Nations Unies

CCPR/C/98/D/1778/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

19 mai 2010

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Quatre-vingt-dix-huitième session

8-26 mars 2010

Décision

Communication no 1778/2008

Présentée par:

Jaroslav Novotny (représenté par un conseil, M. David Strupek)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

18 mars 2008 (lettre initiale)

Références:

Décision du Rapporteur spécial en vertu de l’article 97 du Règlement intérieur, transmise à l’État partie le 8 avril 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

19 mars 2010

Objet:

Rémunération du travail effectué par un détenu

Questions de procédure:

Défaut de fondement des allégations

Questions de fond:

Discrimination à l’encontre de l’auteur en raison de son statut

Article du Pacte:

26

Article du Protocole facultatif:

2

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-huitième session)

concernant la

Communication no1778/2008 **

Présentée par:

Jaroslav Novotny (représenté par un conseil, M. David Strupek)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

18 mars 2008 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le19 mars 2010,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Jaroslav Novotny, de nationalité tchèque; au moment des faits qui font l’objet de sa communication, il purgeait sa peine à la prison de Jiřice en République tchèque. Il affirme être victime de violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, M. David Strupek.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Du 25 septembre au 10 novembre 2006, l’auteur a été employé par un organisme privé, conformément à l’article 30 de la loi relative à l’exécution des peines d’emprisonnement. Sa rémunération s’élevait à 4 500 couronnes tchèques par mois, comme en avait décidé le directeur de la prison le 21 septembre 2006, en application de l’ordonnance gouvernementale no 365/1999. À l’époque, le salaire minimum légal en République tchèque était de 7 995 couronnes tchèques par mois.

2.2À des dates non précisées, l’auteur s’est plaint, sans succès, auprès de la Direction générale du service pénitentiaire et du Défenseur public de l’inégalité que constituait le fait d’être moins payé qu’un salarié percevant le salaire minimum légal. Le 3 janvier 2007, l’auteur a adressé, sans succès, une plainte à la Cour constitutionnelle en faisant valoir qu’il avait été victime de discrimination dans son droit à une juste rémunération de son travail. Le 1er mars 2007, la plainte a été rejetée par la Cour comme étant manifestement dénuée de fondement, dans la mesure où la situation d’un condamné employé en vertu de la loi relative à l’exécution des peines d’emprisonnement n’est pas comparable avec celle d’un salarié employé en vertu d’un contrat de travail.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur dénonce une violation de son droit, consacré par l’article 26 de ne pas être victime de discrimination en raison de son statut de condamné, en ce que sa rémunération pour le travail effectué en prison était anormalement faible comparée au salaire minimum normal. Il soutient qu’en vertu de l’article 32 de la loi relative à l’exécution des peines d’emprisonnement, les conditions de travail, les horaires de travail et les heures supplémentaires des prisonniers sont régis par le Code du travail tchèque et d’autres règlements pertinents. En vertu de l’article 33, les impôts et les cotisations à l’assurance maladie et à la sécurité sociale sont déduits de la rémunération du condamné comme ils le sont des salaires versés dans le cadre d’un contrat de travail. L’auteur fait valoir qu’il a effectué un travail comparable à celui d’un salarié ordinaire, et que sa relation avec son employeur était comparable à celle découlant d’un contrat de travail de droit commun.

3.2L’auteur nie que l’emploi faisait partie intégrale de l’exécution de sa peine, étant donné qu’il n’a pas été condamné aux travaux forcés mais simplement à une privation de liberté. Il soutient qu’il travaillait pour une entité privée et non pour les autorités pénitentiaires, qu’on ne lui a pas ordonné de travailler et qu’il était libre de refuser de le faire. Il affirme que le but allégué de son emploi, à savoir préparer sa réinsertion dans la collectivité, ne saurait justifier la différence de traitement quant à sa rémunération.

3.3L’auteur affirme que les condamnés employés doivent régler les mêmes dépenses liées à leur emprisonnement que les condamnés non employés. Le fait que l’État partie satisfait les besoins fondamentaux des condamnés ne saurait justifier une rémunération anormalement basse, étant donné que les condamnés continuent également à payer un loyer et à entretenir leur famille.

Observations de l’État partie

4.1Le 3 octobre 2008, l’État partie a présenté ses observations sur la communication, faisant valoir que celle-ci était irrecevable pour plusieurs raisons. Tout d’abord, renvoyant à la jurisprudence du Comité, l’État partie affirme que la communication constitue un abus du droit de présenter une communication. Il soutient que l’auteur a saisi le Comité plus d’un an après la dernière décision rendue par une juridiction nationale et que ce délai, que l’auteur n’a pas justifié, n’est pas raisonnable.

4.2L’État partie affirme en outre que la plainte est insuffisamment fondée aux fins de la recevabilité. Il rappelle l’affaire Marijan Radosevic c. Allemagne, concernant également le niveau de rémunération du travail effectué par un détenu dans laquelle le Comité a estimé que la communication était irrecevable étant donné que, de la même manière que dans le cas d’espèce, l’auteur n’avait pas fourni d’informations suffisantes sur le type de travail qu’il avait accompli.

4.3Quant au fond, l’État partie soutient que la plainte est mal fondée. Il estime que la différence de traitement entre des détenus et des salariés, en matière de rémunération du travail, est justifiée et fondée sur des critères objectifs et raisonnables. Évoquant la jurisprudence du Comité au sujet de l’interprétation de l’article 26, l’État partie indique que l’auteur a perçu un salaire inférieur au salaire minimum normal (environ 60 % de celui‑ci) en raison des circonstances particulières liées aux travaux effectués par des détenus. Il fait observer que la différence entre la situation juridique des personnes condamnées et celle de salariés ordinaires est une évidence. En vertu de la législation tchèque, tous les détenus condamnés à une peine d’emprisonnement sont obligés de travailler tant que leur santé le permet. Un détenu qui a été chargé d’un travail ne peut pas refuser de travailler pour l’État, des autorités publiques ou d’autres entités publiques, mais il peut refuser de travailler pour une entreprise privée. Le travail accompli par les détenus fait partie du processus de réinsertion qui fait partie des buts de l’emprisonnement. Le but de leur rémunération n’est pas d’assurer leur subsistance vu que leurs besoins élémentaires sont satisfaits par l’État.

4.4L’État partie soutient également qu’une autre différence fondamentale entre des salariés et des détenus qui travaillent tient aux règlements qui régissent leur rémunération. Un détenu et un employeur ne sont pas autorisés à fixer librement le montant de la rémunération, celle-ci étant déterminée par des règlements d’application obligatoire. En outre, un détenu ne peut pas disposer librement de son revenu, car l’État en affecte une partie à un certain nombre d’autres usages.

4.5L’État partie fait également valoir que le salaire minimum est un concept social, selon lequel les salariés sont assurés de bénéficier d’un niveau minimum de subsistance, tandis que, dans le cas des détenus, c’est l’État qui assure cette subsistance minimale, qu’ils travaillent ou non. Ce concept ne s’applique donc pas aux détenus. En outre, l’État partie fournit des informations dont il ressort que d’autres catégories de salariés ordinaires perçoivent aussi une rémunération inférieure au salaire minimum normal, en raison de leur situation sociale ou de leur état de santé.

4.6L’État partie observe que conformément aux normes internationales le travail des détenus doit être rémunéré de façon équitable, mais que cette rémunération ne doit pas nécessairement être la même que celle des salariés ordinaires, ce qui laisse une marge d’appréciation à chaque État pour déterminer le niveau de rémunération jugé équitable.

Commentaires de l’auteur

5.1Le 18 décembre 2008, l’auteur a déclaré que le délai d’un an écoulé avant qu’il ne présente sa communication au Comité ne saurait être comparé aux délais constatés dans les communications évoquées par l’État partie. En outre, dans un certain nombre d’autres cas, le Comité a déclaré recevables des communications qui lui avaient été adressées plus de trois ans après la dernière décision prise par une juridiction nationale.

5.2L’auteur réfute l’analogie établie par l’État partie entre son affaire et l’affaire Radosevic. Il rappelle que M. Radosevic ne comparait pas son revenu au salaire minimum légal, mais au montant moyen des prestations payables au titre du régime d’assurance retraite légal allemand, ce qui renvoie, selon l’auteur, au salaire moyen plutôt qu’au salaire minimum. Cela explique que le Comité ait décidé que M. Radosevic aurait dû fournir des renseignements sur le type de travail accompli et les salaires habituellement versés pour ce travail. Toutefois, l’auteur affirme qu’il n’établit pas de lien entre sa propre plainte et un type d’activité particulier, mais qu’il compare son revenu au salaire minimum versé pour tout type de travail.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel la communication constitue un abus du droit de présenter des communications, au sens de l’article 3 du Protocole facultatif, le Comité fait observer qu’aucun délai n’est fixé pour la présentation de communications au titre du Protocole facultatif et qu’un simple retard en la matière ne constitue pas en soi, sauf dans des circonstances exceptionnelles, un abus du droit de présenter une communication. En l’espèce, le Comité ne considère pas le retard d’un an comme déraisonnable au point de constituer un abus du droit de présenter une communication.

6.3Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que le fait d’avoir perçu moins que le salaire minimum normal pour le travail qu’il a effectué en tant que détenu entre le 25 septembre et le 10 novembre 2006, dans des conditions similaires à celles des salariés ordinaires, constitue une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Radosevic c. Allemagne et constate que l’auteur n’a fourni aucun renseignement sur le type de travail qu’il a effectué durant sa détention ou sur le point de savoir si un tel travail pouvait être obtenu sur le marché de l’emploi. De même, l’auteur n’a fourni aucun renseignement sur le niveau de subsistance assuré par l’État partie pour couvrir ses «besoins fondamentaux» en plus de sa rémunération. Le Comité prend note des renseignements donnés par l’État partie concernant d’autres travailleurs ordinaires qui ne reçoivent pas le salaire minimum normal (par. 4.5), et indique que la simple référence de l’auteur au salaire minimum normal ne suffit pas à étayer l’allégation de discrimination. Il constate par ailleurs que l’auteur n’a travaillé sous le régime en question que pendant un mois et demi, et qu’il avait librement accepté de le faire, en étant pleinement informé de la rémunération qu’il percevrait. Pour toutes ces raisons, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, son allégation de discrimination fondée sur son statut de détenu. Il s’ensuit que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adoptée en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]