Présentée par :

Aurélio Gonçalves et. al (représentés par Dr Rui Ottolini Castelo-Branco et Dr Maria João Castelo-Branco)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Portugal

Date de la communication :

31 janvier 2007 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision du Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 21 mai 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations :

18 mars 2010

* Constatations rendues publiques sur décision du Comité des droits de l’homme.

Objet :

Discrimination de la loi fiscale à l’égard des croupiers de casinos

Questions de procédure :

Aucune

Questions de fond :

Violation du principe d’égalité devant la loi

Article du Pacte :

2, paragraphes 1 et 2; 26

Articles du Protocole facultatif :

Aucun

Le 18 mars 2010, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1565/2007, au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-huitième session)

concernant la

Communication no 1565/2007 **

Présentée par :

Aurélio Gonçalves et. al (représentés par Dr Rui Ottolini Castelo-Branco et Dr Maria João Castelo-Branco)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Portugal

Date de la communication :

31 janvier 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 mars 2010,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1565/2007 présentée au nom de M. Aurélio Gonçalves et. al, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

** Les membres ci-après du Comité ont participé à l’examen de la présente communication : M.  Abdelfattah Amor, M. Lazhari Bouzid, Mme. Christine Chanet, M. Mahjoub El Haiba, M. Ahmed Amin Fathalla, Mme. Hellen Keller, M. Rajsoomer Lallah, Mme. Zonke Zanele Majodina, M. Michael O’ Flaherty, M. Rafael Rivas Posada, Sir N igel Rodley, M.  Fabian Omar Salvioli et M. Krister Thelin.

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

Les auteurs de la communication sont M. Aurélio Chainho Gonçalves, né le 8 octobre 1967; Mme Carla Filomena Soares Domingues Pereira, née le 6 octobre 1963; Mme Maria de Lurdes Mendes Cleto, née le 31 juillet 1961; M. João Maurício Rosado, né le 16 février 1947; M. Ricardino Leandro de Sousa, né le 8 mars 1965; M. Manuel Guerreiro Rosa, né le 8 août 1944; M. Ricardo Simão Guerreiro, né le 29 octobre 1966; M. José Francisco Grilo Bugalho, né le 19 septembre 1947; M. Hélder Gaspar Monteiro, né le 27 février 1940; M. José António Duarte Seixas, né le 23 octobre 1956; M. Mário Conceição do Carmo, né le 27 avril 1942; M. Manuel Justiniano da Silva Nunes, né le 16 octobre 1951; M. José Manuel Fernandes de Carvalho, né le 16 avril 1959; Mme Idália Maria Vilhena Ataíde Pires Pontes, née le 22 avril 1969; M. Avelino Albano Cupido, né le 3 mars 1962; M. Abraão Israel Marques da Mota, né le 28 juin 1942; M. Carlos Manuel Presa de Figueiredo, né le 5 juillet 1950; M. Custódio Silva Faria, né le 26 avril 1936; M. Alvaro António Reis Miranda, né le 2 décembre 1957; M. João Manuel da Silva Seguro, né le 14 mai 1956; M. Francisco José Caldeira Valadares, né le 30 juillet 1952; et M. Rui Manuel Ferreira Areias Barbosa, né le 29 décembre 1952. Les auteurs sont tous de nationalité portugaise. Ils affirment être victimes par le Portugal d’une violation de l’article 26, lu conjointement avec l’article 2, paragraphes 1 et 2 du Pacte. Ils sont représentés par Dr Rui Ottolini Castelo-Branco et Dr Maria João Castelo-Branco. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 3 août 1983.

Rappel des faits présentés par les auteurs

Les auteurs sont des croupiers travaillant dans des casinos au Portugal. Lorsque l’administration fiscale a exigé le paiement de leurs impôts pour les revenus de 1999 et 2000, les auteurs ont refusé de déclarer les revenus résultant des pourboires reçus par leurs clients (joueurs de casinos). Ils ont considéré en effet que les pourboires donnés par leurs clients n’étaient que le fruit de leur générosité, donc assimilables à des dons à but social. Ils ne peuvent constituer une rémunération à proprement parler et, par conséquent, ne peuvent être imposables.

L’article 2, paragraphe 1 et 3, alinéa h) du Code de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRS) prévoyait que les revenus de travail dépendants étaient toutes les rémunérations provenant ou mises à disposition par l’employeur, en vertu du contrat de travail ou de tout autre équivalent juridique. Doivent être considérés comme faisant partie des revenus de travail dépendants, les gratifications reçues pour la prestation ou en raison de la prestation de travail, lorsqu’elles ne sont pas attribuées par l’employeur. Dans son arrêt 497/97 du 7 juillet 1997, le Tribunal constitutionnel a déclaré cet article inconstitutionnel. Cependant, la loi budgétaire pour 1999, loi 87-B/98 du 31 décembre 1998 vient contredire cet arrêt puisqu’elle prévoit dans son article 29 que les montants reçus par les professionnels de la banque des casinos qui leur sont attribués par les joueurs, en fonction des prix reçus, sont considérés comme des gratifications reçues du fait de la prestation ou en raison de la prestation de travail. Les auteurs craignent qu’une telle disposition ne remette en cause l’arrêt du Tribunal constitutionnel qui avait déclaré la disposition sur la taxation des pourboires reçus par les croupiers comme étant inconstitutionnelle.

Les auteurs ont considéré que cela menaient à une pratique discriminatoire à l’égard des croupiers. Seuls ces professionnels sont taxés sur leur pourboire alors que les serveurs travaillant dans ces mêmes casinos et qui, de la même manière, profitent généralement des pourboires donnés par les clients ne sont pas imposés. Le caractère discriminatoire de cette différenciation a d’ailleurs été reconnu par la Cour de justice de la Communauté européenne (CJCE). Dans une opinion produite par le Centre des études financières, l’administration fiscale elle-même avait considéré que cette disposition légale violait le principe d’égalité et de justice. Cette conclusion n’a en revanche pas été suivie par les juridictions saisies (cf. infra).

Les auteurs notent en outre, que les prestations en cas de maladie ou de chômage ne sont pas calculées en fonction de la totalité de leurs revenus, mais uniquement sur la base du salaire directement payé par l’employeur. Les auteurs ont fait valoir qu’ils devaient déduire cependant 12 % de leur pourboires mensuels pour un fond spécial de la Sécurité Sociale, mais que cette cotisation ne leur donnait aucun bénéfice, et en tout cas pas une augmentation de l’assistance en cas de maladie ou de chômage. À ce titre, les pourboires ne sont pas ici considérés comme des revenus de travail dépendants. En outre, selon les auteurs, l’incapacité de l’État à contrôler la perception de pourboires par d’autres catégories professionnelles alors que ce contrôle est plus simple envers les croupiers, ne devrait pas agir aux dépends de ceux-ci. Si ce contrôle ne peut être mis en place et crée de ce fait une inégalité entre les professions, l’État doit tout simplement s’abstenir de créer cet impôt.

Les auteurs ont donc saisi individuellement le Tribunal administratif et fiscal de Loulé (13 des auteurs), de Sintra (5 des auteurs) ou de Porto (4 des auteurs) qui ont tous rejeté leur plainte entre le 1er mars 2004 et le 23 octobre 2006. Le premier appel contre une de ces décisions a été rejeté par le Tribunal administratif Suprême (jugement du 16 novembre 2005) pour un des auteurs. Les autres appels ont tous été rejetés entre le 7 mars 2006 et le 13 mars 2007, soit par le Tribunal administratif central Sud (pour Sintra et Loulé) soit par le Tribunal administratif central Nord (pour Porto). Enfin, entre le 20 mars 2006 et le 26 juin 2007, le Tribunal constitutionnel, statuant sur chaque pourvoi séparément, a rejeté de manière constante l’inconstitutionnalité des dispositions incriminées.

Teneur de la plainte

Les auteurs considèrent que l’État partie a violé leur droit à l’égalité devant la loi, garanti par l’article 26, lu conjointement avec l’article 2, paragraphe 1 et 2 du Pacte. Pour les auteurs, l’adoption de la loi 87-B/98 a changé la portée de l’arrêt no 497/97 du Tribunal constitutionnel et a de ce fait engendré un désavantage pour les croupiers par rapport aux autres professions. Cette situation viole le principe de l’égalité de l’imposition. En outre, alors que les croupiers paient des cotisations supplémentaires de 12 % sur les pourboires pour alimenter le fonds spécial de la sécurité sociale, ils ne reçoivent aucune assistance supplémentaire en cas de maladie ou de chômage.

Observations de l’État partie

Dans ses observations du 21 novembre 2007, l’État partie conteste le bien-fondé de la communication présentée par les auteurs. Il revient sur le parcours législatif de l’imposition des pourboires des croupiers et souligne que dans la version originale du Code sur l’impôt professionnel (CIP), il n’y avait aucune disposition sur l’imposition des pourboires. L’administration fiscale a donc cherché, sur la base de la définition légale des revenus du travail à inclure comme élément du revenu soumis à l’impôt, les pourboires payés par des tiers aux employés de casinos. Une telle tentative a généré de vives oppositions dans la profession de croupiers. Pour clarifier la situation le décret-loi no 138/78 du 12 juin 1978 a été modifié pour y inclure l’alinéa 2 de l’article 1 du CIP, selon lequel étaient désormais considérés comme des revenus du travail, les montants reçus à titre de gratification ou de pourboire par les employés pour le compte d’autrui dans l’exercice de leur activité, y inclus lorsque les montants ne sont pas attribués par l’employeur. Cette disposition a été déclarée inconstitutionnelle en raison de l’absence de support législatif (décret passé par le Gouvernement mais pas validé par le Parlement).

Le Législateur a de nouveau tenté d’introduire cette disposition au moyen du décret-loi no 297/79 en application de l’article 18 de la loi no 21-A/79 qui prévoyait que les règles d’incidence de l’impôt professionnel devraient être revues, de manière à inclure tous les revenus du travail ou ayant rapport avec celui-ci. L’expression « pourboires et gratifications » n’y étaient plus mentionnés et la nouvelle législation se référait simplement aux « montants reçus par les employés pour le compte d’autrui dans l’exercice de leur activité, même ceux non attribués par l’employeur ». Ce nouveau texte a lui-même été déclaré inconstitutionnel du fait de l’absence de « referenda » du Premier Ministre en fonction à la date de la promulgation. Le décret-loi no 183-D/80 a remis en vigueur l’alinéa susmentionné, l’essentiel du texte ayant été correctement adopté. Cependant, en 1982, le législateur a jugé bon de révoquer cette loi et n’a repris la formulation sur les pourboires et gratifications qu’en 1988. La nouvelle disposition du CIP prévoyait que serait imposable la moitié des montants, quelque soit leur nature, reçus par les employés pour le compte d’autrui dans l’exercice de leur activité, lorsque ces montants ne sont pas attribués par l’employeur.

Lors du passage du système des deux codes (Code de l’impôt professionnel et Code de l’impôt complémentaire) au système, plus moderne et plus proche de la Communauté européenne, du Code de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (CIRS), la loi du 17 septembre 1988 (loi no 106/88) a prévu dans son article 4, paragraphe 2, alinéa a) que seraient considérés comme des revenus du travail dépendant « toutes les rémunérations provenant du travail pour le compte d’autrui, fourni tant par des serviteurs de l’État et des autres personnes morales de droit public, qu’en résultat d’un contrat de travail ou d’un autre contrat légalement équivalant au contrat de travail ». Le Code de l’IRS, dans son article 2, relatif à la matière imposable des revenus de la catégorie A, détermine dans son paragraphe 3, alinéa h) que « sont aussi revenus du travail dépendant […] les gratifications reçues pour la prestation ou en raison de la prestation de travail, lorsqu’elles ne sont pas attribuées par l’employeur ».

La constitutionnalité de cette disposition a été mise en doute par le Médiateur qui s’est adressé au Tribunal Constitutionnel à ce sujet. Répondant à la question de savoir s’il s’agit, pour la gratification, d’une donation qui pourrait échapper aux règles fiscales du travail, le Tribunal constitutionnel a conclu à la constitutionnalité de cette disposition. Le Tribunal a considéré que la spécificité de la profession de croupier entraînait un régime particulier qui ne saurait être considéré comme inconstitutionnel. Ce cadre unique a pour conséquence une différenciation dans le schéma de rétribution. Depuis cet arrêt du Tribunal constitutionnel no497/97 du 9 juillet 1997, le législateur et l’administration publique ont été dans le sens de la soumission des pourboires à l’impôt. Dans la loi no 87-B/98 du 31 décembre 1998, contenant le budget de l’État pour 1999, l’article 29, paragraphe 5 prévoit que l’article 8 du CIRS fasse expressément référence aux revenus des croupiers de casinos, qui ne proviendraient pas de l’employeur. C’est contre cette disposition que les croupiers s’insurgent, puisqu’ils la considèrent comme un fait nouveau, dans la mesure où leur profession est directement nommée.

Avant de se prononcer sur le bien-fondé des allégations présentées par les auteurs, l’État partie se penche sur le cadre juridique des revenus des croupiers et plus particulièrement sur les gratifications. Les casinos sont des entités privées soumises à un fort régime de fiscalisation. Les casinos sont inspectés par l’Inspection générale du jeu (IGJ). L’arrêté normatif no 82/85, du 28 août 1985 régit le système de distribution des gratifications reçues par les employés des salles de jeu. On y voit que ces gratifications ne sont pas concédées intuitu personae à tel ou tel croupier qui aurait mérité la sympathie du joueur. Ces gratifications sont déposées dans une caisse à cet effet et distribuées tous les 15 jours aux croupiers selon la catégorie à laquelle ils appartiennent (les croupiers de rang plus élevés reçoivent plus). Depuis l’arrêté no 24/89 du 15 mars 1989, une Commission de distribution des gratifications (CDG) a été instaurée. Ceci montre l’importance des montants en jeu et le caractère sensible de ceux-ci. Il faut assurer l’équité, la régularité ainsi que la transparence vis-à-vis du partage de ces gratifications. L’État partie précise que la Sécurité sociale intervient aussi en ce qui concerne les gratifications. Les lois la régissant considèrent les gratifications comme des revenus de travail.

Il insiste sur le fait que les gratifications sont des revenus qui trouvent leur origine dans le rapport de travail contrairement à ce qu’allèguent les auteurs qui les considèrent comme des donations, échappant ainsi à l’impôt. En effet, les pourboires sont perçus par les croupiers en raison de leur contrat de travail. Ce ne sont pas des revenus qui leur reviennent intuit u personae et ils sont soumis à des prélèvements pour la Sécurité sociale. L’État partie cite une étude publiée par des professeurs de droit qui considère que l’adoption d’un concept global et compréhensif de revenus, comprenant également les pourboires, correspond non seulement à la pratique sociale mais est aussi une conséquence naturelle du principe de la capacité contributive. L’État partie note que le revenu de travail comprend plusieurs éléments dont la rémunération de base, les primes d’ancienneté, des gratifications diverses comme les subsides de vacances et de Noël, des additifs comme les paiements effectués pour le travail extraordinaire, complémentaire, nocturne, par tour etc.; ce revenu complexe ayant diverses utilisations sous différentes compositions, toutes légitimes. Ainsi, seule la rémunération de base et l’ancienneté compte pour l’indemnité de licenciement; pour les accidents de travail, seuls s’appliquent les prestations mensuelles à caractère régulier. Rien n’empêche d’imposer les pourboires qui sont des gratifications qui adviennent du fait de la prestation de travail.

L’État partie note que les auteurs ont invoqué la jurisprudence de la Cour de justice de la Communauté européenne (CJCE), selon laquelle la prestation de musique sur la voie publique, donnait lieu, sur une base volontaire à des versements d’argent d’un montant non déterminé. Dans une des affaires, il avait été établi qu’aucun rapport juridique n’existait entre le prestataire et le ou la bénéficiaire. Dès lors, il n’y avait pas lieu d’imposer les revenus, très variables et composés uniquement de ces gratifications, du joueur de musique sur la voie publique. L’État partie est en accord avec cette jurisprudence mais considère que les auteurs l’invoquent à tort puisqu’elle n’est pas en lien avec la présente affaire.

L’État partie se base sur la jurisprudence du Tribunal constitutionnel qui a analysé le principe d’égalité sous trois angles. Tout d’abord, l’égalité formelle prévoit que tous les citoyens sont égaux devant la loi fiscale, ce qui signifie que tous les contribuables qui se trouvent dans la même situation définie par la loi fiscale doivent être assujettis à un même régime fiscal. Ensuite, l’égalité substantielle dispose que la loi doit garantir que tous les citoyens ayant une égale charge de revenus doivent supporter une égale charge fiscale, contribuant ainsi de manière égale aux dépenses et frais publics. Enfin, l’égalité par le système fiscal vise à une répartition juste des revenus et de la richesse au-delà de la satisfaction de besoins financiers de l’État et d’autres entités publiques, l’impôt sur le revenu ayant également comme objectif la diminution des inégalités entre citoyens. Par conséquent, si les croupiers reçoivent des montants considérables sous la forme de gratifications, celles-ci n’étant pas des donations mais des dons conformes aux usages sociaux, il ne fait pas de sens de décharger les croupiers des impôts à percevoir en raison de ces gratifications, si l’on n’allège pas les charges fiscales des autres personnes au travail.

L’État partie note que selon le Comité des droits de l’homme, toute différenciation ne constitue pas une discrimination, si elle est fondée sur des critères raisonnables et objectifs et si le but visé est légitime au regard du Pacte. De cette position découle qu’il y a un accord parfait entre les critères observés par les tribunaux nationaux portugais et ceux établis par le Comité. Pour toutes ces raisons, l’État partie considère qu’il s’agit ici de revenus du travail qui sont légitimement imposés et qu’aucune norme de droit international, y compris l’article 26 du Pacte, n’ont été violées.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

Dans leurs commentaires datés du 2 février 2009, les auteurs ont réitéré les arguments développés dans la communication initiale et demandé au Comité de conclure à la violation des articles 26 et 2 du Pacte, lus conjointement, et de condamner l’État partie à payer 50 000 euros de dommages et intérêts.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité de la communication

Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

En l’absence d’objections de l’État partie concernant la recevabilité de la communication ou de raisons suggérant que la communication serait irrecevable en tout ou partie, le Comité déclare les allégations au regard de l’article 26 du Pacte, aux termes duquel toutes les personnes sont égales devant la loi, recevables.

Examen au fond

Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

Le Comité note les arguments des auteurs selon lesquels ils sont discriminés par rapport à d’autres professions puisqu’ils seraient les seuls à payer des impôts sur leurs pourboires; que les pourboires ne sont que le fruit de la générosité des clients et qu’ils peuvent dès lors être assimilables à des dons à but social; que ces pourboires ne peuvent être considérés comme une rémunération à proprement parler et ne peuvent donc être imposables. Le Comité note que selon les auteurs, en cas de chômage ou de maladie, ils ne perçoivent pas des prestations supplémentaires, qui seraient la contrepartie de l’imposition à laquelle ils sont soumis.

Le Comité prend note également des arguments de l’État partie selon lesquels, l’imposition des pourboires perçus par les croupiers résulte d’une évolution législative désireuse de rétablir une égalité entre les professions; que les pourboires perçus par les croupiers ne sauraient être comparés à ceux des autres professions du fait de l’importance de leur montant; que pour cette raison, une Commission de distribution des gratifications a été mise en place pour gérer les sommes importantes perçues à titre de pourboire; et que ces sommes sont placées dans une caisse commune et redistribuées entre les croupiers proportionnellement au rang de ceux-ci. Le Comité prend note que selon l’État partie les gratifications sont des revenus qui trouvent leur origine dans le contrat de travail contrairement à ce qu’allèguent les auteurs qui les considèrent comme des donations, échappant ainsi à l’impôt. En outre, le revenu de travail comprend plusieurs éléments dont la rémunération de base, les primes d’ancienneté, des gratifications diverses et que ce revenu complexe a diverses utilisations sous différentes compositions, toutes légitimes. Ainsi, seule la rémunération de base et l’ancienneté comptent pour l’indemnité de licenciement. Le Comité note en outre que, d’après l’État partie, les lois régissant les questions afférentes aux gratifications aux fins de la Sécurité sociale considèrent ces revenus comme des revenus de travail. Enfin, le Comité note que selon l’État partie, tous les contribuables qui se trouvent dans la même situation définie par la loi fiscale doivent être assujettis à un même régime fiscal; que tous les citoyens ayant une égale charge de revenus doivent supporter une égale charge fiscale; et que l’objectif ultime de la loi fiscale est de diminuer les inégalités sociales.

Le Comité rappelle son observation générale no 18 concernant la non-discrimination, dans laquelle il a établi que le principe de l’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi garantit à toutes les personnes une protection égale et efficace contre la discrimination; que la discrimination doit être interdite en droit et en fait dans tout domaine règlementé et protégé par les pouvoirs publics; et qu’en adoptant un texte législatif, l’État partie doit faire en sorte que son contenu ne soit pas discriminatoire. Se référant toujours à son observation générale et à sa jurisprudence constante, le Comité rappelle néanmoins que toute différenciation ne constitue pas une discrimination, si elle est fondée sur des critères raisonnables et objectifs et si le but visé est légitime au regard du Pacte. Il s’agit donc pour le Comité de déterminer si la différenciation faite par la loi no 87-B/98 du 31 décembre 1998, contenant le budget de l’État pour 1999, est discriminatoire vis-à-vis des auteurs ou si elle est basée sur des critères raisonnables et objectifs et que le but visé est légitime au regard du Pacte.

Le Comité observe que le régime fiscal des croupiers est spécifique et unique, ce que les auteurs ne contestent pas. En outre, il n’est pas en mesure de conclure que ce régime est déraisonnable compte tenu notamment de l’importance du montant des pourboires, la manière dont leur distribution est organisée, le fait qu’ils sont intimement liés au contrat de travail et qu’ils ne sont pas concédés à titre personnel. En conséquence, le Comité conclut que les informations dont il est saisi ne montrent pas que les auteurs ont été victimes de discrimination au sens de l’article 26 du Pacte.

Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation par le Portugal des dispositions du Pacte.

[Adopté en français (version originale), en espagnol et en anglais. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]