Nations Unies

CCPR/C/98/D/1616/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

10 mai 2010

Français

Original: espagnol

C omité des droits de l ’ homme

Quatre-vingt-dix-huitième session

8-26 mars 2010

Décision

Communication no 1616/2007

Présentée par:

Hernando Manzano, Maria Cristina Ocampo de Manzano et Belisario Deyongh Manzano (représentés par un conseil, Carlos Julio Manzano)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Colombie

Date de la communication:

3 août 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 15 novembre 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

19 mars 2010

Objet:

Non-respect des garanties d’une procédure régulière lors du procès à l’issue duquel les auteurs ont été condamnés

Questions de procédure:

Griefs non étayés

Questions de fond:

Droit d’être jugé par un tribunal impartial

Article du Pacte:

14 (par. 1)

Article du Protocole facultatif:

2

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-huitième session)

concernant la

Communication no 1616/2007**

Présentée par:

Hernando Manzano, Maria Cristina Ocampo de Manzano et Belisario Deyongh Manzano (représentés par un conseil, Carlos Julio Manzano)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Colombie

Date de la communication:

3 août 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 mars 2010,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication, en date du 18 juillet 2007, sont Hernando Manzano, Maria Cristina Ocampo de Manzano et Belisario Deyongh Manzano, tous de nationalité colombienne. Ils se déclarent victimes de violations par la Colombie du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. Les auteurs sont représentés par un conseil, Carlos Julio Manzano.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1MM. Manzano et Deyongh avaient depuis 1984 un cabinet d’avocats à Barranquilla. Une partie de leurs clients étaient des employés de l’entreprise publique Puertos de Colombia (Colpuertos), qui possédait et gérait toutes les installations portuaires du pays. Par la loi no 01 de 1991, l’État a mis l’entreprise en liquidation et a vendu tout l’actif à des acheteurs du secteur privé, prenant à sa charge le paiement du passif, sur le budget national. Par le décret no36 de 1992, il a créé un fonds de passif social (Foncolpuertos) chargé de procéder aux paiements dus par Colpuertos. La loi no 01 de 1991 prévoyait que les sociétés portuaires privées qui seraient créées pour acheter les installations portuaires pourraient contribuer au règlement de la dette, mais cela n’a jamais été le cas.

2.2Foncolpuertos a commencé à fonctionner le 1er janvier 1993. À cette époque, le cabinet des auteurs avait, parmi ses clients, une centaine de retraités de Colpuertos qui s’étaient adressés à lui parce qu’il commençait à y avoir du retard dans le paiement de leurs pensions. Lorsque Foncolpuertos a entrepris de régler les dettes laissées par Colpuertos, le retard des paiements n’a cessé d’augmenter, ce qui a obligé des milliers de retraités à faire appel en masse à des avocats. En 1998, le cabinet de M. Manzano avait quelque 5 000 clients, qui avaient librement et spontanément donné pouvoir aux avocats pour les représenter en justice aux fins d’obtenir le paiement de leurs mensualités de retraite. À cette époque, le passif de Foncolpuertos était liquidé exclusivement par des fonds publics, sans contribution des sociétés portuaires, ce qui a généré un problème budgétaire important. Les actions en justice étaient traitées par des juridictions prud’homales spécialement créées à cette fin, qui tentaient le cas échéant des conciliations avec les délégations de l’Inspection du travail relevant du Ministère de la sécurité sociale.

2.3Les auteurs affirment qu’au vu du déficit budgétaire ainsi créé, l’État, pour ne plus avoir à payer les pensions, a entrepris de persécuter aveuglément tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, défendaient les retraités. Début 1999, le sénateur Jaime Vargas, opposant politique de la famille Manzano, a dépêché son assistant auprès des juridictions prud’homales de la ville de Barranquilla pour qu’il examine les dossiers de M. Manzano. Après cette visite, la Fiscalía General (ministère public) a ouvert, sans aucune raison, une enquête préliminaire sur les dossiers traités par les auteurs. En août 1999, au cours d’une séance officielle du Parlement, le sénateur Vargas a nommément identifié un certain nombre de personnes qui s’employaient à obtenir le paiement des mensualités de retraite dues par Foncolpuertos, et a demandé à la Fiscalía d’enquêter à leur sujet; parmi ces personnes figuraient, entre autres, des juges, des greffiers, des inspecteurs du Bureau du travail, des directeurs du fonds et des avocats. Hernando Manzano figurait aussi sur la liste. Le 13 octobre 1999, il a été arrêté sur ordre de la Fiscalía et sommé d’expliquer certaines irrégularités qui auraient été constatées lors de la procédure engagée contre lui le 14 avril 1999. En dépit des explications qu’il a fournies, il a été inculpé au pénal par la Fiscalía. Au même moment, un groupe de ses clients a porté plainte contre lui devant la juridiction pénale ordinaire, lui réclamant le paiement de sommes plus importantes que celles qui avaient été convenues dans leurs mandats de représentation. Ces procédures ont été conclues en faveur de M. Manzano.

2.4Les personnes figurant sur la liste «Vargas» ont été jugées non par une juridiction ordinaire mais par une juridiction spéciale établie par le Conseil supérieur de la magistrature dans sa décision no 1799 du 14 mai 2003 pour connaître exclusivement des actions pénales dans l’affaire de la liquidation de Colpuertos et du mandat de Foncolpuertos. Cette juridiction spéciale se composait de deux chambres pénales de première instance (juges de circuit) et d’une chambre de deuxième instance (Tribunal supérieur de la circonscription judiciaire de Bogota), toutes basées dans la capitale. La décision no 1799 était fondée sur l’article 63 de la loi statutaire no 270 de 1996 relative à l’administration de la justice, qui définit les mesures à prendre pour réduire l’arriéré judiciaire. L’affaire concernant les auteurs aurait dû être confiée à la juridiction pénale de Barranquilla, puisque les faits allégués avaient eu lieu dans cette ville, et que c’est là également qu’étaient domiciliés les intéressés. Elle a cependant été examinée par la chambre de première instance no 1 de la juridiction spéciale, qui, le 24 septembre 2004, a condamné les auteurs pour fraude aggravée, en tant que coauteurs matériels, et pour détournement de fonds publics au profit de tiers, prévarication, falsification matérielle de document public par un agent public et falsification intellectuelle de document public, en tant qu’auteurs intellectuels. La peine prononcée était un emprisonnement de douze ans et demi assorti d’une privation des droits civiques et de l’interdiction d’exercer une charge publique pendant dix ans, et une amende. Les auteurs ont formé un recours en appel, qui a été examiné le 31 mai 2005 par le Tribunal supérieur de la circonscription judiciaire de Bogota (chambre pénale de désencombrement des affaires Foncolpuertos). Ce tribunal les a acquittés du chef d’escroquerie aggravée et a ramené leur peine à huit ans et un mois d’emprisonnement, avec amende et interdiction d’exercer leurs droits civiques et des charges publiques pendant une durée équivalente, considérant qu’ils étaient pénalement responsables, en tant qu’auteurs intellectuels, de détournement de fonds publics au profit de tiers, de prévarication, de falsification matérielle de document public par un agent public et de falsification intellectuelle de document public.

2.5Les auteurs se sont pourvus en cassation devant la Cour suprême. Par une décision en date du 27 mars 2007, celle-ci a déclaré que l’action publique était prescrite relativement aux chefs d’escroquerie, prévarication, et falsification matérielle et intellectuelle de document public par un agent public. Toutefois, elle n’a rien dit au sujet du chef de détournement de fonds. Après avoir examiné les moyens de cassation invoqués par les auteurs, lesquels contestaient notamment la compétence des organes judiciaires qui les avaient condamnés du fait que ceux-ci avaient été établis postérieurement aux faits en cause, la Cour a rejeté le pourvoi le 9 avril 2007. Au sujet du défaut de compétence, elle a estimé, entre autres, que les requérants n’avaient pas démontré en quoi les garanties procédurales avaient effectivement été restreintes pendant leur procès ni de quelle manière les règles avaient été modifiées de sorte que leurs droits s’en soient trouvés restreints, et elle a rappelé que la création des organes judiciaires en question par la Chambre administrative du Conseil supérieur de la magistrature trouvait son fondement juridique dans les articles 25 et 63 de la loi no 270 de 1996.

2.6Les auteurs ont également formé un recours en révision, en demandant que l’action publique soit déclarée prescrite relativement au chef de détournement de fonds. Ce recours a été rejeté par la Cour suprême le 20 avril 2007.

2.7Les auteurs affirment que la procédure judiciaire leur a valu d’être menacés par la guérilla, ce qui les a obligés à quitter le pays. Tous leurs biens ont été saisis en application de leur condamnation.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs affirment être victimes d’une violation du droit à une procédure régulière, tel qu’énoncé au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, pour les raisons suivantes:

1)Ils ont été jugés, en première et deuxième instance, par des juridictions spécialement établies en 2003 pour connaître des actes qui leur étaient reprochés, et nécessairement partiales puisqu’elles étaient formées de juges qui adhéraient aux accusations injustes de la Fiscalía. Cela était contraire à l’article 6 du Code de procédure pénale, qui dispose que nul ne peut être jugé autrement que par le juge ou le tribunal qui était compétent antérieurement aux faits en cause. En l’espèce, les juridictions ont été créées pour une période temporaire de quatre mois, et continuent encore de fonctionner. Les auteurs affirment avoir dénoncé cette situation devant la juridiction pénale, mais leur plainte n’a jamais été examinée;

2)Les faits qui leur sont reprochés n’étaient pas constitutifs du délit de «détournement de fonds» pour lequel ils ont été condamnés. Le détournement de fonds est défini par le Code pénal colombien comme «le fait, pour un agent de la fonction publique, de s’approprier pour son profit personnel ou au profit d’un tiers de biens appartenant à l’État ou à des entreprises ou institutions semi-publiques, ou de biens ou fonds parafiscaux, ou de biens privés dont l’administration ou la garde lui a été confiée du fait de ses fonctions». Les auteurs font valoir que deux des principaux éléments constitutifs du délit n’existaient pas dans leur cas: la qualité d’agent de la fonction publique et le profit. Ils n’étaient pas des agents de la fonction publique, mais de simples avocats en exercice qui, en outre, étaient engagés dans des procédures contre l’État. Leur rôle se limitait à exiger le paiement des pensions dues à un groupe de retraités, pensions dont l’État était responsable et qu’il n’avait pas payées. Quant au «profit», tant la Fiscalía que les juges ont reconnu tout au long de la procédure que les honoraires perçus par les avocats étaient totalement légaux et à la charge de leurs mandants, ce qui exclut qu’il y ait eu profit illicite;

3)En raison de retards injustifiés dans la procédure, causés par les autorités judiciaires en charge de l’affaire, l’action publique s’est éteinte le 22 avril 2006. Cependant, lorsqu’elle a rejeté le pourvoi en cassation le 20 avril 2007, la Cour suprême a déclaré la prescription d’une partie seulement de la procédure, s’abstenant de se prononcer sur le délit de détournement de fonds;

4)L’administration de la preuve a été entachée de multiples erreurs. Notamment, la Fiscalía accusait les auteurs d’avoir touché des sommes correspondant à des dettes de l’État au nom de personnes dont ils n’auraient pas été mandataires. Les auteurs affirment qu’ils possédaient la copie de certains pouvoirs donnés par leurs clients, mais pas de tous, car la Fiscalía les avait emportés lors de la perquisition au cabinet. Pour démontrer qu’ils étaient bien mandatés par leurs clients, ils ont demandé une vérification judiciaire des notices biographiques de ces derniers, détenues par Foncolpuertos. Cependant, à cause de la négligence des juges instructeurs, il a seulement été demandé à cette entité de certifier l’existence des personnes en question. Foncolpuertos n’a jamais envoyé la certification requise, et la preuve demandée par les auteurs n’a donc pas été produite devant le juge. Au vu de cette absence de preuve, le juge a fondé ses conclusions sur une inexactitude, à savoir la prétendue inexistence des pouvoirs, ce qui a donné lieu à un déni de justice. Les rares clients que les juges, sur l’insistance des auteurs, ont accepté d’écouter, ont confirmé qu’ils avaient bien donné aux auteurs le pouvoir de les représenter.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Dans une note verbale du 16 janvier 2008, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication, faisant valoir que celle-ci devait être déclarée irrecevable.

4.2L’État partie relève que la communication a été présentée par Carlos Julio Manzano au nom de son frère, en vertu d’un pouvoir conféré par le mandataire général de celui-ci, ainsi qu’au nom de sa mère, Maria Cristina Ocampo de Manzano, et de son cousin, Belisario Deyongh Manzano. Cependant, le conseil n’a présenté aucun pouvoir de ces derniers, au motif que l’on ignorerait où ils se trouvent. L’État partie considère que la communication doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif, étant donné que Carlos Julio Manzano n’a pas capacité pour agir au nom de ces deux personnes et n’a pas apporté la preuve de l’impossibilité dans laquelle elles se trouveraient de présenter la plainte en leur nom propre.

4.3L’État partie explique que les chambres dites de désencombrement sont mises en place pour garantir une justice rapide, effective et efficace. Elles ont un caractère transitoire, puisque leur finalité est de résoudre un problème d’arriéré judiciaire et de garantir ainsi le service que l’administration de la justice est tenue de fournir. Les chambres de désencombrement sont établies en application de l’article 63 de la loi statutaire de 1996 relative à l’administration de la justice, qui habilite la Chambre administrative du Conseil supérieur de la magistrature à créer, à titre transitoire, des postes de juges et magistrats d’instruction ou de jugement. En outre, le paragraphe 2 de l’article 257 de la Constitution dispose que la Chambre administrative du Conseil supérieur de la magistrature a pour fonction de créer, supprimer, fusionner ou déplacer les postes de l’administration de la justice.

4.4En l’occurrence, les chambres de désencombrement ont été établies pour remédier à la paralysie des procédures pénales engagées devant les tribunaux de première instance (juges de circuit) dans tout le pays en relation avec les délits commis par Foncolpuertos. Leur création était motivée également par l’importance de cette affaire et le montant astronomique des fonds publics engagés, qui justifiait l’ouverture d’enquêtes, ainsi que par la nécessité d’assurer une administration de la justice rapide et satisfaisante. Le 20 mai 2004, la première chambre du Conseil d’État a statué sur une requête en annulation introduite contre les décisions par lesquelles la Chambre administrative du Conseil supérieur de la magistrature avait établi les chambres de désencombrement. Le Conseil d’État a considéré que la création de ces chambres avait été motivée par l’arriéré judiciaire des juridictions prud’homales de première instance de Barranquilla, Cartagena, Santa Marta Buenaventura, Tumaco et Bogota, et de la chambre d’appel prud’homale de Barranquilla. Il a considéré également que c’était la disposition juridique de rang supérieur (l’article 63 de la loi de 1996), et non les décisions contestées, qui prévoyait la possibilité légale de modifier − aux fins de désencombrer les organes judiciaires − les règles régissant la compétence. La Cour constitutionnelle a vérifié la constitutionnalité de cette disposition et déclaré celle-ci applicable, dans son arrêt C-037 de 1996.

4.5L’État partie fait valoir également que la communication doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, étant donné que les auteurs demandent au Comité d’agir comme une quatrième instance et de réexaminer des faits et des preuves déjà examinés par les juridictions nationales, pour essayer de se soustraire à l’exécution de leur sanction pénale, ainsi qu’à celle de leur sanction pécuniaire par saisie de leurs biens.

4.6Dans une note verbale du 20 mai 2008, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication. Se référant aux allégations des auteurs sur la partialité des juges, il fait valoir qu’aucun élément de preuve n’a été apporté à l’appui de ce grief. Celui-ci n’a pas non plus été porté devant les juridictions nationales. La procédure judiciaire a été conduite dans le respect total des droits de la défense, et a d’ailleurs abouti à une déclaration de prescription de l’action publique relativement aux chefs d’escroquerie aggravée, prévarication et falsification matérielle et intellectuelle de document public par un agent public.

4.7Les auteurs prétendent qu’il y a eu violation de l’article 14 du Pacte, parce que des retards injustifiés dans la procédure ont entraîné la prescription des actes incriminés, mais la Cour suprême a conclu à cette prescription uniquement en ce qui concerne les délits de falsification et de prévarication, et non au sujet du détournement de fonds. L’État partie considère que la garantie prévue par la disposition invoquée est renforcée par celle contenue à l’article 9 du Pacte, qui consacre le droit de tout détenu d’être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. Étant donné qu’ils n’ont jamais été arrêtés et sont toujours recherchés par la justice colombienne, MM. Manzano et Deyongh ne peuvent pas prétendre qu’ils ont subi une attente injustifiée avant d’être jugés, d’autant plus que l’action publique a été déclarée prescrite relativement aux chefs d’escroquerie aggravée, de prévarication et de falsification matérielle et intellectuelle de document public par un agent public, afin de garantir aux accusés que leur situation au regard de la loi soit claire et qu’ils ne restent pas sous le coup de ces accusations. L’État partie conclut que les arguments des auteurs sont dénués de fondement et qu’il n’y a pas eu violation du Pacte.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans leurs commentaires datés du 21 octobre 2008, les auteurs font valoir que la communication doit être jugée recevable. Au sujet de l’absence de pouvoirs conférés au conseil par Maria Cristina Ocampo de Manzano et Belisario Deyongh Manzano, ils indiquent que ces derniers ont chacun signé un document, qui a été remis au Comité, dans lequel ils donnent pouvoir au conseil pour saisir le Comité en leur nom et adhèrent aux démarches déjà entreprises.

5.2En ce qui concerne la légalité des organes judiciaires chargés de s’occuper des procédures concernant Foncolpuertos, les auteurs font valoir que la loi statutaire de 1996 relative à l’administration de la justice, au titre de laquelle ces organes ont été créés, ne respecte pas le principe du juge compétent et est donc contraire à l’article 14 du Pacte. En outre, l’article 11 du Code de procédure pénale, qui établit le principe de la préexistence du juge compétent, dispose que «nul ne peut être jugé autrement que par le juge ou le tribunal qui était compétent antérieurement aux faits en cause». Les auteurs ajoutent que la presse, qui a considérablement desservi l’intérêt de la justice, n’a pas été exclue de tous les procès. Les médias ont présenté les accusés comme étant d’emblée coupables, et l’on a donc cherché des juges susceptibles d’adhérer aux accusations formulées par la Fiscalía. Faute d’en trouver, on a créé une juridiction spéciale qui établisse la culpabilité réclamée à cor et à cri par certains groupes politiques et la presse.

5.3Les auteurs résidaient à Barranquilla et les faits examinés ont eu lieu dans cette ville. Par conséquent, les juges compétents pour conduire l’enquête étaient les juges de circuit de Barranquilla, en première instance, et ceux du tribunal supérieur de cette circonscription judiciaire, en deuxième instance. Or, les affaires ont été examinées par des organes judiciaires situés à Bogota, à 1 000 kilomètres de là. Cela est contraire aux articles 85 à 88 du Code de procédure pénale, qui fixent des critères pour tout changement de compétence territoriale à l’égard d’une procédure pénale.

5.4Selon les auteurs, l’article 63 de la loi no 270 ne permet aucunement à la Chambre administrative du Conseil supérieur de la magistrature de transférer une procédure d’une ville à l’autre, en modifiant la compétence territoriale. Il ne lui permet pas davantage d’établir des tribunaux, qu’ils soient unipersonnels ou collégiaux, postérieurement aux faits examinés. Le Conseil peut seulement instaurer des postes de juge (et non des tribunaux), toujours à titre transitoire, et dans les limites de la compétence territoriale du juge préexistant. Les auteurs indiquent que les projets de loi statutaire no 286 de 2007 de la Chambre des représentants et no 023 de 2006 du Sénat «portant réforme de la loi statutaire no 270 de 1996 relative à l’administration de la justice» visaient à modifier le Code de procédure pénale et le Code pénal de façon à introduire de nouvelles règles concernant la compétence en matière de détermination du for juridique, en prévoyant d’attribuer cette compétence au Conseil supérieur de la magistrature et aux conseils départementaux de la magistrature, et non plus à la Cour suprême et aux tribunaux supérieurs de circonscription judiciaire. Selon eux, cela prouve que le Conseil supérieur de la magistrature n’avait pas cette compétence avant l’élaboration des projets de loi. La réforme proposée a toutefois été déclarée contraire à la Constitution, par un arrêt de la Cour constitutionnelle en date du 15 juillet 2008.

5.5Sur le fond, les auteurs renvoient à la décision de la première chambre du Conseil d’État en date du 20 mai 2004, mentionnée par l’État partie, dans laquelle il est établi que la création des chambres de désencombrement a été motivée par l’arriéré judiciaire des juridictions prud’homales de première instance de Barranquilla, Cartagena, Santa Marta Buenaventura, Tumaco et Bogota, et de la chambre d’appel prud’homale de Barranquilla. Selon eux, la décision fait uniquement référence à l’encombrement qui s’est produit dans ces juridictions prud’homales, et l’on ne peut donc en inférer la légalité de l’établissement des chambres pénales de désencombrement (première et deuxième instance) de Bogota.

5.6Les auteurs font observer que l’État partie n’a pas répondu, dans ses observations, au sujet du grief de violation du droit à une procédure régulière qu’ils ont formulé devant le Comité au motif que des irrégularités avaient été commises dans l’administration de la preuve.

5.7Les auteurs réfutent l’argument de l’État partie, qui affirme qu’ils n’ont jamais été arrêtés. Selon eux, Hernando Manzano a été détenu du 13 octobre 1999 au 24 juillet 2001, et Belisario Deyongh, de février 2000 à juillet 2001. Maria Cristina Ocampo n’a pas été détenue eu égard à son âge (74 ans à l’époque).

Décision du Comité sur la recevabilité de la communication

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité a pris note des observations de l’État partie concernant l’absence de pouvoirs conférés au conseil par deux des auteurs, ce qui emporterait selon lui l’irrecevabilité de la communication en vertu de l’article premier du Protocole facultatif. Le Comité relève que les pouvoirs en question, s’ils ne lui ont effectivement pas été présentés initialement, ont toutefois été envoyés par la suite. Il considère par conséquent que le motif d’irrecevabilité invoqué par l’État partie n’est plus pertinent.

6.4Les auteurs s’estiment atteints dans leur droit à une procédure régulière du fait que les organes judiciaires qui les ont jugés ont commis des irrégularités dans l’administration de la preuve, les ont condamnés pour un délit (détournement de fonds) dont la définition dans le Code pénal ne correspond pas aux actes qui leur étaient reprochés, et se sont trompés dans le calcul du délai de prescription de ce délit. Le Comité note que ces griefs ont trait à l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux de l’État partie. Il rappelle sa jurisprudence et réaffirme que c’est aux juridictions des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, ou la manière dont la législation interne a été appliquée, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation, ou cette application, a été clairement arbitraire ou manifestement entachée d’erreur ou a constitué un déni de justice. Le Comité a examiné les documents produits par les parties, dont le jugement condamnatoire de première instance et les décisions sur le recours en appel et sur le pourvoi en cassation formés par les auteurs, dans lesquels sont abordés les griefs qui lui sont aujourd’hui soumis. Le Comité estime que ces documents ne permettent pas d’établir que les procédures judiciaires en question ont été entachées de telles irrégularités. Il conclut que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leur grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14, et déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Les auteurs affirment également qu’ils ont été jugés, en première et deuxième instance, par des tribunaux qui ne remplissaient pas la condition d’impartialité, puisqu’ils avaient été établis de manière ad hoc, en violation du principe de la préexistence du juge compétent. Le Comité considère que l’article 14 du Pacte n’interdit pas nécessairement l’établissement de juridictions pénales ayant une compétence spéciale, pour autant que cela soit conforme à la législation nationale et que ces juridictions respectent les garanties prévues par l’article 14. Pour ce qui est de la première de ces conditions, le Comité relève que la Cour suprême a examiné en cassation le grief des auteurs et a conclu que la création des tribunaux en question trouvait son fondement juridique dans la loi statutaire relative à l’administration de la justice. Le Comité estime qu’il ne lui appartient pas d’apprécier l’interprétation que les juridictions nationales donnent de la législation interne. Pour ce qui est de la seconde condition, il considère que le fait d’avoir établi des organes judiciaires spécifiques pour connaître des procédures concernant Foncolpuertos ne signifie pas que ces organes aient agi avec partialité. D’autres éléments sont nécessaires pour démontrer la partialité. Or, les éléments dont dispose le Comité ne lui permettent pas de conclure à l’existence de partialité. Le Comité en conclut que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé le grief formulé dans ce sens et déclare donc que cette partie de la communication est également irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie ainsi qu’aux auteurs et à leur conseil.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]