Nations Unies

CAT/C/TGO/CO/3

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

27 août 2019

Original : français

Comité contre la torture

Observations finales concernant le troisième rapport périodique du Togo *

1.Le Comité contre la torture a examiné le troisième rapport périodique du Togo (CAT/C/TGO/3) à ses 1765e et 1768e séances (voir CAT/C/SR.1765 et 1768), les 26 et 29 juillet 2019, et a adopté les présentes observations finales à sa 1780e séance, le 7 août 2019.

A.Introduction

2.Le Comité remercie l’État partie d’avoir accepté la procédure simplifiée de présentation des rapports. Il accueille avec satisfaction la soumission du troisième rapport périodique de l’État partie, tout en regrettant que celui-ci ait été soumis avec deux ans de retard.

3.Le Comité se félicite du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation de l’État partie, et remercie cette dernière pour les réponses et compléments d’information apportés.

B.Aspects positifs

4.Le Comité note avec satisfaction que, depuis ses précédentes observations finales (CAT/C/TGO/CO/2), l’État partie a ratifié les instruments internationaux suivants, ou y a adhéré :

a)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, en 2014 ;

b)Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, en 2016.

5.Le Comité accueille également avec satisfaction l’adoption des mesures législatives et administratives suivantes par l’État partie pour donner effet à la Convention, notamment :

a)La loi organique no2018-006 du 20 juin 2018 relative à la composition, à l’organisation et au fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme, qui désigne cette dernière comme mécanisme national de prévention de la torture ;

b)La loi no2012-014 du 6 juillet 2012 portant Code des personnes et de la famille, modifiée par la loi organique no2014-019 du 17 novembre 2014 ;

c)La loi no2013-010 du 27 mai 2013 portant aide juridictionnelle au Togo ;

d)La loi nono2015-010 du 24 novembre 2015 portant nouveau Code pénal, modifiée par la loi no 2016-027 du 11 octobre 2016 ;

e)La loi no2015-005 du 28juillet 2015 portant statut spécial de la Police nationale ;

f)La loi no2016-008 du 21avril 2016 portant nouveau Code de justice militaire ;

g)Le décret no2013-013/PR du 6 mars 2013 portant réglementation du maintien et du rétablissement de l’ordre public ;

h)Le décret no2014-103/PR du 3 avril2014 modifiant le décret no2013‑040/PR du 24 mai2013 portant création du Haut-Commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale.

6.Le Comité accueille favorablement, en outre, la coopération de l’État partie avec les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions en suspens issues du cycle précédent

7.Au paragraphe 24 de ses précédentes observations finales, le Comité avait demandé à l’État partie de lui faire parvenir, au plus tard le 23 novembre 2013, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations suivantes : a) faire entrer en vigueur d’urgence le nouveau Code pénal et le nouveau Code de procédure pénale ; b) améliorer d’urgence les conditions de détention ; c) renforcer ou faire respecter les garanties juridiques auxquelles ont droit les détenus ; et d) poursuivre et punir les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements. À la lumière des informations reçues de l’État partie le 25 novembre 2013 au titre de la procédure de suivi (CAT/C/TGO/CO/2/Add.1), le Comité estime que ses recommandations n’ont été que partiellement mises en œuvre. Ces points sont traités au paragraphes 9, 11, 25, et 27 des présentes observations finales.

Définition et incrimination de la torture

8.Tout en rappelant le paragraphe 7 de ses précédentes observations finales ainsi que les recommandations du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT/OP/TGO/1, par. 109), et accueillant avec satisfaction l’adoption de la loi no2015-010 portant nouveau Code pénal et de la loi no 2016-027 la modifiant, lesquelles retiennent à l’article 198 une définition de la torture conforme à l’article premier de la Convention, en font une incrimination autonome et prévoient des peines proportionnées à la gravité de ces actes, le Comité demeure préoccupé par l’absence de dispositions prévoyant explicitement : a) la complicité ou la tentative de commettre des actes de torture ; et b) la responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques lorsqu’ils ont connaissance d’actes de torture ou de mauvais traitements commis par leurs subordonnés. Le Comité est en outre préoccupé par le délai d’adoption de l’avant-projet de Code de procédure pénale donnant effet à ces dispositions (art. 1 et 4).

9. L’État partie devrait :

a) Adopter les dispositions nécessaires, au sein du Code pénal, pour prévoir explicitement la complicité et la tentative concernant les actes de torture, conformément au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention, et pour assurer la responsabilité hiérarchique des supérieurs, que les actes aient été commis à leur instigation ou avec leur consentement explicite ou tacite ;

b) Prendre les mesures nécessaires afin d’assurer une large diffusion du Code pénal, sa vulgarisation et la sensibilisation des magistrats et des agents du ministère public à son contenu, afin d’assurer, en pratique, l’incrimination et la sanction des actes de torture ;

c) Adopter promptement l’avant-projet de Code de procédure pénale.

Garanties juridiques fondamentales

10.Tout en ayant pris connaissance avec satisfaction de l’avant-projet de Code de procédure pénale, le Comité demeure toutefois inquiet du vide juridique actuel qui prévaut, concernant les garanties fondamentales. En outre, rappelant le paragraphe 10 de ses précédentes observations finales, le Comité demeure préoccupé par le non-respect, en pratique, des garanties juridiques fondamentales lors de l’arrestation et de la détention, de l’aveu même de l’État partie dans son troisième rapport périodique. Le Comité s’inquiète d’allégations selon lesquelles les personnes arrêtées ne sont pas informées de leurs droits ; par ailleurs, en dépit de la garantie prévue à l’article 16 de la Constitution, le droit de consulter un avocat de son choix dès le début de la garde à vue demeure théorique, puisqu’il n’est pas traduit sur le plan procédural, de nombreuses personnes arrêtées se voyant dès lors interrogées et même jugées en l’absence d’un défenseur. Concernant les droits des prévenus, le Comité note en outre avec préoccupation que : a) dans les commissariats de police et les gendarmeries, leur droit de communiquer avec leur famille ne semble généralement pas garanti ; b) leur droit d’être examinés sans délai par un médecin est subordonné à une autorisation préalable du parquet ; et c) leur droit d’être présentés dans les plus brefs délais devant un tribunal indépendant et impartial devant statuer sur la légalité de leur détention n’est pas non plus respecté (art. 2).

11. Réitérant ses recommandations formulées au paragraphe 10 de ses précédentes observations finales, le Comité recommande à l’État partie :

a) D’adopter promptement le projet de loi relatif à l’organisation judiciaire ainsi que l’avant-projet de loi portant révision du Code de procédure pénale, en veillant à ce que ce dernier consacre toutes les garanties fondamentales lors de l’arrestation et de la détention ;

b) De garantir, en droit et en pratique, que les détenus puissent, dès le début de leur privation de liberté, être informés sans délai des accusations portées contre eux, informer un membre de leur famille ou une autre personne de leur choix de leur détention ou de leur arrestation, être assistés d’un défenseur dès leur arrestation, et voir leur privation de liberté consignée dans les registres à toutes les étapes ;

c) De garantir le droit des détenus à un examen médical indépendant, en révoquant la nécessité d’une autorisation préalable du parquet ;

d) De garantir le droit des détenus d’être présentés physiquement devant un juge à la fin de la garde à vue, et de c ontester la légalité de leur détention à tout moment de la procédure.

Durée maximale de la garde à vue

12.Le Comité demeure préoccupé par le non-respect des délais légaux de garde à vue, ainsi que par l’importance du nombre de gardes à vue prolongées arbitrairement, sans l’autorisation du Procureur de la République ou du juge chargé du ministère public, pourtant légalement nécessaire. Le Comité s’inquiète en outre des dispositions légales permettant la prolongation de la garde à vue jusqu’à huit jours, délai excessif en ce qu’il expose les prévenus à un risque élevé de torture ou de mauvais traitements (art. 2).

13. L’État partie devrait :

a) Prendre les mesures nécessaires, dont l’adoption du nouveau Code de procédure pénale, et s’assurer que la durée maximale de la garde à vue n’excède pas quarante-huit heures, renouvelable une fois dans des circonstances exceptionnelles dûment justifiées par des éléments tangibles ;

b) Veiller à ce que les procédures de prolongation des gardes à vue soient strictement respectées par les officiers de police et de gendarmerie, ainsi que par les autorités judiciaires qui ont la responsabilité d’exercer un contrôle effectif et régulier à cet égard.

Aide juridictionnelle

14.Tout en prenant note des efforts consentis par l’État partie pour fournir une assistance judiciaire à certains détenus démunis, le Comité relève avec préoccupation que la loi no 2013-010 portant aide juridictionnelle au Togo n’est pas appliquée, en l’absence d’un décret d’application. Le Comité s’inquiète dès lors de l’accès des personnes indigentes ou marginalisées à la justice pénale (art. 2).

15. L’État partie devrait adopter promptement un décret d’application relatif à la loi n o  2013-010, afin de garantir concrètement à tout justiciable dépourvu de moyens suffisants l’accès à un avocat dès son placement en garde à vue.

Détention préventive

16.Le Comité constate que depuis ses précédentes observations finales, dans lesquelles il avait invité l’État partie, au paragraphe 12, à accélérer la réforme de son système de justice pénale, de sorte à mettre en œuvre l’institution du juge des libertés et de la détention pouvant contribuer à la réduction du taux de détention préventive, la situation actuelle demeure tout aussi préoccupante, plus de 62 % des détenus étant en attente de jugement, par rapport à 37 % de condamnés, ce qui contribue directement à la surpopulation carcérale (art. 2).

17. L’État partie devrait :

a) Adopter promptement l’avant-projet de Code de procédure pénale, qui prévoit la nomination de juges des libertés et de la détention à même de statuer sur la mise en détention préventive et sur les demandes de liberté y relatives ;

b) Veiller au contrôle effectif de la détention préventive, en s’assurant que celle-ci respecte les dispositions fixant sa durée maximale, et qu’elle est aussi brève que possible, exceptionnelle, nécessaire et proportionnelle ;

c) Promouvoir activement, au sein des parquets et auprès des juges, le recours à des mesures de substitution à la détention préventive, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) ;

d) Réviser tous les dossiers des détenus en détention préventive, et libérer immédiatement tous ceux qui auraient déjà passé en détention plus de temps que ne le justifierait la peine de prison maximale dont est passible l’infraction qui leur est reprochée.

Administration de la justice

18.Tout en saluant les réformes législatives et institutionnelles engagées dans le domaine de l’administration de la justice togolaise, qui comprennent la construction des cours d’appel de Lomé et de Kara, la construction en cours du tribunal de première instance de Sokodé, la formation et le renforcement de l’effectif des magistrats ainsi que la réforme engagée du Conseil de la magistrature, le Comité s’inquiète de rapports faisant état d’une influence importante de l’exécutif dans la justice, se traduisant par des arrestations et détentions arbitraires d’opposants politiques, et de l’impunité des auteurs de ces crimes. Le Comité s’inquiète en outre du nombre insuffisant de magistrats sur le territoire national (241), des lenteurs du système judiciaire et de l’absence d’aide juridictionnelle (art. 2 et 13).

19. L’État partie devrait :

a) Garantir à tous les justiciables un accès effectif à la justice, en opérationnalisant le système d’aide juridictionnelle, en autorisant l’accès à un avocat et en renforçant les effectifs judiciaires ;

b) Veiller à la nomination des magistrats du siège et du parquet sur la base de critères objectifs et transparents, en préservant le fonctionnement du pouvoir judiciaire de toute ingérence.

Principe de non-refoulement

20.Tout en accueillant favorablement les nouvelles dispositions législatives consacrant le principe de non-refoulement, à savoir l’article 208 du Code pénal et l’article 20 de la loi no 2016-021 du 24 août 2016 portant statut de réfugié au Togo, le Comité est vivement préoccupé à la lumière d’allégations suggérant qu’en pratique, ce principe n’est pas respecté. En atteste l’exécution par les autorités judiciaires togolaises, en 2018, d’une demande d’extradition concernant Fulgencio Obiang Esono et Francisco Micha Obama, formulée par le Gouvernement équato-guinéen, en dépit de risques avérés de torture et de mauvais traitements. Faisant référence à son observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, le Comité rappelle à l’État partie qu’il incombait à ses autorités judiciaires et administratives compétentes d’examiner la demande de remise des deux intéressés de manière individualisée, et de s’abstenir de les expulser, nonobstant le mandat d’arrêt international les concernant, si un tel risque était avéré, le principe de non-refoulement étant absolu (art. 3 et 7).

21. L’État partie devrait garantir le respect absolu du principe de non-refoulement consacré dans sa législation et à l’article 3 de la Convention, et s’abstenir ainsi d’e xpulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture ou aux mauvais traitements. Les décisions de renvoi devraient faire l’objet d’un examen judiciaire au cas par cas, avec un droit d’appel suspensif. L’État partie devrait aussi faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements sur le nombre de personnes expulsées ou extradées, en précisant vers quels pays elles l’ont été, le nombre de décisions judiciaires infirmant ou annulant une expulsion en vertu du principe de non ‑ refoulement, et toute autre mesure pertinente prise. Il devrait également informer le Comité du suivi diplomatique qu’il a effectué dans l’affaire susmentionnée, le cas échéant .

Allégations de torture et de mauvais traitements

22.Rappelant les paragraphes 9 et 10 de ses précédentes observations finales, le Comité demeure préoccupé par les allégations de torture et de mauvais traitements en détention, notamment à l’égard de personnes retenues dans les commissariats de police et brigades de gendarmerie. Le Comité est particulièrement préoccupé par les allégations de torture et de mauvais traitements au sein des geôles du Service central de recherches et d’investigations criminelles, notamment sur des personnes arrêtées suite à leur participation à des manifestations ou à leur soutien aux revendications de l’opposition. À cet effet, le Comité accueille avec satisfaction l’intention de l’État partie, annoncée oralement dans le cadre du dialogue interactif avec le Comité, de lancer une enquête sur les pratiques du Service central de recherches et d’investigations criminelles, et lui saurait gré de lui faire part des conclusions de cette enquête (art. 2).

23. À la lumière des recommandations formulées par le Comité au paragraphe 9 de ses précédentes observations finales, l’État partie devrait :

a) Réaffirmer clairement l’interdiction absolue de la torture, en condamnant publiquement sa pratique ainsi qu’en vulgarisant et en diffusant le contenu du Code pénal ;

b) Donner des instructions claires aux responsables des forces de sécurité (police, gendarmerie et Service central de recherches et d’investigations criminelles) sur la prohibition absolue de la torture, sa pénalisation et le fait que les auteurs de tels actes seront poursuivis ;

c) Veiller, de fait, à ce que les autorités compétentes ouvrent systématiquement une enquête chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis, avec l’appui de la société civile pour la documentation de tels actes. Veiller également à ce que les suspects soient dûment traduits en justice et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes.

Conditions de détention

24.Le Comité demeure vivement préoccupé par la persistance de conditions de détention assimilables à des mauvais traitements dans la majorité des établissements du pays. Il s’inquiète de ce que le budget de l’administration pénitentiaire n’a bénéficié d’aucune augmentation depuis 2015, et relève l’insalubrité, le manque d’aération et de lumière, l’alimentation insuffisante − constituée d’un seul repas par jour − et le peu d’activités récréatives ou formatrices à visée de réhabilitation qui prévalent en détention. Le Comité déplore également l’absence de séparation effective entre catégories de détenus ainsi que le manque de personnel pénitentiaire qualifié, qui fait en sorte que les détenus sont livrés à eux-mêmes pour la surveillance et occasionne de la corruption et de la violence entre détenus. Tout en accueillant favorablement la mise en service de la nouvelle prison de Kpalimé, qui a permis de désengorger la prison de Lomé, le Comité demeure alarmé par le taux de surpopulation carcérale qui perdure dans l’ensemble des lieux de détention, le taux national d’occupation actuel étant de 182 %, en l’absence d’une politique carcérale globale qui s’attaque aux causes multiples de la surpopulation. À cet effet, le Comité regrette que les mesures de substitution à la détention consacrées dans le nouveau Code pénal ne puissent être appliquées, en l’absence d’un Code de procédure pénale. En outre, le Comité s’inquiète de l’absence de juge d’application des peines, le projet de loi sur l’organisation judiciaire devant encore être adopté par l’Assemblée nationale. Le Comité se préoccupe enfin du paiement forfaitaire de 200 francs CFA exigé de tout visiteur − à l’exception des détenteurs d’un « permis de communiquer » et des avocats −, qui pourrait s’apparenter à une mesure restrictive contrevenant aux règles 43, paragraphe 3, et/ou 58, paragraphe 1 b), de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela). Enfin, le Comité relève avec préoccupation que les locaux de garde à vue de la police et de la gendarmerie sont aussi caractérisés par l’insalubrité et l’absence de lumière, et que les personnes retenues n’y sont pas nourries (art. 2, 11 et 16).

25. Réitérant ses recommandations formulées au paragraphe 13 de ses précédentes observations finales, le Comité exhorte l’État partie à prendre promptement toutes les mesures qui s’imposent afin de rendre les conditions de détention, en prison et dans les lieux de garde à vue, conformes aux Règles Nelson Mandela, notamment :

a) Fermer définitivement et sans délai la prison de Lomé, et concevoir un plan général sur la situation des établissements pénitentiaires au Togo ;

b) Améliorer les conditions matérielles dans tous les autres lieux de privation de liberté, en veillant à ce que les prisonniers aient accès à une alimentation adéquate et suffisante, à des conditions sanitaires décentes et à une aération suffisante au sein des cellules, eu égard aux conditions climatiques ;

c) Réduire la surpopulation carcérale en privilégiant les mesures de substitution à la détention comme l’assignation à résidence sous surveillance et le contrôle judiciaire et, pour ce faire, adopter promptement le Code de procédure pénale et le projet de loi relatif à l’organisation judiciaire, de sorte à instaurer un juge d’application des peines  ;

d) Doter les établissements pénitentiaires de personnel − y compris médical − qualifié, formé et en nombre suffisant, adopter un règlement intérieur dans tous les lieux de détention et enquêter sur tous les cas de corruption et de privilèges, en sanctionnant les responsables ;

e) Abolir le paiement forfaitaire exigé des visiteurs de prison.

Impunité et enquêtes

26.Le Comité est vivement préoccupé par des informations faisant état d’une impunité face aux actes de torture et de mauvais traitements passés. Il relève, en particulier, l’absence d’ouverture d’enquêtes relatives aux événements survenus entre 2009 et 2012, période durant laquelle de nombreux actes de torture auraient été commis, notamment par des agents de l’Agence nationale de renseignement, malgré les recommandations de la Commission nationale des droits de l’homme en 2012, demeurées lettre morte. Il en est de même pour les événements liés aux violences post-électorales de 2005 : sur les 72 plaintes avec constitution de partie civile déposées par des victimes de tortures et de mauvais traitements, aucune n’a été instruite à ce jour par les juridictions nationales, et aucun responsable de ces crimes n’a été puni.Tout en prenant note des informations fournies oralement par l’État partie concernant deux plaintes en cours, le Comité est d’avis que la quasi-absence d’enquêtes et de poursuites pour des actes de torture contribue à créer et à entretenir une situation d’impunité (art. 2, 12 et13).

27. Réitérant ses recommandations formulées au paragraphe 11, alinéas a), d) et e), de ses précédentes observations finales, le Comité enjoint à l’État partie d’ouvrir une enquête concernant les actes de l’Agence nationale de renseignement et de mettre fin à l’impunité, en veillant à ce que toutes les personnes ayant commis des actes de torture soient systématiquement traduites en justice et sanctionnées conformément à la gravité de leurs actes.

Commission nationale des droits de l’homme et désignation du mécanisme national de prévention

28.Tout en accueillant avec satisfaction la loi organique no 2018-006 relative à la composition, à l’organisation et au fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme, qui désigne cette dernière comme mécanisme national de prévention de la torture au sens de l’article 3 du Protocole facultatif et la dote de la prérogative d’effectuer des visites régulières et inopinées de tous les lieux de privation de liberté, et prenant également note de la nomination des nouveaux membres pluridisciplinaires de ladite Commission, de leur récente prise de fonctions le 25 avril 2019 ainsi que des visites effectuées, et tout en appréciant les critères objectifs et la condition d’indépendance édictés à l’article 8 de la loi organique précitée, le Comité s’inquiète de la perception de manque d’indépendance effective de certains membres actuels de la Commission, fonctionnaires de l’État. Le Comité s’inquiète en outre de ce que le budget de la Commission n’a pas été augmenté de sorte à refléter ses nouvelles attributions comme mécanisme national de prévention, et de ce que sa dotation budgétaire annuelle consiste en une subvention, discutée d’année en année par arbitrage et qui demeure donc aléatoire, ce qui soulève des questions quant à son autonomie de gestion, à son indépendance effective et à sa capacité à mener à bien son mandat de mécanisme national de prévention (art. 2).

29. Le Comité recommande à l’État partie de garantir la pleine indépendance des membres de la Commission nationale des droits de l’homme, d’un point de vue personnel et institutionnel, et de doter cet organisme des ressources financières, humaines et matérielles suffisantes et prévisibles, lui permettant de remplir pleinement ses fonctions d’institution nationale et de mécanisme national de prévention de manière indépendante, impartiale et efficace.

Violences contre les femmes et les filles

30.Tout en accueillant avec satisfaction les dispositions du nouveau Code pénal qui, en ses articles 212 et 232, définit, criminalise et punit les violences fondées sur le genre, y compris les violences domestiques et le viol conjugal, et saluant en outre l’adoption du Code des personnes et de la famille, la mise en œuvre d’une stratégie nationale de lutte contre les violences fondées sur le genre en 2012, ainsi que la mise en place de nombreux programmes de sensibilisation, le Comité regrette qu’en pratique, de nombreuses femmes togolaises demeurent victimes de violences. Il en est ainsi des victimes de mariages forcés et précoces, et de la pratique encore existante des mutilations génitales féminines, en dépit de l’adoption de la loi no 98-016 du 17 novembre 1998 portant interdiction des mutilations génitales féminines au Togo et des vastes efforts de sensibilisation menés à cet égard. Tout en remerciant l’État partie pour la fourniture de statistiques relatives aux condamnations entre 2016 et 2019, le Comité regrette que ces données n’aient pas été ventilées par âge, origine ethnique, nationalité, région, type de plainte et juridiction ayant prononcé la condamnation, de sorte à déterminer les causes profondes de cette violence et à concevoir des stratégies propres à les empêcher et à les circonscrire (art. 2 et16).

31. L’État partie devrait :

a) Assurer la mise en œuvre effective des dispositions pertinentes du Code pénal réprimant les violences fondées sur le genre, et mener des enquêtes approfondies sur tous les cas, afin que leurs auteurs soient poursuivis et dûment punis et que les victimes obtiennent réparation ;

b) Dispenser à tous les agents des forces de l’ordre et du système judiciaire une formation obligatoire concernant les poursuites à engager en cas de violence sexiste, et poursuivre les campagnes de sensibilisation engagées ;

c) Garantir que toutes les victimes de violence sexiste ont accès à un abri et reçoivent les soins médicaux, l’accompagnement psychologique et l’aide juridictionnelle dont elles ont besoin ;

d) Poursuivre les efforts engagés en vue de l’éradication totale des mutilations génitales féminines.

Violences à l’égard des enfants

32.Faisant référence à ses précédentes observations finales, le Comité s’inquiète de ce qu’en dépit des articles353 à 356 et376 du Code de l’enfant, qui incriminent les châtiments corporels à l’égard des enfants dans tous les milieux et contextes, de nombreux enfants demeurent victimes de maltraitance multiforme au quotidien, et exposés à diverses pratiques préjudiciables tels les mariages forcés et précoces, ou à des accusations de sorcellerie. Prenant note des conclusions récentes de la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences, sur sa visite au Togo du 27 au 31 mai 2019,le Comité est vivement préoccupé par le phénomène d’exploitation d’enfants, nombre d’entre eux travaillant comme domestiques, porteurs ou vendeurs dans les marchés, exerçant les pires formes de travail dans l’agriculture, ou étant livrés à l’exploitation sexuelle et à la prostitution, malgré les dispositions du nouveau Code pénal, dont l’article317 définit et réprime les différentes formes de traite des personnes, et l’article 338, qui réprime et sanctionne le travail forcé (art.2, 11 à 14 et16).

33. L’État partie devrait :

a) Introduire, par voie législative, une prohibition expresse et globale de toutes les formes de violence à l’encontre des enfants, dans quelque cadre que ce soit ;

b) Appliquer les dispositions législatives pertinentes existantes, et engager des enquêtes et des poursuites systématiques lorsque des cas suspectés de maltraitance contre des enfants, y compris de violence sexuelle ou d’exploitation, sont avérés, afin d’en punir les auteurs et de fournir des réparations aux victimes, y compris des mesures de réhabilitation et des soins de santé qui comprennent un soutien psychologique ;

c) Mettre fin au phénomène de servitude domestique, en créant des mécanismes de surveillance efficaces, et veiller à assurer la collecte efficace et systématique de signalements, d’enquêtes et de condamnations ;

d) Poursuivre les programmes de sensibilisation et de formation engagés en matière de protection de l’enfance auprès des instituteurs ainsi que des chefs traditionnels et religieux.

Défenseurs des droits de l’homme, répression de manifestations et usage excessif de la force

34.Le Comité est fortement préoccupé par les informations reçues, faisant état d’atteintes répétées contre des opposants politiques et défenseurs des droits de l’homme cherchant à exercer leur droit à la liberté d’association ou d’expression, qui auraient été régulièrement soumis à des actes de torture ou de mauvais traitements dans des lieux de garde à vue ou de détention, suite à des arrestations et détentions arbitraires. Tout en prenant note des efforts récents consentis par l’État partie pour observer les manifestations publiques et veiller à leur bon déroulement, le Comité déplore le recours par les forces de l’ordre à un usage excessif et disproportionné de la force lors de manifestations publiques pacifiques, en dépit du cadre législatif entourant l’exercice de la liberté de réunion et de manifestation pacifiques. Le Comité relève avec inquiétude que le 28 février 2018, les forces de l’ordre auraient tiré à balles réelles pour disperser des manifestants qui s’étaient rassemblés spontanément à Lomé afin de dénoncer la hausse de prix des produits pétroliers, occasionnant la mort d’une personne et plusieurs blessés. Tout en accueillant favorablement les enquêtes ouvertes en lien avec les manifestations de 2017, le Comité engage l’État partie à en accélérer le cours et à lui en communiquer les résultats. Enfin, le Comité est alarmé à la lecture de rapports faisant état d’intimidations, d’arrestations et de détentions arbitraires de défenseurs des droits de l’homme. Ainsi, en août 2017, plusieurs d’entre eux, membres des mouvements Nubueke et En aucun cas, ou encore du Front citoyen Togo debout, auraient été victimes de menaces, d’agressions, d’intimidations, de détentions arbitraires et, pour certains, de torture et de mauvais traitements (art. 2, 12, 13 et 16).

35. L’État partie devrait instamment :

a) Libérer toutes les personnes qui demeureraient détenues pour avoir défendu une opinion ou manifesté pacifiquement, et garantir une indemnisation aux victimes de détentions arbitraires ;

b) Garantir la protection des opposants politiques, des défenseurs des droits de l’homme et des autres représentants de la société civile contre les actes d’intimidation et de violence auxquels ils pourraient être exposés du fait de leurs activités ;

c) Veiller à ce que des enquêtes impartiales et effectives soient menées sans délai sur toute allégation d’usage excessif de la force, de torture, de mauvais traitements ou d’exécution extrajudiciaire visant des opposants politiques, des défenseurs des droits de l’homme et des membres d’organisations de la société civile , et engager les poursuites qui s’imposent.

Formation sur les dispositions de la Convention

36.Tout en accueillant favorablement les efforts consentis par l’État partie pour la sensibilisation et la formation des forces de l’ordre, notamment la police judiciaire et les gendarmes, en matière de droits de l’homme, y compris de prévention de la torture, selon les informations communiquées oralement par l’État partie, le Comité déplore que ces programmes ne prévoient ni enseignement ni instructions particulières sur les dispositions de la Convention elle-même. Tout en accueillant favorablement, par ailleurs, l’information selon laquelle les médecins militaires bénéficient d’une formation qui inclut les expertises médico-légales, prenant en compte les directives relatives à la détection des séquelles de torture ou de mauvais traitements fondées sur les normes définies dans le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), le Comité note qu’une telle formation n’est pas étendue à l’ensemble des acteurs susceptibles d’interagir avec des personnes privées de leur liberté (art. 10).

37. L’État partie devrait renforcer ses programmes de formation à l’intention de l’ensemble des acteurs susceptibles d’intervenir dans la surveillance, l’interrogatoire ou le traitement des personnes privées de liberté (policiers, gendarmes, magistrats et personnel pénitentiaire), en veillant à y incorporer des modules de formation continue relatifs aux dispositions de la Convention, aux techniques d’enquête non coercitives et au Protocole d’Istanbul. L’État partie devrait également mettre en place des méthodes permettant d’évaluer l’efficacité de ses formations.

Réparation

38.Tout en accueillant favorablement les indemnisations consenties par l’État partie aux victimes de torture, en application de la décision de la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, et prenant également note de l’établissement du Haut-Commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale, chargé, entre autres, de la mise en œuvre du programme de réparation élaboré par la Commission vérité, justice et réconciliation, le Comité s’inquiète de ce que le Code pénal, en ses articles199, 202 et 204, n’envisage la réparation que sous forme d’indemnisation pécuniaire, au lieu d’intégrer l’ensemble des modalités de réparation prévues par l’article14 de la Convention. Le Comité regrette également l’absence de données chiffrées sur les demandes en réparation concernant des actes de torture ou de mauvais traitements, celles qui ont abouti ainsi que les mesures de réadaptation accordées (art. 14).

39. Le Comité rappelle son observation générale n o  3 (2012) sur l’application de l’article 14 et invite l’État partie :

a) À prendre les mesures législatives et administratives nécessaires pour garantir que les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements ont accès à des recours utiles et peuvent obtenir réparation, y compris dans les cas où leur auteur n’aurait pas été identifié ;

b) À évaluer pleinement les besoins des victimes et à faire en sorte que des services spécialisés de réadaptation soient rapidement disponibles ;

c) À fournir au Comité, dans son prochain rapport périodique, des informations détaillées sur les cas où d es victimes d’actes de torture et de mauvais traitements ont eu accès à des recours utiles et obtenu réparation.

Procédure de suivi

40. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir au plus tard le 9 août 2020 des renseignements sur la suite qu’il aura donnée à ses recommandations concernant la réforme de son système judiciaire − en particulier l’adoption de la loi relative à l’organisation judiciaire ainsi que le Code de procédure pénale − , la situation des personnes en détention préventive, les instructions relatives à la prohibition absolue de la torture et la fermeture de la prison de Lomé ( voir paragraphes 11 a), 17 d), 23 b) et 25 a) ) . Dans ce contexte, l’État partie est invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, d’ici à la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

41. Le Comité invite l’État partie à étudier la possibilité de ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie.

42. L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales, et à informer le Comité de ses activités de diffusion.

43. Le Comité prie l’État partie de soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le quatrième, le 9 août 2023 au plus tard. À cette fin, et compte tenu du fait que l’État partie a accepté d’établir son rapport selon la procédure simplifiée, le Comité lui adressera en temps voulu une liste préalable de points à traiter. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront le quatrième rapport périodique qu’il soumettra en application de l’article 19 de la Convention.