Nations Unies

CCPR/C/98/D/1593-1603/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

30 avril 2010

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Quatre-vingt-dix-huitième session

8-26 mars 2010

Constatations

Communications nos 1593 à 1603/2007

Présentée par :

Eu-min Jung, Tae-Yang Oh, Chang-Geun Yeom, Dong-hyuk Nah, Ho-Gun Yu, Chi-yun Lim, Choi Jin, Tae-hoon Lim, Sung-hwan Lim, Jae-sung Lim et Dong-ju Goh (représentés par un conseil, Jea-Chang Oh, du cabinet Haemaru Law Offices)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

République de Corée

Date de la communication :

15 mai 2007 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 5 octobre 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations :

23 mars 2010

Objet :

Objection de conscience

Questions de procédure :

Néant

Questions de fond :

Droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion

Article du Pacte :

18 (par. 1)

Article s du Protocole facultatif :

Néant

Le 23 mars 2010, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant les communications nos 1593 à 1603/2007 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (quatre-vingt-dix-huitième session)

concernant les

Communications nos 1593 à 1603/2007 **

Présentée par:

Eu-min Jung, Tae-Yang Oh, Chang-Geun Yeom, Dong-hyuk Nah, Ho-Gun Yu, Chi-yun Lim, Choi Jin, Tae-hoon Lim, Sung-hwan Lim, Jae-sung Lim et Dong-ju Goh (représentés par un conseil, Jea-Chang Oh, du cabinet Haemaru Law Offices)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

République de Corée

Date de la communication:

15 mai 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 mars 2010,

Ayant achevé l’examen des communications nos 1593 à 1603/2007 présentées au nom de Eu-min Jung, Tae-Yang Oh, Chang-Geun Yeom, Dong-hyuk Nah, Ho-Gun Yu, Chi-yun Lim, Choi Jin, Tae-hoon Lim, Sung-hwan Lim, Jae-sung Lim et Dong-ju Goh en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs des communications et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.Les auteurs des communications sont Eu-min Jung (communication no 1593/2007), Tae-Yang Oh (communication no 1594/2007), Chang-Geun Yeom (communication no 1595/2007), Dong-hyuk Nah (communication no 1596/2007), Ho-Gun Yu (communication no 1597/2007), Chi-yun Lim (communication no 1598/2007), Choi Jin (communication no 1599/2007), Tae-hoon Lim (communication no 1600/2007), Sung-hwan Lim (communication no 1601/2007), Jae-sung Lim (communication no 1602/2007) et Dong-ju Goh (communication no 1603/2007), tous de nationalité sud-coréenne. Ils se déclarent victimes de violations par la République de Corée du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil, Jae-Chang Oh, du cabinet Haemaru Law Offices.

1.2Le 23 mars 2010, le Comité a décidé, en application du paragraphe 2 de l’article 94 de son Règlement intérieur, d’examiner conjointement les 11 communications compte tenu des fortes similarités qu’elles présentent sur le plan des faits et du droit.

Rappel des faits présentés par les auteurs

Le cas de Eu-min Jung

2.1À une date non précisée, M. Jung a reçu un avis de conscription de l’Administration militaire de l’État partie. Pour des raisons de conscience et de conviction religieuse, il a refusé de se faire incorporer dans le délai prescrit, ce qui lui a valu d’être arrêté et inculpé en vertu de l’article 88 (par. 1) de la loi sur le service militaire. Le 1er septembre 2005, le tribunal de district de Séoul-Nord l’a reconnu coupable des chefs d’accusation portés contre lui et l’a condamné à une peine d’emprisonnement d’un an et demi. Son recours en appel a ensuite été rejeté.

2.2Le 25 novembre 2005, la Cour suprême a confirmé la déclaration de culpabilité et la peine de M. Jung, considérant, entre autres, que:

«La Constitution dispose au paragraphe 1 de l’article 39 que “[t]ous les citoyens ont le devoir de servir la défense nationale dans les conditions prévues par la loi”, ce qui impose à tous les citoyens aptes une obligation constitutionnelle de défense nationale et de service militaire, et cela est justifié puisque c’est nécessaire pour le bien des citoyens de l’État. [...] De même, étant donné que l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel la Corée est partie, semble offrir la même protection des droits fondamentaux que celle qui est garantie par la Constitution à l’article 19, en ce qui concerne la liberté de conscience, et l’article 20, en ce qui concerne la liberté de religion, il s’ensuit que le défendeur ne peut tirer de l’article 18 du Pacte aucun droit exceptionnel d’être exempté de l’application des dispositions énoncées au paragraphe 1 de l’article 88 de la loi sur le service militaire.».

Le cas de Tae-Yang Oh

2.3Tae-Yang Oh est bouddhiste. À une date non précisée, il a reçu un avis de conscription de l’Administration militaire de l’État partie. Pour des raisons de conscience et de conviction religieuse, il a refusé de se faire incorporer dans le délai prescrit, ce qui lui a valu d’être arrêté et inculpé en vertu de l’article 88 (par. 1) de la loi sur le service militaire. Il a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement d’un an et demi par un tribunal de district. Son recours en appel a été rejeté. Le 15 juillet 2004, la Cour suprême a confirmé sa déclaration de culpabilité et sa peine, considérant, entre autres, que:

«la liberté de conscience est simplement le droit, pour un individu, de demander à l’État de tenir compte de sa conscience et de la protéger, si cela est possible, elle ne saurait donc servir de fondement pour refuser d’exécuter les obligations prévues par la loi ou pour demander la possibilité de s’acquitter de ces obligations sous une autre forme».

Le cas de Chang-Geun Yeom

2.4À une date non précisée, Chang-Geun Yeom a reçu un avis de conscription de l’Administration militaire de l’État partie. Pour des raisons de conscience et de conviction religieuse, il a refusé de se faire incorporer dans le délai prescrit, ce qui lui a valu d’être arrêté et inculpé en vertu de l’article 88 (par. 1) de la loi sur le service militaire. Il a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement d’un an et demi par un tribunal de district. Son recours en appel a été rejeté. Le 15 avril 2005, la Cour suprême a confirmé sa déclaration de culpabilité et sa peine, pour des motifs similaires à ceux exposés dans les affaires susmentionnées.

Le cas de Dong-hyuk Nah

2.5À une date non précisée, Dong-hyuk Nah a reçu un avis de conscription de l’Administration militaire de l’État partie. Pour des raisons de conscience et de conviction religieuse, il a refusé de se faire incorporer dans le délai prescrit, ce qui lui a valu d’être arrêté et inculpé en vertu de l’article 88 (par. 1) de la loi sur le service militaire. Il a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement d’un an et demi par un tribunal de district. Son recours en appel a été rejeté. Le 12 novembre 2004, la Cour suprême a confirmé sa déclaration de culpabilité et sa peine, pour des motifs similaires à ceux exposés dans les affaires susmentionnées.

Le cas de Ho-Gun Yu

2.6À une date non précisée, Ho-Gun Yu a reçu un avis de conscription de l’Administration militaire de l’État partie. Pour des raisons de conscience et de conviction religieuse, il a refusé de se faire incorporer dans le délai prescrit, ce qui lui a valu d’être arrêté et inculpé en vertu de l’article 88 (par. 1) de la loi sur le service militaire. Il a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement d’un an et demi par un tribunal de district. Son recours en appel a été rejeté. Le 24 juin 2005, la Cour suprême a confirmé sa déclaration de culpabilité et sa peine, pour des motifs similaires à ceux exposés dans les affaires susmentionnées.

Le cas de Chi-yun Lim

2.7À une date non précisée, Chi-yun Lim a reçu un avis de conscription de l’Administration militaire de l’État partie. Pour des raisons de conscience et de conviction religieuse, il a refusé de se faire incorporer dans le délai prescrit, ce qui lui a valu d’être arrêté et inculpé en vertu de l’article 88 (par. 1) de la loi sur le service militaire. Il a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement d’un an et demi par un tribunal de district. Son recours en appel a été rejeté. Le 13 janvier 2005, la Cour suprême a confirmé sa déclaration de culpabilité et sa peine, pour des motifs similaires à ceux exposés dans les affaires susmentionnées. Elle a toutefois ajouté que «[m]ême s’il est souhaitable d’adopter un système de service de remplacement au service militaire obligatoire pour ceux qui maintiennent fermement leur décision fondée sur des raisons de conscience ou de religion et s’y tiennent, y compris lorsqu’ils encourent une sanction pénale, plutôt que de forcer ces personnes à servir dans l’armée, cette réglementation n’est pas une responsabilité constitutionnelle du Gouvernement et la loi sur le service militaire, loi qui se limite à sanctionner et ne prévoit pas une telle exemption, n’est pas contraire à la Constitution».

Le cas de Choi Jin

2.8À une date non précisée, Choi Jin a reçu un avis de conscription de l’Administration militaire de l’État partie. Pour des raisons de conscience et de conviction religieuse, il a refusé de se faire incorporer dans le délai prescrit, ce qui lui a valu d’être arrêté et inculpé en vertu de l’article 88 (par. 1) de la loi sur le service militaire. Il a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement d’un an et demi par un tribunal de district. Son recours en appel a été rejeté. Le 15 septembre 2005, la Cour suprême a confirmé sa déclaration de culpabilité et sa peine, pour des motifs similaires à ceux exposés dans les affaires susmentionnées.

Le cas de Tae-hoon Lim

2.9À une date non précisée, Tae-hoon Lim a reçu un avis de conscription de l’Administration militaire de l’État partie. Pour des raisons de conscience et de conviction religieuse, il a refusé de se faire incorporer dans le délai prescrit, ce qui lui a valu d’être arrêté et inculpé en vertu de l’article 88 (par. 1) de la loi sur le service militaire. Il a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement d’un an et demi par un tribunal de district. Son recours en appel a été rejeté. Le 24 novembre 2004, la Cour suprême a confirmé sa déclaration de culpabilité et sa peine, pour des motifs similaires à ceux exposés dans les affaires susmentionnées.

Le cas de Sung-hwan Lim

2.10À une date non précisée, Sung-hwan Lim a reçu un avis de conscription de l’Administration militaire de l’État partie. Pour des raisons de conscience et de conviction religieuse, il a refusé de se faire incorporer dans le délai prescrit, ce qui lui a valu d’être arrêté et inculpé en vertu de l’article 88 (par. 1) de la loi sur le service militaire. Il a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement d’un an et demi par un tribunal de district. Son recours en appel a été rejeté. Le 13 janvier 2005, la Cour suprême a confirmé sa déclaration de culpabilité et sa peine, pour des motifs similaires à ceux exposés dans les affaires susmentionnées. Elle a toutefois ajouté que «[d]ans l’ordre juridique actuel, il serait souhaitable d’introduire un service de remplacement au service militaire obligatoire, plutôt que de forcer à accomplir un service militaire ceux qui, à l’instar du défendeur, sont fermement déterminés à maintenir leur décision fondée sur des raisons de conscience ou de religion même sous peine d’emprisonnement».

Le cas de Jae-sung Lim

2.11À une date non précisée, Jae-sung Lim a reçu un avis de conscription de l’Administration militaire de l’État partie. Pour des raisons de conscience et de conviction religieuse, il a refusé de se faire incorporer dans le délai prescrit, ce qui lui a valu d’être arrêté et inculpé en vertu de l’article 88 (par. 1) de la loi sur le service militaire. Il a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement d’un an et demi par un tribunal de district. Son recours en appel a été rejeté. Le 28 juillet 2005, la Cour suprême a confirmé sa déclaration de culpabilité et sa peine, pour des motifs similaires à ceux exposés dans les affaires susmentionnées.

Le cas de Dong-ju Goh

2.12Dong-ju Goh est un pacifiste de confession catholique. À une date non précisée, il a reçu un avis de conscription de l’Administration militaire de l’État partie. Pour des raisons de conscience et de conviction religieuse, il a refusé de se faire incorporer dans le délai prescrit, ce qui lui a valu d’être arrêté et inculpé en vertu de l’article 88 (par. 1) de la loi sur le service militaire. Il a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement d’un an et demi par un tribunal de district. Son recours en appel a été rejeté. Le 7 décembre 2006, la Cour suprême a confirmé sa déclaration de culpabilité et sa peine, pour des motifs similaires à ceux exposés dans les affaires susmentionnées.

Décision de la Cour constitutionnelle

2.13Le 26 août 2004, dans une affaire sans rapport avec celles visées dans les présentes communications, la Cour constitutionnelle a rejeté à la majorité de ses membres une requête tendant à contester la constitutionnalité de l’article 88 de la loi sur le service militaire au motif que celui-ci serait incompatible avec la protection de la liberté de conscience garantie par la Constitution coréenne. La Cour a considéré notamment ce qui suit:

«La liberté de conscience telle qu’elle est énoncée à l’article 19 de la Constitution ne confère pas aux individus le droit de refuser le service militaire. La liberté de conscience est simplement le droit, pour un individu, de demander à l’État de tenir compte de sa conscience et de la protéger, si cela est possible, et n’est donc pas un droit qui l’autorise à refuser d’accomplir ses obligations militaires pour des raisons de conscience, pas plus qu’il ne l’autorise à exiger de pouvoir effectuer un service de remplacement qui se substituerait à l’accomplissement d’une obligation légale. En conséquence, on ne peut pas inférer de la liberté de conscience le droit de demander à effectuer un service de remplacement. La Constitution n’énonce aucun principe conférant à la liberté d’expression un rang de supériorité absolue par rapport à l’obligation du service militaire. L’objection de conscience au service militaire ne peut être reconnue comme droit légitime qu’à la condition que la Constitution elle-même prévoie expressément ce droit.».

2.14Les auteurs affirment que depuis ces décisions de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle, chaque année, quelque 700 objecteurs de conscience sont condamnés à une peine d’emprisonnement d’un an et demi et incarcérés. Plus de 99 % d’entre eux sont des Témoins de Jéhovah.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’absence, dans l’État partie, de service de remplacement au service militaire obligatoire, lequel doit être effectué sous peine de poursuites pénales et d’emprisonnement, constitue une violation des droits qui leur sont reconnus au paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte.

3.2Les auteurs invoquent les constatations adoptées le 3 novembre 2006 par le Comité dans l’affaire Yeo-Bum Yoon et Myung-Jin Choi c. République de Corée (communications nos 1321/2004 et 1322/2004), dans laquelle le Comité a conclu, au vu de faits similaires à ceux visés dans les présentes communications, à une violation du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte par l’État partie et a obligé celui-ci à fournir un recours utile aux auteurs.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une lettre datée du 14 novembre 2008, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond des communications. Se référant aux constatations adoptées par le Comité dans l’affaire Yeo-Bum Yoon et Myung-Jin Choi, il demande au Comité de reconsidérer cette décision à la lumière du contexte de la sécurité en République de Corée.

4.2L’État partie insiste sur certains aspects précis de la décision susmentionnée. Au sujet de l’argument du Comité qu’«un nombre croissant d’États parties au Pacte, qui maintiennent le service militaire obligatoire, ont mis en place un dispositif de substitution à ce service», il fait observer que les systèmes juridiques de l’Allemagne et de Taïwan − deux pays qui ont introduit un service de remplacement − sont assez différents du sien. La Corée est divisée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors que l’Allemagne n’était pas en guerre et a été réunifiée en 1990.

4.3Taïwan n’a jamais été en guerre avec la Chine après l’établissement du Gouvernement taïwanais en 1955. La guerre de Corée s’est déroulée dans toute la péninsule coréenne et a duré trois ans et un mois, du 25 juin 1950 à juillet 1953, date à laquelle un accord de cessez-le-feu a finalement été signé. Elle a fait 1 million de morts dans le Sud, et plus de 10 millions de Coréens ont été séparés de leur famille à la fin de la guerre. L’État partie explique que ce douloureux passé de guerre est l’une des raisons pour lesquelles le Gouvernement accorde une telle importance à la sécurité nationale et la considère comme la première priorité de sa politique nationale. Sur le plan juridique, l’État partie rappelle qu’un accord de cessez-le-feu est toujours en vigueur dans le pays, ce qui distingue celui-ci d’autres pays tels que Taïwan. Cet accord n’a pas encore été remplacé par un nouveau cadre juridique, tel qu’une déclaration mettant fin à la guerre ou un accord de paix qui garantisse la non-agression et la paix, malgré les efforts constants déployés dans ce sens. L’État partie estime que sa situation sur le plan de la sécurité n’est pas comparable à celles de l’Allemagne ou de Taïwan, puisque son territoire est bordé par celui de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) sur quelque 250 kilomètres. Entre le 15 juin 1999 et le 19 juin 2002, de nombreux heurts se sont produits entre des navires nord-coréens et sud-coréens. Cela prouve que la guerre peut encore éclater, même dans un contexte de relative réconciliation entre les deux pays, et cela confirme le besoin de l’État partie de renforcer ses moyens militaires à des fins de défense.

4.4Au sujet de l’argument du Comité selon lequel «l’État partie n’a pas montré quels désavantages particuliers découleraient pour lui du plein respect des droits que l’article 18 reconnaît aux auteurs», l’État partie fait valoir que l’objection de conscience ou l’introduction d’un service de remplacement sont des questions étroitement liées à la sécurité nationale, de laquelle dépendent directement la survie nationale et la liberté de la population. L’État partie craint qu’un service de remplacement au service militaire ne compromette la sécurité nationale. Il rappelle que la péninsule coréenne est à 70 % montagneuse, et qu’il est donc d’autant plus nécessaire de disposer de forces terrestres suffisantes pour combattre la guérilla. Or, l’État partie a environ 680 000 soldats, ce qui représente seulement 58 % des effectifs de la RPDC, laquelle en compte environ 1 170 000; en outre, entre 2000 et 2005, le nombre de soldats de sexe masculin entre 15 et 25 ans a considérablement diminué. Compte tenu de cette tendance qui devrait se poursuivre, il est encore plus difficile d’accepter des cas d’exemption de conscription.

4.5Selon l’État partie, il y a toujours des personnes qui essaient de «se soustraire» à la conscription, parce que les conditions de vie dans l’armée sont souvent assez exigeantes, ou parce qu’elles redoutent les conséquences qu’une telle interruption pourrait avoir sur leurs études ou leur carrière professionnelle. Il est donc d’autant plus nécessaire de maintenir la politique actuelle consistant à n’admettre aucune exception au service militaire obligatoire, de façon à garantir que le pays dispose de forces terrestres suffisantes. L’État partie fait valoir que s’il faisait droit aux demandes d’exemption du service militaire, sans consensus populaire sur la question, il ne serait plus en mesure d’assurer au pays les effectifs militaires nécessaires à sa sécurité, car la population n’aurait plus confiance dans l’équité du système et s’interrogerait sur sa nécessité et sa légitimité. En outre, toute exception motivée par les convictions religieuses devrait être applicable aux personnes de toutes les confessions, et comme une proportion importante des soldats appartient à une confession donnée, il y aurait lieu de craindre une prolifération des demandes d’exemption. La situation serait encore aggravée si l’État partie faisait droit aux demandes d’exemption fondées sur la seule conscience personnelle plutôt que la religion. L’État partie considère par conséquent que la reconnaissance de l’objection de conscience et l’introduction d’un service de remplacement doivent être précédées d’une série de mesures visant à: assurer que le pays disposera d’effectifs militaires stables et suffisants; garantir qu’il n’y aura pas d’inégalité entre les personnes de différentes religions ni entre celles qui ont une religion et celles qui n’en n’ont pas; définir, sur la base d’études approfondies, des critères clairs et précis pour la reconnaissance des exemptions; et recueillir un consensus sur la question parmi la population.

4.6Au sujet de l’argument du Comité selon lequel «le respect par l’État partie des convictions de conscience et de leur manifestation est en lui-même un facteur important pour assurer la cohésion et un pluralisme stable dans la société», l’État partie fait valoir que, dans la mesure où la situation qui prévaut en matière de sécurité est exceptionnelle, une application conforme et équitable du système de conscription obligatoire est un facteur déterminant pour assurer la cohésion sociale. Le respect des convictions de conscience et de leur manifestation ne peut pas être garanti par la seule mise en place d’un système. Ce respect ne peut être durablement assuré que si la société est parvenue à un accord général sur la question. Des sondages d’opinion ont montré que 72,3 % (en juillet 2005) et 60,5 % (en septembre 2006) de la population étaient opposés à un service de remplacement pour les objecteurs de conscience. L’État partie est d’avis que l’introduction prématurée d’un tel dispositif, dans un délai relativement court, sans consensus populaire, aurait pour effet d’aggraver les tensions sociales plutôt que de favoriser la cohésion sociale.

4.7L’État partie affirme que, dans la pratique, il est très difficile de mettre en place un système de service de remplacement qui garantisse égalité et équité entre ceux qui font le service militaire obligatoire et ceux qui font le service de remplacement. La plupart des soldats de l’État partie s’acquittent de leurs obligations dans des conditions difficiles, voire dangereuses. Pendant qu’ils remplissent leur devoir de défense du pays, ils mettent leur vie en danger. De fait, 6 personnes sont mortes et 19 ont été blessées lors des affrontements qui ont opposé des navires nord-coréens et sud-coréens près de Yeonpyeong-do, dans la mer Jaune, le 19 juin 2002. Il est donc quasiment impossible de garantir que ceux qui font le service militaire et ceux qui font le service de remplacement assument le même fardeau. À supposer que cette disparité persiste, il est impératif d’obtenir la compréhension et le soutien de la population avant d’introduire un système de service de remplacement.

4.8L’État partie regrette qu’au moment de son adhésion au Protocole facultatif, le 10 avril 1990, le Comité ne se soit pas clairement prononcé sur la question de savoir si l’objection de conscience entrait dans le champ d’application de l’article 18. Ce n’est que le 30 juillet 1993 que le Comité, dans son Observation générale no 22, a fait savoir qu’il considérait la non-reconnaissance de l’objection de conscience comme contraire à cet article. L’État partie renvoie aux décisions de sa Cour suprême et de sa Cour constitutionnelle, qui ont estimé que l’absence de service de remplacement à l’heure actuelle ne pouvait être considérée comme une violation du Pacte, et que la disposition de la loi sur le service militaire qui sanctionne les objecteurs de conscience était conforme à la Constitution.

4.9L’État partie informe le Comité que le Ministère de la défense nationale a mis en place une «commission conjointe des secteurs public et privé pour la recherche d’un système de service de remplacement» qui, d’avril 2006 à avril 2007, a examiné les moyens de modifier la loi sur le service militaire et d’introduire un système de service de remplacement, en tenant compte de l’évolution probable des besoins et des disponibilités en personnel militaire, des déclarations des objecteurs de conscience, des avis d’experts dans ce domaine et d’exemples pertinents de pays étrangers. Cette commission étudie maintenant les tendances de l’opinion publique entre août et décembre 2008.

4.10En outre, en septembre 2007, l’État partie a annoncé son intention d’introduire un système permettant d’affecter à un service social ceux qui refusent la conscription en raison de leurs convictions religieuses, une fois qu’il y aurait un «consensus populaire» sur la question. Il informe le Comité que, dès l’existence d’un tel consensus, «comme suite à l’étude conduite sur l’opinion publique et les positions des ministères et institutions concernés, il envisagera d’introduire un système de service de remplacement». En conclusion, l’État partie demande au Comité de reconsidérer, à la lumière des arguments présentés ici, sa position antérieure sur la question.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 14 novembre 2008, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie. À propos des arguments relatifs à la sécurité nationale, ils font valoir que la sécurité est une question importante pour tous les pays, qu’ils soient ou non divisés ou sous un régime de cessez-le-feu. Un service de remplacement existe en Allemagne depuis les années 60, donc avant l’unification, et Taïwan, bien que sous domination chinoise, en offre un également.

5.2Selon les auteurs, il ressort des statistiques officielles que 340 000 hommes ont été incorporés pour faire leur service militaire dans l’État partie, mais 8 000 autres ont été exemptés, le plus souvent en raison d’un handicap physique. Parmi les conscrits, 270 000 ont été affectés à une caserne, mais 70 000 autres ont fait un «service social de remplacement», par exemple dans l’administration, des postes de police, des casernes de pompiers, des centres médicaux publics, des services du ministère public, des usines travaillant pour la défense nationale ou encore différents laboratoires. Les critères pour distinguer les conscrits étaient les qualités ou les compétences physiques, et les qualifications professionnelles ou académiques, qui peuvent être mises à profit dans le cadre d’un service de remplacement au service militaire. Le fait qu’un si grand nombre de conscrits fassent déjà un service de remplacement montre que l’État partie ne manque pas de soldats dans les casernes. Les auteurs ajoutent que, selon le «Livre blanc de la défense» publié par le Ministère de la défense nationale, le 4 novembre 2006, l’État partie a envoyé pas moins de 2 577 soldats à l’étranger, sans que cela soit directement lié à sa propre sécurité nationale.

5.3Selon les auteurs, le nombre d’objecteurs de conscience est inférieur à 700 par an et représente 0,26 % et 1 %, respectivement, des conscrits en poste dans des casernes et des conscrits en poste à l’extérieur. Par conséquent, l’argument de l’État partie selon lequel l’introduction d’un service de remplacement mettrait en péril la sécurité nationale est abusif et dénué de fondement. À propos des arguments relatifs aux problèmes de sécurité avec la RPDC, les auteurs font valoir que la population de l’État partie est presque deux fois supérieure à celle de la RPDC, et son économie est 30 fois plus importante. De plus, la RPDC est sous surveillance constante par satellite. Enfin, les arguments de l’État partie à ce sujet sont d’autant moins crédibles que son budget de la défense s’élevait à 15,7 milliards de dollars en 2006, alors que celui de la RPDC pour la même année était estimé à 2,94 milliards de dollars, et qu’en outre il a réduit la durée du service militaire au fil des ans.

5.4Au sujet de l’argument de l’État partie selon lequel un système obligatoire ne doit admettre aucune exception, de façon à réduire au minimum la possibilité de se soustraire à la conscription, les auteurs répètent que 70 000 personnes ont fait leur service militaire ailleurs que dans une caserne, ce qui représente un groupe 100 fois plus nombreux que celui des objecteurs de conscience. Par conséquent, l’État partie n’a pas lieu de craindre qu’un service de remplacement au service militaire pour les objecteurs de conscience n’entraîne des inégalités. Les auteurs se réfèrent également à une déclaration faite le 18 septembre 2007 par le Ministère de la défense nationale, qui a annoncé que l’État partie allait prendre des dispositions pour permettre aux objecteurs de conscience de faire un service spécial de remplacement dans le cadre d’un «service social de remplacement» à condition: 1) qu’il s’agisse des «services sociaux de remplacement» les plus pénibles, par exemple s’occuper de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de grands handicapés nécessitant des soins intensifs en permanence; 2) que les objecteurs qui choisissent ce type de service soient tenus de loger dans l’établissement concerné, plutôt que de rentrer chez eux; et 3) que la durée de leur service soit le double de celle du service effectué dans une caserne. Selon les auteurs, compte tenu des conditions plus difficiles et exigeantes de ce service de remplacement, il est probable que seuls les véritables objecteurs de conscience demanderaient à le faire, et il n’y a pas lieu de supposer que l’introduction d’un tel service pour les objecteurs de conscience aurait des conséquences négatives sur le système militaire ou entraînerait des inégalités. Cela n’a pas été le cas en Allemagne ni à Taïwan.

5.5Au sujet de l’argument de l’État partie selon lequel il n’y a pas de «consensus populaire» sur la question, les auteurs relèvent que l’État partie se réfère uniquement aux sondages effectués en 2005 et en 2006, sans mentionner ceux de 2007, qui montrent qu’une majorité de la population (52 %) est favorable à un service spécial de remplacement. Ce pourcentage a été cité par le gouvernement précédent et a motivé la volonté du parti progressiste (Parti démocratique ouvert) d’introduire un service spécial de remplacement pour les objecteurs de conscience, comme indiqué plus haut au paragraphe 4.10. Le gouvernement avait été encouragé à prendre cette mesure par les constatations du Comité dans l’affaire Yeo-Bum Yoon et Myung-Jin Choi c. République de Corée. Cependant, il a ensuite changé d’avis et a commencé à s’appuyer sur des sondages plus anciens pour justifier sa nouvelle position. Lorsque le parti conservateur (Grand parti national) a pris le pouvoir en 2008, le Ministère de la défense nationale a décidé de reporter l’introduction d’un système élargi de service spécial de remplacement.

5.6Les auteurs soutiennent qu’avec la mise en place d’un service de remplacement pour les objecteurs de conscience, l’État partie protégerait les droits des minorités et favoriserait l’intégration et le pluralisme dans la société. À cause de leur casier judiciaire, les objecteurs de conscience sont pénalisés sur le plan social et économique. Par exemple, ils ne peuvent pas devenir fonctionnaires ni intégrer une entreprise privée.

5.7Les auteurs soutiennent que l’article 18 du Pacte fait obligation à l’État partie de proposer un service de remplacement aux objecteurs de conscience, ainsi que l’a établi le Comité dans ses constatations en l’affaire Yeo-Bum Yoon et Myung-Jin Choi c. République de Corée. Étant donné que différentes formes de service de remplacement existent déjà, l’État partie pourrait proposer un service pour objecteurs de conscience en supprimant simplement l’initiation de quatre semaines à l’utilisation des armes à feu. Les auteurs soulignent également que le droit protégé par l’article 18 est un droit auquel il ne peut être dérogé, même dans les situations exceptionnelles, ce qui invalide les arguments de l’État partie relatifs à la sécurité nationale.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En l’absence d’objections de l’État partie à la recevabilité des communications, ainsi que de toutes autres raisons pour lesquelles le Comité devrait déclarer celles-ci irrecevables en tout ou en partie, le Comité déclare que le grief de violation de l’article 18 du Pacte est recevable.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné les présentes communications en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité prend note du grief des auteurs, qui estiment que les droits qui leur sont garantis par l’article 18 du Pacte ont été violés, au motif qu’il n’existe pas, dans l’État partie, de service de remplacement au service militaire obligatoire, et que le fait de ne pas accomplir ce service militaire leur a valu d’être poursuivis en justice et incarcérés. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’il a conclu, dans des affaires similaires mettant en cause l’État partie, que la déclaration de culpabilité et la condamnation des auteurs constituaient une restriction de leur capacité de manifester leur religion ou leur conviction, et que l’État partie n’avait pas apporté la preuve que cette restriction était nécessaire au sens du paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte.

7.3Le Comité note que, dans la présente affaire, l’État partie réitère les arguments qu’il a avancés au sujet des précédentes communications soumises au Comité, notamment en ce qui concerne la sécurité nationale, l’égalité entre le service militaire et le service de remplacement, et l’absence de consensus national sur la question. Le Comité estime qu’il a déjà examiné ces arguments dans ses constatations précédentes et ne voit pas de raison de s’écarter de la position qu’il a déjà exprimée à leur sujet.

7.4Le Comité note que le refus des auteurs d’être enrôlés aux fins du service obligatoire constituait une expression directe de leurs convictions religieuses, dont il n’est pas contesté qu’elles étaient professées sincèrement. Il s’ensuit que leur déclaration de culpabilité et leur condamnation constituent une atteinte à leur liberté de conviction et une restriction de leur capacité de manifester leur religion ou leur conviction. Le Comité conclut que l’État partie n’a pas apporté la preuve que cette restriction, en l’espèce, était nécessaire au sens du paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte, et qu’il a donc violé les dispositions du paragraphe 1 de cet article.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par la République de Corée du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte, à l’égard de chacun des auteurs.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir aux auteurs un recours utile, y compris sous la forme d’une réparation. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]