Nations Unies

CAT/C/59/D/549/2013

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

25janvier2017

Original: français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no549/2013 * , **

Communication p résentée par:AbdulrahmanKabura (représenté par Philip Grant de TRIAL : TrackImpunityAlways)

Au nom de:Le requérant

État partie:Burundi

Date de la requête:24 décembre 2012 (lettre initiale)

Date de la présente décision :11 novembre 2016

Objet :Torture infligée par des agents de police et absence d’enquête et de réparation

Question (s) de procédure:Non-épuisement des voies de recours internes

Question ( s ) de fond:Torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; mesures visant à empêcher la commission d’actes de torture; surveillance systématique quant à la garde et au traitement des personnes détenues; obligation de l’État partie de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale; droit de porter plainte; droit d’obtenir une réparation; interdiction de l’utilisation dans une procédure de déclarations obtenues sous la torture

Article ( s ) de la Convention:Articles 2 (par. 1), 11, 12, 13, 14 et 15, lus en conjonction avec les articles 1 et 16 de la Convention

1.1Le requérant est AbdulrahmanKabura, né en 1975 au Burundi, résidant à présent en Afrique du Sud où il a obtenu le statut de réfugié. Il soutient que l’État partie a violé les articles 2 (par.1), 11, 12, 13, 14 et 15, tous lus en connexion avec l’article 1 et subsidiairement avec l’article 16 de la Convention, ainsi que l’article 16 lu seul. Il est représenté par un conseil, Me Philip Grant, de l’association suisse contre l’impunité TRIAL.

1.2Le 24 mai 2013, en application du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité a demandé à l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir efficacement, tant que l’affaire serait à l’examen, toute menace ou tout acte de violence auquel le requérant ou sa famille pourraient être exposés, en particulier du fait de la présentation de la présente requête au Comité.

Les faits tels que présentés par le requérant

2.1À l’issue de la guerre civile (1993-2006), le Burundi a connu une lutte de pouvoir provoquant un climat d’instabilité et menant à la destitution du Président du parti Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), ainsi qu’à l’arrestation d’un certain nombre de ses partisans.

2.2Le 4 mai 2007, le requérant, qui était le représentant local du CNDD-FDD et chef de quartier de la commune de Buyenzi à Bujumbura a été arrêté par des agents du Service national de renseignement (SNR) afin de témoigner contre l’ancien président du CNDD-FDD et de reconnaître qu’il avait lui-même tenté de déstabiliser le parti au pouvoir. Le requérant a refusé d’admettre toute implication. Il a été torturé pendant environ quatre heures par des agents et l’administrateur général du SNR, qui l’ont frappé avec des matraques sur différentes parties du corps, en particulier le dos, le visage, les pieds et les organes génitaux. Ils lui ont comprimé les parties génitales avec les mains et y ont attaché avec un fil électrique un bidon de cinq litres d’eau. Sous la torture, le requérant a cédé aux pressions et a signé un procès-verbal dans lequel il reconnaissait son implication dans des tentatives de déstabilisation du parti au pouvoir.

2.3Le requérant a été détenu pendant deux mois et vingt jours jusqu’au 27 juillet 2007 dans quatre endroits différents, à savoir les locaux du SNR, le Commissariat général de la police judiciaire, la prison de Gitega (à plus de 100km de son domicile) et la prison de Mpimba à Bujumbura. Pendant sa détention au Commissariat général de la police judiciaire, il a été détenu avec 10 autres détenus dans une cellule de 12 mètres carrés, sans fenêtre ni lumière, sans recevoir ni eau,ni nourritureni soins durant les dix-sept premiers jours. Il a dû boire l’eau des toilettes pour survivre. Il a aussi été frappé avec des fils électriques sur tout le corps par l’officier chargé de sa surveillance.

2.4Le 17 mai 2007, le requérant a été présenté à unmagistrat instructeur qui l’a informé qu’il était accusé de tentative d’assassinat. Pendant l’audience, il n’a pas pu s’entretenir avec un avocat et n’a pas bénéficié d’une assistance juridique.

2.5Après son transfert à la prison de Gitega, le requérant a pu voir un avocat qui, le 12juin 2007, a dénoncé les actes de torture auprès du magistrat instructeur et a demandé qu’il soit transféré à l’hôpital, ce qui a été autorisé, mais le médecin qui l’a finalement examiné n’a pu lui procurer que des soins de base, le requérant ayant été immédiatement ramené à la prison. Depuis le début de sa détention, le requérant et des associations de défense des droits de l’homme ont demandé à plusieurs reprises qu’il soit représenté par un conseil et examiné par un médecin. Le 27 juin 2007, l’avocat du requérant a déposé une plainte formelle pour l’arrestation du requérant et les tortures subies auprès du Procureur de la République en mairie de Bujumbura avec copies au Procureur général de la République et au Procureur général près la cour d’appel de Bujumbura. Cependant, le requérant n’a jamais été informé des suites données à cette plainte.

2.6Durant sa détention dans ces différents lieux, le requérant a reçu des visites de membres d’associations de défense des droits de l’homme qui ont constaté directement et dénoncé publiquement les tortures qu’il a subies. L’Association burundaise pour la protection des droits humains a, dans un rapport etdans un entretien donné à la radio en mai 2007, fait mention des tortures subies par le requérant et des traumatismes dus aux mauvais traitements que les représentants de l’association ont pu constater directement lors de leur visite. Par ailleurs, des délégués du Comité international de la Croix-Rouge lui ont rendu visite à quatre reprises. L’Expert indépendant chargé d’examiner la situation des droits de l’homme au Burundi et des représentants du Bureau des Nations Unies au Burundi ont pu constater les actes de torture infligés au requérant lors de visites en mai 2007. L’Expert indépendant a interpellé le Ministre burundais de la justice en mai 2007. De plus, l’Union interparlementaire a adopté, le 21 octobre 2009, une résolution se référant à l’affaire du requérant.

2.7Le 24 juillet 2007, le requérant a été placé en liberté provisoire. Selon les informations transmises oralement à son avocat, la procédure ouverte à l’encontre du requérant pour tentative d’assassinat a été classée sans suite faute de preuves. Jusqu’à ce jour, en dépit des demandes de l’avocat au Procureur de la République en mairie de Bujumbura, aucune des motivations du classement sans suite n’a été reçue.

2.8Après sa libération, le requérant a dû vivre caché à cause des visites à son domicile et des recherches actives menées par des agents de police et d’une notice du Président du conseil communal selon laquelle il était recherché contre une récompense.

2.9En janvier 2008, à cause de l’intensification des persécutions, le requérant s’est enfui vers l’Afrique du Sud où il a déposé une demande d’asile. Le 9 novembre 2009, lui, sa femme et leurs quatre enfants ont obtenu le statut de réfugiés en Afrique du Sud.

2.10Le 15 novembre 2012, l’avocat du requérant a relancé la plainte pour torture auprès du Procureur en mairie de Bujumbura, mais cette nouvelle démarche est restée sans suite. Le requérant affirme qu’il a tenté d’utiliser les voies de recours internes disponibles, lesquelles se sont avérées inefficaces, excédant les délais raisonnables. Il maintient également qu’il était dangereux et impossible pour lui d’initier d’autres démarches du fait de la surveillance intense de son domicile avant son exil forcé.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant prétend que l’État partie a violé ses droits au titre des articles 2 (par. 1), 11, 12, 13,14 et 15, lus conjointement avec l’article 1et, subsidiairement, avec l’article 16 de la Convention, ainsi que l’article 16 lu seul.Les agents du SNR lui ont intentionnellement infligé des douleurs et souffrances aiguës cherchant à obtenir des aveux. Il soutient que les sévices infligés constituent des actes de torture tels que définis par l’article 1de la Convention.

3.2Le requérant note en outre que l’État partie n’a pas adopté les mesures, législatives ou autres, nécessaires pour prévenir la pratique de la torture au Burundi, contrairement à ses obligations prescrites par le paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention. Les tortures infligées au requérant sont restées impunies.

3.3Les autorités burundaises n’ont pas exercé la surveillance nécessaire sur la façon dont le requérant était traité durant sa détention au SNR, détention hors du cadre de la loi en absence de tout mandat d’arrêt. En outre, il n’existe pas de système de surveillance systématique efficace des lieux de détention. Le requérant considère donc que l’article 11 de la Convention a été violé.

3.4Les autorités burundaises, bien qu’informées sur les tortures subies par le requérant, n’ont pas effectué d’enquête prompte et effective, en violation de leur obligation imposée par l’article 12.

3.5Aucune suite n’a été donnée à la plainte soumise par le requérant le 27 juin 2007, alors qu’elle était soutenue par des photos et une attestation médicale établie le 12 juin 2007. De plus, l’État partie n’a pris aucune mesure de protection du requérant à sa sortie de prison afin qu’il ne subisse pas d’intimidation à cause de ses démarches devant les autorités judiciaires. La cause n’a pas été immédiatement et impartialement examinée, contrairement à ce qui est prévu à l’article 13.

3.6L’État partie ne s’est pas conformé à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 14 puisque, d’une part, les crimes perpétrés à l’encontre du requérant sont restés impunis et, d’autre part, ce dernier n’a pas reçu d’indemnisation ni bénéficié de mesures de réhabilitation pour les tortures subies.

3.7Les autorités burundaises n’ont pas frappé de nullité ses aveux obtenus sous la torture et ont au contraire fait usage de ceux-ci pour ouvrir une procédure judiciaire contre le requérant pour tentative d’assassinat et pour le maintenir en détention durant deux mois et vingt jours, contrairement à ce que prescrit l’article 15 de la Convention.

3.8Le requérant réitère que les violences qui lui ont été infligées sont des actes de torture, conformément à la définition de l’article 1 de la Convention. Néanmoins, et subsidiairement, si le Comité ne devait pas retenir cette qualification, il est maintenu que les sévices endurés par la victime constituent dans tous les cas des traitements cruels, inhumains ou dégradants et que, à ce titre, l’État partie était également tenu de prévenir et de réprimer leur commission, instigation ou tolérance par des agents étatiques, en vertu de l’article 16 de la Convention. En outre, les conditions de détention infligées au requérant impliquent une violation de l’article 16, car elles sont assimilables à un traitement inhumain et dégradant.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 15 juillet 2014, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il a demandé que la communication soit déclarée irrecevable au motif que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. Après avoir obtenu la liberté provisoire, le requérant a disparu de la circulation, en violant toutes les conditions mêmes de la liberté provisoire et entravant ainsi la poursuite de l’instruction de son dossier judiciaire. L’État partie soumet qu’il est impossible pour le Procureur de mener des enquêtes efficaces aux fins d’obtenir la vérité sur ces tortures en l’absence de la victime prétendue. L’État partie est d’avis qu’il n’y avait pas de menaces réelles et objectives qui pesaient sur la vie du requérant et que si les autorités avaient voulu l’assassiner elles auraient pu le faire sans problème au lieu de lui accorder la liberté provisoire alors qu’il était en détention.

4.2L’État partie affirme que les voies de recours internes que le requérant prétend avoir utilisées ont été rendues inefficaces par lui-même et non par les autorités, et invite le requérant à rentrer à Bujumbura car il ne court aucun danger quant à sa sécurité physique. L’État partie considère que le requérant essaye de s’appuyer sur une analyse globalisante du système judiciaire burundais et sur des prétextes fallacieux pour conclure qu’aucune justice équitable ne lui sera rendue et qu’il semble déborder vers des propos blasphématoires et injurieux à l’encontre des autorités et du système judiciaire de l’État partie.

4.3Selon l’État partie, l’analyse historique faite par le requérant des différents évènements et régimes politiques du pays contient de nombreuses erreurs et le passé politique du pays n’a aucune relation directe avec son cas isolé. Il ajoute que des incidents du genre existent dans toutes les civilisations du monde. L’État partie prie le Comité de tenir compte du blocage dû au fait que le requérant a quitté son pays après sa remise en liberté et s’est réfugié en Afrique du Sud et de ne pas accréditer les accusations graves avancées en l’absence de débat contradictoire avec preuve à l’appui. L’État partie rejette les accusations qui ne sont étayées par aucune preuve jugée solide.

4.4Selon l’État partie, des mesures efficaces pour prévenir des actes de torture ont été prises, la torture ayant notamment été érigée en infraction grave par le nouveau Code pénal de 2009, qui prévoit à cet effet des peines sévères et donc dissuasives. Il invite le Comité à venir constater que les accusations selon lesquelles aucune surveillance indépendante et systématique n’est exercée sur les lieux de détention et sur le traitement des personnes qui y sont détenues relèvent de simples spéculations et de la méconnaissance du fonctionnement du système juridique. Pour ce qui est de l’obligation de mener des enquêtes promptes et impartiales sur les tortures subies par le requérant, l’État partie soutient que l’obligation n’a pas été violée dans la mesure où ce dernier a fui le pays presque dans la foulée de sa mise en liberté provisoire et que ces enquêtes étaient automatiquement rendues impossibles du fait de son absence.

4.5En ce qui concerne l’indemnisation du requérant, l’État partie ajoute qu’il est prématuré de vouloir prétendre à l’octroi de dommages-intérêts car l’infraction de torture n’est pas définitivement établie par jugement définitif.

4.6Enfin, l’État partie constate que les mesures provisoires de protection demandées par le requérant sont inopportunes et sans objet au vu de son statut de réfugié en Afrique du Sud et lui lance un appel pour qu’il rentre dans son pays natal et s’engage à assurer sa protection ainsi que celle de sa famille une fois qu’il sera de retour.En conclusion, l’État partie rejette les prétentions du requérant et invite le Comité à les trouver sans mérite.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie sur la recevabilité etle fond

5.1Le 8 octobre 2014, le requérant a formulé des commentaires relatifs aux observations de l’État partie. Il rejette l’argument selon lequel il n’aurait pas épuisé les recours internes, réitérant queprès de sept ans et cinq mois après les faits aucune enquête n’a été ouverte. Il rappelle que le Comité n’exige, aux fins de la recevabilité des communications individuelles, que l’épuisement des recours efficaces, utiles et disponibles. Le requérant relève que le statut de réfugié politique lui a été accordé par les autorités sud-africaines qui ont, ce faisant, reconnu la réalité des menaces à son égard et que l’État partie minimise le sérieux des menaces qui l’ont contraint à fuir.Le requérant rappelle l’affaire Traoré c . C ô te d ’ Ivoiredans laquelle le Comité des droits de l’homme a considéré qu’une personne victime de menaces de la part des services de sécurité nationaux, contrainte à fuir son pays à cause de celles-ci, est empêchée de manière insurmontable d’épuiser les voies de recours internes. Il réitère que les recours internes se sont avérés inutiles et inefficaces, ont dépassé les délais raisonnables et ont constitué un danger pour lui,et qu’aucune autre voie de recours ne pouvait être initiée en raison de son exil forcé.

5.2Le requérant rappelletoutes les démarches judiciaires qu’il a entreprises, y compris la plainte pour torture du 12 juin 2007 auprès dumagistrat instructeur et la plainte pour torture du 27 juin 2007 auprès du Procureur de la République en mairie de Bujumbura, restées sans suite. Initier une action contre le magistrat instructeur et le Procureur pour déni de justice et violations des délais de procédure n’avait objectivement aucune chance de succès. D’ailleurs,l’État partie ne fournit aucune information précise et chiffrée sur les dossiers pénaux ouverts par les autorités judiciaires permettant de confirmer et d’évaluer l’efficacité des recours internes. Les recherches actives lancées par la police pour l’arrêter quelques semaines après sa libération provisoire témoignent de la volonté des autorités burundaises d’étouffer l’affaire. En outre, plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, l’Expert indépendant chargé d’examiner la situation des droits de l’homme au Burundi et l’Union interparlementaire ont dénoncé les tortures commises par les agents du SNR contre le requérant. En conclusion, le requérant soutient qu’il ne peut raisonnablement être attendu de lui qu’il attende sept ans et cinq mois les résultats d’une prétendue enquête dont l’existence n’est pas prouvée.

5.3Sur le fond, le requérant affirme que la présentation du contexte burundais ne revêt aucun caractère injurieux ou erroné et ne vise pas à discréditer l’État partie, mais procède d’un compte rendu de la situation prévalant dans l’État partie pertinent pour l’examen de la présente communication.

5.4Le requérant réitère qu’il a bien fourni des preuves à l’appui de ses allégations de torture et ajoute que l’État partie ne réfute pas ces preuves. En outre, il rappelle que l’État partie n’a pas initié d’enquête permettant d’écarter ou de confirmer ses allégations de torture.

5.5En réponse aux commentaires de l’État partie, qualifiant le traitement réservé au requérant d’inconfortable et de mésaventures, contestant ainsi implicitement que des actes de torture ont été perpétrés à son encontre, le requérant réitère ses allégations précédemment formulées et ajoute que des souffrances aiguës, dépassant largement le seuil de l’inconfort décrit par l’État partie, lui ont été infligées non pas seulement au cours de la détention mais également lors de son interrogatoire. Il rappelle les preuves fournies, telles que les photos et l’attestation médicale qui corroborent son récit ainsi que les constatations des associations de défense des droits de l’hommeet de l’Expert indépendant. En outre, il affirme que le type de traitement qu’il a subien détention, à savoir l’absence de soins et la privation d’eau, de nourriture et d’accès aux toilettes, devrait être pris en compte pour conclure qu’il a été victime de torture.

5.6Les tortures infligées poursuivaient des motifs illégitimes, notamment celui d’obtenir des aveux forcés et des informations, et n’ont cessé que lorsque le requérant a reconnu par écrit les faits reprochés, ce qui a servi comme base de sa détention préventive. En outre, l’intention des tortionnaires de soumettre le requérant à des souffrances aiguës est manifeste. L’utilisation d’instruments ainsi que le recours à des techniques de torture confirment le caractère intentionnel et planifié des actes commis.

5.7Le requérant soutient également que l’État partie a violé ses obligations positives au titre des articles 2 (par.1), 11,12, 13, 14 et 15 et réitère l’argumentaire développé dans sa requête initiale. Quant à la violation du paragraphe 1 de l’article 2, il rappelle que l’adoption d’une législation n’est pas suffisante pour prévenir efficacement la torture. La législation burundaise ne rejette pas explicitement la validité d’aveux obtenus sous la torture et n’établit pas l’imprescriptibilité de l’action publique en cas d’actes de torture commis hors des contextesparticuliers de crime de génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre. Il rappelle qu’il a été arrêté sans mandat, que sa détention a été prolongée illégalement et sans aucun recours efficace pour la contester, qu’il a été présenté au juge hors des délais impartis, qu’il n’a pas été autorisé à recevoir de visite dans les premiers jours de sa détention ni n’a reçu d’assistance juridique prompte, qu’il n’a pas reçu d’accompagnement médical adéquat et, enfin,que sa plainte n’a pas été immédiatement examinée en vue de l’ouverture d’une enquête, qu’aucune expertise médicale n’a pu être établie et qu’il n’a jamais reçu de réparation.

5.8Pour ce qui est de la violation de l’article 11 de la Convention, le requérant note que l’État partie n’apporte pas de preuve ni même de détails sur le fonctionnement du système pénitentiaire et se réfère à l’argumentaire développé à ce sujet dans la requête initiale. Il maintient aussi, en ce qui concerne l’obligation de l’État partie d’enquêter en conformité avec les articles 12 et 13 de la Convention, que l’État ne saurait justifier son inaction par la fuite du requérant alors que les tortures avaient été portées à la connaissance des autorités avant son départ et qu’il était ainsi de leur responsabilité d’enquêter sur ces allégations sans délai.

5.9Concernant la demande de réparation, le requérant réitère que l’État partie a l’obligation, en vertu de l’article 14 de la Convention, de garantir au requérant le droit d’obtenir une réparation suffisante, effective et complète. Il nie avoir demandé une quelconque somme et précise qu’il s’est référé à la jurisprudence internationale en tant que source d’interprétation et de comparaison. Il affirme qu’il vit aujourd’hui encore dans une grande précarité du fait de son exil forcé et qu’il n’a toujours pas eu accès à des mesures de réhabilitation.

5.10Enfin, le requérant soutient la pertinence des mesures provisoire de protection octroyées par le Comité et rappelle que son statut de réfugié en Afrique du Sud ne protège pas sa famille restée au Burundi et que la situation actuelle s’est fortement dégradée dans ce pays,avec des tensions grandissantes et des conditions sécuritaires encore plus instables.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe5a de l’article22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité observe que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que le requérant n’aurait pas épuisé les recours internes.Après la plainte pour torture déposée le 12 juin 2007 auprès dumagistrat instructeur et la plainte formelle pour torture initiée le 27 juin 2007 auprès du Procureur de la République en mairie de Bujumbura, le requérant aurait disparu de la circulation, entravant ainsi la poursuite de l’instruction de son dossier judiciaire, car il était impossible pour le Procureur de la Républiquede mener des enquêtes efficaces aux fins d’obtenir la vérité sur ces tortures en l’absence de la prétendue victime. Le Comité prend note aussi de la position de l’État partie selon laquelle les voies de recours internes que le requérant prétend avoir utilisées ont été rendues inefficaces par lui-même et non par les autorités. Le Comité note que l’État partie n’a apporté aucune information ou aucun élément susceptible de permettre au Comité d’affirmer qu’une enquête a été ouverte, de mesurer les progrès de l’enquête et de juger de son efficacité potentielle, alors que neuf annéesse sont écoulées depuis que l’avocat du requérant a déposé les plaintes susmentionnées. Le Comité conclut que, dans ces circonstances, l’inaction des autorités compétentes a rendu improbable l’ouverture d’un recours susceptible d’apporter une réparation utile et qu’en tout état de cause les procédures internes ont déjà excédé les délais raisonnables. En conséquence, le Comité considère qu’il n’est pas empêché d’examiner la communication au titre du paragraphe 5 b de l’article 22 de la Convention.

6.3En l’absence d’obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité procède à l’examen quant au fond des griefs présentés par le requérant au titre des articles1, 2 (par. 1), 11, 12, 13, 14, 15 et 16 de la Convention.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la requête en tenant dûment compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

7.2Le Comité note les allégations du requérant selon lesquelles, le 4 mai 2007, il a été arrêté par des agents du SNR sans mandat d’arrêt et a étéemmené dans les locaux du SNR où il a été interrogé afin de témoigner contre l’ancien Président du CNDD-FDD et de reconnaître qu’il avait lui-même tenté de déstabiliser le parti au pouvoir. Le Comité a en outre noté les allégations du requérant, qui affirme qu’après qu’il ait nié son implication, il a été torturé pendant environ quatre heures par des agents et l’administrateur général du SNR qui se sont servis de matraques pour le frapper sur différentes parties du corps, en particulier le dos, le visage, les pieds et les organes génitaux, qui lui ont comprimé les parties génitales avec les mains et y ont attaché avec un fil électrique un bidon de cinq litres d’eau, qu’ainsi il a cédé aux pressions et a signé des aveuxsur son implication dans des tentatives de déstabilisation du parti au pouvoir, qu’il n’a reçu aucun soin médical, que les tortures ont occasionné des douleurs et souffrances aiguës et étaient infligées intentionnellement dans le but de lui extorquer des aveux. Le Comité prend note des preuves fournies, telles que les photos et l’attestation médicale qui correspondent au récit du requérant ainsi que les constatations des associations de défense des droits de l’homme qui lui ont rendu visite en détention.Le Comité note aussi que l’État partie n’a pas contesté le fait que des agents de l’État ont été impliqués et n’a pas apporté d’informations et de preuves pertinentes à l’encontre des faits, tels qu’ils ont été présentés par le requérant. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les allégations du requérant doivent être prises pleinement en considération et que les faits sont, tels que présentés, constitutifs de torture au sens de l’article 1 de la Convention.

7.3Le requérant invoque également le paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention, en vertu duquel l’État partie aurait dû prendre toutes les «mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction». Le Comité observe, en l’espèce, que le requérant a été battu, puis détenu pendant deux mois et vingt jours dans quatre endroits différents (les locaux du SNR, le Commissariat général de la police judiciaire, la prison de Gitega, à plus de 100km de son domicile, et la prison de Mpimba,àBujumbura)sans contactavec un avocat ou un médecin. Pendant sa détention par la police judiciaire, il a été frappé avec des fils électriques sur tout le corps par l’officier chargé de sa surveillance. Le Comité rappelle sesconclusions et recommandations, dans lesquelles il a incité l’État partie à prendre des mesures législatives, administratives et judiciaires effectives pour prévenir tout acte de torture et tout mauvais traitement, et à prendre des mesures urgentes pour que tout lieu de détention soit sous autorité judiciaire et pour empêcher ses agents de procéder à des détentions arbitraires et de pratiquer la torture. Au vu de ce qui précède, le Comité conclut à une violation du paragraphe1 de l’article2, lu conjointement avec l’article1 de la Convention.

7.4S’agissant des articles 12 et 13 de la Convention, le Comité a pris note des allégations du requérant selon lesquelles il a été détenu sans base légale du 4 au 17 mai 2007, date à laquelle il a été présenté devant unmagistrat instructeur et formellement inculpé de tentative d’assassinat. Bien qu’il ait déposé plainte le 27 juin 2007 devant le Procureur de la République avec copies au Procureur général de la République et au Procureur général près la cour d’appel de Bujumbura, que sa plainte ait été appuyée par des photos et une attestation médicale établie le 12 juin 2007 démontrant qu’il avait vraisemblablement été soumis à des actes de torture, que les faits aient été connus et rapportés par divers acteurs, que son avocat ait relancé la plainte pour torture le 15novembre 2012, aucune enquête n’a été menée neuf ans après les faits. Le Comité considère qu’un tel délai est manifestement abusif. Il rejette en outre l’argument de l’État partie, selon lequel l’absence de progrès dans l’enquête tient au manque de coopération du requérant, hors du pays. Le Comité rappelle l’obligation qui incombe à l’État partie, au titre de l’article12 de la Convention, qu’il soit immédiatement procédé à une enquête impartiale ex officio chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. En l’espèce, le Comité constate une violation de l’article 12 de la Convention.

7.5N’ayant pas rempli cette obligation, l’État partie a également manqué à la responsabilité qui lui revenait, au titre de l’article 13 de la Convention, de garantir au requérant le droit de porter plainte, qui présuppose que les autorités apportent une réponse adéquate à une telle plainte par le déclenchement d’une enquête prompte et impartiale. En outre, le Comité relève que le requérant et sa famille ont fait l’objet de menaces et que l’État partie n’a pas pris de mesures de protection du requérant à sa sortie de prison afin qu’il ne subisse pas d’intimidation à cause de ses démarches devant les autorités judiciaires. L’État partie n’a pas apporté d’information susceptible de réfuter cette partie de la communication. Le Comité conclut que l’article 13 de la Convention a également été violé.

7.6S’agissant des allégations du requérant au titre de l’article 14 de la Convention, le Comité rappelle que cette disposition reconnaît non seulement le droit d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate, mais impose aussi aux États parties l’obligation de veiller à ce que la victime d’un acte de torture obtienne une réparation. Le Comité rappelle que la réparation doit couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime et englober, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation ainsi que des mesures propres à garantir la non-répétition des violations, en tenant toujours compte des circonstances de chaque affaire.En l’espèce, le Comité a noté que le requérantaffirmait souffrir de traumatisme et de graves séquelles physiques des tortures, et que, notamment, il ne pouvait pas rester plus d’une heure debout sans avoir de fortes douleurs au dos. Pourtant, il n’a bénéficié d’aucune mesure de soin et de réhabilitation. Le Comité est d’avis que l’absence d’enquête diligentée de manière prompte et impartiale a privé le requérant de la possibilité de se prévaloir de son droit à la réparation, tel que prévu à l’article14 de la Convention.

7.7En ce qui concerne l’article 15, le Comité a pris note de l’allégation du requérant selon laquelle la procédure judiciaire à son encontre pour tentative d’assassinat avait été initiée sur la base de ses aveux forcés, comme attesté par une expertise médicale. L’État partie n’a pas apporté d’argument susceptible de contrer cette allégation. Le Comité rappelle que la généralité des termes de l’article 15 de la Convention découle du caractère absolu de la prohibition de la torture et implique, par conséquent, une obligation pour tout État partie de vérifier si des déclarations faisant partie d’une procédure pour laquelle il est compétent n’ont pas été faites sous la torture. En l’espèce, le Comité note que les déclarations signées sous la torture par le requérant ont servi de fondement à son accusation et de justification pour son maintien en détention durant deux mois et vingt jours (du 4 mai au 27 juillet 2007); que les sévices subis ont été confirmés par l’expertise d’un médecin ; que le requérant a été placé en liberté provisoire le 24 juillet 2007 pour manque de preuves matérielles; et qu’il a, par l’entremise de son conseil, contesté la force probante des aveux signés sous la torture, sans succès. Le Comité note que l’État partie ne réfute aucune de ces allégations et n’a pas non plus soumis dans ses observations au Comité une quelconque information à ce sujet et au sujet du classement sans suite de la procédure à l’encontre du requérant. Le Comité considère que l’État partie était dans l’obligation de vérifier le contenu des allégations de l’auteur selon lesquelles ses déclarations d’aveu avaient été obtenues sous la torture, même si le requérantétait absent du territoire national, et qu’en ne procédant pas à de telles vérifications et en utilisant de telles déclarations dans la procédure judiciaire contre lui, et dans laquelle il a été subséquemment placé en liberté provisoire, l’État partie a violé ses obligations au regard de l’article15 de la Convention.

7.8Pour ce qui est du grief tiré de l’article 16, le Comité a pris note des allégations du requérant selon lesquelles, au Commissariat général de la police judiciaire, il a partagé avec 10 personnes une cellule de 12 mètre carrés, sans fenêtre ni lumière et sans recevoir ni eau, ninourriture ni soins durant dix-sept jours. Il a dû boire l’eau des toilettes pour survivre, dormir à même le sol dans des conditions sanitaires déplorables et n’a pas eu accès à un médecin jusqu’au 12 juin 2007, malgré sa demande et son état de santé préoccupant. Il a en outre allégué avoir été dès le 3 juillet 2007 transféré au pénitencier de Mpimba, marqué par un état d’insalubrité et de surpopulation carcérale extrême et constante. Le requérant a également fait valoir que l’absence manifeste de tout mécanisme de contrôle sur le centre de détention du SNR, la prison centrale de Gitega et le pénitencier de Mpimba, où il a été détenu, l’a indubitablement exposé à un risque accru de subir des actes de torture. En l’absence de toute information pertinente de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité conclut que les faits révèlent une violation par l’État partie de ses obligations au titre de l’article16, lu conjointement avec l’article 11 de la Convention.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation des articles 2, paragraphe 1, lu conjointement avec l’article 1, 12, 13, 14, 15 et 16, luconjointement avec l’article 11 de la Convention.

9.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie à initier une enquête impartiale sur les évènements en question, dans le but de poursuivre en justice les personnes qui pourraient être responsables du traitement infligé à la victime, et à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises conformément aux constatations ci-dessus, y inclus une indemnisation adéquate et équitable, qui comprenne les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible.