., qui avait 10 ans au moment de l’expulsion, était inscrite à l’école publique, où elle se rendait grâce à un bénévole qui amenait des enfants roms dans sa voiture privée. Or, à partir de l’hiver 2015, ce bénévole n’a pas pu continuer à conduire les enfants pour des raisons personnelles et, de ce fait, elle a dû depuis s’absenter de l’école. L’auteure note également que la famille habite aujourd’hui dans une case faite de matériaux inflammables, sans eau potable, ni électricité, ni toilettes. Ils ont été à nouveau expulsés d’un campement le 3 août 2016 et, ensuite, en septembre et novembre 2016.

2.7L’auteure affirme que les faits d’espèce font partie d’une pratique administrative visant les expulsions forcées des Roms, avec des milliers d’expulsions ayant lieu chaque année.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure fait valoir que l’État partie a violé les droits de B. S. S., C. A. S. et C. M. S. au titre de l’article 3 de la Convention, car l’intérêt supérieur de l’enfant n’était pas une considération primordiale ni dans l’arrêté du maire de Champs-sur-Marne, ni dans les décisions judiciaires adoptées à la suite de l’expulsion de la famille du camp. Elle affirme que le maire était au courant du fait qu’il y avait des enfants dans le camp mais qu’il a procédé néanmoins à l’exécution de l’expulsion sans mettre en place des mesures de relogement.

3.2L’auteure affirme que l’État partie a violé l’article 4 de la Convention, car des mesures sociales devaient être mises en place d’après une circulaire administrative datée du 26 août 2012 visant à assurer le respect des droits des résidents des bidonvilles. Cependant, cette circulaire n’a pas été respectée dans le cas d’espèce, en particulier en ce qui concerne les dispositions en matière de logement et d’éducation.

3.3L’auteure fait valoir une violation des droits de B. S. S., C. A. S. et C. M. S. au titre des articles 24 et 27, paragraphe 3, de la Convention, car les autorités nationales, en les laissant sans logement, n’ont pas pris de mesures pour éviter un risque pour la santé des enfants et pour aider l’auteure à assurer aux enfants un niveau de vie suffisant pour permettre leur développement.

3.4L’auteure fait valoir que l’État partie a violé les droits à l’éducation de B. S. S., C. A. S. et C. M. S. au titre de l’article 28 de la Convention. En particulier, l’État partie n’a pas adopté de mesures pour assurer la continuité de l’éducation de B. S. S. et pour assurer l’accès à l’éducation de C. A. S. et C. M. S.

3.5L’auteure allègue que l’expulsion de la famille du campement de Champs-sur-Marne a constitué un traitement inhumain et dégradant de B. S. S., C. A. S. et C. M. S. au sens de l’article 37 a) de la Convention. Les enfants ont dû assister à la destruction de leur maison face à l’impuissance absolue de leur mère.

3.6Enfin, l’auteure fait valoir une violation de l’article 2, lu conjointement avec les articles 3, 4, 24, 27 (par. 3), 28 et 37 a) de la Convention, car l’expulsion s’insère dans une politique discriminatoire dirigée vers les personnes d’ethnicité rom en France.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 18 avril 2017, l’État partie a noté que le Protocole facultatif était entré en vigueur pour la France le 7 avril 2016. Or, l’auteure se plaint de l’évacuation du camp de Champs-sur-Marne, qui a eu lieu le 16 avril 2015, à la suite de la décision du maire datée du 10 avril 2015. Bien qu’elle mentionne avoir fait l’objet d’autres expulsions, y compris en mars 2015 ainsi qu’en septembre et novembre 2016, les faits qui font l’objet de la présente communication et qui avaient donné lieu préalablement aux recours internes devant le tribunal administratif de Melun puis devant le Conseil d’État sont ceux relatifs à l’expulsion d’avril 2015. Ils sont donc antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la France.

4.2L’État partie estime, par ailleurs, que tous les recours internes n’ont pas été épuisés en l’espèce car le référé-liberté introduit devant le tribunal administratif de Melun et l’appel exercé devant le Conseil d’État ont été produits au nom et pour le compte de l’auteure uniquement, sans évoquer spécifiquement la situation de B. S. S., C. A. S. et C. M. S. Dans son référé-liberté effectué devant le tribunal administratif, l’auteure mentionne uniquement et à une seule reprise l’intérêt supérieur de l’enfant sans développer toutefois davantage et sans soulever aucun argument spécifique à B. S. S., C. A. S. et C. M. S. Dans les mémoires en appel devant le Conseil d’État, l’auteure évoque de manière générale la scolarisation des enfants et l’intérêt supérieur de l’enfant. Or, ces mentions restent très générales et ne concernent pas directement et spécifiquement B. S. S., C. A. S. et C. M. S. Par ailleurs, les articles dont la violation est alléguée dans la présente communication n’ont pas fait l’objet de moyens soulevés dans les recours présentés devant les juridictions internes, excepté l’intérêt supérieur de l’enfant.

4.3Enfin, l’État partie relève qu’une requête est actuellement pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme qui porte sur les mêmes événements et les mêmes faits que ceux qui font l’objet de la présente communication. En conséquence, le Comité serait saisi de la « même question » que la Cour au sens de l’article 7 d) du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 23 mai 2017, l’auteure a informé le Comité que la famille continuait à habiter dans un bidonville situé dans la municipalité de Champs-sur-Marne, que B. S. S. a suspendu sa scolarisation et que C. A. S. et C. M. S., qui ont maintenant l’âge de la scolarisation obligatoire en France, n’ont pas été acceptés dans les écoles publiques sollicitées par l’auteure. Ils ne reçoivent aucune aide publique et sont assistés seulement par des organisations non gouvernementales.

5.2L’auteure fait valoir que, bien que l’expulsion ait eu lieu le 16 avril 2015, les effets de cet événement, notamment l’absence de scolarisation de B. S. S., C. A. S. et C. M. S., ont continué au-delà de cette date et jusqu’à présent.

5.3L’auteure fait valoir que les voies de recours internes ont été épuisées. Elle relève qu’elle a invoqué le meilleur intérêt de l’enfant dans son référé-liberté, et ce, sans avoir été représentée par un conseil dans le cadre de cette procédure. Quant à l’évocation du droit à l’éducation dans son recours auprès du Conseil d’État, l’auteure fait valoir qu’elle faisait une référence claire aux droits de ses enfants. Elle ajoute que la discrimination ethnique était implicite dans son argument dans le sens où elle et ses enfants faisaient partie d’une minorité vulnérable, les Roms, et qu’ils avaient de ce fait besoin d’une protection spéciale.

5.4Quant à la plainte pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme, l’auteure signale que cette plainte était basée sur des violations différentes, notamment l’interférence dans leur vie privée et familiale et l’inexistence d’un recours utile. En conséquence, cette plainte ne concerne pas les mêmes droits substantifs.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications.

6.2Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles, le 16 avril 2015, la famille - y compris B. S. S., C. A. S. et C. M. S. -, a été évacuée du camp où elle habitait à la suite d’un arrêté municipal daté du 10 avril 2015, et les recours portés par l’auteure contre l’exécution de cet arrêté ont été rejetés le 16 avril 2015 par le tribunal administratif de Melun et le 16 janvier 2016 en appel auprès du Conseil d’État. Le Comité relève que tous les faits présentés dans le cadre de la présente communication, y compris l’arrêt en dernière instance rendu par le Conseil d’État, ont eu lieu avant le 7 avril 2016, date de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie.

6.3En conséquence, le Comité déclare cette plainte irrecevable ratione temporis en vertu de l’article 7 g) du Protocole facultatif.

7.Le Comité des droits de l’enfant décide :

a)Que la communication est irrecevable conformément à l’article 7 g) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteure de la communication ainsi qu’à l’État partie pour information.