Nations Unies

CCPR/C/98/D/1544/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

11 mai 2010

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Quatre-vingt-dix-huitième session

8-26 mars 2010

Constatations

Communication no 1544/2007

Présentée par:

Mehrez Ben Abde Hamida (représenté par un conseil, M. Stewart Istwanffy)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

22 janvier 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décisions prises par le Rapporteur spécial en application de l’article 92 du Règlement intérieur, communiquées à l’État partie le 26 janvier 2007 et le 29 mars 2007 (non publiées sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

18 mars 2010

Objet :

Expulsion à la suite du rejet d’une demande d’asile

Questions de procédure :

Irrecevabilité

Questions de fond :

Recours utile; torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; droit à la vie; droit d’être protégé contre des immixtions illégales dans sa vie privée et sa famille; droit à la vie de famille; égalité devant la loi et égale protection de la loi

Articles du Pacte :

2, 6, 7, 17, 23 et 26

Articles du Protocole facultatif :

2 et 3

Le 18 mars 2010, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1544/2007 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-huitième session)

concernant la

Communication no 1544/2007 **

Présentée par:

Mehrez Ben Abde Hamida (représenté par un conseil, M. Stewart Istvanffy)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

22 janvier 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 mars 2010,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1544/2007 présentée au nom de Mehrez Ben Abde Hamida en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Mehrez Ben Abde Hamida, de nationalité tunisienne, né le 8 octobre 1967. Lorsqu’il a adressé sa communication, il vivait au Canada et un arrêté d’expulsion, exécutoire le 30 janvier 2007, avait été pris contre lui. L’auteur se déclare victime de violations par le Canada des articles 2, 6, 7, 17, 23 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, M. Stewart Istvanffy.

1.2Le 26 janvier 2007, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures de protection et en application de l’article 92 (ancien art. 86) de son Règlement intérieur, a demandé à l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteur vers la Tunisie tant que la communication serait en cours d’examen. Le 14 mars 2007 l’État partie a fait savoir qu’il accédait à cette demande mais a demandé au Rapporteur spécial de lever les mesures provisoires. Le 29 mars 2007, le Rapporteur spécial, considérant que l’auteur avait présenté une plainte a priori fondée, a rejeté la demande de l’État partie.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est arrivé au Canada le 2 octobre 1999 et a demandé le statut de réfugié en faisant valoir qu’il avait de bonnes raisons de craindre d’être persécuté dans son pays en raison de ses opinions politiques. À l’âge de 18 ans, il avait été engagé comme adjoint administratif au Ministère tunisien de l’intérieur, dans le service de la sécurité. En 1991, il a été promu au rang d’officier de police adjoint et affecté à la Direction de la sûreté politique au Ministère de l’intérieur. Dans l’exercice de ses fonctions, il a constaté que la force était employée dans la conduite des enquêtes policières et a décidé d’user de stratagèmes pour ne pas participer à de tels actes. Après de nombreuses démarches, il a réussi à être transféré à une autre direction et trouvait souvent des excuses pour s’absenter du travail. En 1993, il a été muté au centre de détention du Ministère, où il était chargé de la garde et de la surveillance des détenus. En mars 1996, il a enfreint une consigne stricte de ses supérieurs qui interdisaient de donner à manger aux détenus, en offrant un peu de son repas à un jeune détenu qui avait faim. Pour cet acte, il a été désarmé, interrogé, accusé de sympathiser avec les prisonniers politiques et mis aux arrêts pendant cinq mois avant d’être licencié. Après sa remise en liberté en août 1996, l’auteur a tenté de quitter la Tunisie mais il a été arrêté à l’aéroport parce qu’il n’avait pas de visa de sortie délivré par le Directeur des services de sécurité. Il a ensuite été placé en détention pendant un mois. À sa sortie de prison, il a été soumis à une surveillance administrative très stricte qui l’obligeait à se présenter deux fois par jour au service de sécurité pour signer un registre de surveillance.

2.2Trois ans plus tard, l’auteur a réussi à quitter la Tunisie en soudoyant un employé du Ministère de l’intérieur qui avait pu lui procurer un nouveau passeport. Muni d’un faux certificat de travail en tant que directeur artistique dans une compagnie, l’auteur a obtenu un visa canadien et un visa américain mais a choisi le Canada. Il a attendu trois mois après son arrivée, le 2 octobre 1999, comme visiteur, avant de demander le statut de réfugié, le 10 janvier 2000.

2.3Le 1er mai 2003, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié («la Commission») a rejeté la demande d’asile de l’auteur essentiellement pour deux motifs: premièrement, la Commission a constaté que l’auteur n’avait pas montré, comme il lui incombait de le faire, qu’il avait des craintes fondées d’être persécuté en Tunisie en raison de ses opinions politiques. À ce sujet, elle a relevé des incohérences dans les allégations de l’auteur, notamment le fait que, alors qu’il avait affirmé qu’après son licenciement de la police il lui avait été impossible de conserver un emploi, sa carte d’identité le présentait comme directeur technique d’une société, en juillet 1998. L’auteur a par la suite déclaré qu’il avait obtenu cette carte avec une fausse attestation de travail mais la Commission n’a pas été convaincue par cette explication. Elle a relevé que l’auteur n’avait pas pu apporter de preuves établissant qu’il avait subi des représailles après avoir donné à manger à un détenu et qu’il n’avait pas pu expliquer comment il avait réussi à quitter le pays aussi facilement avec un nouveau passeport, étant donné que la liberté de mouvement aux frontières tunisiennes était strictement contrôlée. De l’avis de la Commission, cela tendait à montrer que l’auteur n’était pas recherché par les autorités. Le fait qu’il ait attendu trois mois pour demander le statut de réfugié après être arrivé au Canada a été interprété par la Commission comme une contradiction avec l’allégation de crainte subjective de persécution et par conséquent comme un élément qui diminuait sa crédibilité.

2.4Deuxièmement la Commission a considéré, au regard de la preuve, que l’auteur devait être exclu du champ d’application de la Convention relative au statut des réfugiés («la Convention»), en vertu de l’article premier F a) et c). La Commission a considéré que l’auteur, en tant que membre de la Division de la sûreté politique du Ministère de l’intérieur de 1991 à 1993, ne pouvait pas ignorer que la torture était pratiquée couramment par cette Division; pourtant il n’avait pas montré qu’il avait fait des efforts sérieux pour se dissocier de la Division ou pour démissionner. La Commission a considéré que la Division avait les caractéristiques d’une organisation «ayant des fins limitées et brutales» et, suivant la jurisprudence canadienne applicable, elle est arrivée à la conclusion que le seul fait d’en être membre suffisait pour déduire qu’il y avait de bonnes raisons de penser que l’auteur avait peut-être commis l’un des crimes énumérés à l’article premier F a) ou F c) pendant les années passées au service de la police. Elle a donc conclu que l’auteur était exclu du champ d’application de la Convention. L’auteur a voulu faire appel de cette décision mais la Cour fédérale du Canada a rejeté la demande de contrôle juridictionnel le 17 octobre 2003, sans tenir d’audience.

2.5Le 6 décembre 2004, l’auteur a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi («ERAR»), qui a été rejetée le 21 février 2005. Une demande de contrôle juridictionnel de cette décision a été déposée devant la Cour fédérale le 23 juin, accompagnée d’une demande de sursis à exécution de la mesure d’expulsion. Le sursis a été accordé sans audience et la décision ERAR du 21 février 2005 a été annulée par la Cour fédérale le 16 septembre 2005. La Cour fédérale a ordonné qu’un autre agent de l’immigration procède à l’examen des risques avant renvoi et rende une nouvelle décision. Le dossier a été attribué à un autre agent de l’immigration qui a lui aussi rejeté la demande, le 30 juin 2006. Dans sa décision, l’agent a réaffirmé que l’auteur ne pouvait pas prétendre au statut de réfugié puisqu’il avait été débouté en vertu de l’article premier F de la Convention. Par conséquent, l’évaluation était limitée à une analyse du risque conformément à l’article 97 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Bien que l’auteur ait apporté de nouvelles preuves, la nouvelle décision ERAR a établi les mêmes conclusions que celles du 21 février 2005, c’est-à-dire que, compte tenu de son profil et de la façon dont il avait quitté la Tunisie, l’auteur n’avait pas montré qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il serait soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels ou que sa vie serait en danger s’il était renvoyé en Tunisie. Sa demande de protection a donc été rejetée. Une demande de contrôle juridictionnel de la décision ERAR a été rejetée par la Cour fédérale, sans audience, le 16 novembre 2006.

2.6En 2004, l’auteur a déposé une demande de séjour pour motifs humanitaires par le parrainage, en invoquant le fait qu’il était marié depuis 2003 à une Canadienne avec laquelle il vivait depuis 2001. La demande a été examinée en même temps que la deuxième demande ERAR, par le même agent, et a été rejetée le même jour, le 30 juin 2006. Bien que le mariage de bonne foi de l’auteur avec une Canadienne, l’appui financier et psychologique qu’il apportait à sa femme et les problèmes psychologiques de celle-ci, causés par les longues procédures d’immigration de l’auteur aient été reconnus dans cette décision, celle-ci accordait une plus grande importance au fait que l’auteur avait été exclu du champ d’application de la Convention relative au statut des réfugiés en raison des crimes dont il avait probablement été complice pendant son affectation à la police politique tunisienne entre 1991 et 1993. De plus, la décision n’accordait que très peu de poids aux arguments de l’auteur relatifs au risque encouru s’il retournait en Tunisie, car il avait été au préalable établi que son profil personnel ne justifiait pas qu’il fasse l’objet de menaces de la part des autorités s’il était renvoyé en Tunisie. Par conséquent comme l’auteur n’avait pas démontré l’existence de circonstances exceptionnelles, il ne devait pas être dispensé de la procédure régulière de demande de séjour permanent, et il devait donc la soumettre en Tunisie. Une demande de contrôle juridictionnel de cette décision a été rejetée sans audience par la Cour fédérale, le 26 novembre 2006.

2.7Le 6 décembre 2006, l’auteur a déposé une nouvelle demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR), encore pendante.

2.8L’auteur a reçu un ordre d’expulsion l’invitant à se présenter à l’aéroport de Montréal le 30 janvier 2007 pour son départ définitif vers la Tunisie. Une nouvelle demande de sursis à exécution, contestant également la décision ERAR du 30 juin 2006, a été déposée. La Cour fédérale a rejeté la demande le 22 janvier 2007, en application du principe de la chose jugée.

Teneur de la plainte

3.1Dans sa communication initiale, l’auteur affirme que le Canada a violé ou violerait, s’il l’expulsait, les articles 2, 6, 7, 17 et 26 du Pacte. Il fait valoir que les procédures judiciaires et administratives qui lui ont été appliquées ne sont pas conformes aux garanties énoncées à l’article 2 du Pacte. En particulier, il souligne que l’«examen des risques avant renvoi» doit être considéré comme un recours illusoire car le personnel qui traite ces demandes est formé à rejeter les demandes. Il souligne que les membres de ce personnel sont des employés du Ministère de l’immigration et n’ont donc pas l’indépendance institutionnelle et l’impartialité exigées devant les tribunaux. L’auteur fait valoir également que la procédure pour motifs humanitaires est un recours aléatoire parce que les agents d’immigration qui s’en occupent ont un grade très bas et ne sont pas non plus indépendants à l’égard du Gouvernement. À son avis, ces recours sont discrétionnaires. L’auteur note que, quand son dossier a été examiné dans le cadre de cette procédure, la décision a été quasiment automatique vu qu’il avait été exclu du champ d’application de la Convention relative aux statuts des réfugiés; sa demande de séjour avait donc été rejetée ipso facto. La question de son mariage et des droits de sa femme n’ont pas été examinés et aucune étude de proportionnalité n’a été effectuée pour déterminer s’il représentait un risque réel pour le Canada. L’auteur conteste le fait que la décision ERAR du 30 juin 2006 n’ait pas pris en considération et n’ait pas mentionné un nombre de preuves versées au dossier, notamment un avis de recherche de la police tunisienne, des lettres de soutien de diverses organisations des droits de l’homme et de l’avocate tunisienne Radhia Nasraoui. Il conteste également que la dernière décision de la Cour fédérale (22 janvier 2007) n’ait pas pris en considération des preuves qui, selon lui, établissaient le danger réel qu’il courrait s’il était expulsé vers la Tunisie. L’auteur insiste sur le fait que les recours visant à contester son expulsion sont inefficaces et inutiles.

3.2L’auteur rappelle les violations systématiques des droits de l’homme commises en Tunisie, notamment la pratique systématique de la torture. Il fait valoir que, s’il était expulsé, sa vie et son intégrité physique seraient menacées, en violation de l’article 6 du Pacte. Il affirme qu’il sera considéré par les autorités tunisiennes comme un opposant politique du fait de son attitude passée dans la police et parce qu’il a demandé le statut de réfugié dans un pays démocratique. Pour cette raison, un retour équivaudrait à une détention certaine dans des conditions inhumaines. L’auteur pourrait également être victime d’une disparition.

3.3L’auteur fait valoir que son expulsion l’exposerait à un risque de torture, en violation de l’article 7 du Pacte. Il renvoie aux conclusions du Comité contre la torture et du Comité des droits de l’homme. Il note que, alors que les autorités canadiennes ont reconnu qu’il avait été policier en Tunisie, elles n’ont pas conclu qu’il serait de ce fait menacé s’il était renvoyé dans son pays. Il souligne qu’un avis de recherche a été lancé par les autorités tunisiennes contre lui et que sa mère a été convoquée en septembre 2006 ce qui, d’après lui, montre qu’il courrait un réel danger s’il était expulsé vers la Tunisie.

3.4En ce qui concerne les articles 17 et 23, l’auteur fait valoir que son retour constituerait une immixtion illégale dans sa vie privée et une rupture de sa vie de famille, sans aucune justification, puisqu’il ne représente pas un danger pour le public. Il ajoute qu’il est le soutien économique principal de sa femme, avec laquelle il vit depuis plus de cinq ans et avec laquelle il est marié depuis trois ans, mariage contracté de bonne foi et reconnu comme tel par les autorités canadiennes.

3.5Bien que l’auteur invoque également une violation de l’article 26 du Pacte, il ne donne pas d’arguments à l’appui de ce grief.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans ses observations datées du 11 décembre 2008, l’État partie se réfère à la pratique générale du Comité qui consiste à ne pas apprécier des preuves ou réexaminer des faits établis par les juridictions internes, sa tâche se limitant à examiner si celles-ci ont interprété le droit interne de bonne foi et d’une façon qui n’est pas manifestement déraisonnable. Il conteste la recevabilité et le fond de la communication et fait valoir qu’elle est irrecevable et dénuée de fondement. Il note que, comme l’auteur a présenté le 6 décembre 2006 une dernière demande d’évaluation des risques avant renvoi, sur laquelle il n’a pas encore été statué, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. L’État partie fait valoir toutefois qu’il n’objecte pas à la recevabilité de la communication à ce stade, sans préjudice de son droit de soulever plus tard l’irrecevabilité pour non-épuisement des recours internes. Il note que les faits de la communication sont identiques à ceux qui ont été présentés aux différentes autorités canadiennes, qui ont conclu que l’auteur n’avait pas de motifs sérieux de penser qu’il risquait d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements, ou que sa vie serait en danger s’il était renvoyé en Tunisie. Le Comité n’est donc pas compétent pour réévaluer la preuve ou les conclusions de fait ou de droit adoptées par les tribunaux canadiens.

4.2En ce qui concerne la violation de l’article 2, l’État partie considère que ce grief est incompatible avec les dispositions du Pacte et est donc irrecevable. Il renvoie à la jurisprudence du Comité qui affirme que cet article donne un droit accessoire plutôt qu’un droit autonome, qui ne s’exerce qu’après qu’une violation d’un autre article du Pacte ait été constatée. Par conséquent, et dans la mesure où l’auteur a invoqué l’article 2 isolément, ce grief devrait être déclaré irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif. Subsidiairement, l’État partie considère qu’il n’y a eu aucune violation de l’article 2, puisqu’il existe au Canada de nombreux recours susceptibles d’apporter une protection contre le renvoi vers un pays où il y aurait des risques de torture ou d’autres traitements prohibés. Ces recours sont susceptibles de contrôle juridictionnel sur autorisation du tribunal compétent. Le Comité des droits de l’homme et le Comité contre la torture ont considéré que les demandes d’«évaluation des risques avant renvoi» (ERAR) et la demande de dispense de l’application des dispositions de la législation sur l’immigration pour motifs humanitaires constituaient des recours utiles. En ce qui concerne les allégations relatives à la qualité, l’indépendance et l’impartialité des recours ERAR et du recours pour motifs humanitaires, l’État partie affirme que le rôle du Comité devrait se limiter à examiner le cas d’espèce et non pas à procéder à une évaluation du système canadien de détermination du statut de réfugié.

4.3Pour ce qui est des griefs de violation des articles 6 et 7 si l’auteur était renvoyé en Tunisie, l’État partie fait valoir que les conclusions des différentes juridictions internes au regard des faits réfutent ces allégations. L’auteur n’a pas pu montrer que sa vie serait en danger et qu’il risquerait d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements s’il était renvoyé en Tunisie. Tous les organes compétents ont jugé que les arguments de l’auteur n’étaient pas crédibles et qu’il n’avait pas produit de preuves à l’appui de ses affirmations. L’auteur n’a pas pu expliquer le retard qu’il avait mis à produire l’avis de recherche le concernant. De plus, le fait qu’il ait été retenu par les autorités tunisiennes dans le passé ne signifie pas qu’il risquerait d’être persécuté à l’avenir. De nombreuses sources documentaires consultées par les autorités canadiennes ont en outre révélé que seuls les opposants au régime risquaient de subir des persécutions de la part des autorités. Comme l’auteur n’a pas montré qu’il entrait dans cette catégorie, il n’a donc pas établi qu’il courrait personnellement un risque réel d’atteinte à ses droits tels qu’ils sont garantis à l’article 6 et à l’article 7. La communication doit donc être déclarée irrecevable en ce qui concerne ces deux dispositions.

4.4En ce qui concerne les allégations de violation des articles 17 et 23, l’État partie souligne que l’application de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés n’a pas été faite en violation de ces articles. Pour ce qui est de l’article 17, l’État partie renvoie à l’Observation générale no 16 du Comité, qui définit la notion d’immixtion arbitraire ou illégale dans la vie privée. Pour l’article 23, il se réfère à l’Observation générale no 19 et note que le Pacte ne garantit pas le droit d’une famille de choisir son pays d’installation et que les gouvernements ont un pouvoir discrétionnaire étendu en ce qui concerne l’expulsion d’étrangers de leur territoire. En outre quand il s’est marié, l’auteur ne pouvait pas ignorer qu’il était dans une situation précaire, sans statut au Canada. Les articles 17 et 23 ne garantissent pas qu’un individu ne puisse jamais être éloigné du territoire d’un État partie si la mesure devait avoir des conséquences pour sa vie de famille. Le renvoi d’un individu dans un pays où vit le reste de sa famille ne constitue une violation de l’article 17 que si l’application des lois sur l’immigration est arbitraire ou incompatible avec les dispositions du Pacte. Dans la présente affaire, l’auteur n’a pas montré qu’il y avait a priori une violation des articles 17 et 23. En conséquence la communication doit être déclarée irrecevable en ce qui concerne ces articles.

4.5De l’avis de l’État partie, l’auteur n’a pas pu montrer une présomption de violation de l’article 26. Les allégations de l’auteur, qui affirme que le processus de détermination du statut de réfugié, et plus particulièrement l’ERAR, est partial et manque d’indépendance, ne se rapportent à aucun des motifs de discrimination interdits par l’article 26 et ne sont pas étayées par des faits pertinents.

4.6Subsidiairement, si le Comité devait considérer que la communication est recevable, l’État partie affirme qu’elle est dénuée de fondement, pour les mêmes raisons que celles qui ont été avancées en ce qui concerne l’irrecevabilité.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires du 18 juillet 2008, l’auteur maintient que sa communication est fondée et étayée par des preuves concluantes qui n’ont pas été examinées par les autorités canadiennes après le premier rejet de sa demande d’asile par la Commission. Il affirme que s’il n’a produit l’avis de recherche le concernant que quatre ans après que l’avis eut été émis c’est parce qu’il lui avait fallu beaucoup de temps pour obtenir le document. L’auteur mentionne également les autres preuves qui n’ont pas été examinées, comme la convocation de sa mère, une lettre de sa famille, des lettres de soutien d’Amnesty International, de l’Association des droits de la personne au Maghreb, de la Ligue des droits et libertés du Québec, d’un membre du Parlement et de l’avocate tunisienne Radhia Nasraoui. Il note que l’État partie ne fait pas non plus mention de ces preuves dans ses observations. L’auteur affirme que les violations massives des droits de l’homme en Tunisie ne sont pas douteuses, tout comme n’est pas douteuse la preuve objective d’un danger pour sa personne s’il est renvoyé en Tunisie. Il encourt personnellement un danger réel et plusieurs documents qu’il avait produits à l’appui de sa demande, dont les décisions des autorités canadiennes n’ont pas tenu compte, démontrent que les autorités tunisiennes s’intéressent à lui. S’il devait retourner dans son pays, il pourrait être torturé ou être victime d’une exécution extrajudiciaire.

5.2En ce qui concerne le droit au respect de sa vie de famille, l’auteur fait valoir que les nombreuses décisions des autorités canadiennes n’ont fait aucun cas de l’existence de sa femme et de sa vie de famille. La rupture de sa famille, conséquence directe et inéluctable de son renvoi, serait clairement arbitraire. Le renvoi constituerait une violation du principe de proportionnalité, selon lequel les autorités canadiennes auraient dû prendre en considération le fait qu’il réside au Canada depuis neuf ans, et est marié à une Canadienne depuis cinq ans. La décision sur sa demande de séjour pour motifs humanitaires, qui a établi qu’il n’aurait pas de difficultés excessives à demander un permis de séjour à partir de la Tunisie, est illogique et ne tient pas compte de la situation des droits de l’homme en Tunisie.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Dans des observations du 11 décembre 2008, l’État partie fait référence à des informations récentes sur les violations des droits de l’homme en Tunisie et relève que selon ces sources la répression vise particulièrement les opposants politiques, les défenseurs des droits de l’homme et les personnes soupçonnées de terrorisme. L’État partie réaffirme que l’auteur n’a pas montré qu’il courrait personnellement un risque réel d’être soumis à la torture et qu’il n’est pas crédible. Il note que ses commentaires ne contiennent aucun élément qui permettrait aux autorités canadiennes de modifier leurs conclusions.

6.2Au sujet des preuves mentionnées par l’auteur, l’État partie note qu’elles n’ont été produites qu’avec la dernière demande ERAR soumise par l’auteur le 6 décembre 2006. Cette demande ne sera pas examinée tant que l’exécution du renvoi de l’auteur sera suspendue. Les lettres de soutien de différentes organisations des droits de l’homme ne font que reprendre les allégations de l’auteur et ne sont corroborées par aucune preuve objective. La lettre de sa famille n’est pas une preuve indépendante et objective et a donc peu de valeur probante. Sur la convocation adressée à sa mère, le motif n’est pas indiqué et ce serait pure spéculation que d’en déduire qu’elle a un rapport avec l’auteur. Pour ce qui est de la lettre de l’avocate Radhia Nasraoui, l’État partie note qu’un renvoi vers la Tunisie n’entraîne pas nécessairement un risque pour l’auteur. Le fait qu’une personne renvoyée en Tunisie peut être interrogée à son arrivée sur le territoire par les services d’immigration ne signifie pas qu’elle serait placée en détention ou torturée. En l’espèce, les moyens de preuve avancés ne permettent pas de conclure que l’auteur risque de subir des tortures ou des mauvais traitements. Quant à l’avis de recherche, l’État partie réaffirme qu’il a été établi que cet avis ne prouvait pas que l’auteur était recherché en Tunisie.

6.3En ce qui concerne le droit au respect de la vie de famille, l’État partie fait valoir que le principe de proportionnalité n’a pas été violé. L’auteur s’est marié alors que son statut au Canada était des plus précaires, sa demande d’asile ayant été rejetée quelques mois seulement avant son mariage. S’il se trouve toujours au Canada neuf ans après son arrivée et cinq ans après son mariage cela tient aux procédures qu’il a lui-même engagées et ne saurait empêcher le Canada de le renvoyer. En outre, le tribunal qui a examiné sa demande initiale d’asile a établi que même si l’auteur avait des craintes fondées de persécution s’il retournait en Tunisie, ce qu’il n’avait pas pu démontrer, il serait exclu de la protection de la Convention relative au statut des réfugiés en vertu de l’article premier F a) et c). Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles qu’un État partie devra se justifier au-delà de l’application de ses lois sur le renvoi de son territoire d’un étranger sans statut. Le mariage de l’auteur était un élément important, qui a été dûment pris en considération par les juridictions compétentes. Il ne s’agit pas pour autant d’une circonstance qui rendrait son renvoi déraisonnable puisque son épouse pourrait le suivre en Tunisie. L’État partie avance aussi le fait qu’aucun enfant n’est né de ce mariage. Enfin il est noté que, comme l’auteur a présenté sa plainte exclusivement en son nom propre, le Comité ne doit examiner que les droits de l’auteur.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Eu égard au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité note que les autorités de l’État partie n’ont pas encore statué sur la dernière demande d’examen des risques avant renvoi déposée par l’auteur le 6 décembre 2006. Il note néanmoins que l’État partie n’a soulevé aucune objection à la recevabilité de la communication et considère donc que, aux fins de la recevabilité, les recours internes ont été épuisés.

7.3En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 2 du Pacte, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que ce grief est irrecevable parce qu’il est incompatible avec le Pacte étant donné que l’article 2 ne peut pas être invoqué de façon indépendante. Le Comité est d’avis que les allégations de violation qui s’appliquent uniquement à l’article 2 du Pacte sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4Le Comité note en outre que l’auteur se déclare victime d’une violation de l’article 26, sans étayer ce grief. L’auteur n’a pas montré en quoi le processus de détermination du statut de réfugié, tel qu’il a été appliqué à son égard, opérait une distinction discriminatoire fondée sur un motif prohibé par l’article 26 du Pacte. Le Comité estime donc que le grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5Pour ce qui est des articles 6, 7, 17 et 23 du Pacte, le Comité a pris note de l’argument de l’État partie selon lequel ces griefs devraient être déclarés irrecevables au motif que l’auteur n’a pas pu démontrer, avec son argumentation et au vu des conclusions de droit adoptées par les différentes autorités canadiennes, qu’il y avait une présomption de violation de ces dispositions. Le Comité est toutefois d’avis que, aux fins de la recevabilité, l’auteur a apporté des arguments plausibles pour étayer ses allégations.

7.6En conséquence, le Comité conclut que la communication est recevable dans la mesure où elle soulève des questions au regard des articles 6, 7, 17 et 23 du Pacte.

Examen au fond

8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2En ce qui concerne les allégations de violation des articles 6 et 7 du Pacte, il convient de tenir compte de l’obligation qui incombe à l’État partie en vertu du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte, y compris dans l’application des procédures d’expulsion de non-nationaux.

8.3Le Comité a pris note de l’argument de l’auteur qui affirme que son expulsion l’exposerait à un placement en détention certain et à un risque de torture ou de disparition. Le Comité relève que ces allégations ont été réfutées par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié («la Commission»), qui a conclu que l’auteur n’avait pas démontré que s’il était renvoyé en Tunisie ses jours seraient en danger et qu’il risquerait d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements en raison de ses opinions politiques. En outre, le Comité note que la Commission a rejeté la demande d’asile au motif que l’auteur était exclu du champ d’application de la Convention relative au statut des réfugiés en vertu de l’article premier F a) et c).

8.4Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice.

8.5Dans la présente communication, le Comité note qu’il ressort du dossier dont il est saisi que quand elles ont examiné les demandes de l’auteur les autorités ont accordé un poids important au fait que l’auteur était exclu du champ d’application de la Convention relative au statut des réfugiés et il semble qu’il n’ait pas été tenu suffisamment compte des droits spécifiques que l’auteur tient du Pacte et d’autres instruments comme la Convention contre la torture.

8.6Pour ce qui est de l’article 6 du Pacte, le Comité note que les informations dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que son expulsion vers la Tunisie exposerait l’auteur à un risque réel d’atteinte à son droit à la vie. Les allégations de l’auteur à cet effet ne sont que des allégations générales mentionnant un risque de détention dans des conditions inhumaines et le fait qu’il n’aurait pas accès à la justice et pourrait être victime d’une disparition, sans qu’il soit fait mention de circonstances particulières qui permettraient de conclure que sa vie serait en danger. Dans ces conditions, le Comité estime que les faits dont il est saisi ne montrent pas que l’expulsion de l’auteur entraînerait pour lui un risque réel de violation de l’article 6.

8.7En ce qui concerne l’article 7 du Pacte, le Comité relève que dans ses observations l’État partie renvoie principalement aux décisions des diverses autorités qui ont rejeté les demandes de l’auteur, essentiellement sur la base de son manque de crédibilité, parce qu’elles ont relevé des incohérences dans ses déclarations et l’absence de preuves à l’appui de ses griefs. Le Comité note que le niveau de preuve exigé de l’auteur requiert qu’il établisse l’existence d’un risque réel de traitement contraire à l’article 7 qui serait la conséquence nécessaire et prévisible de son expulsion vers la Tunisie. Le Comité note que l’État partie lui-même, citant diverses sources, dit qu’il est notoire que la torture est pratiquée en Tunisie mais que l’auteur ne fait pas partie d’une des catégories de personnes qui risquent d’être visées par des mauvais traitements. Le Comité estime que l’auteur a apporté des indications sérieuses qu’il court personnellement un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte, en raison de sa dissidence dans la police tunisienne, de sa détention pendant six mois aux mains de la police, de la stricte surveillance administrative dont il a fait l’objet et de l’avis de recherche lancé contre lui par le Ministère de l’intérieur, qui mentionne sa «fuite de la surveillance administrative». L’État partie n’a pas contesté ces faits. Le Comité accorde le crédit voulu aux allégations de l’auteur relatives aux pressions subies par sa famille en Tunisie. Étant donné que l’auteur a été employé par le Ministère de l’intérieur, puis sanctionné, détenu et soumis à un contrôle strict en raison de sa dissension, le Comité considère qu’il existe un risque réel que l’auteur soit considéré comme un opposant politique et, par conséquent, soit soumis à la torture. Ce risque est accru par la demande d’asile que l’auteur a présentée au Canada, dans la mesure où celle-ci le rend plus susceptible d’être considéré comme un opposant au régime. Le Comité est donc d’avis que la mesure d’expulsion prise contre l’auteur constituerait une violation de l’article 7 du Pacte si elle était exécutée.

8.8En ce qui concerne le grief de violation du droit à la vie de famille garanti aux articles 17 et 23 du Pacte, le Comité estime que, étant donné qu’il a constaté une violation de l’article 7 si l’auteur était renvoyé en Tunisie, il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant ces griefs.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que la mesure d’expulsion de l’auteur vers la Tunisie, si elle était mise à exécution, constituerait une violation des droits garantis à l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris sous la forme d’un réexamen approfondi de la mesure d’expulsion, compte tenu des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte. L’État partie est également tenu de veiller à éviter d’exposer d’autres personnes à des risques de violation analogues.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]