Nations Unies

CCPR/C/98/D/1589/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

11 mai 2010

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Quatre-vingt-dix-huitième session

8-26 mars 2010

Constatations

Communication no 1589/2007

Présentée par:

Sanobar Gapirjanova (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Youzef Gapirjanov, fils de l’auteur

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

15 novembre 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

•Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 22 août 2007 (non publiée sous forme de document)

•CCPR/C/94/D/1589/2007 – décision concernant la recevabilité, adoptée le 10 octobre 2008

Date de l’adoption des constatations:

18 mars 2010

Objet :

Procès inéquitable avec utilisation de la torture pendant l’enquête préliminaire

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes; griefs insuffisamment étayés; appréciation des faits et des preuves

Questions de fond :

Torture; habeas corpus; procès inéquitable

Articles du Pacte :

7, 9, 10 et 14

Articles du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b)) et 2

Le 18 mars 2010, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1589/2007 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-huitième session)

concernant la

Communication no 1589/2007 **

Présentée par:

Sanobar Gapirjanova (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Youzef Gapirjanov, fils de l’auteur

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

15 novembre 2006 (date de la lettre initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité

10 octobre 2008

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 mars 2010,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1589/2007 présentée au nom de M. Youzef Gapirjanov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Mme Sanobar Gapirjanova, de nationalité ouzbèke, née en 1935. Elle présente la communication au nom de son fils, Youzef Gapirjanov, également Ouzbek, né en 1963, qui exécute une peine d’emprisonnement de dix ans prononcée le 10 février 2005 par le tribunal du district de Kamza (Tachkent) pour trafic de drogues. L’auteur affirme que son fils est victime de violations par l’Ouzbékistan des droits consacrés aux articles 7, 9, 10, 12 et aux paragraphes 1 et 3 b), d) et e) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 10 février 2005, le tribunal du district de Kamza (Tachkent) a condamné le fils de l’auteur, Youzef, à dix ans d’emprisonnement pour trafic illicite de stupéfiants. Youzef a en outre été qualifié de récidiviste dangereux. Le 19 avril 2005, l’affaire a été jugée en appel par le tribunal municipal de Tachkent qui a confirmé la condamnation. Les demandes successives de réexamen en supervision (nadzornaya zhaloba) déposées au nom de Youzef ont été rejetées par la Cour suprême d’Ouzbékistan.

2.2L’auteur affirme que quand ils l’ont arrêté, le 11 août 2004, les policiers ont frappé son fils pour le contraindre à se déclarer coupable. Youzef a été blessé à l’oreille gauche suite aux coups reçus et a dû être transporté à l’hôpital pour y être soigné. L’auteur souligne que son fils a porté ces faits à la connaissance d’un procureur, à une date non précisée, mais que le procureur n’a pas donné suite. Un certificat médical daté du 13 août 2004 établi par un médecin du service de traumatologie de l’hôpital no 1 de Tachkent, constatant que la lésion subie résultait bien d’un «dommage mécanique», a été versé au dossier. D’après l’auteur, les enquêteurs l’ont par la suite retiré.

2.3L’auteur affirme que, devant les plaintes répétées de son fils qui dénonçait le recours à des méthodes illégales d’enquête, le tribunal aurait dû ordonner un nouvel examen médical et vérifier l’origine précise de la lésion. Pourtant, le tribunal n’a diligenté aucun examen supplémentaire et s’est satisfait de l’avis d’un expert médical qui déclarait que Youzef Gapirjanov souffrait d’une otite chronique; mais l’examen a été effectué trop tardivement pour pouvoir déterminer s’il avait été frappé à l’oreille. Le tribunal aurait de plus retenu les dépositions de policiers affirmant que l’enquête avait été menée dans les règles et sans utilisation de la force.

2.4D’après l’auteur, le procès a été inéquitable et la condamnation de son fils n’était pas fondée. Youzef était accusé d’avoir vendu plusieurs fois de l’héroïne à trois individus. La responsabilité pénale de ces trois individus, tous toxicomanes, était engagée dans la même affaire et ils avaient donc un intérêt personnel dans l’affaire. D’après l’auteur, ils avaient accablé son fils pour atténuer leur propre responsabilité. Youzef n’avait pas été arrêté en flagrant délit et son inculpation reposait donc uniquement sur les faux témoignages faits par les trois individus qui voulaient se disculper. Aucune preuve objective de la culpabilité du fils de l’auteur n’avait été produite ni pendant l’enquête préliminaire ni au procès.

2.5Les droits de la défense auraient été violés parce que le fils de l’auteur n’avait pas été représenté par un conseil après son arrestation, malgré ses demandes répétées. Des actes relatifs à l’enquête ont donc été effectués en l’absence d’avocat. Plusieurs des demandes et recours formés par le fils de l’auteur pendant l’enquête préliminaire et le procès n’ont pas été examinés, ce qui aurait empêché d’établir la vérité objective. Ni les enquêteurs ni les juges n’ont interrogé un certain Turdikhodjaev, qui aurait pu confirmer l’alibi de Youzef. De plus, celui-ci n’avait pas assisté à l’audience en appel, en dépit de sa demande expresse.

2.6L’auteur affirme que les avocats de son fils ont fait preuve de passivité. Ainsi, ils n’ont pas demandé que le degré de toxicodépendance des trois coïnculpés soit établi et n’ont pas davantage présenté au tribunal un avis d’expert sur la lésion à l’oreille gauche ni réclamé un nouvel examen de cette lésion.

2.7L’auteur affirme qu’en violation de l’article 243 du Code de procédure pénale ouzbek, son fils n’a pas été interrogé par le procureur au sujet de son placement en détention; or un procès-verbal d’interrogatoire avait été établi à l’avance par un enquêteur.

2.8Le 12 août 2004, des policiers auraient découpé les poches du pantalon de Youzef puis les auraient placées sous scellés et envoyées pour analyse au laboratoire. D’après l’auteur, cette opération s’est déroulée en l’absence de témoin, ce qui la rend illégale. La justice n’en a pas tenu compte.

2.9Les enquêteurs auraient perquisitionné au domicile de Youzef Gapirjanov et auraient trouvé 0,11 gramme d’héroïne. L’auteur fait valoir que, d’après son fils, la drogue avait en fait été apportée et cachée chez lui par les policiers. Quand ils avaient découvert la drogue, les policiers avaient fait sortir tous les témoins de la pièce. L’auteur fait valoir que c’est pour cette raison que l’enquêteur a par la suite refusé d’ordonner une analyse afin de comparer la drogue trouvée dans l’appartement de son fils et celle qui avait été saisie chez l’un des autres coïnculpés.

2.10L’auteur affirme que, lors de l’enquête préliminaire, un des policiers a réclamé 1 000 dollars des États-Unis en échange de la promesse de classer l’affaire, mais que son fils a décliné l’offre.

2.11Enfin, l’auteur conteste les conclusions d’une analyse complémentaire de l’héroïne saisie (qui aurait été réalisée le 30 août 2004), affirmant qu’elle ne pouvait pas avoir eu lieu vu qu’il avait fallu utiliser la totalité de la drogue saisie pour les analyses des 12 et 13 août 2004.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son fils est victime d’une violation des droits consacrés aux articles 7 et 10 du Pacte, étant donné qu’il a été frappé par des policiers lors de son arrestation. Il s’en est plaint à qui de droit, mais le procureur a ignoré les plaintes et le tribunal n’a pas ordonné l’examen médical qui aurait permis de vérifier ses griefs.

3.2L’auteur affirme que son fils est victime de violations de l’article 9 du Pacte dans la mesure où, après son arrestation, il n’a pas été déféré devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires.

3.3L’auteur affirme, sans apporter plus de renseignements, que son fils est victime d’une violation des droits énoncés à l’article 12 du Pacte.

3.4L’auteur fait valoir que le procès de son fils n’a pas satisfait aux critères d’équité au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte et que sa condamnation n’était pas fondée.

3.5L’auteur invoque une violation des droits consacrés au paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte parce que son fils n’a pas eu accès à un conseil après son arrestation, en dépit de sa demande à cet effet, et n’a pas été autorisé à assister à l’audience d’appel.

3.6L’auteur affirme enfin que les droits énoncés au paragraphe 3 e) de l’article 14 ont été violés du fait que les différentes demandes formées au nom de son fils pendant l’enquête et devant le tribunal ont été ignorées et en particulier que ni les enquêteurs ni les juges n’ont interrogé un témoin susceptible de confirmer l’alibi avancé par Youzef Gapirjanov pour sa défense.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

4.1Dans une lettre du 15 octobre 2007, l’État partie a rappelé que, le 10 février 2005, le tribunal du district de Kamza avait reconnu Youzef Gapirjanov coupable d’une infraction tombant sous le coup de l’article 275 du Code pénal (production, achat ou détention illégaux de substances stupéfiantes ou psychotropes, et autres activités connexes, en vue de leur vente) et l’avait condamné à dix ans d’emprisonnement, en tant que récidiviste dangereux. Le tribunal municipal de Tachkent a confirmé la condamnation en appel le 19 avril 2005. L’État partie a relevé que M. Gapirjanov n’avait pas épuisé les recours internes disponibles puisque l’affaire n’avait pas été portée devant la Cour suprême d’Ouzbékistan au titre de la procédure de réexamen en supervision. L’État partie a donc demandé au Comité de déclarer la communication irrecevable.

4.2L’État partie a fait valoir, sans développer son argument, qu’aucune des allégations de l’auteur relatives au déroulement de l’enquête et du procès n’était fondée.

Décision concernant la recevabilité

5.1À sa quatre-vingt-quatorzième session, le 10 octobre 2008, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il a noté que l’État partie contestait la recevabilité au motif que l’affaire n’avait pas été portée devant la Cour suprême d’Ouzbékistan dans le cadre de la procédure de réexamen. Le Comité a noté que l’État partie n’avait donné aucune explication sur l’utilité de ce recours et s’était limité à indiquer qu’il était prévu par la loi. Il a considéré que même si ce recours pouvait se révéler utile dans certaines situations, il ne pouvait être exercé qu’avec le consentement exprès du Président ou d’un des Vice-Présidents de la Cour suprême, qui était donc doté d’un pouvoir discrétionnaire pour décider de saisir ou non la Cour d’une affaire, alors que la personne qui avait été condamnée et qui estimait que ses droits avaient été violés ne pouvait pas former elle-même ce recours directement.

5.2Le Comité a noté que dans la présente affaire l’auteur avait fait parvenir des copies de plusieurs lettres rejetant ses demandes de réexamen de l’affaire, signées par le Président ou un Vice-Président de la Cour suprême; le fait que l’affaire n’ait pas été réexaminée par la Chambre criminelle de la Cour suprême, le Présidium ou le plénum ne pouvait en aucun cas être attribué à l’auteur ou à son fils. Le Comité a aussi noté qu’en vertu de la loi ouzbèke sur les tribunaux, les pourvois en réexamen peuvent être examinés non seulement par les chambres de la Cour suprême mais aussi par le Présidium et le plénum. De l’avis du Comité, cette situation prouvait que les recours en question n’étaient pas d’application générale mais restaient dans une large mesure discrétionnaires et exceptionnels. Par conséquent, le Comité a considéré qu’il n’était pas empêché par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

5.3Le Comité a également pris note du grief de l’auteur qui a affirmé que les droits consacrés à l’article 12 du Pacte avaient été violés, sans donner d’éléments à l’appui de ce grief. En l’absence de toute information utile, il a considéré que cette partie de la communication était irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4Le Comité a estimé que les autres griefs de l’auteur, tirés de l’article 7, de l’article 9, de l’article 10 et des paragraphes 1 et 3 b), d) et e) de l’article 14 du Pacte étaient suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et a décidé de les examiner quant au fond.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Par une note verbale du 6 mars 2009, l’État partie a fait parvenir ses observations sur le fond. Il rappelle les faits de la cause: le 10 février 2005, le tribunal du district de Kamza (Tachkent) a déclaré M. Gapirjanov coupable de vente illégale d’une grande quantité de substances psychotropes et l’a condamné à un emprisonnement de dix ans. Le verdict a été confirmé en appel, le 19 avril 2005, par le tribunal municipal de Tachkent. M. Gapirjanov avait également été qualifié de récidiviste particulièrement dangereux.

6.2L’État partie souligne que comme à l’origine le tribunal municipal de Tachkent avait examiné l’appel de M. Gapirjanov en l’absence de celui-ci, le Présidium du même tribunal a annulé, le 30 janvier 2008, le jugement rendu en appel le 19 avril 2005. À l’issue d’une nouvelle audience d’appel, le 11 mars 2008, le tribunal municipal de Tachkent a confirmé la condamnation du 10 février 2005.

6.3L’État partie fait valoir que les allégations de l’auteur sont dénuées de fondement. M. Gapirjanov a été arrêté le 11 août 2004. Après l’arrestation, les policiers ont découpé et saisi les poches de son pantalon, en présence de témoins officiels. Cet acte d’enquête a fait l’objet d’un procès-verbal signé par toutes les personnes présentes. Une expertise médico-légale consistant en une analyse chimique réalisée le 30 août 2004 a établi que les poches du pantalon présentaient des traces d’héroïne.

6.4L’État partie dit que, vu l’urgence, la perquisition au domicile de M. Gapirjanov a été menée sans l’accord préalable d’un procureur, le 13 août 2004. Toutefois, le procureur a été dûment informé de la perquisition, conformément à la loi en vigueur (art. 161 du Code de procédure pénale). Les témoins officiels présents n’ont signalé aucune irrégularité et ont confirmé la teneur du procès-verbal de perquisition. Au domicile de M. Gapirjanov, les fonctionnaires de police ont trouvé un petit paquet dont on a su plus tard qu’il contenait 0,11 gramme d’héroïne.

6.5D’après l’État partie, dès le moment de l’interpellation, les droits constitutionnels ont été pleinement respectés; M. Gapirjanov a bénéficié de l’assistance d’un avocat commis d’office et ses proches ont été avisés de son arrestation.

6.6Le 12 août 2004, M. Gapirjanov a été interrogé en tant que suspect, en présence d’un avocat, Me Sadirislomov. Il ne s’est pas plaint d’avoir été l’objet d’actes illicites de la part des enquêteurs. Pendant l’enquête préliminaire, M. Gapirjanov a demandé plusieurs fois que ses avocats soient remplacés. Pour cette raison, les avocats ont changé plusieurs fois. Quoi qu’il en soit, les droits procéduraux ont toujours été respectés, comme l’exige la loi.

6.7L’État partie rappelle que, comme l’a constaté le médecin légiste à l’issue de l’examen médical du 7 octobre 2004, M. Gapirjanov avait demandé le 13 août 2004 à voir un médecin parce qu’il souffrait de l’oreille gauche. Le médecin a diagnostiqué une otite chronique en précisant qu’elle n’était pas causée par un acte de coercition quelconque. Le corps ne portait aucune autre blessure à l’époque. Quand le juge l’a interrogé sur la question, l’expert de l’institut médico-légal a expliqué que M. Gapirjanov s’était plaint de l’oreille le 13 août 2004 et que l’otite avait été diagnostiquée. D’après l’expert, la période d’incubation pour cette affection était d’environ un mois, c’est-à-dire que l’otite avait commencé avant qu’il ait été arrêté.

6.8Pour ce qui est des allégations de l’auteur qui affirme qu’un policier avait proposé à Youzef Gapirjanov de clore l’affaire pénale en échange de 1 000 dollars des États-Unis, l’État partie répond que ces allégations ont été examinées à l’époque par un enquêteur qui a conclu qu’elles étaient dénuées de fondement (décision officielle du 6 novembre 2004).

6.9Enfin, l’État partie fait valoir que le grief de l’auteur qui affirme que la culpabilité de son fils a été établie uniquement sur la foi des témoignages de trois individus auxquels il avait vendu de la drogue est dénué de fondement. Il fait remarquer que, outre les dépositions des trois individus en question, d’autres témoins ont témoigné − comme Mme Starikova, Mme Radsulova et Mme Umarova − et c’est sur la foi de ces témoignages également que la culpabilité a été établie. Ces témoins ont confirmé leur déposition lors d’un contre-interrogatoire. La culpabilité de M. Gapirjanov a également été confirmée par les résultats de l’analyse chimique et d’autres preuves matérielles et objectives qui ont été admises par les tribunaux.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

7.1L’auteur a fait parvenir ses commentaires en date du 3 avril 2009. Elle réaffirme ses griefs précédents. En particulier, elle fait valoir que l’affirmation de l’État partie selon laquelle son fils était impliqué dans le trafic de drogues n’est pas fondée. Elle estime que l’accusation visant son fils a été formée sur la foi des témoignages d’individus qui étaient ou sont toujours toxicomanes. Ces individus avaient tout intérêt à incriminer son fils afin d’éviter d’être eux-mêmes traduits en justice. D’après l’auteur, toutes les plaintes qui ont pu être soulevées à ce sujet ont été ignorées par les autorités et la condamnation de son fils a été confirmée.

7.2L’auteur rappelle aussi que quand son fils a été arrêté, le 11 août 2004, au domicile de Batskikh, il y avait trois autres personnes présentes, dont une femme. Ces personnes n’ont jamais été interrogées pendant l’enquête préliminaire; la raison avancée par l’auteur est que Batskikh avait transformé son domicile en maison close et pour ne pas être inquiété il avait désigné M. Gapirjanov comme étant un pourvoyeur de drogues. Youzef Gapirjanov avait un alibi mais les enquêteurs n’ont interrogé le témoin qui pouvait le confirmer que deux mois et demi plus tard.

7.3L’auteur réaffirme que le domicile de son fils a été perquisitionné et que les poches de son pantalon ont été découpées en l’absence de représentants des autorités. Elle rappelle que quand les 0,11 gramme ont été découverts chez son fils les témoins n’étaient pas présents puisqu’on leur avait demandé de quitter les lieux.

7.4L’auteur réaffirme également que dans les premiers stades de l’enquête son fils n’était pas assisté d’un avocat malgré ses demandes réitérées. Elle réaffirme que plus tard il a fallu que son fils change de conseil parce que les avocats, subissant la pression de l’enquête, n’étaient pas en mesure de s’acquitter efficacement de leur mission.

7.5L’auteur conclut en réaffirmant que le dossier pénal ne contient aucune preuve directe de la culpabilité de son fils et que l’examen en appel de l’affaire, mené par le tribunal municipal de Tachkent le 11 mars 2008, a été une sorte de formalité, étant donné que son fils n’a pas été interrogé et que M. Batskikh ou d’autres témoins n’étaient pas présents.

Délibérations du Comité

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées.

8.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme que les policiers ont roué son fils de coups pour le contraindre à se déclarer coupable (voir par. 2.2 et 2.3). À l’appui de ce grief, l’auteur affirme en particulier que peu de temps après l’arrestation son fils a été frappé à coups de pied sur la tête, ce qui lui avait valu des lésions à l’oreille gauche au point qu’il avait dû être conduit à l’hôpital, au service des urgences. L’auteur affirme également qu’un rapport officiel confirmant ces faits a été retiré plus tard du dossier pénal par les enquêteurs. D’après elle, les autorités n’avaient pas accordé l’attention voulue aux nombreuses plaintes de son fils à ce sujet, pendant l’enquête préliminaire et pendant le procès. Le Comité note en outre que l’État partie objecte que M. Gapirjanov avait en fait déjà des problèmes de santé et que ses douleurs d’oreille n’avaient pas de lien avec d’éventuelles coercitions physiques et qu’il en souffrait déjà avant son arrestation, comme un expert médical l’avait confirmé au procès. Il note également que l’État partie affirme que ces griefs ont bien été examinés par les tribunaux, qui les ont jugés sans fondement.

8.3Le Comité rappelle que quand une plainte pour mauvais traitements, contraires à l’article 7 du Pacte, a été déposée tout État partie doit procéder à une enquête rapide et impartiale. Il considère que les faits tels qu’ils ont été présentés ne montrent pas que les autorités compétentes de l’État partie ont accordé l’attention voulue et diligente aux plaintes du fils de l’auteur qui dénonçait des mauvais traitements, pendant l’enquête préliminaire et pendant le procès. Dans ces circonstances et en l’absence d’une réponse suffisante de l’État partie au sujet des allégations précises de l’auteur, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que tient le fils de l’auteur de l’article 7 du Pacte. Compte tenu de cette conclusion, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner séparément le grief de violations de l’article 10 du Pacte.

8.4L’auteur a également affirmé qu’après son arrestation, le 11 août 2004, son fils n’a jamais été déféré devant un tribunal ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions juridictionnelles, afin de vérifier la légalité de son placement en garde à vue et de sa détention, en violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Le Comité relève que l’État partie n’a pas réfuté ce grief précis. Il relève en outre qu’il ressort des documents versés au dossier que la décision de placer M. Gapirjanov en garde à vue a été approuvée par un procureur, même si aucune date exacte n’est donnée. Le Comité rappelle toutefois que le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte confère à toute personne détenue du chef d’une infraction pénale le droit de bénéficier du contrôle judiciaire du placement en détention. Un élément inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire est qu’il doit être assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale à l’égard des questions à traiter. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité n’est pas convaincu qu’un procureur puisse être considéré comme ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être qualifié d’«autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires» au sens du paragraphe 3 de l’article 9. Le Comité conclut donc qu’il y a eu violation de cette disposition du Pacte.

8.5Le Comité prend note aussi des allégations de violations du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte invoquées par l’auteur, qui affirme que le procès de son fils a été entaché de partialité et que sa condamnation n’est pas fondée. Il note aussi que l’État partie n’a pas réfuté expressément cette allégation et a simplement affirmé en termes généraux que la culpabilité de M. Gapirjanov avait été dûment établie sur la foi d’un grand nombre de témoignages convergents et d’autres éléments de preuve, et qu’à tous les stades les droits procéduraux avaient été strictement observés. En l’absence d’autres renseignements utiles dans le dossier, le Comité considère que les faits tels qu’ils ont été présentés ne permettent pas de conclure à une violation des droits consacrés par cette disposition du Pacte.

8.6L’auteur a également invoqué une violation des droits garantis au paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte. L’État partie a fait valoir qu’un avocat avait été commis d’office à M. Gapirjanov dès le moment de l’arrestation et qu’ultérieurement il avait changé plusieurs fois d’avocat, à sa demande. L’auteur n’a pas réfuté ces objections spécifiquement mais a répondu sans donner de précisions que les avocats s’étaient fait remplacer parce que l’enquête les mettait sous pression. Dans ces circonstances et compte tenu des contradictions dans les réponses des parties, et en l’absence de tout autre renseignement utile dans le dossier, le Comité conclut que les faits tels qu’ils ont été présentés ne permettent pas de constater une violation des droits garantis par cette disposition du Pacte.

8.7Enfin, l’auteur a invoqué, en termes généraux, une violation des droits que tient son fils du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte, parce qu’un témoin qui aurait pu confirmer l’alibi de son fils n’a pas été interrogé et que les juges n’ont pas cité d’autres témoins ou ordonné des expertises complémentaires, etc. En l’absence de toute information utile toutefois, il conclut que les faits tels qu’ils ont été présentés ne permettent pas de constater une violation des droits garantis par cette disposition du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits garantis par l’article 7 et par le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

10.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous la forme notamment d’une indemnisation appropriée et de l’ouverture et de la conduite d’une procédure pénale aux fins d’établir la responsabilité à raison des mauvais traitements subis par M. Gapirjanov. Il est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]